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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 20 mars 2014, n° 13-02536

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Les Chiffonniers d'Eureka Fripe (SARL), Le 30 (SARL)

Défendeur :

Virage Vintage (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Farina

Conseillers :

Mmes Aublin-Michel, Bertoux

Avocats :

Mes Van Den Bulcke, Masson

T. com. Rouen, du 15 avr. 2013

15 avril 2013

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe commercialise des fripes soit par ses magasins soit par des commerces indépendants.

La société Le 30 est titulaire de la marque Hippy Market.

Par contrat du 10 février 2010 la société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe et la société Le 30 ont conclu avec la société Virage Vintage, alors en formation, un contrat de partenariat et de licence de la marque Hippy Market aux termes duquel :

- la société Le 30 concédait à titre exclusif à la société Virage Vintage l'utilisation de la marque de Hippy Market pour l'usage d'enseigne de magasin de prêt à porter, dans le secteur de Caen et de son agglomération, moyennant le paiement d'une redevance égale à 4 % du chiffre d'affaires réalisé par le magasin exploitant et ce avec une obligation de réaliser un chiffre d'affaires annuel d'au moins 300 000 euros,

- la société Virage Vintage s'engageait à acheter les produits de la société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe, sous la condition suspensive de leur revente, au prix déterminé par le fournisseur ; celui-ci s'engageait à reprendre les invendus ; la société Virage Vintage s'engageait à s'approvisionner en produits de Fripe (vêtements, chaussures et accessoires) exclusivement chez le fournisseur, étant précisé que le prix de vente obtenu par la société Virage Vintage était ensuite partagé entre celle-ci et la société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe selon les modalités précisées au contrat.

Par courrier du 26 août 2011 la société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe a mis la société Virage Vintage en demeure de payer les sommes de 42 635 euros pour elle et de 7 931 euros pour la société Le 30.

Un litige s'est élevé entre les parties relativement aux conditions d'exécution du contrat de partenariat :

- la société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe et la société Le 30 reprochant à la société Virage Vintage d'une part une mauvaise gestion de son entreprise et en particulier la mise en place de conditions de commercialisation des fripes inadaptées et d'autre part le non-paiement des sommes prévues au contrat,

- la société Virage Vintage reprochait, de son côté à la société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe de lui fournir des articles de qualité insuffisante et d'un prix trop élevé pour des produits "de seconde main".

Les sociétés Les Chiffonniers d'Eureka Fripe et Le 30 ont engagé une instance en paiement notamment de la redevance prévue pour l'utilisation de la marque et de la partie du prix de vente des produits prévue au contrat.

Par jugement du 15 avril 2013 le Tribunal de commerce de Rouen a :

- dit que le contrat liant les parties doit être annulé pour erreur substantielle,

- condamné la société Virage Vintage à payer à la société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe la somme de 50 000 euros au titre des marchandises vendues et à la société Le 30 la somme de 5 192 euros en remboursement des redevances versées pour l'utilisation de l'enseigne,

- condamné in solidum la société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe et la société Le 30 à payer à la société Virage Vintage :

- la somme de 120 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- et la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions du 16 décembre 2013 elle demande à la cour de :

- débouter la société Virage Vintage de ses demandes,

- condamner la société Virage Vintage à payer à la société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe la somme de 91 668 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 26 mars 2012,

- condamner la société Virage Vintage à payer à la société Le 30 la somme de 14 615 euros avec intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2012,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- subsidiairement, condamner la société Virage Vintage à restituer à la société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe la somme de 504 153 euros sauf à déduire les sommes reversées sur les marchandises vendues,

- condamner la société Virage Vintage à payer outre les dépens la somme de 4 000 euros pour frais hors dépens.

