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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 20 février 2014, n° 12-03371

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Girouard Jean-Pierre (SARL)

Défendeur :

Idass (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bazin

Conseillers :

MM. Garnier, Monge

Avocats :

Mes Laval, Berbigier, Bourillon, Selarl Walter, Garance, SCP Leroy

T. com. Orléans, du 4 oct. 2012

4 octobre 2012

Monsieur Jean-Pierre Girouard, qui était lié depuis 2002 par un contrat d'agent commercial à la société Idass, spécialisée dans le commerce en gros de matériel agricole, a apporté son portefeuille le 1er septembre 2005 à la SARL Girouard Jean-Pierre, que la société mandante a agréée en qualité de nouvel agent commercial et dans laquelle il a poursuivi son activité. Un différend étant né entre les parties, relatif au taux des commissions, la société Girouard a assigné la société Idass, par acte du 21 juillet 2011, en constatation de la résiliation du contrat du fait du mandant, et paiement de l'indemnité compensatrice et d'un solde de commissions.

Par jugement du 4 octobre 2012, le Tribunal de commerce d'Orléans a constaté la résiliation du contrat et en a fixé la date au 7 juin 2011, fin du préavis, et débouté la société Girouard de ses demandes en paiement, tout en rejetant la demande reconventionnelle en dommages et intérêts de la société Idass.

La société Girouard a relevé appel et prie la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a constaté la résiliation du contrat d'agent commercial et débouté la société Idass de sa demande indemnitaire. Elle demande, en revanche, de constater que cette société a commis une faute grave en lui imposant une diminution significative des commissions versées et de la condamner à lui verser la somme de 94 713 euros à titre d'indemnité compensatrice.

De son côté, la société Idass conclut à la confirmation du jugement, sauf à prononcer la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société Girouard à compter du 7 mars 2011, et à lui allouer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, qui seront analysés en même temps que leur discussion dans les motifs qui suivent, il est expressément renvoyé à la décision entreprise et aux dernières conclusions signifiées les 30 octobre 2013 (société Colas Rail) et 16 décembre 2013 (société Idass).

SUR QUOI

Sur la procédure

Attendu que par conclusions de rejet des débats du 18 décembre 2013, la société Girouard demande de rejeter les écritures de la société Idass signifiées le 16 décembre 2013, veille de l'ordonnance de clôture ;

Mais attendu que la société Idass avait saisi le conseiller de la mise en état d'un incident visant à voir prononcer l'irrecevabilité des conclusions de la société Girouard du 30 octobre 2013 ; que, par ordonnance du 10 décembre 2013, cet incident a été rejeté, de sorte que la société Idass ne disposait plus que de quelques jours pour répondre éventuellement à la partie adverse, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'écarter ses conclusions du 16 décembre 2013, qui, au demeurant, ne comportent pas de demandes ou de moyens nouveaux et n'appellent pas de réponse particulière ;

Attendu, par ailleurs, que la société Idass prétend que l'appel de la société Girouard est irrecevable pour avoir été formé par une société en liquidation amiable ; que, toutefois, aux termes de l'article 1844-8 du Code civil, la personnalité morale de la société subsistant pour les besoins de la liquidation jusqu'à la publication de la clôture de celle-ci, contrairement aux affirmations de la société intimée, l'appel interjeté par la société Girouard ne peut pas être déclaré irrecevable parce que formé postérieurement à la date de cessation de l'existence légale de la société, dans la mesure où la procédure en cours est nécessaire pour les besoins de sa liquidation ;

Sur l'imputabilité de la rupture

Attendu que le contrat d'agent commercial signé entre les parties prévoit une commission dont le taux est fixé à 5 % du montant HT des matériels ; qu'il apparaît, néanmoins, notamment au vu de relevés de commissions, que la société Idass a versé des commissions de 10 % du montant des ventes conclues directement par l'agent et de 5 % du montant de celles intervenues avec l'aide du service commercial de la société mandante ; que par lettre du 18 janvier 2010, la société Idass a proposé à la société Girouard de modifier sa rémunération en réduisant à 7 % les commissions sur les ventes directes et à 2 % celles réalisées avec le concours du service commercial ; que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 17 novembre 2010, valant avertissement, la société Idass a reproché à son agent un manque d'implication et a réitéré sa proposition de diminution des commissions que la société Girouard a refusée ; que par courrier du 7 mars 2011 la société Girouard, sous la signature de Monsieur Girouard, a confirmé son opposition à la baisse de sa rémunération en écrivant "qu'il ne lui était plus possible de continuer son activité d'agent commercial dans de telles conditions, et ce, encore moins à son âge", et a demandé le versement de deux années de commissions, soit que la société Idass accepte la cessation des relations contractuelles, soit que l'agent rompe unilatéralement le contrat en respectant un préavis de trois mois, du fait des circonstances imputables au mandant ; que la société Idass a accusé réception de cette missive en déclarant être en désaccord avec les prétentions exprimées et en proposant une discussion qui n'a jamais eu lieu ;

