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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 27 mars 2014, n° 10-19766

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cosimo Sam (Sté)

Défendeur :

Carrefour France (SAS) , Carrefour Hypermarchés (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur

Avocats :

Mes Fisselier, Rebhann, de Maria, Arroyo

T. com. Rennes, du 16 sept. 2010

16 septembre 2010

FAITS ET PROCÉDURE

La société de droit monégasque Cosimo Sam (la société Cosimo) soutenant détenir les droits de distribution exclusive des articles de bagagerie de la marque Eastpak, pour la France et la Suisse, a, par acte du 12 mai 2010, fait assigner en concurrence déloyale la société Carrefour France en lui reprochant d'avoir vendu des sacs à dos de cette marque dans plusieurs hypermarchés, sans être agréée dans le réseau de distribution sélective mis en place par elle depuis le mois de février 2007.

Par jugement rendu le 16 septembre 2010, le Tribunal de commerce de Rennes a :

- mis hors de cause la société Carrefour France et reçu la société Carrefour Hypermarchés en son intervention volontaire ;

- débouté la société Cosimo de son interdiction de commercialisation des quelques produits à la marque Eastpak par la société Carrefour Hypermarchés ;

- condamné la société Cosimo à payer la somme totale de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la société Carrefour France ;

- débouté la société Cosimo de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- débouté la société Carrefour du surplus de sa demande, fins et conclusions.

Vu l'appel interjeté contre cette décision par la société Cosimo, les 8 et 23 octobre 2010, à l'encontre, pour le premier, de la société Carrefour Hypermarchés, pour le second, de la société Carrefour France ;

Vu l'ordonnance de jonction rendue le 16 décembre 2010 par la Cour d'appel de Paris ;

Vu les dernières conclusions, signifiées le 25 octobre 2012 par la société Cosimo, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Rennes le 16 septembre 2010 dans ses dispositions soumises à la cour ;

- réformer le jugement sur ces points et statuant à nouveau ;

- constater la licéité du réseau de distribution sélective pour la revente d'articles de bagagerie Eastpak mis en place par la société Cosimo en France ;

- recevoir la société Cosimo dans sa demande ;

- y faisant droit, dire et juger que les sociétés Carrefour France et Carrefour Hypermarchés, en commercialisant irrégulièrement des articles de bagagerie Eastpak en France en dehors du réseau de distribution sélective mis en place par la société Cosimo, se sont livrées à des actes de concurrence déloyale à l'encontre de cette dernière en violant les dispositions de l'article 1382 du Code civil ;

- en conséquence, faire interdire aux sociétés Carrefour France et Carrefour Hypermarchés de présenter, offrir à la vente par quelque moyen que ce soit, stocker et vendre, directement ou indirectement, les articles de bagagerie Eastpak dans tout point de vente qui n'aura pas été agréé en France, sous astreinte de 50 euros par infraction constatée ;

- condamner les sociétés Carrefour France et Carrefour Hypermarchés à verser à la société Cosimo la somme de 100 000 euros au titre de la réparation du préjudice subi par la société Cosimo ;

- ordonner la publication de la présente décision dans quatre journaux ou revues au choix de la société Cosimo et aux frais des sociétés Carrefour France et Carrefour Hypermarchés ;

- condamner les sociétés Carrefour France et Carrefour Hypermarchés à payer à la société Cosimo la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Cosimo soutient qu'elle est recevable à agir contre la société Carrefour France en raison de sa qualité de centrale d'achat et de référencement du groupe Carrefour et du fait qu'elle approvisionne les magasins à enseigne Carrefour en produits de marque Eastpak. Elle affirme qu'elle détient les droits de distribution exclusifs des produits de cette marque, notamment, pour la France et que l'approvisionnement auprès d'une source licite, même à l'intérieur de l'Union européenne, n'enlève nullement le caractère déloyal de la commercialisation de ces produits en marge d'un réseau de distribution sélective.

Elle soutient que son réseau de distribution sélective est licite au regard des règles de concurrence et elle reproche à la société Carrefour France la mise en œuvre d'actes de concurrence déloyale en s'affranchissant des exigences requises pour pouvoir être agréée au réseau de distribution sélective.

