Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 5 mars 2014, n° 12-01592

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Odalys Résidences (Sté)

Défendeur :

Association Les Castels Camping et Caravaning

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme. Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Galland, Sassatelli, Godefroy

TGI. Paris, 3e ch. du, 24 nov. 2011

24 novembre 2011

Vu le jugement du 24 novembre 2011, assorti de l'exécution provisoire, dans lequel le Tribunal de grande instance de Paris a condamné la société Odalys Résidences à verser à l'association Les Castels Camping et Caravaning la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale, débouté l'association Les Castels du surplus de ses demandes, la société Odalys Résidences de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et condamné la société Odalys Résidences à verser à l'association Les Castels la somme de 7 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

Vu l'appel interjeté le 26 janvier 2012 par la société Odalys Résidences et ses conclusions du 7 août 2012, par lesquelles elle demande à la cour de'réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce que le tribunal a déclaré sans objet la demande d'interdiction de l'usage de la dénomination Castelys, de juger infondée l'action en concurrence déloyale intentée par l'association Les Castels Camping et Caravaning et la débouter de l'intégralité de ses demandes, à titre reconventionnel, condamner l'association Les Castels Camping et Caravaning à payer à la société Odalys Résidences la somme de 30 000 euros pour procédure abusive, ordonner la publication, aux frais de l'association Les Castels Camping et Caravaning, du dispositif de la décision à intervenir, en accès direct et sur la partie haute de la page d'accueil de son site internet officiel pendant 30 jours à compter du 15ème jour suivant la notification du jugement, et sous astreinte de 200 euros par jour de retard, ainsi que dans trois journaux ou magazines spécialisés dans le tourisme, au choix de l'association Les Castels Camping et Caravaning, sans que ces publications dépassent le coût de 5 000 euros HT chacune et enfin condamner l'association Les Castels Camping et Caravaning au paiement de la somme de 20 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions du 14 juin 2012 de l'association Les Castels Camping et Caravaning, dans lesquelles elle demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société Odalys Résidences à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts et l'a déboutée de sa demande de publication du jugement entrepris, et statuant à nouveau sur ces deux points, condamner la société Odalys Résidences à verser à l'association Les Castels Camping et Caravaning la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice subi, ordonner la publication, aux frais de la société Odalys Résidences, du dispositif de la décision à intervenir en accès direct et sur la partie haute de la page d'accueil de son site internet officiel pendant 30 jours à compter du 15ème jour suivant la notification du jugement, et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, ainsi que dans trois journaux ou magazines spécialisés dans le tourisme, au choix de l'association Les Castels Camping et Caravaning, sans que ces publications dépassent le coût de 5 000 euros HT chacune, condamner la société Odalys Résidences à payer à l'association Les Castels la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et débouter la société Odalys Résidences de toutes ses demandes ;

SUR CE,

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

L'association Les Castels Camping et Caravaning (ci-après "l'association Les Castels") est un acteur de l'hôtellerie de plein air de haut de gamme associée à des sites historiques propriétaires de différents signes distinctifs.

La société par actions simplifiée Odalys Résidences (ci-après Odalys) est un des principaux acteurs français de l'hébergement touristique et propose, depuis 2009, des résidences situées dans des domaines classés ou demeures historiques, dont le concept est baptisé Castelys.

Estimant que la dénomination Castelys, adoptée par la société Odalys pour désigner un concept de tourisme implanté dans les bâtiments historiques, reflétait une volonté manifeste de se placer dans son sillage, l'association Les Castels a adressé, les 28 mai et le 9 juillet 2009, deux lettres recommandées avec accusé de réception à la société Odalys, dont la seconde est restée sans réponse.