Par conclusions du 9 décembre 2013 la société Virage Vintage demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat pour erreur substantielle, en ce qu'il a condamné la société Le 30 à payer la somme de 5 192,09 euros au titre des redevances indûment versées, et en ce qu'il a condamné in solidum la société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe et la société Le 30 à payer la somme de

120 000 euros à titre de dommages-intêrets et la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- l'infirmant pour le surplus,

- débouter la société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe de sa demande en paiement des marchandises,

- à titre subsidiaire, vu les articles L. 330-3 du Code de commerce, et 1147, 1184, 1315 et 1382 du Code civil,

- dire que la société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe et la société Le 30 ont manqué à leur obligation d'information précontractuelle, ainsi qu'à leur devoir de conseil et leur mission d'assistance,

- prononcer la résiliation du contrat de partenariat en date du 10 février 2010, aux torts de la société Le 30 et de la société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe,

- condamner in solidum ces sociétés à payer la somme de 120 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices consécutifs à leurs manquements contractuels et au titre de la perte de chance d'avoir contracté à des conditions plus avantageuses,

- débouter la société Le 30 et la société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe de leurs demandes en paiement ou à défaut les condamner la somme de 106 281 euros à titre de dommages intérêts supplémentaires,

- en tout état de cause condamner in solidum la société Le 30 et la société Les Chiffonniers d'Eureka Fripe à payer outre les dépens la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour un exposé plus ample des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions susvisées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2014.

CELA ÉTANT EXPOSÉ

I) Sur la demande de nullité du contrat de partenariat

Attendu que, faisant valoir que lors de la conclusion du contrat les sociétés Le 30 et Euréka Fripe ne lui ont pas fourni le document d'information prévu par l'article L. 330-3 du Code de commerce, la société Virage Vintage demande à la cour de prononcer en application de ce texte, la nullité du contrat de partenariat ;

Qu'elle soutient que les résultats de son activité commerciale se sont révélés nettement inférieurs aux prévisions, ces circonstances jointes à l'absence d'information préalable montrant que son consentement a été déterminé par une erreur substantielle sur la viabilité de sa future entreprise ;

Qu'elle invoque à cet égard les stipulations du contrat de partenariat par lesquelles :

- elle devait, à peine de résiliation de la convention, réaliser un chiffre d'affaires annuel brut d'au moins 300 000 euros,

- le prix d'achat des marchandises et celui de la revente aux clients étaient fixés par la société Euréka Fripe,

- tandis que par l'effet de la clause d'exclusivité elle était également privée du choix des articles ;

Attendu que les sociétés Le 30 et Euréka Fripe ne contestent pas le défaut de fourniture du document d'information prévu par l'article L. 330-3 du Code de commerce ;

Qu'elles soutiennent essentiellement que ce texte ne s'applique pas en l'espèce ;

Que subsidiairement elles font valoir que la cessation du contrat est imputable à la société Virage Vintage, et que celle-ci ne prouve pas que son consentement ait été vicié par le défaut de communication du document d'information susvisé ;

Qu'il convient de statuer sur les prétentions respectives susvisées ;

A) Sur l'application de l'article L. 330-3 du Code de commerce

Attendu que l'article L. 330-3 du Code de commerce dispose que "toute personne qui met à la disposition d'une autre personne une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause"..."ce document dont le contenu est fixé par décret, précise notamment l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités" ;

Que le manquement à l'obligation d'information ne prouve pas en lui-même l'existence d'un vice du consentement ; qu'il appartient au demandeur à l'action en nullité d'établir que le défaut d'information a eu pour effet de vicier son consentement ;

Attendu qu'il est constant en l'espèce que les prescriptions de l'article L. 330-3 du Code de commerce n'ont pas été respectées par la société Le 30 et la société Euréka Fripe ;

Attendu que ce texte s'applique aux relations contractuelles de partenariat conclues entre les parties ;

Que les dispositions de la convention du 10 décembre 2010 mettent en effet en œuvre le système commercial suivant :

- la société Le 30 propriétaire de la marque "Hippy Market" a concédé à la société Virage Vintage à titre exclusif l'utilisation de la marque à titre d'enseigne de magasins de prêt à porter "Hippy Market" sur un secteur géographique déterminé (article A),

- parallèlement à cette concession la société Euréka Fripe s'est engagée à approvisionner la société Virage Vintage en produits de Fripe (article B 10 : "exclusivité d'approvisionnement") en exigeant de cette société un engagement d'exclusivité pour l'exercice de son activité de vente de Fripe,

- le prix d'achat des marchandises par la société Virage Vintage et le prix de revente aux clients étaient déterminés par la société Euréka Fripe,