Attendu que, selon les dispositions des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, mais cette réparation n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent, ou qu'elle résulte de son initiative, à moins que cette cessation ne soit justifiée par les circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;

Que la société Idass soutient que le taux de commission de 10 % n'était ni contractuel, ni définitivement acquis ; que, cependant, pour les années 2008 et 2009, les commissions au taux de 10 % étaient pratiquement égales à celles perçues à l'occasion des ventes réalisées avec le service commercial de la société Idass ; que la réduction des commissions décidée par la société mandante constitue une circonstance imputable à cette dernière qui a entendu l'imposer unilatéralement, sans offrir de compensation, et sans qu'elle invoque une évolution des conditions économiques défavorables l'ayant empêchée de continuer à assurer le même niveau de rémunération à son agent commercial ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que l'initiative de la rupture incombe à la société Idass qui l'a provoquée de manière détournée, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a fixé au 7 juin 2011 la date de résiliation du contrat, fin du préavis mentionné dans la lettre du 7 mars 2011, sauf à ajouter qu'elle est prononcée aux torts de la société Idass ; que la société Girouard a droit, dès lors, en l'absence de faute grave de sa part, à réparation du préjudice que lui cause la cessation du contrat ; qu'à cet égard, quand bien même la société Idass aurait adressé à son agent un avertissement sur son insuffisance d'implication, elle n'a pas considéré que cet évènement constituait une faute grave puisqu'après la lettre de rupture du 7 mars 2011 et l'assignation du 21 juillet 2011, elle a continué à lui demander, notamment en août 2011, de participer pour son compte à des salons professionnels ; qu'en tout état de cause, l'agent commercial ne peut être privé de l'indemnité compensatrice au seul motif que son activité n'a pas entraîné la conclusion de suffisamment de contrats ;

Que pour rejeter la demande indemnitaire de la société Girouard, le tribunal a retenu que les circonstances de la rupture étaient dues à l'âge de Monsieur Girouard et qu'une personne morale ne pouvait bénéficier des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce ; qu'en statuant ainsi, les premiers juges ont dénaturé la lettre du 7 mars 2011, dans la mesure où Monsieur Girouard avait seulement précisé qu'à son âge, il ne pouvait accepter la baisse de sa rémunération, et non qu'il allait cesser son activité en raison de cet âge ;

Sur l'indemnité compensatrice

Attendu que l'indemnité de cessation de contrat due à l'agent commercial au titre de l'article L. 134-12 du Code de commerce a pour objet de réparer le préjudice subi résultant de la perte pour l'avenir des revenus tirés de la prospection et de l'exploitation de la clientèle commune ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne détermine les modalités de calcul de cette indemnité, et les dommages et intérêts doivent être appréciés en fonction des rémunérations antérieurement perçues par l'agent commercial, de la durée de ses fonctions, et du préjudice effectivement subi, correspondant à la perte des commissions auxquelles l'agent aurait pu raisonnablement prétendre dans la poursuite du mandat ; que le contrat d'agent commercial ayant duré près de dix années, et la société Girouard communiquant un récapitulatif de commissions établi par un centre de gestion agréé, la société Idass sera condamnée à verser à cette société la somme de 85 589 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, correspondant aux deux années de commissions 2009 et 2010 ;

Sur la demande reconventionnelle de la société Idass

Attendu que le sens du présent arrêt implique de rejeter la demande en dommages et intérêts formée par la société Idass, la société Girouard ayant, au demeurant, respecté le préavis légal de trois mois ;

Attendu que la société Idass supportera les dépens de première instance et d'appel et versera à la société Girouard la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Déclare recevable l'appel interjeté par la société Girouard Jean-Pierre ; Dit n'y avoir lieu de rejeter des débats les conclusions de la société Idass signifiées le 16 décembre 2013 ; Confirme le jugement entrepris, mais seulement en ce qu'il a fixé au 7 juin 2011 la date de résiliation du contrat d'agent commercial et débouté la société Idass de sa demande en dommages et intérêts ; L'Infirmant pour le surplus ; Et statuant à nouveau ; Dit que la rupture est imputable à la société Idass ; Condamne, en conséquence, la société Idass à payer à la société Girouard Jean-Pierre la somme de 85 589 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ; Condamne la société Idass aux dépens de première instance et d'appel et à payer la somme de 2 500 euros à la société Girouard Jean-Pierre au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Accorde à la SCP Laval-Lueger, avocat, le droit prévu par l'article 699 du même Code.