Vu les dernières conclusions signifiées le 29 octobre 2013 par les sociétés Carrefour France et Carrefour Hypermarchés, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Rennes en date du 16 septembre 2010 en ce qu'il a :

- mis hors de cause la société Carrefour France et reçu la société Carrefour Hypermarchés en son intervention volontaire ;

- débouté la société Cosimo de sa demande d'interdiction de commercialisation des produits de marque Eastpak par les sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour France ;

- réformer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes en date du 16 septembre 2010 pour le surplus, et statuant à nouveau :

- juger irrecevables les demandes de la société Cosimo en raison d'un manque d'intérêt à agir, et en conséquence débouter la société Cosimo de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- juger illicite le contrat de distribution exclusive conclu entre KostiaBelkin Cosimo et Eastpak Inc. le 26 février 1992, et de son avenant conclu le 24 octobre 1994, au regard de l'article 101 (1) du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne, et de l'article 420-1 du Code de commerce, et en conséquence prononcer la nullité de ce contrat et de cet avenant en application de l'article 101 (2) du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne, et de l'article 420-3 du Code de commerce ;

- juger que le réseau de distribution sélective mis en place par la société Cosimo est illicite au regard de l'article 101 (1) du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne, et de l'article 420-1 du Code de commerce, et en conséquence :

- prononcer la nullité des contrats de distribution sélective conclus par la société Cosimo avec l'ensemble de ses distributeurs agréés en application de l'article 101 (2) du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne, et de l'article 420-3 du Code de commerce ;

- condamner la société Cosimo à payer à la société Carrefour Hypermarchés, et le cas échéant à la société Carrefour France, la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- débouter la société Cosimo de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société Cosimo à payer à chacune des sociétés Carrefour France et Carrefour Hypermarchés la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile concernant la procédure de première instance,

En tout état de cause :

- ordonner la liquidation de l'astreinte de 500 euros par jour de retard prononcée par le magistrat en charge de la mise en état dans son ordonnance du 12 janvier 2012, à compter du 7 mars 2012, et en conséquence :

- condamner la société Cosimo à payer aux sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour France une somme de 309 000 euros correspondant à l'astreinte due au jour de la clôture, le 14 novembre 2013, somme à parfaire au jour de l'arrêt à intervenir ;

- subsidiairement, condamner la société Cosimo à payer aux sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour France une somme de 116 500 euros correspondant à l'astreinte due au 25 octobre 2012 ;

- juger que les sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour France n'ont commis aucune faute en relation avec la commercialisation de produits Eastpak, et en conséquence débouter la société Cosimo de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- juger que les demandes de la société Cosimo sont injustifiées, disproportionnées et contraires au droit communautaire ;

- condamner la société Cosimo à payer à chacune des sociétés Carrefour France et Carrefour Hypermarchés la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile concernant la procédure d'appel.

Les sociétés Carrefour France et Carrefour Hypermarchés soutiennent que la demande formée par la société Cosimo à l'encontre de la société Carrefour France est irrecevable, car cette dernière n'est que loueur des fonds de commerce et ajoutent que la société Cosimo ne justifie pas détenir les droits d'exclusivité qu'elle invoque.

Elles font valoir que la société Cosimo ne rapporte pas la preuve de la licéité du réseau de distribution mis en place, ni en amont, car elle ne verse pas les contrats relatifs à cette chaîne de distribution, ni en aval, à défaut de remplir les conditions de licéité des systèmes de distribution sélective précisées par la jurisprudence et les Lignes directrices édictées par la Commission de l'Union européenne.

Elles exposent également que la commercialisation de produits Eastpak par la société Carrefour Hypermarchés n'est pas fautive, et qu'aucun acte de parasitisme ou de concurrence déloyale ne peut lui être reproché par la société Cosimo, qui ne démontre avoir subi un préjudice.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée, ainsi qu'aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la recevabilité de l'action de la société Cosimo

La société Cosimo n'établit pas que la société Carrefour France serait, ainsi qu'elle le prétend, la centrale d'achat et de référencement des magasins à enseigne Carrefour, ce que conteste celle-ci. L'appelante ne justifie pas non plus que la société Carrefour France aurait approvisionné les magasins de l'enseigne en produits de marque Eastpak. Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a mis hors de cause la société Carrefour France.