Par acte en date du 26 mai 2010, l'association Les Castels a assigné la société Odalys devant le Tribunal de grande instance de Paris en alléguant avoir subi un préjudice en raisons d'actes de concurrence déloyale et parasitaire. Par le jugement présentement déféré, le tribunal a estimé que la pratique constituait une pratique de concurrence déloyale par imitation ;

Sur la concurrence déloyale

Considérant que la société Odalys soutient que l'association Les Castels ne rapporte pas la preuve de la volonté de la société appelante d'utiliser sa réputation ou du risque de confusion qui pourrait exister dans l'esprit du public ; qu'elle relève à cet égard que la presse n'a jamais comparé le concept Castelys de la société Odalys à celui de l'association Les Castels et que la dénomination Castelys a toujours été associée à celle de la société Odalys ; que le terme "castel" est couramment utilisé dans le monde de l'hôtellerie et enfin que le concept d'hébergement proposé par sa société est distinct de celui proposé par l'association Les Castels ;

Considérant que l'association Les Castels soutient être victime d'actes de parasitisme de la part de la société Odalys, puisque le concept Castelys correspond à une activité voisine de celle pratiquée par elle et que la dénomination du concept traduit une volonté claire de s'immiscer dans le sillage de son réseau, afin de bénéficier de sa renommée ;

Sur l'imitation

Considérant que si la reproduction d'un produit, d'un service, d'un slogan ou d'une appellation ne bénéficiant d'aucune protection au titre du droit de propriété intellectuelle n'est, en tant que telle, nullement constitutive d'un comportement déloyal dès lors qu'elle ne génère aucun risque potentiel de confusion entre les produits ou services considérés et les entreprises les commercialisant, le fait d'imiter des produits ou l'organisation d'un tiers peut constituer une pratique de concurrence déloyale si le demandeur à l'action rapporte la preuve, d'une part, de la similitude existant entre ses produits ou services et ceux de l'imitateur prétendu et, d'autre part, que cette similitude a eu pour objet ou pour effet de créer dans le public une confusion dommageable entre les produits ou services ;

Considérant que la société intimée prétend que le choix du nom Castelys pour offrir des prestations d'hébergement dans des châteaux constitue une imitation de son concept d'hébergement en hôtels plein air dans des châteaux ;

Considérant que la qualité de concurrent n'est pas requise pour caractériser la concurrence déloyale ; qu'une reproduction identique du concept ne constitue pas une condition pour que soient consacrés des actes de concurrence déloyale, dès lors que la ressemblance est suffisamment forte pour entraîner une confusion suffisante dans l'esprit du public ;

Considérant, en l'espèce, que l'association Les Castels a pour objet "'de réunir des propriétaires d'hôtellerie de plein air classé 4 **** et disposant d'un cadre prévilégié, parcs de châteaux, vieilles demeures ou sites" ; qu'elle a acquis une certaine notoriété en proposant le "camping au château", c'est-à-dire des hébergements dans les parcs de châteaux, tentes, caravanes, mobiles homes ; que la société Odalys propose, à travers le concept Castelys, des résidences situées au sein même des châteaux ; qu'ainsi, les deux marchés ne sont [pas] identiques, le premier étant le marché de l'hôtellerie en plein air dans les parcs de châteaux, s'adressant aux amateurs de grand air, et le second, celui de la résidence de tourisme au sein même des châteaux, ouvert aux clients haut de gamme et proposé à des prix beaucoup plus élevés ; que si l'association Les Castels propose des hébergements en dur dans huit sites sur 39, ces hébergements sont situés, non pas au sein du château lui-même, mais de ses dépendances (orangerie, ferme, logement du cocher, écuries, pigeonnier ...), à l'exception de quatre sites offrant 15 logements en sein de châteaux ; qu'ainsi, sur 9 des 917 emplacements loués, seuls 15 sont potentiellement en concurrence avec les hébergements Castelys ; que cette concurrence marginale ne suffit pas à faire des deux opérateurs des concurrents et à rendre comparables, aux yeux des consommateurs, les services proposés ; que le nom choisi par l'Association, "les Castels", ne présente pas une originalité ou une spécificité attachée à l'association telle que la reprise de la même racine dans le mot "Castelys" soit de nature à induire en soi la confusion dans l'esprit du consommateur ; qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a estimé constituée la pratique de concurrence déloyale par imitation ; qu'aucun élément du dossier ne vient par ailleurs attester d'une quelconque confusion dans l'esprit des consommateurs ;

