CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 26 mars 2014, n° 12-21776
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sotec Medical (Sté)
Défendeur :
Denis Industries (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes de Maria, Pallier, Kieffer Joly, Morineaux
Vu le jugement du 15 novembre 2012, assorti de l'exécution provisoire, par lequel le Tribunal de commerce de Rennes a dit que la société Sotec Medical avait rompu brutalement ses relations commerciales établies avec la société Denis Industries, a condamné la société Sotec Medical à verser à la société Denis Industries la somme de 92 652 au titre de la marge brute qu'aurait dû réaliser la société Denis Industries au cours d'un préavis raisonnable de trois mois, majorée des intérêts au taux légal à compter du 16 août 2012, débouté la société Denis Industries de sa demande au titre de la perte de stock de matières premières, au titre de son action en concurrence déloyale et parasitisme et de sa demande de publication du jugement dans quatre journaux ou revues, et condamné la société Sotec Medical à lui verser la somme de 4 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et, enfin, débouté la société Denis Industries du surplus de ses demandes ;
Vu l'appel interjeté le 3 décembre 2012 par la société Sotec Medical et ses conclusions du 3 juin 2013, dans lesquelles elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société Sotec Medical avait rompu ses relations commerciales établies avec la société Denis Industries, condamner la société Denis Industries au remboursement de la somme de 96 652 versée en exécution provisoire, subsidiairement, ramener les demandes de la société Denis Industries à de plus justes proportions, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Denis Industries de sa demande au titre de la perte de stock de matières premières, de sa demande au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme et de sa demande de publication dans quatre journaux ou revues et condamner la société Denis Industries à lui payer la somme de 10 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions du 17 juillet 2013 de la société Denis Industries, par lesquelles elle demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société Sotec Medical avait rompu brutalement ses relations commerciales établies avec la société Denis Industries et condamné la société Sotec Medical aux entiers dépens, de l'infirmer en ce qu'il a condamné la société Sotec Medical à verser à la société Denis Industries la somme de 92 652 au titre de la marge brute qu'aurait dû réaliser la société Denis Industries au cours d'un préavis raisonnable de 3 mois et débouté la société Denis Industries du surplus de ses demandes, en conséquence, rejeter l'ensemble des demandes formulées par la société Sotec Medical, condamner la société Sotec Medical à verser à la société Denis Industries la somme de 436 806 euros, au titre de la rupture brutale, outre intérêts (370 604 euros de marge brute sur un an et 66 202 euros pour perte de stock), celle de 50 000 au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, autoriser la société Denis Industries à publier l'arrêt dans quatre supports, journaux ou revues, papier ou en ligne, de son choix, aux frais de la société Sotec Medical, et ce dans la limite de 5 000 par publication et enfin condamner la société Sotec Medical à lui verser la somme de 20 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
SUR CE,
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société Denis Industries, fabricant de meubles, a conclu en 2000 avec la société Sotec Medical, fournisseur de matériel médical, un contrat de fabrication sur mesure de meubles, dédiés aux établissements de santé et vendus par elle avec le matériel médical.
Le chiffre d'affaires réalisé par la société Denis Industries avec la société Sotec Medical s'est élevé à 721 117 en 2010 et à 535 234 en 2011.
A la fin de l'année 2010, la société Denis Industries a opposé des refus aux demandes de baisse de tarifs de la société Sotec Medical.
A l'occasion d'un appel téléphonique du 27 avril 2012, la société Sotec Medical a informé la société Denis Industries de sa décision de changer de fabricant de meubles et de faire réaliser les meubles par un fabricant d'Europe de l'Est.
Par la suite, la société Denis Industries a adressé à la société Sotec Medical une proposition de révision de tarifs et de ligne "d'entrée de gamme". La société Sotec Medical n'a pas répondu favorablement à cette proposition.
Compte tenu de la baisse des commandes de la société Sotec Medical, la société Denis Industries l'a, par courrier recommandé du 17 juillet 2012, mise en demeure de payer la somme de 486 806 en réparation du préjudice né de la rupture brutale de leurs relations commerciales.
La mise en demeure étant demeurée sans réponse, la société Denis Industries l'a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Rennes, par exploit du 16 août 2012, aux fins de la voir condamnée pour rupture brutale des relations commerciales. Celui-ci a fait droit partiellement à ses demandes, lui octroyant trois mois de préavis pour rupture brutale, mais rejetant sa demande pour concurrence déloyale et parasitaire. C'est le jugement présentement déféré.
