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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 20 mars 2014, n° 12-06455

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Villeroy & Bosch Wellness (SA)

Défendeur :

Agrec (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Belaval

Conseillers :

Mmes Beauvois, Vaissette

Avocats :

Mes Jullien, Fauvelière, Moreau, Misserey

T. com. Nanterre, du 16 mai 2012

16 mai 2012

Selon un accord verbal non contesté par les parties, la société Acomo, devenue la société Villeroy & Bosch Wellness, a conclu avec la société Agrec un contrat d'agence commerciale chargeant la société Agrec de commercialiser en France moyennant une commission de 3 % les produits de la gamme de baignoires Nabis fabriqués par la société Acomo.

Demeurée sans nouvelles de son mandant et ne recevant plus aucun paiement de commissions à compter du début de l'année 2009, la société Agrec a envoyé à celui-ci plusieurs courriers à compter du 21 octobre 2009 puis, le 12 janvier 2010, l'a assigné en paiement de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce.

Par jugement du 16 mai 2012, le Tribunal de commerce de Nanterre, statuant sur renvoi après un jugement d'incompétence du Tribunal de commerce de Paris du 16 février 2011, a:

- condamné la société Villeroy & Bosch Wellness à payer à la SARL Agrec la somme de 3 695, 03 euros au titre du préavis,

- condamné la société Villeroy & Bosch Wellness à payer à la société Agrec la somme de 18 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- condamné la société Villeroy & Bosch Wellness à payer à la société Agrec la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

La société Villeroy & Bosch Wellness a relevé appel de ce jugement le 13 septembre 2012, et par dernières conclusions du 7 novembre 2013, demande à la cour de :

A titre principal,

- constater que la relation d'agence commerciale a pris fin en raison d'un cas de force majeure constitué par l'arrêt des commandes de l'unique client auprès duquel la société Agrec assurait la représentation des produits Wellness,

- constater que les conditions d'application des articles L. 134-11 et L. 134-12 du Code de commerce ne sont pas réunies,

- en conséquence, réformer le jugement en ce qu'il a condamné la société Villeroy & Bosch Wellness au paiement des sommes précitées au titre de l'indemnité de préavis et des dommages-intérêts,

- débouter la société Agec de ses demandes formées au titre de l'indemnité de préavis et de l'indemnité compensatrice de préjudice,

En tout état de cause,

- constater l'absence de résistance abusive de la société Villeroy & Bosch Wellness et confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Agrec de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive,

A titre reconventionnel,

- constater le caractère abusif de la procédure initiée par la société Agrec et la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts à ce titre,

- condamner la société Agrec à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Villeroy & Bosch Wellness fait essentiellement valoir :

- que le portefeuille clients auprès duquel la société Agrec intervenait pour promouvoir les produits Nabis était depuis l'origine constitué de la seule société Brossette, que durant les années 2007 à 2009, la société Agrec n'a donc entrepris aucun effort de développement de la clientèle, se contentant d'encaisser les revenus procurés par la clientèle existante,

- que l'arrêt des commandes émanant de la société Brossette à compter d'avril 2009 n'a été une surprise pour personne puisque le chiffre d'affaires réalisé avec ce client était en diminution constante depuis fin 2007,

- qu'aux exceptions prévues par l'article L. 134-13 du Code de commerce au paiement de l'indemnité compensatrice de l'article L. 134-12, il faut ajouter celle tirée de la force majeure constituée en l'espèce par l'arrêt total de ses commandes par le client Brossette,

- que cet arrêt a été imprévisible, n'a donné lieu à aucune alerte de la part de la société Agrec, irrésistible, la société Wellness ne pouvant s'opposer aux décisions de la société Brossette, et a constitué un événement extérieur, la décision de cessation d'approvisionnement résultant de la seule décision prise par la société Brossette début 2009 et nullement de l'initiative de la société Villeroy & Bosch Wellness,

- qu'à aucun moment de la relation d'agence commerciale, la société Agrec n'a jugé utile de développer la clientèle, ni de suivre l'évolution du client Brossette, de sorte qu'elle a accepté le risque de voir disparaître l'unique client et qu'un tel manquement est au moins de nature à minorer l'indemnité de rupture, d'autant qu'Agrec ne démontre aucune perte financière ou frais supporté en raison de la cessation du contrat d'agence,

- que la force majeure est également privative de l'indemnité compensatoire de préavis.

