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Décisions

CA Orléans, ch. civ., 17 mars 2014, n° 13-01215

ORLÉANS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Proditrans Express (SARL)

Défendeur :

Transports Mercier & Fils (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Blanc

Conseillers :

Mmes Nollet, Faivre

Avocats :

Mes Garnier, Banbanaste, Ousaci

T. com. Orléans, du 19 mai 2011

19 mai 2011

La SARL Proditrans Express avait recruté Dame Bataille en 2004 en qualité d'agent d'exploitation plus spécialement chargée de la gestion des affrètements internationaux auprès de sa clientèle ; cette personne quittait la société le 30 septembre 2010, et était embauchée par la SARL Transports Mercier et Fils.

Prétendant subir depuis octobre 2010 une baisse très importante de son chiffre d'affaires, la SARL Proditrans Express suspectait alors la SARL Mercier d'avoir débauché sa salariée, puis d'avoir détourné sa clientèle. Elle saisissait le président du Tribunal de Commerce d'Orléans, statuant en référé, aux fins d'obtenir la cessation sous astreinte des actes de concurrence déloyale incriminés, ainsi que le versement d'une provision à valoir sur la réparation du préjudice qu'elle invoquait.

Par une ordonnance en date du 19 mai 2011, ce magistrat disait n'y avoir lieu à référé et renvoyait les parties à se pourvoir au fond.

La SARL Proditrans Express ayant interjeté appel de cette ordonnance, la chambre commerciale de la Cour d'Appel de céans, par un arrêt en date du 26 janvier 2012, infirmait cette décision et condamnait la SARL Transports Mercier et Fils à payer à la la SARL Proditrans Express la somme de 20 000 euro à titre de provision sur dommages-intérêts et la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La cour d'appel retenait que 9 anciens clients de la SARL Proditrans Express suivis par Dame Bataille ont été repris par la société Mercier à compter du 1er octobre 2010, qu'en particulier, une société de droit espagnol, qui avait passé le 20 septembre 2010 auprès de la SARL Proditrans Express un ordre d'enlèvement à effectuer pour le 4 octobre 2010, a annulé sans motif son ordre le lendemain du départ de Madame Bataille et a immédiatement confié l'enlèvement de ces marchandises à la société Mercier selon bon de commande du même jour, pour en déduire que le détournement de clientèle est manifeste, Madame Bataille, destinataire des deux ordres d'enlèvement pour le compte de ses deux employeurs successifs, ayant agi comme si la clientèle de la la SARL Proditrans Express était la sienne propre et pouvait donc être transférée de sa propre initiative à son nouvel employeur.

Par un arrêt en date du 19 mars 2013, la Cour de Cassation cassait l'arrêt dont s'agit, renvoyait la cause et les parties devant cette cour autrement composée, et condamnait la SARL Proditrans Express à payer à la SARL Transports Mercier et Fils la somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La Cour Suprême estimait que les motifs de la cour d'appel étaient impropres à caractériser un détournement déloyal de clientèle.

La SARL Proditrans Express, par ses dernières conclusions du 22 juillet 2013, prétend que les éléments qu'elle apporte sont de nature à démontrer l'accomplissement d'actes déloyaux, consistant notamment en l'annulation d'une commande et le transfert du client concerné au profit du nouvel employeur de la salariée débauchée.

Elle demande à la cour la réformation de la décision critiquée, estimant que la preuve de la faute commise par Madame Bataille et la la SARL Transports Mercier et Fils est rapportée, la salariée ayant, selon elle, systématiquement invité la clientèle à la suivre chez son nouvel employeur alors qu'elle était encore au service de l'ancien.

Elle prétend que la preuve de l'arrêt immédiat des relations commerciales de sa clientèle et le détournement du chiffre d'affaires au profit de la la SARL Transports Mercier et Fils serait rapportée et qu'elle résulte des déclarations mêmes des intéressés.