Sur le parasitisme

Considérant que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'une entreprise, en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements consentis ; qu'il suppose que celui en excipant puisse démontrer, d'une part, que son concurrent a procédé de façon illicite à la reproduction de données ou d'informations qui caractérisent son entreprise par la notoriété et la spécificité s'y attachant, elles-mêmes résultant d'un travail intellectuel et d'un investissement propre, d'autre part, s'agissant de pratiques entre concurrents, qu'un risque de confusion puisse en résulter dans l'esprit du consommateur potentiel ; qu'en effet et sauf à méconnaître directement le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ainsi que la règle de la libre concurrence en découlant, le simple fait de reprendre des formules d'autrui n'est nullement fautif, dès lors qu'il s'agit d'éléments usuels communs à toute une profession et pour lesquels il n'est pas justifié de droits de propriété intellectuelle ou d'un effort créatif dans la mise en œuvre de données caractérisant l'originalité de l'œuvre ;

Considérant que si le concept n'est pas dépourvu d'une certaine originalité, l'association Les Castels ayant été la première à proposer le camping au château, aucun élément ne permet d'établir que l'association aurait aussi la paternité de l'hébergement au sein même des châteaux ; que de nombreux prestataires de tourisme offrent des services d'hébergement au sein de châteaux, tels les chambres d'hôtes, et d'autres prestataires de résidences ;

Considérant que la preuve de la volonté délibérée de la société Odalys de se placer dans le sillage de l'association Les Castels, lors de sa campagne de cinquantenaire, n'est aucunement établie ; que la société Odalys a toujours accolé au nom "'Castelys'", dans les publicités effectuées par internet, son propre nom, Odalys, dont la notoriété est établie en tant que troisième opérateur français derésidences de tourisme, tous modes confondus ; qu'il n'est pas établi que le nom "Les Castels" soit identifié comme spécifique à l'association, ni par les consommateurs, ni par les professionnels de l'hôtellerie ; que dans ce contexte, le nom de "Castelys" choisi par Odalys n'est pas de nature à induire la confusion du consommateur entre les deux opérateurs, la société Odalys ayant déjà une notoriété établie et déjà supérieure à celle de l'association ; que le choix, pour caractériser un hébergement à l'intérieur d'un château, de la racine "castel" n'a rien d'anormal et paraît particulièrement adapté, aucun autre choix ne pouvant être aussi descriptif du concept en cause ; que la même idée peut difficilement être rendue par l'utilisation d'un autre nom générique ;

Considérant, en outre, que l'association intimée ne démontre pas avoir déployé dans le lancement de ses prestations d'hébergement en plein air, un savoir-faire ou des investissements dont la société Odalys aurait indûment tiré profit ; que la pratique ne constitue donc pas davantage une pratique de parasitisme ;

Considérant que succombant dans ses prétentions, la société Les Castels ne saurait prétendre à aucun dommage-intérêt ;

Sur la demande de dommages-intérêts de la société Odalys pour procédure abusive

Considérant que l'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d'intenter une action en justice est susceptible de constituer un abus ; que dégénère en abus l'exercice d'une action manifestement vouée à l'échec et intentée dans le dessein de nuire à un partenaire ou à un concurrent ;

Considérant, en l'espèce, que la société Odalys ne démontre ni que l'action était manifestement vouée à l'échec, ni qu'elle participait à une volonté de lui causer un dommage, ni encore qu'elle lui ait effectivement causé des dommages ; que sa demande sera donc rejetée et le jugement entrepris confirmé sur ce point ;

Sur la demande de publication

Considérant que la société Odalys ayant renoncé à l'appelation Castelys, et compte tenu de l'ancienneté du litige, il n'y a pas lieu d'ordonner la publication, aux frais de l'association Les Castels, du dispositif de la décision à intervenir ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser chaque partie supporter ses propres frais irrépétibles ;

Par ces motifs - Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Odalys Résidences de sa demande pour procédure abusive, - L'infirme pour le surplus, - Et, statuant à nouveau, - Déboute l'association Les Castels Camping et Caravaning de ses demandes, - Condamne l'association Les Castels Camping et Caravaning aux dépens de première instance et d'appel, - Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.