- l'engagement d'approvisionnement exclusif pris par la société Virage Vintage porte sur les produits de Fripe : "vêtements, chaussures et accessoires" définis comme étant des produits d'occasion de marques diverses (article B 3), étant précisé que si, selon les termes de la clause d'exclusivité, la société Virage Vintage gardait "son entière liberté d'approvisionnement pour toutes autres marchandises", elle devait "néanmoins s'assurer que tous les produits complémentaires qu'elle souhaiterait adjoindre à la Fripe seraient en phase avec l'esprit de celle-ci";

- à peine de résiliation, "si bon semble au concédant", la société Virage Vintage devait réaliser "un chiffre d'affaires minimum annuel hors-taxes brut de 300 000 euros" (article A 6 : Objectif minimum) ;

Attendu que la société Le 30 et la société Euréka Fripe font valoir que l'article L. 330-3 du Code de commerce ne s'appliquent pas si le cocontractant a la possibilité d'exercer une autre activité que celle couverte par l'exclusivité ;

Qu'elles exposent à ce titre que selon ses statuts la société Virage Vintage avait également pour objet commercial "la vente et le dépôt d'articles et accessoires cosmétiques objets de décoration et de loisirs" ;

Que se prévalant de la clause contractuelle susvisée laissant à la société Virage Vintage son entière liberté d'approvisionnement "pour tout autre marchandise que les articles de Fripe la société Virage Vintage", elles soutiennent que l'article L. 330-3 du Code de commerce ne s'applique pas en l'espèce ;

Mais attendu que l'article L. 330-1 du Code de commerce définit la clause d'exclusivité comme étant la stipulation par laquelle "l'acheteur, le cessionnaire ou locataire de biens meubles s'engage vis-à-vis de son vendeur cédant ou bailleur à ne pas faire usage d'objets semblables ou complémentaires en provenance d'un autre fournisseur" ;

Attendu que la notion d'exclusivité au sens de l'article L. 330-3 du Code de commerce ne s'apprécie pas au regard de l'activité globale de celui qui prend l'engagement d'approvisionnement exclusif ;

Que ce texte s'applique en effet dès lors que le co-contractant est, pour les produits couverts par la convention, tenu à exclusivité ou à une quasi exclusivité, et ce alors même qu'il existe une possibilité d'exploiter des activités concurrentes (Cass. Com., 19 janvier 2010) ;

Attendu au surplus, que le contrat de partenariat imposait à la société Virage Vintage de ne vendre, à titre complémentaire, que des articles "en phase avec l'esprit Fripe";

Que compte tenu de l'existence de cette contrainte et de la primauté que, de fait la société Virage Vintage devait accorder à l'exécution du contrat de partenariat, il apparaît que l'obligation d'approvisionnement en produits de Fripe présentait les caractères d'une quasi-exclusivité ;

Que le moyen tendant à voir dire que l'article L. 330-1 du Code de commerce ne s'applique pas ne peut donc aboutir ;

B) Sur le vice du consentement invoqué

Attendu que les pièces du dossier établissent que le chiffre d'affaires de la société Virage Vintage a progressivement chuté depuis le début du partenariat au point de l'empêcher, à compter du mois de juin 2012, de poursuivre son exploitation ;

Que les documents comptables produits montrent en effet que sur une période de 30 mois :

a) la société Virage Vintage a réalisé les chiffre d'affaires suivants :

- du 10 février au 31 décembre 2010 : 183 170 euros

- en 2011 : 172 463 euros

- et du 1er janvier au 30 septembre 2012 : 59 109 euros

b) les charges de fonctionnement (hors-taxes) se sont dans leur ensemble élevées :

- en 2010 à 180 215 euros

- en 2011 à 201 969 euros

- et en 2012 à 96 969 euros

Que le chiffre d'affaires annuel réalisé est ainsi sensiblement inférieur à celui de 300 000 euros mentionné au contrat ;

Attendu qu'il en résulte que les résultats de l'activité ont été nettement inférieurs aux prévisions que la société Virage Vintage s'était légitimement fixée au regard du montant annuel de chiffre d'affaires visé au contrat ;

Attendu que la société Le 30 et la société Euréka Fripe soutiennent que la chute du chiffre d'affaires est exclusivement due à la société Virage Vintage à laquelle elles reprochent :

- de ne pas avoir pris des mesures pour améliorer la commercialisation des fripes et réduire ses coûts telles que la réduction du nombre de salariés, l'exécution de travaux destinés à améliorer la vue des extérieurs du magasin et l'éclairage intérieur ;

- une mise de fonds insuffisante et le choix d'un emplacement commercial coûteux en termes de loyer ;

- de ne pas avoir développé d'autres activités que la vente de fripes ;

Attendu que la société Virage Vintage conteste être à l'origine de la cessation de son activité commerciale ;

Que par courrier du 30 mars 2012 son gérant M. Berne écrivait à la société Euréka Fripe, en réponse aux reproches qu'elle lui avait adressés :

- sur l'exercice 2010 je n'ai jamais eu de soucis pour régler mes factures à la société Euréka et l'ai toujours fait dans les délais.