Invoquant le trouble manifestement illicite causé par l'attitude déloyale de la SARL Transports Mercier et Fils, la SARL Proditrans Express demande à la cour de lui interdire de démarcher et de commercer avec l'ensemble de ses clients, sous astreinte de 2 000 euro par jour et par violation constatée ; elle sollicite l'allocation de la somme provisionnelle de 45 000 euro à valoir sur dommages-intérêts, et de la somme de 5 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL Transports Mercier et Fils, dans ses dernières écritures du 28 juin 2013, conclut à la confirmation de l'ordonnance de référé du Président du Tribunal de Commerce d'Orléans, et sollicite l'allocation de la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de la somme de 6 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle considère en particulier qu'en droit, le simple fait qu'un salarié ou une partie du personnel d'une société ait été embauché par un concurrent ne caractérise nullement un acte engageant la responsabilité civile de ce dernier, et qu'il est nécessaire pour le demandeur d'apporter la preuve que le concurrent a procédé à un véritable débauchage, à savoir l'existence d'actes positifs et incitatifs tendant à ce qu'il soit mis fin à la relation salariale entre la société s'estimant victime de concurrence déloyale et le ou les salariés.

La partie intimée déclare qu'aucun acte de dénigrement ou de débauchage ne serait à lui imputer, et précise que Madame Bataille n'était liée par aucune clause de non-concurrence.

L'ordonnance de clôture était rendue le 14 novembre 2013 par le Conseiller de la mise en état.

SUR QUOI :

Attendu que l'action en concurrence déloyale suppose, pour être fondée, la preuve de l'existence d'une faute ; que le principe de la liberté de la concurrence ne peut trouver de limites qu'en présence de comportements de nature à en fausser le jeu ; que le fondement d'une telle action ne peut être celui de l'article 1384 du Code civil, la déloyauté et la réalité d'actes malveillants ne se présumant pas ;

Attendu que pour que le juge des référés, juge de l'évidence, puisse faire droit à une telle demande sans excéder ses pouvoirs, il était nécessaire que la SARL Proditrans Express rapportât non seulement la preuve de l'existence d'un préjudice consistant en une perte de clientèle, mais encore que fût établie la réalité de l'accomplissement d'un ou plusieurs actes positifs de nature à fausser les règles de fonctionnement normal du marché ;

Attendu que Dame Brinon épouse Bataille n'avait conclu avec son ancien employeur aucune clause de non-concurrence ;

Attendu que le fait que cette personne a été embauchée par une société concurrente et que son ancien employeur a perdu divers contrats ne suffit pas à caractériser un comportement fautif à l'origine d'un trouble manifestement illicite dont la cessation pouvait être obtenue de la part du juge des référés, pas plus qu'elle n'entraîne l'existence d'une obligation non sérieusement contestable dont l'exécution s'imposerait, ou de nature à justifier en référé l'allocation d'une provision ;

Attendu que ce magistrat, en l'absence de preuves évidentes de l'existence d'une faute au sens de l'article 1382 du Code civil et des textes régissant le marché, ne pouvait que se prononcer comme il l'a fait en considérant que le litige ne pouvait relever que de la compétence du juge du fond et en renvoyant les parties à mieux se pourvoir ;

Attendu qu'il y a lieu de confirmer la décision entreprise ;

Attendu que la partie intimée ne rapporte pas la preuve de ce que le comportement son adversaire serait de nature à constituer un abus de nature à permettre l'allocation de la somme qu'elle réclame à titre de dommages-intérêts ; que les conditions requises pour qu'il soit fait droit à une telle demande ne sont pas réunies ;

Attendu qu'aucune considération d'équité ne justifie qu'il soit fait application de l'article 700 du Code de procédure civile;

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme l'ordonnance rendue entre les parties le 19 mai 2011 par le président du Tribunal de Commerce d'Orléans, Déboute la SARL Transports Mercier et Fils de sa demande de dommages-intérêts, Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL Proditrans Express aux dépens.