Sur la détention par la société Cosimo de droits exclusifs de distribution des produits de marque Eastpak en France

La société Cosimo produit aux débats le contrat conclu entre elle, sous la dénomination "Kostia Belkin - Cosimo" et la société Eastpak Inc., le 26 février 1992, ainsi qu'un avenant conclu le 28 septembre 1994. Cet acte, lui confère à la suite d'un premier contrat conclu entre elles, la distribution exclusive en France et en Suisse, des produits de la marque Eastpak. Il ne comporte aucune date d'échéance et il est donc à durée indéterminée.

Par ailleurs, il résulte d'un contrat conclu entre les sociétés VF Corp. et Sunbeam Corp., le 18 mars 2000, que la seconde a cédé à la première l'ensemble de la branche d'activités liées à la commercialisation de la marque Eastpak et lui a transféré, dans ce cadre, les accords conclus ainsi que les droits de propriété intellectuelle dont elle était titulaire. Quand bien même ce contrat serait-il produit de manière incomplète et en anglais, la copie présentée, permet de constater qu'il comporte une liste des accords à l'étranger, par territoire ("Foreign agreements (by Territory)" et que cette liste mentionne au paragraphe 118, sous le titre "Switzerland", l'accord de distribution exclusive (France et Suisse) conclu entre Eastpak et Kostia Belkin - Cosimo signé le 26 février 1992 et amendé le 24 octobre 1994 ("executed February 26, 1992 with Amendment dated October 24, 1994").

À ces documents s'ajoute une attestation délivrée, le 15 septembre 2009, par le directeur de la société VF Europe BVBA, licenciée de la société Jansport Apparel corp., titulaire des marques Eastpak dans le monde, que la société Cosimo est le distributeur exclusif des produits Eastpak en France et que l'accord d'exclusivité est encore en vigueur. Enfin, la titularité des droits de la société Jansport Apparel corp. est démontrée par les fiches relatives aux marques Eastpak en France figurant dans les bases marques de l'INPI qui mentionnent cette société comme étant le déposant des dites marques.

De cet ensemble d'éléments, il résulte que la société Cosimo est bien titulaire des droits de distribution des produits de la marque Eastpak en France et qu'elle est donc recevable à agir contre la société Carrefour Hypermarchés.

Sur la licéité du réseau de distribution sélective

La société Carrefour Hypermarchés conteste la licéité du réseau de distribution sélective mis en place en France par la société Cosimo et dont la violation est invoquée par elle au soutien de ses demandes. L'intimée fait valoir à ce titre que l'appelante ne rapporte pas la preuve qu'elle respecte les conditions précisées dans le règlement d'exemption n° 330-2010 du 20 avril 2010 substituant le règlement 2790-1999 du 22 décembre 1999, ainsi que dans les lignes directrices publiées pour leur application. Elle fait valoir à ce titre que la nature des produits Eastpak ne justifie pas la mise en place d'un réseau de distribution sélective, qu'il n'est pas démontré que la société Cosimo ne détienne pas sur le marché pertinent une part inférieure à 30 %, que les critères d'appréciation ne sont pas objectifs, ni non-discriminatoires et qu'ils sont de nature à exclure certaines formes de vente, comme les supermarchés. Elle ajoute que ces critères ne sont pas appliqués de manière objective et qu'enfin ils vont au-delà de ce qui est nécessaire pour la sauvegarde des intérêts que la société Cosimo prétend défendre.

La société Cosimo conteste l'ensemble de ces éléments.

Un système de distribution sélective, qui par lui-même est de nature à restreindre le jeu de la concurrence, peut être considéré comme licite au regard des dispositions de l'article 101 du TFUE ou de l'article L. 420-1 du Code de commerce, à condition que soient réunies les trois conditions suivantes : la nature du produit concerné doit requérir un tel système de distribution, les revendeurs doivent être choisis sur la base de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés de façon uniforme pour tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, enfin, ces critères ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire à la sauvegarde de la nature du produit.

De plus, le règlement n° 2790-1999 du 22 décembre 1999 concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords et de pratiques concertées, auquel est désormais substitué le règlement n° 330-2010 de la Commission du 20 avril 2010 l'application de l'article 101, paragraphe 3, du TFUE à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, prévoit une exemption d'application de l'article 81 §1, devenu 101, §1 du TFUE, pour les accords de distribution, dits "accords verticaux", conclus entre les distributeurs et un fournisseur, lorsque, notamment, la part détenue par le fournisseur sur le marché pertinent, sur lequel il vend ses biens et services, ne dépasse pas 30 % et ce, sous réserve que ces accords ne comportent pas de restriction de concurrence caractérisée, comme, pour l'essentiel, celles qui obligent les distributeurs à respecter un prix de vente identique, leur interdisent de revendre à un autre distributeur du réseau ou de répondre passivement à des commandes de clients situés en dehors de leur zone d'exclusivité (article 4 du règlement).

