CA Bordeaux, 2e ch. civ., 11 mars 2014, n° 11-04944
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Du Jard (SARL)
Défendeur :
France Boissons Loire Sud Ouest (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme O'yl
Conseillers :
MM. Bancal, Ramonatxo
Avocats :
Mes Fonrouge, Hardouin, Harpillard, Lagrave, SCP Beauchard-Demaison-Bodin-Garrigues
Vu le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux en date du 5 juillet 2011
Vu la déclaration d'appel de la SARL Du Jard en date du 25 juillet 2011
Vu ses conclusions récapitulatives déposées et signifiées le 14 mars 2012
Vu les conclusions récapitulatives de la SARL France Boissons Loire Sud Ouest déposées et signifiées le 2 mai 2012
Vu l'ordonnance de clôture en date du 1er octobre 2013
Selon un contrat d'achat exclusif de boissons en date du 13 février 2004 la SARL Du Jard qui exploite un restaurant à Mérignac s'est engagée à acheter exclusivement à la SARL France Boissons Loire Sud Ouest "les produits spécifiés sous l'article 3 pour les quantités conventionnelles déterminées sous le même article aux conditions générales de vente de l'entreprise identiques à tous les clients de même nature" ; en contrepartie la SARL France Boissons Loire Sud Ouest a apporté une contribution financière sous forme d'aide à l'investissement d'un montant de 11 512,70 euro pour la durée du contrat à savoir 5 ans ;
Parallèlement la SARL France Boissons mettait à la disposition de la SARL Du Jard du matériel (machine à café, moulin à café...) à titre de prêt à usage ;
Diverses clauses étaient insérées à ce contrat dont une clause relative à la fixation des tarifs et une clause d'indemnité conventionnelle de résiliation ;
Par courriers en date des 22 et 30 septembre, 8, 16 octobre 2008 la SARL Du Jard constatant des augmentations de tarif non négociées indiquait à sa cocontractante refuser ces augmentations et avoir donné instruction à sa banque de ne pas s'acquitter des factures ;
Par LRAR du 27 octobre 2008 maintenant sa position elle informait sa cocontractante de ce qu'elle allait s'approvisionner chez un autre fournisseur compte tenu du blocage de son compte ;
Le 4 novembre 2008 elle s'acquittait des factures impayées déduction faite des augmentations ;
Par courrier en date du 8 décembre 2008 la SARL France Boissons relevant que la SARL Du Jard ne s'approvisionnait plus en champagne depuis le mois de décembre 2007 et en café depuis le mois d'août 2008, qu'elle ne s'approvisionnait pas dans les quantités contractuellement prévues et qu'elle avait laissé plusieurs factures impayées, rappelait les termes du contrat et la mettait en demeure de payer la somme de 21 932,50 euro correspondant aux factures impayées (488,56 euro), à la partie non amortie du matériel mis à sa disposition (1 682,93 euro) et à l'indemnité de rupture (19 412,41 euro) ;
Par lettre du 27 juillet 2009 la SARL Du Jard faisant valoir qu'elle s'était acquittée des factures mettait en demeure la société France Boissons de lever l'inscription de nantissement sur son fonds ;
Par courrier en date du 4 septembre 2009 prenant acte du paiement des factures, la SARL France Boissons la mettait en demeure de s'acquitter de la somme de 21 207,55 euro au titre des créances de marchandises, de la part non amortie du matériel mis à disposition et de l'indemnité de rupture ;
N'ayant pas obtenu satisfaction elle la faisait assigner devant le Tribunal de commerce de Bordeaux pour obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 19 412,41 euro au titre de l'indemnité de rupture et de 1 446,38 euro au titre de la part non amortie du matériel mis à disposition outre 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par le jugement critiqué le Tribunal de commerce de Bordeaux a :
- condamné la SARL Du Jard à payer à la SARL France Boissons une somme de 5 000 euro au titre de l'indemnité de rupture et une somme de 1 446,38 euro au titre de la part du matériel non amortie
- débouté la SARL Du Jard de ses demandes reconventionnelles
- fait application de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur de 500 euro ;
La SARL Du Jard qui a relevé appel demande à la cour de :
A titre principal,
Vu les articles 1134 et 1184 du Code civil,
- infirmer le jugement
Vu l'article 1147 du Code civil
- dire que la rupture des relations contractuelles est imputable à la SARL France Boissons
- dire que cette résiliation engage la responsabilité de la SARL France Boissons
- condamner la SARL France Boissons à lui payer la somme de 10 000 euro de dommages-intérêts
A titre subsidiaire,
Vu l'article 1231 du Code civil
- réduire le quantum des sommes allouées par les premiers juges à la SARL France Boissons au titre de la clause pénale
- dire qu'elle sera tenue de payer une somme de 1 358,57 euro à ce titre
- débouter la SARL France Boissons de ses autres demandes
- la condamner au paiement de la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
La SARL France Boissons qui forme appel incident demande à la cour de :
- débouter la SARL Du Jard de ses demandes
- confirmer le jugement dont appel sauf à condamner la SARL Du Jard à lui payer la somme de 19 412,41 euro au titre de l'indemnité conventionnelle de rupture
- faire application de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur de 3 000 euro ;
