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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 18 mars 2014, n° 12-13601

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sept de Cœur (SARL)

Défendeur :

Babybjörn AB (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Acquaviva

Conseillers :

Mmes Guihal, Dallery

Avocats :

Mes de Maria, Lefort des Ylouses, Hubert, Kleiman, Roskis

T. com. Rennes, du 28 juin 2012

28 juin 2012

La société de droit suédois Babybjörn AB a confié par contrat du 1er juillet 1985 à la société de droit français SARL Sept de Cœur la distribution exclusive des produits de puériculture de la marque Babybjörn sur les territoires de France métropolitaine, Andorre et Monaco.

Un nouveau contrat a été signé entre les parties le 10 mars 1997.

A la suite de la dénonciation du contrat par Babybjörn notifiée le 27 octobre 2010 avec prise d'effet le 30 avril 2011 et la rupture effective des relations commerciales qui s'est suivie peu après, Sept de Cœur a, par acte du 23 juin 2011, saisi le Tribunal de commerce de Rennes d'une demande d'indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales sous le fondement de l'article L. 442-6 I 5 du Code de commerce.

Babybjörn a soulevé in limine litis l'incompétence du Tribunal de commerce de Rennes, en faisant valoir que les deux contrats qui régissent les relations des parties contiennent une clause compromissoire ainsi rédigée : "Le présent contrat est soumis au droit suédois. Tout différend résultant de ou lié au présent contrat sera tranché à Stockholm par des arbitres conformément à la loi suédoise sur l'arbitrage".

Par jugement rendu le 28 juin 2012 le Tribunal de commerce de Rennes s'est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à se mieux pourvoir.

Le 11 juillet 2012, Sept de Cœur a formé contredit à ce jugement, demandant à la cour d'infirmer le jugement rendu, de constater l'inapplicabilité de la clause compromissoire au litige, de constater que le règlement CE 44-2001 a vocation à s'appliquer, de dire que le Tribunal de commerce de Rennes est compétent et d'évoquer l'affaire sur le fondement de l'article 89 du Code de Procédure civile.

Sept de Cœur a sollicité qu'une question prioritaire de constitutionnalité soit transmise à la Cour de cassation afin qu'il soit prononcé sur le fait de savoir si "la portée effective que l'interprétation jurisprudentielle constante confère à l'article 2059 du Code civil est ou non contraire au principe constitutionnel garantissant le droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction et à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen".

Cette demande a été rejetée par arrêt du 18 juin 2013.

Vu les conclusions récapitulatives au soutien du contredit n° 3 déposées le 12 février 2014 et soutenues oralement à l'audience par Sept de Cœur aux termes desquelles elle demande à la cour de :

à titre liminaire,

- rejeter les pièces n° 24 et 25 communiquées par Babybjörn,

- enjoindre à Babybjörn de communiquer le procès-verbal de son audition par la Dirrecte des Pays de la Loire,

à titre principal,

- constater que la clause compromissoire prévue dans le contrat de distribution conclu en 1997 est nulle,

- constater que la clause compromissoire prévue dans le contrat de distribution conclu en 1997 est inapplicable,

à titre subsidiaire,

- poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne sur la conformité de l'article 20 du contrat du 10 mars 1997 et de la jurisprudence de la Première Chambre civile de la Cour de cassation aux dispositions du Règlement n° 864-2007 dit "Rome II",

- surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la CJUE,

- en conséquence, contredire le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Rennes rendu le 28 juin 2012 et se reconnaître en conséquence compétente pour évoquer le litige opposant la société Sept de Cœur à la société Babybjörn relatif à la rupture brutale de relations commerciales établies depuis 25 ans,

- enjoindre aux parties de conclure sur le fond,

- condamner la société Babybjörn à payer à la société Sept de Cœur la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions en réponse à contredit n° 4 déposées par voie du réseau privé virtuel avocat (RPVA) ainsi qu'à l'audience le 13 février 2014 et soutenues oralement aux termes desquelles Babybjörn demande à la cour de :