Il appartient à l'organisateur du réseau, qui en invoque le respect, de démontrer sa validité au regard des dispositions d'ordre public économique régissant le libre jeu de la concurrence.

Sur la part de marché détenue par la société Cosimo

La société Cosimo soutient que le marché pertinent ne saurait se limiter à celui du sac à dos pour jeunes gens de 15 à 25 ans, puisque de nombreux produits sont substituables à cet accessoire. Elle cite en exemple à ce titre, les besaces et les sacoches. Elle soutient qu'en tout état de cause, une étude de marché réalisée par l'institut TNS Sofres qu'elle produit, montre que les sacs à dos scolaires Eastpak n'ont représenté que 13 % des achats du panel au cours de l'année 2008-2009 et que cette part se réduit à 9 % des achats de sacs à dos.

Il résulte des pièces versées aux débats par la société Cosimo et notamment des revues de presse jointes à son dossier que la clientèle visée pour la vente de sacs à dos Eastpak est essentiellement jeune et se situe dans la tranche d'age de 15 à 25 ans, qui est d'ailleurs énoncée comme étant sa cible par la société Cosimo dans le préambule de son contrat de distribution sélective. Pour cette cible, l'achat d'un sac vise essentiellement le transport des matériels scolaires pour lequel le sac à dos est particulièrement adapté et la société Cosimo n'apporte aucun élément permettant de constater que les sacoches ou les besaces seraient substituables au sac à dos pour la clientèle concernée. Compte tenu des éléments apportés par les parties, le marché pertinent apparaît pouvoir être circonscrit à celui du sac à dos pour la tranche d'âge de 15 à 25 ans. Mais en tout état de cause, que le marché pertinent soit ou non restreint au sac à dos, et qu'il soit ou non limité à la tranche d'âge 15-25 ans, la société Cosimo, sur laquelle repose la charge de la preuve de la licéité du réseau de distribution sélective qu'elle invoque, n'apporte aucun élément permettant à la cour de définir le marché pertinent. Elle ne produit, en effet, à cet égard qu'une étude des comportements d'achat vis-à-vis de la maroquinerie dans laquelle sont comparés les achats de sacs à dos à ceux de l'ensemble des articles de maroquinerie et pour l'ensemble des catégories de clientèle. Il n'est en conséquence pas établi que la société Cosimo détient une part inférieure à 30 % que ce soit du marché du sac, ou du marché du sac à dos, pour la clientèle d'âge 15-25 ans.

Sur la justification de la mise en place d'un réseau de distribution sélective

La mise en place d'un système de distribution sélective doit être justifiée par une exigence légitime eu égard à la nature du produit afin d'en préserver la qualité et d'en assurer l'usage. Si, ainsi que le fait valoir la société Cosimo, cette exigence est appréciée de façon souple par la jurisprudence, le seul fait qu'un produit bénéficie d'une forte notoriété ne justifie pas à lui seul qu'il doive bénéficier d'un tel système de distribution sélective. Il convient à ce sujet de relever que l'achat d'un sac à dos Eastpak ne nécessite aucun conseil particulier, que la société Cosimo reconnaît que ces articles ont, jusqu'en 2007, soit deux ans avant les faits reprochés à la société Carrefour Hypermarchés, été distribués de façon totalement libre, et que leur commercialisation s'effectue toujours ainsi dans les autres pays d'Europe et du Monde. Il apparaît, de plus, que le succès du sac à dos Eastpak et de son image de marque est totalement indépendant de la façon dont il est distribué. En effet, selon les pièces de la société Cosimo, la marque Eastpak est reconnue par les consommateurs comme étant la première marque de sacs depuis l'automne 2005 (pce. Cosimo n° 4) et depuis 1999, son modèle "Padded" est le "cartable officiel des adolescents", soit bien avant la mise en place du réseau de distribution sélective. Si, ainsi que le soutient la société Cosimo, un fournisseur est en droit de faire coexister un réseau libre et un réseau sélectif, il n'en demeure pas moins que pour être licite au regard des exigences du droit de la concurrence, le réseau sélectif doit être justifié au regard de la nature des produits ou de l'image de marque que le fournisseur souhaite lui donner, ce qui n'est pas établi en l'espèce.

