CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 13 mars 2014, n° 12-09975
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Allegro Manon Troppo.Box (SARL), Brunet-Beaumel (ès qual.)
Défendeur :
Fashion Box France (SARL), DJ Evolution (SA), De Pauw (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur
Avocats :
Mes Couturier, Dupetit, Bernabe, Levin
FAITS ET PROCEDURE
Par contrat du 18 décembre 2001, la société Replay, à laquelle a succédé en 2003 la société Fashion Box France (ci-après, société Fashion), a conclu, pour la commercialisation de ses articles de prêt-à-porter, un contrat d'agent commercial avec la société de droit belge DJ Evolution, qui a elle-même passé un contrat de sous-agent avec la société Allegro Manon Troppo.Box (ci-après, société Allegro).
Le 18 novembre 2008, la société Fashion a résilié à l'amiable le contrat de la société DJ Evolution, cette résiliation entraînant celle du contrat liant celle-ci à la société Allegro, laquelle a reçu une indemnité de rupture d'un montant de 80 000 euros. Le même jour, la société Fashion a conclu un contrat d'agent commercial avec la société Allegro, précédemment sous-agent.
Le 3 avril 2009, la société Allegro a été placée en redressement judiciaire sur assignation de l'Urssaf.
La société Fashion a, le 8 mai 2009, résilié le contrat d'agent en alléguant divers reproches à l'égard de la société Allegro. Celle-ci a été placée en liquidation judiciaire le 11 septembre 2009, Me Bernard Brunet-Beaumel étant nommé liquidateur.
Me Brunet-Beaumel, ès-qualités, a assigné le 20 octobre 2009 la société Fashion en paiement de diverses sommes à titre d'indemnité de rupture, d'indemnité de remploi, de dommages et intérêts et de commissions dues et non réglées. La société Fashion, assignée, a appelé la société DJ Evolution en garantie des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle.
Par un jugement en date du 4 mai 2012, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :
- débouté Me Brunet-Beaumel, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Allegro Manon Troppo.Box de toutes ses demandes ;
- condamné la société Fashion Box France à payer à Me Brunet-Beaumel, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Allegro Manon Troppo.Box la somme de 50 840, 31 euros TTC au titre des commissions dues ;
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- condamné Me Brunet-Beaumel, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Allegro Manon Troppo.Box à payer à la société Fashion Box France la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- ordonné la compensation entre les condamnations réciproques de Me Brunet-Beaumel agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Allegro Manon Troppo.Box et de la société Fashion Box France ;
- condamné la société Fashion Box France à payer à la société DJ Evolution la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Me Bernard Brunet-Beaumel, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Allegro et la société Fashion ont interjeté appel de ce jugement, respectivement le 1er juin 2012 et le 13 juin 2012.
Les procédures ont été jointes par ordonnance du 28 juin 2012.
