CA Lyon, 1re ch. civ. A, 27 février 2014, n° 12-07174
LYON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Rouveyre
Défendeur :
Langloys Traiteur (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gaget
Conseillers :
MM. Martin, Semeriva
Avocats :
Me Barriquand, Selarl Juri Dôme
EXPOSÉ DU LITIGE
M. Rouveyre a conclu avec la société Langloys Traiteur un contrat préparatoire de franchise pour l'implantation d'un commerce à Clermont-Ferrand.
Il a agi en nullité de cette convention et réclamé le remboursement des sommes versées à cette occasion, ainsi que l'indemnisation de son préjudice.
Le jugement dont il relève appel déclare ses demandes recevables, mais non fondées, l'en déboute et le condamne au paiement d'une indemnité de 1 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
M. Rouveyre expose qu'au moment de la conclusion du contrat, il n'existait qu'une unité pilote mettant en œuvre le concept de restauration rapide de plats japonais faisant l'objet de la franchise, et que les prévisions de chiffre d'affaires qui lui ont été communiquées à propos de l'ouverture d'autres unités se sont révélées fantaisistes.
Il fait grief à la société Langloys d'avoir manqué à son obligation d'expérimenter son savoir-faire avant de le proposer à d'éventuels franchisés, ainsi qu'à son obligation d'information loyale.
Il soutient que son consentement a été vicié, que le franchiseur ne lui pas remis l'étude de marché qu'il s'était engagé à réaliser et que ces manquements sont confirmés par les déboires rencontrés par d'autre candidats franchisés.
Il réfute les arguments objectés par la société Langloys en première instance, et retenus par le tribunal et conclut :
- réformer le jugement,
- accueillir ses demandes, les déclarer irrecevables et bien fondées,
Vu la chronologie des événements,
Vu les articles 1109 et suivants du Code civil,
Vu la jurisprudence,
- débouter la société Langloys de son argumentation des plus spécieuses,
- dire et juger qu'il a bien vu son consentement être vicié dans le cadre de la régularisation du contrat préparatoire de franchise,
- dire et juger que la société Langloys a également manqué à ses devoirs d'information en ne transmettant pas une information loyale et sincère mais en transmettant au contraire au futur franchisé des données erronées,
Vu les témoignages versés aux débats,
- dire et juger que la non signature du contrat de franchise est imputable au franchiseur,
- en conséquence de quoi et en application des clauses et conditions du propre contrat préparatoire de franchise, dire et juger que la société Langloys doit procéder au remboursement de la somme réglée,
- condamner la société Langloys à lui payer et porter la somme de 20 930 euros en remboursement,
- condamner la société Langloys à lui payer et porter les intérêts au taux légal depuis le versement de cette somme, soit depuis le 10 août 2009,
- condamner la société Langloys à lui payer et porter la somme de 48 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamner la société Langloys à lui payer et porter la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Langloys, assignée par acte remis à personne habilitée à le recevoir, n'a pas comparu.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Après avoir rappelé que le savoir-faire est un ensemble secret, substantiel et identifié d'informations pratiques non brevetées, résultant de l'expérience du franchiseur et testées par celui-ci, le jugement entrepris constate que la société Langloys est spécialisée dans la fabrication de produits alimentaires à base de poissons, et notamment de sushis, depuis le 15 septembre 1999.
Il relève que la réalisation d'une ou plusieurs expériences pilotes, réellement en fonctionnement, est une condition du franchisage et que la société Langloys a ouvert en mars 2009 un magasin pilote à Bourg-en-Bresse, que cette installation pilote a permis de simuler en réel l'exploitation à venir et que ce n'est qu'après plusieurs mois d'exploitation qu'elle a mis en place un réseau de franchise de restaurants sur le modèle de ce magasin pilote.
Il résulte de ces constatations, exactes au vu des pièces du dossier, qu'au moment de la conclusion du contrat préparatoire, le 10 août 2009, la société Langloys avait une expérience personnelle de son activité, mais qu'elle ne disposait que d'une très courte expérience du fonctionnement d'un réseau dont elle n'avait jeté les bases que depuis quelques mois et des perspectives de son développement.
Pour autant, M. Rouveyre connaissait la situation, puisque le contrat ne citait que ce commerce de Bourg-en-Bresse et précisait que "pour évaluer les chances de succès, le candidat franchisé souhaite analyser la gestion d'un magasin pilote".
Il savait l'état du réseau et qu'il n'est pas fondé à reprocher à son animateur de lui avoir fait tenir le rôle de cobaye.
L'article L. 330-3 du Code de commerce ne met pas à la charge du bénéficiaire de l'exclusivité l'obligation de réaliser une étude de marché local.
Cette obligation peut cependant résulter de la convention des parties.
Le tribunal a retenu à ce propos qu'elle mettait clairement cette diligence à la charge du candidat.
Mais le contrat est ambigu, car s'il énonce que "le candidat franchisé souhaite analyser la gestion d'une magasin pilote et bénéficier du concours de ce dernier pour procéder à une étude de marché et/ou une étude d'implantation afin d'évaluer les perspectives d'activité futures", et s'il précise encore que "le franchisé s'engage à réaliser avant le 31 octobre 2009, pour le compte du franchiseur, une étude de marché", cette dernière stipulation se trouve dans la rubrique "obligations du franchiseur", alors qu'au titre des "obligations du franchisé", il est convenu que "la couverture des frais d'études réalisées par le franchiseur sera prise en charge par le candidat franchisé à concurrence de 5 000 euros".