Sur la rupture brutale
Considérant que la société Sotec Medical soutient que sa relation commerciale avec la société Denis Industries ne présente aucun caractère régulier et stable, en mettant en exergue l'absence de tout accord-cadre ou de contrat de fourniture entre les deux sociétés, l'absence de régularité (de 3 397 euros à 148 100 euros par mois) et de caractère significatif du chiffre d'affaires réalisé entre les deux sociétés (environ 5 %) ; qu'elle expose que la diminution du volume des commandes ne permet pas d'établir le caractère brutal de la rupture des relations commerciales, cette diminution, progressive étant consécutive à celle de ses propres ventes, et s'expliquant par ses vaines et répétées demandes de baisse de tarifs adressées à la société Denis Industries ; qu'elle prétend par ailleurs avoir recherché, avec cette société, des solutions alternatives à la baisse des commandes ;
Considérant que la société Denis Industries expose au contraire le caractère stable et établi de sa relation commerciale avec la société Sotec Medical, en relevant, outre la période de douze ans sur laquelle s'est étalée leur relation, la régularité des commandes de la société Sotec Medical ; qu'elle souligne également ses efforts d'adaptation aux exigences de celle-ci ; qu'elle prétend que preuve n'est pas rapportée de l'annonce de la rupture lors d'une réunion de juin 2011, dont le compte-rendu est établi unilatéralement par la société Sotec Medical ; qu'elle expose qu'il n'est pas démontré que celle-ci lui ait demandé des baisses de tarifs au cours de cette réunion ; qu'elle fait en outre valoir que le volume des commandes de la société Sotec Medical a diminué avant l'appel téléphonique de cette dernière et qu'aucun préavis ne lui a été consenti ; qu'elle soutient également que la société Sotec Medical ne saurait lui imputer la rupture de leurs relations commerciales en raison d'une augmentation de sa grille tarifaire, cette dernière n'ayant pas fait l'objet d'une hausse significative entre 2010 et 2011 ; qu'en raison de cette brutalité, un préavis d'une durée de douze mois aurait dû lui être accordé, de sorte qu'elle sollicite une indemnisation à hauteur de sa marge brute de 370 604 ;
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 442-6 I 5° : ''Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...)" ;
Considérant que les parties s'opposent sur le caractère stable de leurs relations commerciales, la société appelante mettant en exergue le caractère irrégulier des commandes effectuées auprès de la société Denis Industries, ayant, à dessein, refusé de conclure avec elle un accord-cadre, un contrat de fourniture, ou tout autre contrat, et aucun chiffre d'affaires ou montant minimum de commandes n'ayant jamais été convenu avec ladite société ;
Mais considérant qu'aucun contrat n'est exigé pour appliquer l'article L. 442-6, seule l'existence d'un flux régulier, stable et significatif d'affaires devant être démontrée entre les parties ;
Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats par la société Sotec Medical que, depuis l'année 2000, les parties réalisent entre elles un chiffre d'affaires annuel compris entre 400 000 et 700 000 euros ; que si, par exemple pour l'année 2011, le montant mensuel des commandes passées pouvait osciller entre 3 397 et 148 100 , ceci ne caractérise pas en soi une réelle irrégularité de la relation commerciale, celle-ci se renouvelant chaque année pour des montants conséquents ; que la circonstance que la part du chiffre d'affaires de la société Denis Industries réalisée avec la société Sotec Medical soit de l'ordre de 6 % est indifférente pour apprécier cette stabilité, mais sera pertinente pour calculer la durée du préavis, nécessaire au partenaire évincé pour se reconvertir ; qu'il y a lieu de conclure à l'existence de relations commerciales établies entre les parties depuis l'année 2000, illustrée dans l'adoption d'un cahier des charges ;
Considérant que si la société appelante conteste la brutalité de la rupture, expliquant que les commandes ont cessé progressivement, à cause de la politique tarifaire de la société Denis Industries, dont elle avait demandé le changement lors d'une réunion de juin 2011, il n'est pas démontré, à supposer probant le compte rendu de cette réunion établi unilatéralement par la société Sotec Medical, que la société Sotec Medical ait annoncé à son partenaire la fin de leurs relations commerciales s'il ne changeait pas sa grille tarifaire ; qu'ainsi, la société Denis Industries n'a été avisée de la rupture que lors de la communication téléphonique du 27 avril 2012, soit sans aucun préavis ; qu'en effet, à compter de cette date, plus aucune commande n'a été passée par la société Sotec Medical, à l'exception d'une commande en septembre 2012, à la veille de l'audience du tribunal de commerce ;