Sur le caractère objectif des critères et leur application non discriminatoire

L'article II du contrat conclu par la société Cosimo avec ses revendeurs stipule que : "L'admission d'un revendeur agréé est faite au regard de la satisfaction par un point de vente donné des critères énoncés ci-dessous ;

a) qualité de l'emplacement (localisation environnement, etc) ;

b) Qualité extérieure et esthétique générale (façade, vitrine, présentation, etc...) ;

c) Qualité de l'aménagement et de la décoration intérieure (organisation générale, surface dédiée, représentativité, propreté, aménagements, rénovation, etc) ;

d) Cohérence de l'offre pour 15-25 ans et présentation des produits (absence de produits dévalorisants ou parasitaires ou de politique commerciale et communication dévalorisante, produits et marques à forte image pour cette cible, communication et animation adaptée à cette cible, PLV Eastpak etc...) ;

e) Service à la clientèle (qualité de l'accueil et du conseil à la vente etc...)".

Ces critères énoncés de façon générale en faisant usage à plusieurs reprises de l'abréviation de la locution adverbiale "etc..." ne garantissent pas l'objectivité requise par les dispositions communautaires précitées. Il est ainsi évident, notamment, que si la qualité de l'emplacement est prise en compte, ce critère concerne la localisation et l'environnement de l'emplacement, mais il n'est nullement précisé au regard de quels qualités et paramètres l'appréciation de la société Cosimo sera effectuée. Il en va de même de la "Qualité extérieure et esthétique générale" qui bien évidemment concerne la façade du magasin, sa ou ses vitrines et ses présentations mais ne donne aucune indication d'appréciation, ce qui a d'ailleurs permis à la société Cosimo d'agréer tant des magasins de sport sans vitrine, que des magasins comportant un rayon d'alimentation. Par ailleurs, la grille de notation des points de vente, sur laquelle la société Cosimo se fonde pour démontrer le caractère objectif de ses critères est un document interne et non connu des candidats, laissant de plus la place à la subjectivité des notateurs.

Dès lors, la société Cosimo ne rapporte pas la preuve du caractère objectif et non discriminant des critères d'agrément.

Sur leur caractère proportionné

Dans la mesure où il n'est pas établi par la société Cosimo que la nature des produits pour lesquels elle a mis en place un réseau de distribution sélective nécessitait ce mode de distribution et que les conditions de son agrément ne reposent pas sur des critères objectifs permettant une mise en œuvre non discriminatoire, il ne peut être considéré que les exigences du réseau aient été justifiées par les qualités intrinsèques des produits et qu'elles sont adaptées au but poursuivi.

Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société Cosimo ne peut bénéficier de l'exemption prévue par l'article 101 § 3 du TFUE et qu'en conséquence elle ne saurait reprocher à la société Carrefour Hypermarchés d'avoir mis en œuvre des actes de concurrence déloyale en vendant des sacs à dos Eastpak, alors qu'elle n'était pas agréée au sein du réseau de distribution.

Sur les demandes de constater l'illicéité du réseau de distribution sélective mis en place par la société Cosimo et de prononcer l'annulation du contrat de distribution sélective formée par la société Carrefour Hypermarchés

La société Cosimo fait valoir que le contrat de distribution sélective de la société Cosimo contient des clauses qui constituent des restrictions caractérisées de concurrence et demande à la cour de prononcer la nullité de l'ensemble des contrats conclus entre la société Cosimo et ses distributeurs. Il convient d'examiner les clauses incriminées à ce titre.

Article III-I

Selon cette disposition, "Sous réserve des dispositions du règlement (CE) 2790-1999 de la Commission européenne, le Revendeur agréé s'approvisionnera en produits auprès de Cosimo". Ainsi que le fait valoir la société Carrefour Hypermarchés cette disposition est contraire à l'article 4-d, du règlement d'exemption cité, actualisé par le règlement 330-2010, qui exclut du bénéfice de l'exemption les accords verticaux qui ont pour objet, notamment, de restreindre les fournitures croisées entre distributeurs à l'intérieur d'un système de distribution sélective, y compris entre des distributeurs agissant à des stades commerciaux différents. La réserve faite à l'application "(...) du règlement (CE) 2790-1999 de la Commission européenne" sont, à ce titre, inopérantes à atténuer l'effet restrictif de concurrence de la disposition en cause.