Vu les dernières conclusions signifiées le 5 novembre 2013, par lesquelles Me Brunet-Beaumel, ès-qualités, demande à la cour de :
- réformer partiellement le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 4 mai 2012 ;
- dire et juger qu'aucune faute grave n'ayant été invoquée par la société Fashion Box dans la lettre de rupture unilatérale, dans laquelle elle prévoyait l'exécution d'un préavis, celle-ci n'est plus fondée à invoquer une faute grave privative d'indemnité de rupture à l'encontre de la concluante ;
- dire et juger que la société Fashion Box n'a pas respecté la procédure contractuelle prévoyant la rupture anticipée pour faute grave ;
- dire et juger que la société Fashion Box ne saurait alléguer des griefs connus d'elle au moment de la rupture du contrat d'agent commercial, mais non visés dans la lettre de rupture, au soutien de la démonstration d'une hypothétique faute grave ;
- dire et juger que la société Fashion Box ne peut se prévaloir de faits commis par des tiers ou postérieurement à la date de rupture du contrat, au soutien de la démonstration d'une hypothétique faute grave ;
- dire et juger que la rupture n'étant pas fondée sur une faute grave, la société Allegro n'est pas fondée à alléguer de nouveaux griefs, pour refuser le paiement de l'indemnité de clientèle prévue par la loi ;
- dire et juger que le placement en redressement judiciaire de la société Allegro Manon Troppo ne peut être qualifié de faute grave ;
- dire et juger qu'aucun des griefs articulés par la société Fashion Box ne peut être qualifié de faute grave ;
Et en toute hypothèse,
- dire et juger que la rupture du contrat d'agent commercial ne repose pas sur une faute grave commise par la société Allegro Manon Troppo ;
- dire et juger que le droit à indemnisation prévu par l'article L. 134-12 du Code de commerce est acquis à Me Brunet-Beaumel, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Allegro Manon Troppo ;
En conséquence,
- condamner la société Fashion Box à payer à Me Brunet-Beaumel, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Allegro Manon Troppo les sommes suivantes :
. à titre d'indemnité de rupture, la somme de : 385 666 euros, subsidiairement la somme de 170 034,48 euros ;
. à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du mandat par la société Fashion Box : 32 000 euros ;
- dire et juger que lesdites sommes porteront intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance, soit le 20 octobre 2009 ;
- ordonner la capitalisation de l'intérêt au 31 décembre de chaque année ;
- débouter la société Fashion Box de l'ensemble de ses demandes, moyens, fins et prétentions ;
- condamner la société Fashion Box à payer à Me Brunet-Beaumel, ès qualités de liquidateur de la société Allegro Manon Troppo la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Fashion Box aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'appelant considère que c'est à tort que le tribunal a jugé qu'en ne signalant pas à la société Fashion ses difficultés financières et son placement en redressement judiciaire, la société Allegro avait commis une faute grave de nature à la priver de l'indemnité de rupture prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce. Elle rappelle que selon l'article L. 622-13 du Code de commerce, l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, en l'occurrence provoquée seulement par une dette à l'égard de l'Urssaf, n'entraîne pas la rupture des contrats en cours et elle souligne que, de surcroît, ses difficultés financières ne compromettaient pas la poursuite du contrat d'agent commercial. Elle ajoute que d'ailleurs c'est la rupture de ce contrat qui a fait obstacle à son redressement et a entraîné sa liquidation. Elle soutient que le fait de ne pas avoir immédiatement informé la société Fashion de la procédure de redressement judiciaire est excusable compte tenu des circonstances, qui tiennent en particulier au transfert provisoire de son siège d'Arles à Toulouse, ne lui a pas causé de préjudice et, en toute hypothèse, n'est pas constitutif d'une faute grave.
L'appelant fait valoir par ailleurs que la société Fashion ne s'étant prévalue dans sa lettre de rupture d'aucune faute grave et lui ayant, au contraire, offert un préavis d'un mois, ne peut plus invoquer ultérieurement de nouveaux griefs pour lui refuser l'indemnité de clientèle à laquelle elle a droit.
S'agissant des griefs contenus dans la lettre de rupture, l'appelant en conteste la pertinence tant en ce qui concerne la baisse du volume des ventes que le manque de nouveaux clients, l'absence d'information donnée à la société Fashion ou les problèmes de bons de commandes soulevés par celle-ci.
Enfin, elle soutient qu'en rompant avec elle quelques mois après avoir rompu avec la société DJ Evolution, la société Fashion avait en réalité pour objectif d'éliminer son ancien réseau d'agents commerciaux indépendants pour mettre en place, à moindres coûts, un nouveau réseau de commerciaux salariés.
La société Allegro réclame donc le paiement d'une indemnité de rupture égale à deux années de commission et de dommages et intérêts pour réparer le préjudice né du comportement fautif de la société Fashion.