Considérant que si la société Sotec Medical était libre de s'approvisionner auprès de fournisseurs moins chers, étant elle-même confrontée à une mauvaise conjoncture et une baisse de ses commandes, elle ne pouvait le faire sans respecter un délai de préavis vis-à-vis de son partenaire, nécessaire pour réorganiser son activité ; que la société Sotec Medical ne démontre pas avoir rompu progressivement les relations commerciales, le volume d'affaires maintenu en 2012 étant celui antérieur à l'appel téléphonique litigieux ; que la société Sotec Medical ne démontre pas avoir proposé une solution alternative pour pallier aux difficultés rencontrées avec son fournisseur, ayant seulement demandé des baisses de tarifs ; que le refus de la société Denis Industries de baisser ses prix ne peut être analysé comme une faute de nature à lui faire perdre le bénéfice de l'article L. 442-6 I 5 et ne dispensait pas la société Sotec Medical de respecter un préavis ;
Considérant, en l'espèce, que le préavis de trois mois, octroyé par les Premiers Juges est suffisant et raisonnable, au regard de la durée des relations commerciales entretenues, du volume d'affaires entre les parties, du marché considéré, de l'absence d'exclusivité de la société Denis Medical au bénéfice de la société Sotec Medical et de l'absence de situation de dépendance à son égard ; que les Premiers Juges ont relevé à bon escient que le reste de l'activité de la société Denis Industries était proche de celle réalisée avec la société Sotec Medical, de sorte que sa réorganisation devait être plus aisée ;
Sur le préjudice
Considérant que la société Sotec Medical sollicite aussi la réduction du préjudice demandé par la société Denis Industries, en soutenant que nul ne pouvant se constituer preuve à soi-même, le document qu'elle a produit pour le calcul de sa marge brute serait irrecevable ; que seul le préjudice issu du caractère brutal de la rupture des relations commerciales peut faire l'objet d'une réparation, de sorte que la société Denis Industries est infondée à solliciter la réparation de la perte de son stock de matières premières ;
Considérant que la société intimée sollicite un préavis d'une durée de douze mois, de sorte qu'elle sollicite une marge brute de 370 604 ; qu'elle expose que le stock de matières premières a été affecté dans les écritures comptables, aux gammes de meubles fabriquées pour la société Sotec Medical, de sorte que compte tenu de la rupture brutale des relations commerciales par cette dernière, elle est fondée à demander l'indemnisation de la perte dudit stock ;
Considérant qu'il sera rappelé que le préjudice qui découle d'une rupture brutale de relations commerciales établies est constitué de la perte subie ou du gain dont la victime de la rupture a été privée ; que l'indemnité qui tend à réparer ce type de préjudice correspond à la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires qui aurait dû être perçue si un préavis conforme aux usages du commerce avait été consenti ; qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a évalué cette marge brute sur trois mois à la somme de 92 652 euros (3 X 30 884) ; que ce quantum retenu par le tribunal est étayé par l'attestation de l'expert-comptable de la société Denis Industries, versée aux débats ; que sur la base de cette attestation, la marge mensuelle brute moyenne est de 30 884 euros, calculée sur la base de la moyenne mensuelle de chiffre d'affaires réalisé de 2009 à 2011 (47 950 euros) diminuée de la moyenne mensuelle du coût des matières premières (16 059 euros) et du coût du transport (1 007 euros) ;
Considérant que l'indemnité ne saurait compenser que la brutalité de la rupture et non la rupture elle-même ; que le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de remboursement du stock ;
Sur l'action en concurrence déloyale et parasitaire
Considérant que si la société Denis Industries prétend être le concepteur et non le sous-traitant des lignes de meubles fabriquées pour la société Sotec Medical et reproche à cette dernière d'avoir fait réaliser lesdits meubles par un autre fabricant en utilisant ses travaux, de sorte que la société Sotec Medical aurait indûment bénéficié de ses investissements, elle n'en établit aucun commencement de preuves ; que le jugement entrepris sera donc également confirmé sur ce point ; que l'unique gamme commercialisée par la société Sotec Medical, dont la conception des plans a été réalisée par Denis Industries, est la gamme Lousiane, remplacée en 2012, par une autre gamme dans le catalogue de Sotec Medical, afin de préserver les droits de la société Denis Industries sur cette dernière ; que la société Denis Industries sera donc déboutée de cette demande et le jugement déféré confirmé sur ce point ;
Sur la demande de publication
Considérant que la société Denis Industries n'est pas fondée à demander la publication de l'arrêt, ayant obtenu une réparation suffisante et aucune atteinte grave au secteur économique considéré n'ayant été causée par la rupture brutale en cause ; que le jugement entrepris sera confirmé sur ce point ;
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris, Condamne la société Sotec Medical aux dépens de l'instance d'appel, Condamne la société Sotec Medical à payer à la société Denis Industries la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.