Article IV.1

Cet article énonce notamment que le revendeur agréé s'engage à "ne vendre les produits qu'à l'unité et non au poids ou au volume et à assurer dans la mesure du possible, la limitation à 10 le nombre de produits susceptibles d'être achetées en une seule fois par une même personne", "ne vendre les produits qu'à des consommateurs directs et finaux et s'interdit de vendre à des comités d'entreprise ou associations sportives sauf accord écrit et préalable de Cosimo". Ces interdictions qui, pour la première, empêche les fournitures croisées entre les distributeurs en France et au sein de l'Union européenne, et pour la seconde exclut, sauf autorisation de la société Cosimo, certains intermédiaires, constituent des restrictions caractérisées de concurrence et sont à ce titre illicites. La société Cosimo ne saurait à cet égard se prévaloir de ce que les directrices autorisent de telles clauses pour protéger les distributeurs agréés d'un réseau, dans la mesure où, ainsi qu'il a été précédemment retenu le réseau mis en place ne répond pas aux conditions d'exemptions énoncées par les règlements 2790-1999 et 330-2010.

Article IV.3

Cette disposition impose le maintien d'un assortiment minimum de produits représentatifs de la gamme des sacs Eastpak en vigueur. La société Cosimo n'a pas produit les conditions générales de vente qui auraient permis à la cour d'apprécier si cette clause d'approvisionnement minimum est raisonnable et non disproportionnée. En conséquence, le caractère imprécis de la clause incriminée conduit à la considérer comme constituant une clause restrictive de concurrence.

Article IV.6

Il est prévu par cet article l'obligation pour le revendeur agréé, qui souhaite commercialiser sur Internet, d'obtenir l'agrément de la société Cosimo et, notamment l'accessibilité 24 heures sur 24 du site, avec une tolérance de panne de deux heures maximum et un minimum de 100 connexions simultanées. Ces stipulations imposent ainsi des obligations lourdes en terme de mise en place de moyens humains et financiers (main d'œuvre, connexion Internet, disponibilité de réparation des pannes) qui sont sans nécessité pour satisfaire les besoins des consommateurs et sont de nature à empêcher de petits revendeurs de procéder à des ventes par Internet. Cette clause constitue donc elle aussi une restriction caractérisée de concurrence.

La qualification de ces clauses comme constituant des restrictions caractérisées emporte leur nullité, mais ne saurait aboutir à la nullité du contrat-type dans son ensemble, ainsi que de l'ensemble des contrats conclus entre la société Cosimo et ses distributeurs. En revanche, le réseau de distribution sélective mis en place par elle ne répondant pas aux conditions d'exemption du §3 de l'article 101 du TFUE, ainsi qu'il a été retenu précédemment, et les clauses sus examinées constituant des restrictions caractérisées de concurrence, la cour doit faire droit à la demande de la société Carrefour Hypermarchés de dire le caractère illicite, au regard des article 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce, du réseau de distribution sélective mis en place par la société Cosimo.

En revanche la société Carrefour Hypermarchés n'apporte ni motif, ni élément, qui devrait conduire à l'annulation du contrat conclu entre la société Cosimo et la société Eastpak en 1992 ainsi que de son avenant de 1994.

Sur les actes de concurrence déloyale allégués

Ainsi qu'il a été précisé ci-dessus, la société Cosimo ne saurait reprocher à la société Carrefour Hypermarchés d'avoir procédé à des ventes sans être agréée comme membre du réseau de distribution, ni de ne pas avoir respecté les obligations résultant pour les affiliés du réseau de ce contrat qui lui est inopposable ou de l'avoir désorganisé.

Il convient par ailleurs de relever que la société intimée prouve par la production de plusieurs factures de 2008 et 2009 qu'elle s'est régulièrement fournie auprès de distributeurs allemands. Dès lors, il ne saurait lui être reproché d'avoir commercialisé des produits obtenus au moyen d'un approvisionnement illicite.