La SARL Du Jard fait valoir que la rupture du contrat d'achat exclusif est imputable à la SARL France Boissons celle-ci ayant modifié unilatéralement ses tarifs sur la base d'une clause abusive insérée à l'article 4 qui ne peut qu'être réputée non écrite puisqu'elle interdit au revendeur de contester les prix imposés et est contraire aux dispositions de l'article L 442-6 I 2° du Code de commerce ;
L'article 4 du contrat intitulé "détermination du prix" dispose : "le prix de la fourniture est celui résultant de la libre concurrence usuellement pratiquée avec des clients de même nature dans la région où se trouve le fonds du revendeur, dans les mêmes conditions tarifaires, que la clientèle soit sous exclusivité ou libre de tout engagement ; les parties déclarent avoir eu connaissance et accepté les prix et conditions générales de vente du fournisseur ; celui-ci est tenu de communiquer au revendeur qui en fait la demande son barème de prix et ses conditions générales de vente ; le tarif à la date de conclusion du contrat est joint en annexe ainsi que les conditions générales de vente ; en cas de modification des prix et conditions actuelles tarifaires, la partie cliente peut soit les accepter soit les refuser ; En cas de refus les parties conviennent de s'en remettre à l'avis de l'expert qui sera désigné à la requête de la partie la plus diligente par le Tribunal de commerce de Bordeaux ; les commandes et livraisons aux nouveaux prix et conditions de vente valent acceptation expresse du revendeur" ;
L'article 7 intitulé "inexécution du contrat" énonce quant à lui : "sauf cas de force majeure pour le fournisseur comme pour le revendeur l'exécution du contrat d'exclusivité sera poursuivie jusqu'à complet achèvement de sa durée ; en cas d'inexécution, de non-respect de l'exclusivité de fourniture, le revendeur devra à titre de clause pénale le paiement d'une indemnité forfaitaire de 20 % du chiffre d'affaires à réaliser jusqu'au terme normal du contrat en application des quantités prévues à l'article 3 selon les prix pratiqués lors de la dernière livraison compte tenu des quantités déjà livrées ; le non-respect des conditions de règlement rendra exigibles les pénalités pour non-exécution du contrat ; en cas de fermeture provisoire de l'établissement les clauses du contrat seront suspendues ; si par suite de circonstances exceptionnelles rendant très difficile l'exécution du contrat le fournisseur ne pouvant momentanément livrer le revendeur, cela ne saurait en aucune façon constituer un motif de résiliation du contrat et ouvrir au revendeur un droit à indemnité ; lorsque l'interruption des livraisons aura pris fin le contrat reprendra tous ses effets ; dans le cas où les fournitures ne seraient pas payées régulièrement, le fournisseur est autorisé à faire dépendre toute livraison ultérieure au paiement préalable de son prix sans que le présent contrat puisse être résilié" ;
Certes la société France Boissons a augmenté ses tarifs au cours de l'année 2008 conformément à la faculté qui lui est offerte par l'article 4 de la convention ; la SARL Du Jard a refusé cette augmentation comme le contrat lui en donne le droit mais au lieu de saisir le tribunal de commerce d'une demande de désignation d'expert, faculté qui appartient aux deux parties, et ne s'est plus acquittée des factures ;
En effet si l'article 4 autorise la société France Boissons à modifier les prix il permet au revendeur de refuser leur augmentation selon des modalités contractuellement prévues ;
Le cas visé par le dernier alinéa de l'article 7 ne concerne pas le désaccord pouvant exister entre le fournisseur et le revendeur sur les tarifs appliqués et il n'est donc pas imposé au revendeur de régler le tarif modifié sous peine de suspension des livraisons ; aussi il ne peut être soutenu que cette clause doit être réputée non écrite car entrainant un déséquilibre dans les droits et obligations des parties au sens de l'article 442-6 § 2 du Code de commerce ;
Il appartenait en conséquence à la SARL Du Jard de saisir le tribunal de commerce ;
Or par lettre du 28 octobre 2008 elle a pris l'initiative de la rupture au motif que les tarifs avaient été modifiés unilatéralement sans négociation préalable ;
Le 4 novembre 2008 elle s'acquittait des factures qu'elle avait laissées impayées en déduisant toutefois les augmentations ;
Par ailleurs il ne être ignoré qu'au mépris de son engagement la SARL Du Jard ne s'est plus approvisionnée en champagne à compter de septembre 2007 et en café à compter du mois d'août 2008 auprès de la société France Boissons ;
En conséquence c'est avec justesse par des motifs que la cour s'approprie que le premier juge a considéré que la SARL Du Jard était responsable de la rupture du contrat d'achat exclusif et l'a condamnée à payer à la société France Boissons ;
De même il a justement fixé le montant de la clause pénale à la somme de 5 000 euro compte tenu de la proximité de la date d'expiration du contrat et de la situation respective des parties ;
L'équité commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'intimée à hauteur de 1 500 euro ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire prononcé par sa mise à disposition au greffe, Confirme le jugement déféré, Condamne la SARL Du Jard à payer à la société France Boissons Sud Ouest une somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, La condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.