En 2011 la situation s'est dégradée et j'ai eu de plus en plus de difficultés à régler les factures Eurêka.

La cause : un chiffre d'affaires mensuel trop faible ; comme je le mentionnais dans mon mail du 20 avril 2011, les chiffres d'affaires réalisés ne permettent en effet pas d'atteindre "le point mort" ; cela grève la trésorerie et c'est ce qui a conduit à être dans une situation financière catastrophique... Les clients disent régulièrement que nos produits sont moins bien qu'au début, que nos prix sont élevés pour de la seconde main, points sur lesquels je ne peux absolument pas jouer puisque vous êtes le fournisseur unique qui détermine tout... nos rayons souffrent de produits invendables... en février au moment de l'inventaire Euréka a repris 21 cartons - 1 000 pièces - pour la plupart invendables à la période considérée".

Qu'il dénonçait ainsi une absence totale de marge de manœuvre dans l'exercice de son activité commerciale ;

Attendu qu'au soutien des reproches adressés à la société Virage Vintage, les sociétés Le 30 et Euréka Fripe produisent aux débats une étude réalisée à leur demande par la société Axe conseil qui considère, en particulier, que le taux de marge accordé à la société Virage Vintage est "bien supérieur à celui réalisé par la profession" ;

Mais attendu que cette étude technique n'a pas été réalisée contradictoirement avec la société Virage Vintage ; que le pourcentage de la part de recette dû par la société Virage Vintage à la société Euréka Fripe n'est pas le seul élément d'appréciation ; qu'il doit être rapproché des autres stipulations contractuelles fixant le cadre commercial convenu entre les parties, en particulier de celles qui imposent à la société Virage Vintage les prix d'achat et de revente ;

Attendu, sur les reproches relatifs au nombre de salariés, et au montant du loyer, que les pièces du dossier ne permettent pas d'établir de lien de cause à effet entre les circonstances ainsi invoquées et le caractère insuffisant du chiffre d'affaires réalisé ;

Qu'il en est de même en ce qui concerne la mise de fonds invoquée ;

Que par ailleurs la société Virage Vintage justifie avoir réalisé des travaux d'agencement, le montant de ceux-ci figurant dans les documents comptables produits ;

Attendu sur le reproche relatif à l'absence d'activités complémentaires, qu'il résulte, tant des pièces produites, en particulier le contrat de partenariat, que des explications fournies, que la société Virage Vintage a été constituée en vue de créer et de développer un partenariat avec les sociétés Le 30 et Euréka Fripe dans le secteur de la Fripe ;

Que l'importance que les parties ont attachée à l'activité de vente de fripes, est soulignée par l'interdiction faite à la société Virage Vintage de s'approvisionner en produits complémentaires qui ne seraient pas "en phase avec l'esprit de la Fripe" ;

Que dans ce contexte, la vente d'autres articles que les produits de Fripe apparaît constituer l'accessoire de l'activité directement liée au partenariat centré sur la Fripe ;

Qu'il convient par ailleurs d'observer que les résultats de l'activité principale se sont progressivement mais rapidement révélés insuffisants ; qu'il n'est pas établi que, sur sa brève durée d'existence la société Virage Vintage ait été en mesure de développer accessoirement à la vente de Fripe une activité suffisamment rentable pour compenser les pertes importantes subies en matière de vente de fripes ;

Qu'il n'est donc pas démontré que des circonstances imputables à la société Virage Vintage soient à l'origine directe et certaine de sa cessation d'activité ;

Attendu que les pièces du dossier montrent en revanche, qu'alors que par l'effet de la clause d'approvisionnement exclusif elle ne pouvait vendre que les articles de Fripe fournis par la société Euréka Fripe, la société Virage Vintage n'a disposé d'aucune marge d'action sur le prix de ses ventes, la société Euréka Fripe se réservant la fixation tant des prix de vente que des prix de revente ;