Vu les dernières conclusions signifiées le 6 novembre 2013 par lesquelles la société Fashion Box France demande à la cour de :
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris sauf en ce qu'il a condamné la société Fashion Box France au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société DJ Evolution ;
- constater l'état de cessation des paiements de la société Allegro Manon Troppo.Box au 13 janvier 2009 ;
- constater la liquidation judiciaire de la société Allegro Manon Troppo.Box ;
- constater les fautes graves de l'agent dans l'exécution de son mandat ;
- constater la demande nouvelle emportant paiement d'une indemnisation ;
- débouter Me Brunet-Beaumel, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Allegro
Manon Troppo.Box de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en paiement d'une indemnité de rupture ;
- débouter Me Brunet-Beaumel, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Allegro Manon Troppo.Box de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en paiement de dommages et intérêts ;
- débouter Me Brunet-Beaumel, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Allegro Manon Troppo.Box de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- donner acte à la société Fashion Box France qu'elle a réglé la somme de 50 840,31 euros TTC, soit 42 508,62 euros HT ;
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 4 mai 2012 ;
- constater l'absence de fautes de la société Fashion Box France ;
- débouter Me Brunet-Beaumel, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Allegro Manon Troppo.Box de ses demandes en paiement d'intérêts et de capitalisation d'intérêts ;
- fixer à 5 000 euros à titre de dommages et intérêts la créance de la société Fashion Box France au passif de la société Allegro Manon Troppo.Box représentée par Me Brunet-Beaumel ;
Subsidiairement,
- constater l'absence de demandes de Me Brunet-Beaumel, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Allegro Manon Troppo.Box à l'encontre de la société DJ Evolution ;
En conséquence,
- constater que Me Brunet-Beaumel, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Allegro Manon Troppo.Box s'estime totalement remplie de ses droits pour la période antérieure au 18 novembre 2009 par l'indemnisation de la rupture du contrat de sous-agent ;
- débouter Me Brunet-Beaumel, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Allegro Manon Troppo.Box de l'ensemble de ses demandes d'indemnisation incluant dans la période antérieure au 18 novembre 2009 ;
Subsidiairement,
- fixer la demande d'indemnité de Me Brunet-Beaumel, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Allegro Manon Troppo.Box à de plus justes proportions ;
- condamner la société DJ Evolution prise en la personne de son curateur le cabinet Delexbe (Delvaux Donnet) Association d'Avocats au Barreau de Charleroi à relever et garantir la société Fashion Box France, de toute condamnation prononcée à son encontre ;
- condamner Me Brunet-Beaumel, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Allegro Manon Troppo.Box au paiement d'une somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Fashion rappelle qu'elle a invoqué dans sa lettre de rupture plusieurs motifs (faiblesse des résultats par rapport aux objectifs, baisse du nombre de clients, absence d'information et d'explication sur cette situation, défaut de signature de bons de commande entrainant des refus de règlement et de prise de commandes de la part de clients) qui constituaient autant de manquements par la société Allegro à ses obligations contractuelles. Elle indique qu'à la date de cette lettre, la société Allegro ne l'avait pas avertie de la procédure de redressement dont elle était l'objet depuis le 3 avril 2009, sur une assignation du 13 janvier, en violation des clauses du contrat qui l'obligeaient à l'informer des évènements susceptibles d'affecter sa situation financière. Elle soutient, par ailleurs, avoir découvert que la société Allegro représentait d'autres marques concurrentes, ce que ne lui permettait pas le contrat sauf à obtenir son accord. Ces manquements constituent, selon la société Fashion, des fautes graves qui justifient la rupture du contrat sans indemnité.
Sur le montant de l'indemnité réclamée par l'appelante, la société Fashion conteste les chiffres sur lesquels celle-ci se fonde et conclut, par ailleurs, au rejet de sa demande de dommages et intérêts.