- débouter l'appelante en toutes ses fins, demandes et prétentions à l'encontre de l'intimée ;

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Rennes le 28 juin 2012 ayant jugé, en application des stipulations contractuelles, que la juridiction arbitrale désignée est compétente pour connaître de la demande formée par la société Sept de Cœur sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5 du Code de commerce, et ce, à l'exclusion du tribunal saisi ;

- dire en conséquence, que le Tribunal de commerce de Rennes est incompétent au profit du tribunal arbitral désigné aux termes du contrat de 1997 ;

- condamner la société Sept de Cœur à payer à la société BabyBjörn la somme de vingt mille euro (20 000 euro) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;

Vu les conclusions d'intervention du ministre de l'Economie et des Finances déposées et visées le 1er octobre 2013 et soutenues oralement aux termes desquelles il est demandé à la cour de :

- constater que la clause compromissoire prévue dans le contrat entre les sociétés Babybjörn et Sept de Cœur constitue une tentative de soumettre son partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au titre de l'article L. 442-6 I 2 du Code de commerce,

- constater que la clause compromissoire prévue dans le contrat est donc nulle,

- en conséquence, infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes du du 28 juin 2012 en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître du litige ;

SUR QUOI,

Considérant qu'il doit être donné acte au ministre de l'Economie et des Finances de son intervention volontaire ;

- Sur l'incident de communication de pièces ;

Considérant que la contredisante sollicite que soient écartées des débats les pièces n° 24 et 25 communiquées par la société Babybjörn au motif que celle-ci rédigées en langue suédoise, ne sont pas accompagnées d'une traduction intégrale en langue française ;

Considérant que pour sa part Babybjörn considère que cette demande devra être rejetée dans la mesure où elle a produit des traductions en français des paragraphes des pièces 24 et 25 (extraits de rapports annuels) qu'elle a cités dans ses écritures et qu'elle n'entend pas se prévaloir en l'état des autres informations contenues dans lesdits rapports annuels ;

Considérant que le principe de la contradiction et de la loyauté des débats impose qu'une pièce dès lors qu'elle est versée aux débats puisse être utilement critiquée dans son intégralité sans que la partie qui l'a produite puisse être admise à limiter cette discussion aux seuls passages qu'elle a elle-même discriminés et qu'elle tient comme seuls pertinents ;

que par suite, les pièces n° 24 et 25 communiquées par la société Babybjörn qui sont rédigées en langue suédoise et qui ne sont pas accompagnées d'une traduction intégrale en langue française, doivent être écartées des débats ;

Considérant par ailleurs que Sept de Cœur demande à la cour d'ordonner à BabyBjörn de produire le procès-verbal d'audition de cette dernière par la Dirrecte des Pays de la Loire ;

que toutefois, Sept de Cœur qui qualifie cette pièce de "maîtresse" n'explique pas en quoi celle-ci serait susceptible d'être utile voire déterminante pour la solution du litige alors que les parties ont été à même dans leurs écritures de développer et de discuter l'ensemble de leurs arguments ;

qu'il n'y pas lieu en conséquence d'ordonner la production forcée de ce document dès lors de surcroît qu'il est extrait de l'enquête diligentée par le ministre de l'économie et des finances (direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des pays de la Loire), sur la plainte de la société Sept de Cœur, et que celui-ci qui est intervenu volontairement à l'instance, s'est abstenu de le produire ;

- Sur la compétence du Tribunal de commerce de Rennes.