Qu'il n'est donc pas établi que, dans le contexte contraint pour elle, imposé par les stipulations contractuelles, la société Virage Vintage ait une part de responsabilité dans la chute du volume des ventes et celui des résultats ;

Attendu que, la faiblesse des résultats est en effet à mettre en relation directe avec le système commercial prévu par le contrat ;

Que dans ce contexte, la fourniture de l'information pré-contractuelle prévue par la loi et portant notamment sur l'état du marché et sur les risques encourus aurait revêtu pour la société Virage Vintage une importance particulière ;

Que ces données portent en effet sur la substance même du contrat de partenariat, pour lequel l'espérance de gains est déterminante ;

Que pour tenter d'apprécier la rentabilité de sa future entreprise, la société Virage vintage, à défaut des informations prévues par la loi, a pu légitimement, se référer à la stipulation contractuelle lui fixant comme objectif de réaliser un chiffre d'affaires annuel d'au moins 300 000 euros brut ;

Qu'il convient d'observer que le contrat prévoyait la possibilité, "si bon semble au concédant" de résilier le contrat si l'objectif assigné n'était pas atteint ;

Qu'en raison de l'importance ainsi attachée à cet objectif, la société Virage Vintage était en droit de penser que la conclusion d'un contrat de partenariat était susceptible de lui apporter un chiffre d'affaires d'au moins 300 000 euros hors taxes ;

Que la possibilité de produire un tel chiffre d'affaires constituait ainsi un élément essentiel de son engagement ;

Que le fait que la mention du chiffre d'affaires de 300 000 euros se trouve dans la partie du contrat relative à l'utilisation de l'enseigne et non dans celle qui a trait à l'approvisionnement exclusif, est sans incidence, dès lors que le contrat de partenariat constitue un ensemble indivisible ;

Attendu qu'il ne peut être reproché à la société Virage Vintage d'avoir mis en place, dans les limites contractuelles, une organisation et notamment les moyens en personnel destinés à atteindre cet objectif ;

Attendu que des développements qui précédent il apparaît qu'en l'absence de communication des informations pré-contractuelles prévues par la loi, et au regard de l'ensemble du dispositif mis en place par ses co-contractants, le consentement de la société Virage Vintage a été déterminé par une erreur sur l'élément substantiel de son engagement que constitue pour elle, la rentabilité de sa future entreprise ;

Attendu que ce vice du consentement justifie l'annulation du contrat ;

II) Sur les conséquences de la nullité

Attendu que la nullité emporte l'effacement rétroactif du contrat ;

Attendu que dans le cas où comme en l'espèce un contrat nul a cependant été exécuté, les parties doivent être remises dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant cette exécution ;

Qu'il en résulte que les parties sont tenues de procéder à des restitutions réciproques ;

Que lorsque cette restitution se révèle, en tout ou en partie impossible, la partie qui a bénéficié d'une prestation qu'elle ne peut restituer doit s'acquitter du prix correspondant à cette prestation ;

Qu'en raison de l'effet rétroactif de l'annulation du contrat, celle-ci confère à chaque partie, dans la mesure où la remise d'objets meubles n'est plus possible en nature, le droit d'en obtenir la remise en valeur au jour du contrat annulé (Cass. com., 14 juin 2005) ;

Attendu en l'espèce que pour l'établissement des comptes entre les parties, il convient :

- tout d'abord : de déterminer le solde net de la valeur des prestations fournies à la société Virage Vintage par la société Le 30 et la société Euréka Fripe (comprenant essentiellement la valeur des marchandises et le coût de revient des redevances), solde ainsi calculé :

- Chiffre d'affaires total réalisé pendant la durée de vie de l'entreprise,

- moins l'ensemble des charges d'exploitation supportées d'une part par la société Virage Vintage, et d'autre part par ses partenaires (spécialement par la société Eurêka Fripe au titre des marchandises fournies) ;

- puis : de déduire de ce solde net les sommes déjà payées au titre des marchandises et de la redevance par la société Virage Vintage aux sociétés Le 30 et Euréka Fripe ;