Ces conventions ne sont pas claires, notamment en ce qu'elles ne précisent pas en quoi consistent ces frais d'études, mais précisément, elles ne le sont pas assez pour qu'il puisse s'en déduire que les parties avaient l'intention commune d'ajouter aux obligations mises par la loi à la charge du franchiseur, et ce n'est pas ainsi que M. Rouveyre les a comprises, puisqu'il n'a pas demandé à la société Langloys de déférer à son obligation dans le temps prévu au contrat.
Il ne peut tirer grief de son absence et il en résulte qu'il n'a pas, lui-même, procédé à l'étude d'implantation lui incombant à défaut de toute autre convention sur ce point.
Et quant à l'assistance que lui devait le franchisé, le jugement constate suffisamment qu'elle a été prêtée.
Mais si ces divers griefs devant être écartés, il en va tout autrement de celui tiré des fausses prévisions du franchiseur.
Le jugement entrepris constate en effet que le chiffre d'affaires prévisionnel de 700 000 euros est issu des performances du magasin de Bourg-en-Bresse, dont le chiffre d'affaires pour la période du 6 mars au 6 juin 2009 était mentionné dans le document d'informations précontractuelles annexé au contrat de franchise remis à M. Rouveyre le 4 août 2009, avant la signature du contrat préparatoire et était de 82 850 euros sur deux mois.
M. Rouveyre fait valoir que le chiffre réalisable était annoncé à 600 000 euros, la première année et aux alentours de 700 000 euros après deux ans d'activité, alors que les chiffres d'affaires de l'unité pilote, qui n'étaient pas connus au moment de souscription de l'avant-contrat, se sont finalement arrêtés à 285 303,24 euros.
Le tribunal a considéré que le prévisionnel n'était pas aberrant et relevé que le franchisé de l'Ile de la Réunion a réalisé un chiffre d'affaires compatible avec ces données et que le chiffre d'affaires de la société Langloys a lui-même évolué de façon significative.
Mais, d'une part, les différences culturelles, notamment culinaires, entre la Réunion et Clermont Ferrand n'autorisent pas à tenir ce facteur de comparaison comme déterminant, ni même utile.
D'autre part, l'évolution du chiffre d'affaires de la société Langloys n'est pas nécessairement en lien avec celle de franchisés dédiés à un secteur particulier, dont rien n'établit qu'il correspond à l'entière activité du franchiseur, puisque le tribunal constate que la société Langloys est spécialisée dans la fabrication de produits alimentaires à base de poissons, et notamment de sushis.
Il résulte seulement des chiffres réels que le rendement du point pilote a été surévalué de plus du double, alors pourtant qu'aucune faute de gestion n'est reprochée à son exploitant.
Une telle surévaluation ne peut être mise au compte d'éléments imprévisibles, ou même inattendus, tenant à un ralentissement de l'économie générale ou au développement de la concurrence dans le secteur considéré : chacun de ces événements devait entrer en ligne de compte dans la définition des perspectives, sauf cas de force majeure, que rien n'établit.
Aucun élément du dossier ne permet d'ailleurs de constater que le réseau s'est développé ou même qu'il a poursuivi son activité et qu'en réalité le rendement des commerces franchisés implantés dans des lieux comparables à celui faisant l'objet du contrat tend à réaliser les objectifs initialement fixés.
Le fait que M. Rouveyre a tardé à trouver un local correspondant à ses besoins est sans incidence sur cette réalité, puisqu'il en résulte seulement qu'il est devenu possible d'apprécier les performances du réseau et que rien n'établit que, s'il avait ouvert à bonne date, le commerce aurait prospéré.
En conséquence, eu égard à l'énormité de la différence entre chiffres prévisionnel et réel, c'est par erreur sur la substance même du contrat de réservation de franchise, dans lequel l'espérance de gain au regard des investissements consentis est déterminante, que M. Rouveyre s'est engagé avec la société Langloys.
Ce contrat doit être annulé et les sommes versées au titre de son exécution, remboursées.
Les intérêts moratoires sont dus à compter de la mise en demeure résultant du courrier recommandé adressé par le conseil de M. Rouveyre le 26 août 2011.
Pour prétendre à des dommages et intérêts compensatoires, M. Rouveyre présente une réclamation calculée sur la base d'une rémunération moyenne de gérant, à hauteur de 2 000 euros.
Mais il ne résulte pas de la nullité du contrat que M. Rouveyre aurait perdu une telle rémunération, qui est purement théorique ; sa demande ne peut être accueillie.
La société Langloys, qui succombe, supportera les dépens.
Aucune circonstance ne conduit à écarter l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, - Infirme le jugement entrepris, - Statuant à nouveau, - Prononce annulation du contrat préparatoire de franchise conclu entre M. Rouveyre et la société Langloys Traiteur le 10 août 2009, - Condamne la société Langloys Traiteur à payer à M. Rouveyre une somme de 20 930 euros avec intérêts au taux légal depuis 26 août 2011, - Déboute M. Rouveyre de sa demande de dommages et intérêts, - Vu l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société Langloys Traiteur à payer à M. Rouveyre une somme de 2 000 euros, - Condamne la société Langloys Traiteur aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.