Considérant que Sept de Cœur soutient que le Tribunal de commerce de Rennes s'est déclaré à tort incompétent motif pris de la clause compromissoire stipulée à l'article 20 du contrat du 10 mars 1997 alors qu'ayant introduit son action sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 I 5, Babybjörn ayant rompu de manière brutale des relations commerciales établies, ce dont il résultait qu'était en cause l'application d'une loi de police, la compétence des juridictions étatiques françaises qui était impérative ne pouvait être écartée, la clause compromissoire étant manifestement inapplicable, que par ailleurs, la rupture brutale d'une relation commerciale établie, en violation des dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6 I 5 du Code de commerce, engage la responsabilité délictuelle de son auteur en sorte que cette action étant sans lien avec le contrat, la clause compromissoire qu'il contient est manifestement inapplicable au litige,

Considérant que selon l'article 1448 du Code de procédure civile applicable en matière d'arbitrage international aux termes de l'article 1506 du même Code, lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou inapplicable ;

Considérant qu'en l'espèce, la clause compromissoire stipulée au contrat du 10 mars 1997 visant "tout différend résultant de ou lié au présent contrat" n'est pas manifestement inapplicable dès lors que la demande de Sept de Cœur présente, indépendamment de la qualification de l'action, un lien avec le contrat en ce qu'elle vise à voir sanctionner Babybjörn pour y avoir mis fin brutalement et à en voir réparer les conséquences qui en sont résultées pour son cocontractant ;

qu'il importe peu à cet égard que des dispositions d'ordre public régissent le fond du litige dès lors que le recours à l'arbitrage n'est pas exclu du seul fait que des dispositions impératives, fussent-elles constitutives d'une loi de police, sont applicables ;

Considérant qu'il est soutenu par ailleurs que cette clause compromissoire en ce qu'elle désigne la loi suédoise comme applicable au contrat et impose de faire trancher les différends par des arbitres conformément à la loi suédoise sur l'arbitrage soumettrait le partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l'article L. 442-6 I 2 du Code de commerce, est nulle ;

que toutefois, la clause compromissoire ne peut être regardée comme étant manifestement nulle pour soumettre le contrat à une loi étrangère alors qu'en application de l'article 3 de la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, en vigueur à la date de conclusion du contrat, les parties avait la faculté, qu'elles ont exercée, de choisir librement la loi régissant leur convention ;

qu'il ne peut être davantage être affirmé au soutien du moyen tiré de la nullité manifeste de la clause que celle-ci conduirait à priver d'effectivité les dispositions du droit communautaire réservant l'application des lois de police en lui interdisant d'invoquer les dispositions protectrices du Code de commerce alors que l'article 7 de la Convention de Rome prévoit expressément "lors de l'application, en vertu de la convention, de la loi d'un pays déterminé, la possibilité de donner effet aux dispositions impératives de la loi d'un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat", ce qui rend sans objet la demande de question préjudicielle soumise par Sept de Cœur ;

qu'il ne peut enfin être retenu que cette clause serait nulle pour méconnaître le droit d'accès au juge et pour consacrer un déni de justice dans la mesure où Sept de Cœur, société commerciale qui ne peut être assimilée à un consommateur, est en mesure de faire valoir ses droits devant la juridiction arbitrale et que dans le cadre de la reconnaissance en France de la sentence, elle dispose d'un recours juridictionnel effectif devant les juridictions étatiques ;

Considérant que le jugement déféré doit être, en conséquence, confirmé.

Considérant que Sept de Cœur qui partie succombante, doit supporter les dépens ne peut prétendre à une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile et sera condamnée sur ce fondement au paiement d'une somme de 10 000 euro.

Par ces motifs, Donne acte au ministre de l'Economie et des Finances de son intervention volontaire ; Ecarte des débats les pièces n° 24 et 25 communiquées par la société de droit suédois Babybjörn AB ; Dit n'y avoir lieu de faire injonction à la société de droit suédois Babybjörn AB de verser aux débats le procès-verbal de son audition par la Dirrecte des Pays de la Loire ; Confirme le jugement déféré ; Déboute la SARL Sept de Cœur et le ministre de l'Economie et des Finances de leurs demandes ; Condamne la SARL Sept de Cœur aux dépens et au paiement d'une somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.