La société Agrec a conclu en dernier lieu le 21 octobre 2013 pour voir :

- juger que l'exception de force majeure ne peut faire échec à l'application d'un texte d'ordre public,

- juger que les conditions d'application de la force majeure ne sont en toute hypothèse pas réunies,

- confirmer le jugement en ce qu'il reconnaît le droit d'Agrec à une indemnité de préavis chiffrée à 3 695,03 euros et à une indemnité compensatrice du préjudice subi,

- le réformer partiellement pour

- augmenter le montant de l'indemnité compensatrice de préjudice de 18 000 à 38 502 euros et condamner la société Villeroy & Bosch Wellness à payer cette somme,

- ajouter aux condamnations en principal le montant des intérêts légaux à compter de l'acte introductif d'instance valant mise en demeure,

- accorder à Agrec une somme supplémentaire de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouter la société Villeroy & Bosch Wellness de toutes ses demandes.

La société Agrec rappelle et fait valoir en substance:

- que ses commissions au titre du contrat d'agence litigieux, se sont élevées à 25 095,39 euros en 2007, à 18 163,71 euros en 2008 et à 3 695,03 euros pour le premier trimestre 2009,

- qu'ensuite, Villeroy & Bosch a décidé de réorganiser la distribution de ses produits et donné instruction à sa filiale Acomo, de ne plus travailler avec Agrec, restée sans nouvelles de son commettant à partir de début 2009,

- que les textes d'ordre public régissant le statut d'agent commercial ne peuvent être mis en échec par l'exception tirée de la force majeure qui ne peut s'appliquer que pour les dommages-intérêts selon les prévisions de l'article 1148 du Code civil,

- que subsidiairement, les conditions de la force majeure ne sont pas constituées par la simple disparition d'un client qui est un fait prévisible, n'est pas extérieur à la relation commerciale et n'est nullement irrésistible,

- que la société Villeroy & Bosch Wellness n'a pas répondu aux interrogations écrites de la société Agrec et n'a respecté aucun préavis, de sorte qu'une indemnité représentant 3 mois de commissions est due,

- que la société Agrec demande une indemnité compensatrice égale à deux années de commissions pour tenir compte de la perte de valeur de la carte de représentation.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Les circonstances de la rupture des relations contractuelles

Il est démontré et non contesté que la dernière commande passée par la société Brossette auprès de la société Villeroy & Bosch Wellness est datée du 31 mars 2009, qu'elle a donné lieu à l'émission d'une facture datée du même jour par la société Agrec au titre de sa commission pour un montant de 3 695,03 euros qui a été payé par la société Villeroy & Bosch Wellness comme l'ensemble des factures précédemment émises par l'agent commercial.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 19 novembre 2008, la société Agrec avait écrit à la société Acomo en lui demandant de la fixer dans les meilleurs délais sur ses intentions après lui avoir indiqué "nous avions compris que notre représentation de vos produits cesserait à compter du 31-12-2008 mais nous n'avons reçu aucune confirmation". Une lettre recommandée avec demande d'avis de réception a également été envoyée à la société Acomo le 21 octobre 2009 rappelant la cessation des relations contractuelles entre le groupe formé par les sociétés SCD, JS et Agrec, d'une part, et le groupe Villeroy & Bosch, d'autre part, le statut des agents commerciaux et la nécessité de prévoir l'indemnisation de la rupture. Enfin, une lettre recommandée du conseil de la société Agrec en date du 24 novembre 2009 a annoncé à la société Villeroy & Bosch Wellness la prochaine mise en œuvre d'une procédure, sauf mise en place d'une éventuelle négociation.

La société Villeroy & Bosch Wellness n'a pas répondu à ces lettres recommandées, n'a pas formalisé la rupture des relations contractuelles et n'a proposé aucune indemnisation.

Il résulte des courriels et attestation qu'elle verse aux débats (ses pièces 20 à 24) que la cessation des commandes des produits de la gamme Nabis à compter d'avril 2009 provient d'une décision de la société Brossette qui a souhaité développer des produits similaires moins chers et a trouvé, pour ce faire, un nouveau fournisseur, à la suite d'un appel d'offres international lancé par le groupe Wolseley auquel appartient la société Brossette.

Les allégations contenues dans les courriers de la société Agrec, ainsi que dans ses écritures, sur une prétendue volonté du groupe Villeroy & Bosch de réorienter sa politique de commercialisation et de cesser ses relations avec les sociétés SCD, JS et Agrec ne sont corroborées par aucun élément de preuve et la société Agrec n'en tire au demeurant aucune conséquence juridique.

Aux termes de l'article L. 134-12 du Code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

Il perd ce droit s'il n'a pas notifié au mandant dans le délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.

En l'espèce, la société Agrec a notifié à plusieurs reprises au mandant sa volonté de percevoir une indemnisation à la suite de la cessation de leurs relations contractuelles et, en premier lieu le 21 octobre 2009, soit dans le délai exigé puisque la cessation du contrat d'agence a été acquise au 1er avril 2009.