Enfin, la société Fashion demande, au cas où des condamnations seraient prononcées contre elle, à en être relevée par la société DJ Evolution qui avait contractuellement garanti les conditions de la rupture de son contrat de sous-agent avec la société Allegro.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
La société DJ Evolution, intimée, n'a pas constitué avocat, bien que les déclarations d'appel des sociétés Allegro et Fashion lui aient été signifiées à personne. L'arrêt sera donc réputé contradictoire conformément aux dispositions de l'article 473 du Code de procédure civile.
Sur la demande de paiement à la société Allegro d'une indemnité compensatrice
Il résulte du dossier que le Tribunal de commerce de Tarascon, sur assignation délivrée le 13 janvier 2009 par l'Urssaf des Bouches-du-Rhône qui a déclaré une créance de 68 965 euros, a, par jugement du 3 avril 2009, ouvert une procédure de redressement judiciaire de la société Allegro et a fixé au 13 janvier 2009 la date de la cessation de ses paiements (pièces n° 34 et 35 produites par la société Allegro).
Il est établi par ailleurs, et non contesté par la société Allegro, que celle-ci n'a pas révélé cette situation à la société Fashion, qui indique ne l'avoir apprise qu'à l'occasion d'un entretien téléphonique courant juin 2009 (pièce n° 14 produite par la société Fashion), alors qu'aux termes de l'article 4 du contrat elle s'était engagée "à informer le Mandant des événement susceptibles d'affecter sa situation financière et la direction de son entreprise" (pièce n° 3 produite par la société Allegro). En manquant ainsi à l'une de ses obligations essentielles à l'égard de son mandant ainsi qu'à l'obligation de loyauté requise des parties au contrat d'agent commercial, la société Allegro a commis une faute grave qui la prive de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce.
Il importe peu, à cet égard, que cette faute n'ait été révélée que postérieurement à la rupture du contrat et que la société Fashion, qui n'en avait pas encore connaissance, n'en ait pas fait état dans sa lettre de rupture, dès lors qu'elle a été commise antérieurement à cette rupture. Le jugement entrepris sera donc confirmé.
Sur la demande de dommages et intérêts de la société Allegro
La société Allegro soutient que la société Fashion a tardé à lui livrer les échantillons de la saison 2009-2010, voire ne les lui a pas livrés, et qu'il en est résulté une baisse des commandes de clients. Elle réclame à ce titre une somme de 32 000 euros représentant 75 % du chiffre d'affaires de la saison précédente. Cette allégation est contestée par la société Fashion et elle n'est pas démontrée par les pièces que produit la société Allegro. En particulier, les courriers électroniques échangés dans le courant du mois de mars 2009, s'ils témoignent de l'impatience de la société Allegro à recevoir les échantillons, ne suffisent pas à établir la carence de son mandant (pièce n° 6). La demande de la société Allegro sera donc rejetée.
Sur la demande de dommages et intérêts de la société Fashion
Dans le dispositif de ses dernières écritures, la société Fashion demande à la cour de fixer à 5 000 euros la créance qu'elle détient sur la société Allegro ; il résulte de ses précédentes écritures que cette somme est réclamée en réparation du préjudice né de la procédure que la société Allegro aurait abusivement dirigée contre elle. Mais cette demande n'étant étayée d'aucun élément qui démontrerait que la société Allegro aurait abusé de son droit d'agir en justice et fait preuve d'une légèreté blâmable ou de malveillance. La demande de la société Fashion sera donc rejetée.
Sur les frais irrépétibles
Au regard de l'ensemble de ce qui précède, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Fashion la totalité des frais irrépétibles engagés pour faire valoir ses droits et la société Allegro sera condamnée à lui verser la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, et en dernier ressort, Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions ; Condamne la société Allegro Manon Troppo.Box, représentée par Me Bernard Brunet-Beaumel, liquidateur judiciaire, à payer la somme de 4 000 euros à la société Fashion Box France en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes les demandes autres, plus amples ou contraires des parties ; Condamne la société Allegro Manon Troppo.Box, représentée par Me Bernard Brunet-Beaumel, liquidateur judiciaire, aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.