Attendu qu'au vu des pièces comptables relatives à l'activité de la société Virage Vintage, l'annulation du contrat conduit au décompte suivant :

a solde net de la valeur des prestations

- le chiffre d'affaires total réalisé par la société Virage Vintage :

soit la somme de 415 292 euros HT

- dont il faut déduire les charges d'exploitation exclusivement liées à la vente des produits soit la somme totale de :

- au titre de l'année 2010

182 215 euros - 100 748 euros (charges supportées par les sociétés Le 30 et société Euréka Fripe comprenant principalement la valeur des marchandises fournies) = 81 467 euros

- au titre de l'année 2011 :

201 269 euros - 98 659 (idem) = 102 610 euros

- au titre de l'année 2012 :

96 969 euros - 37 908 euros (idem) = 59 061 euros

- soit au total la somme de 243 138 euros

d'où un solde net total de 415 292 euros - 243 138 euros = 172 154 euros

b) déduction des règlements effectués

Les sommes suivantes ont été versées par la société Virage Vintage :

- redevances : 5 192 euros TTC soit 4 342 euros HT

- part de produit de la revente rétrocédée : 140 266 euros

soit un total de 144 608 euros

d'où un solde de 172 154 euros - 144 608 euros = 27 546 euros en faveur des intimées ;

Attendu que la société Virage Vintage demande en outre le paiement d'une indemnité de 120 000 euros incluant en particulier les postes suivants :

- 97 552 euros au titre de la perte d'exploitation,

- 165 000 euros- 142 000 euros = 23 000 euros perte sur le prix d'achat du fonds de commerce,

- 9 160 euros représentant le coût de travaux d'agencement,

- 30 267 euros au titre de l'apport de l'associé de la société Virage Vintage.

Attendu sur le premier poste que le contrat de partenariat étant censé ne jamais avoir existé, la société Virage Vintage ne peut utilement, sauf à méconnaître les conséquences de la nullité prononcée, réclamer l'allocation d'une indemnité pour préjudice financier correspondant à la non obtention de résultats commerciaux qu'elle eût été en droit d'attendre de l'exécution du contrat (cf : Cass. Com., 18 octobre 2011) ;

Attendu que le poste relatif aux travaux d'agencement et à l'apport en compte-courant, justifiés par les pièces produites, correspondent à des dépenses qui, en l'absence de contrat n'auraient pas été engagées par la société Virage Vintage ;

Que les demandes d'indemnisation formées à ces titres sont donc fondées, soit les sommes de 30 267 euros et 9 610 euros ;

Attendu concernant le poste relatif à la revente du fonds de commerce, qu'il s'agit là de la perte d'une chance pour la société Virage Vintage de retrouver, par la revente, le montant du prix d'achat du fonds ; que ce chef de préjudice justifie l'octroi d'une indemnité de 5 000 euros ;

Attendu que l'indemnité due par les intimées s'établit en conséquence à la somme de 44 877 euros ;

Attendu que compte tenu de ce qui précède et après compensation entre les créances respectives le compte des parties s'établit comme suit :

- créance de la société Le 30 et la société Euréka Fripe : 27 546 euros

- créance de la société Virage Vintage : 44 877 euros

d'où un solde de 17 331 euros que les sociétés Le 30 et Euréka Fripe seront condamnées in solidum à payer ;

III) Sur les autres demandes

Attendu que compte tenu de ce qui précède, les demandes en paiement de la part de prix de revente et de redevances ne peuvent aboutir ;

Attendu que l'équité commande de confirmer les dispositions du jugement déféré relatives aux frais non répétibles et de condamner les intimées à payer, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile une indemnité de 2 000 euros pour frais hors dépens d'appel, leur demande fondée sur ce texte étant par ailleurs rejetée ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant contradictoirement par décision mise à disposition au greffe, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé l'annulation du contrat de partenariat conclu entre les parties et en ce qu'il a condamné les sociétés Le 30 et Euréka Fripe aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité pour frais non répétibles ; L'infirmant quant au surplus, Condamne in solidum les sociétés Le 30 et les Chiffonniers d'Euréka Fripe à payer à la société Virage Vintage : - la somme de 17 331 euros pour solde du compte entre les parties à la suite de l'anéantissement rétroactif du contrat, - la somme de 2 000 euros pour frais non répétibles d'appel ; Les condamne in solidum aux dépens dont le recouvrement sera effectué conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.