Elle est donc en droit d'exiger le paiement de l'indemnité prévue à l'article L. 134-12, aucune des exceptions prévues par l'article L. 134-13 n'étant invoquée en l'espèce et ne pouvant l'être, spécialement quant à une faute grave de l'agent commercial puisque les reproches faits par la société Villeroy & Bosch Wellness quant à l'absence de développement d'une clientèle en dehors de la société Brossette, à les supposer avérés, n'avaient jamais été formulés avant la présente procédure et qu'aucune observation n'avait été transmise à l'agent pendant l'exécution du contrat d'agence.

La société Villeroy & Bosch Wellness n'en disconvient pas mais invoque l'exception tirée de la force majeure qui serait, selon elle, privative du droit aux indemnités de préavis et compensatrice du préjudice né de la rupture.

- La force majeure invoquée

La société Villeroy & Bosch Wellness soutient à bon droit que si la cessation du contrat d'agence a pour cause un événement présentant pour le mandant les caractéristiques de la force majeure, celui-ci peut être exonéré du paiement des indemnités prévues par les articles L. 134-11 et L. 134-12 du Code de commerce, nonobstant le caractère impératif de ces textes.

Mais il appartient au mandant d'établir que l'événement invoqué, en l'espèce la cessation totale et définitive des commandes de la société Brossette, constituait bien pour elle un cas de force majeure.

Or, il résulte des pièces précitées, versées par la société mandante pour justifier de la décision de la société Brossette, que la rupture des relations d'affaires décidée par cette dernière est intervenue à la suite d'un appel d'offres à l'issue duquel il s'est avéré que la société Villeroy & Bosch Wellness, sur la gamme des produits concernés Nabis, n'était pas assez compétitive en raison de prix jugés trop élevés. Comme le relève la société Villeroy & Bosch Wellness elle-même, l'interruption des commandes n'était pas inattendue puisque les factures de commissions versées au dossier témoignent de la baisse continue des commandes émanant de la société Brossette à compter de la fin de l'année 2007.

En conséquence, la perte du client Brossette n'a pas été imprévisible pour la société Villeroy & Bosch Wellness et il n'est pas non plus établi qu'elle était irrésistible puisqu'une politique de prix plus compétitifs aurait pu le cas échéant être mise en œuvre, de même que des négociations commerciales dont aucun élément du dossier ne laisse supposer qu'elles ont même été tentées par la société mandante.

Ainsi, faute de rapporter la preuve que la décision de la société Brossette a constitué pour elle un événement constitutif d'un cas de force majeure, la société Villeroy & Bosch Wellness est redevable envers la société Agrec des indemnités compensatrices de préavis et de préjudice.

- Les indemnités

S'agissant de l'indemnité de préavis, il n'existe aucune discussion sur son montant retenu à concurrence de 3 695,03 euros par les premiers juges dont la décision doit être confirmée.

L'indemnité de cessation du contrat d'agent commercial prévue par l'article L. 134-12 est destinée à réparer l'entier préjudice résultant pour l'agent commercial de la perte du mandat.

S'il est communément admis que le préjudice d'un mandat d'agent commercial puisse être réparé par une somme équivalente à deux années de commission, le préjudice réellement subi peut-être moindre notamment en raison de la relative brièveté en l'espèce de la durée de la relation contractuelle, de l'absence de développement de la clientèle et également en considération de l'évolution déclinante de l'activité qu'ont à juste titre relevée les premiers juges au vu des montants des commissions en diminution tout au long de la durée des relations contractuelles et aussi, comme l'a noté le tribunal, de l'absence de toute preuve d'un préjudice résultant pour la société Agrec de la non-utilisation des moyens dédiés à l'activité liée à la société Brossette.

En considération de l'ensemble de ces éléments, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice subi par l'agent en allouant à ce dernier la somme de 18 000 euros.

Les sommes allouées avec exécution provisoire par le tribunal à la société Agrec à titre d'indemnités et confirmées par le présent arrêt portent intérêts au taux légal à compter de la date du jugement en application de l'article 1153-1 du Code civil et suffisent à compenser l'entier préjudice subi du fait de la cessation du contrat d'agence sans qu'il y ait lieu d'accueillir la demande de la société Agrec de faire partir les intérêts de la date de l'acte introductif d'instance.

- Les autres demandes

L'issue du litige démontre que l'action en justice entreprise par la société Agrec n'était aucunement abusive, de sorte que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté la société Villeroy & Bosch Wellness de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 16 mai 2012 par le Tribunal de commerce de Nanterre, Y ajoutant, Déboute la société Agrec de sa demande tendant à voir fixer le point de départ des intérêts au taux légal à la date de l'assignation introductive d'instance, Condamne la société Villeroy & Bosch Wellness à payer à la société Agrec la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité complémentaire pour les frais irrépétibles exposés en appel, Condamne la société Villeroy & Bosch Wellness aux dépens et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.