Enfin, la société Cosimo ne démontre pas que la société Carrefour Hypermarchés aurait mis en vente les sacs dans des conditions dévalorisantes, puisque selon ses propres explications, elle lie ce caractère à la présentation des articles dans le même champ de vision que des articles alimentaires ou d'entretien, et qu'elle ne rapporte aucune preuve de ce que tel ait été le cas. Par ailleurs, si elle produit deux photos montrant des sacs Eastpak posés, pour la première, dans un bac portant une affiche "Soldes 2e démarque 70 %" (pièces Cosimo n° 13 et 16), pour la seconde, dans un bac de bois (pièces Cosimo n° 16), ces conditions de vente apparaissent comme relevant d'une circonstance exceptionnelle de soldes, puisque les autres constats d'huissier permettent de constater que les sacs Eastpak vendus dans les magasins à l'enseigne Carrefour étaient présentés pendus sur des présentoirs adaptés au rayon des fournitures scolaires (pièces Cosimo 15, 17, 18, 20). La preuve de ce que la société Carrefour Hypermarchés a vendu les sacs de la marque Eastpak dans des conditions dévalorisantes causant une atteinte à l'image de la marque et un préjudice à la société Cosimo n'est pas rapportée. Sa demande de dommages-intérêts doit donc être rejetée.

Sur la demande de liquidation de l'astreinte

Par une ordonnance du 12 janvier 2012, le conseiller de la mise en état a ordonné à la société Cosimo de produire "sous astreinte de 500 euros par jour de retard", le contrat de distribution conclu le 26 février 1992 avec la société Eastpak inc., et le contrat de distribution conclu avec la société VF Europe BVBA évoqué dans sa pièce n° 1. Ce conseiller a apporté un complément par une ordonnance rectificative du 3 mai 2012, en ordonnant à la société Cosimo, sans astreinte cette fois, la production de toutes pièces justifiant du rachat par la société Eastpak.

La société Carrefour Hypermarchés soutient que les deux ordonnances ont été signifiées, pour la première le 6 mars 2012 et la seconde le 24 mai 2012 et qu'en dépit de ces significations, la société Cosimo n'a communiqué que le contrat de distribution modifié le 26 avril 2012 et qu'elle a ensuite communiqué une pièce intitulée "extraits du contrat d'achat d'actif entre VF Corporation et Sunbeam corporation" du 18 mars 2000. Elle soutient que cette dernière pièce ne répond pas à l'injonction car elle est tronquée et ne comporte pas de traduction en français. Elle demande la liquidation de l'astreinte de 500 euros par jour de retard.

Contrairement à ce que la société Carrefour Hypermarchés soutient, il résulte des développements relatifs à la détention par la société Cosimo de droits exclusifs de distribution des produits de marque Eastpak que les pièces produites par celle-ci rapportent la preuve de ses affirmations sur ce point. Le fait qu'elle n'ait indiqué que dans ses conclusions du 25 octobre 2012 qu'il n'a pas été conclu de contrat entre elle et la société VF Europe, mais que celui signé en 1992 amendé en 1994 a été transmis par le contrat de cession intervenu entre les sociétés VF Corp. et Sunbeam Corp., le 18 mars 2000, est confirmé par les pièces qu'elle a produites. Compte tenu de l'ancienneté des pièces ainsi que des difficultés entraînées par la cession intervenue en 2000, il n'apparaît pas que le retard apporté dans l'exécution de l'injonction ait procédé d'une intention de dissimulation suspecte de la part de l'appelante, dans l'objectif de faire obstacle aux droits de la défense de la société Carrefour Hypermarchés qui a parfaitement pu les exercer.

Dans ces conditions, il convient de considérer que la société Cosimo a exécuté l'injonction dans un délai qui n'a pas porté atteinte aux droits de la défense et de dire qu'il n'y a pas lieu de prononcer de condamnation au titre de la liquidation de l'astreinte.

Sur les frais irrépétibles

Au regard de l'ensemble de ce qui précède, il n'est pas justifié de prononcer de condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR : statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Dit la société Cosimo recevable à agir contre la société Carrefour Hypermarchés ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions Y ajoutant Dit que le réseau de distribution sélective mis en place par la société Cosimo pour la distribution des produits de marque Eastpak est illicite au regard des dispositions des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce ; Rejette la demande d'annulation du contrat de distribution exclusive conclu entre la société Cosimo et la société Eastpak en 1992 ainsi que de son avenant de 1994. Rejette la demande de dommages-intérêts de la société Cosimo ; Rejette la demande des sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour France tendant à la condamnation de la société Cosimo au titre de la liquidation de l'astreinte ; Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes demandes autres, plus amples, ou contraires des parties ; Condamne la société Cosimo aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.