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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 3 avril 2014, n° 13-09590

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fabimport (Sté)

Défendeur :

Embraco Europe Srl (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Charlon

Conseillers :

Mmes Louys, Graff-Daudret

Avocats :

Mes Manna, Morel

T. com. Paris, du 22 avr. 2013

22 avril 2013

ELEMENTS DU LITIGE :

La société Fabimport exerce notamment une activité de vente de compresseurs hermétiques destinés aux constructeurs, fabricants et installateurs spécialisés dans le domaine de la réfrigération commerciale, de la climatisation et de la pompe à chaleur et depuis 1966 elle était le distributeur exclusif en France des compresseurs de la société italienne Aspera, qui est devenue en 1994 la société Embraco après avoir été acquise en 1986 par le groupe Whirlpool/Embraco.

A l'occasion de cette acquisition, les relations convenues verbalement entre la société Fabimport et la société Aspera ont fait l'objet d'une reconnaissance écrite sous la forme d'un échange de courriers puisque le 1er avril 1986 cette dernière adressait à la société Fabimport un courrier exprimant son souhait de la charger de la distribution exclusive des compresseurs et unités de condensation en France, la société Fabimport devant s'engager pour sa part, notamment, à accepter les conditions générales de ventes annexées à cet envoi.

La société Aspera ajoutait que "au présent contrat on appliquera la loi italienne et l'autorité compétente est la Cour de Turin";

Les conditions générales de vente annexées au courrier comportaient un article 8 aux termes duquel "les négociations s'entendent effectuées à Turin. Pour n'importe quelle dispute qui peut surgir, la seule autorité compétente est la Cour de Turin (Italie)".

Le 9 décembre 1986 la société Fabimport accusait réception de cette lettre du 1er avril 1986 et s'engageait à accepter les conditions générales de vente dont elle retournait à son correspondant un exemplaire signé ; en outre elle reprenait dans son propre courrier la clause selon laquelle "au présent contrat on appliquera la loi italienne et l'autorité compétente est la Cour de Turin".

Le 30 janvier 2012 la société Embraco notifiait à la société Fabimport sa décision de mettre fin à leur relation commerciale.

Le 7 mai 2012 la société Fabimport assignait la société Embraco devant le Tribunal de commerce de Paris pour voir dire que cette rupture était brutale au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et pour obtenir ainsi la condamnation de cette société à lui payer les sommes de 2 059,416 euros en réparation de son préjudice matériel, de 46 000 euros en réparation de son préjudice moral et de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

A l'audience du Tribunal de commerce de Paris, la société Embraco soulevait l'incompétence de cette juridiction au profit de la Cour de Turin ou plus généralement au profit des tribunaux de la ville de Turin en Italie, et par jugement du 22 avril 2013 le tribunal de commerce, faisant droit à cette prétention, se déclarait incompétent et renvoyait les parties à mieux se pourvoir, il condamnait en outre la société Fabimport à payer à la société Embraco la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le 6 mai 2013 la société Fabimport a formé un contredit contre cette décision.

Devant la cour, la société Fabimport a fait plaider, en renvoyant à ses conclusions écrites déposées à l'audience :

- que l'une et l'autre des clauses attributives de compétence prévues entre les parties n'étaient pas suffisamment larges et compréhensives pour s'appliquer à la responsabilité délictuelle dont relève le contentieux de la rupture brutale des relations contractuelles établies,

- que les clauses ne s'appliquaient temporellement qu'au contrat précis et non à la rupture brutale de la relation commerciale en place depuis de nombreuses années,

- qu'au demeurant les clauses litigieuses n'étaient pas suffisamment claires ou compréhensibles pour pouvoir s'appliquer en faveur de la société Embraco,

- que rien ne permet d'affirmer que les parties ont eu l'intention de conférer un effet rétroactif aux engagements réciproques de 1986 et qu'elles ne sauraient donc faire échec à l'action engagée pour rupture brutale de l'ensemble de la relation commerciale établie depuis 1966 et qu'au demeurant les parties n'avaient pu envisager que les clauses attributives de compétence s'appliquent à ce type de litige puisque les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce n'ont été introduites dans le droit français qu'en 1996,

- qu'en tout état de cause, les clauses ne sauraient faire échec à des dispositions de droit interne d'ordre public et de la réglementation européenne, et que l'on ne saurait déroger à la règle de compétence prévue à l'article 46 du Code de procédure civile s'agissant d'une action en réparation d'un préjudice subi en France par une société dont le siège social est en France.

La société Embraco conclut de son côté, en se rapportant à ses conclusions écrites, au rejet du contredit ; elle demande la confirmation de la décision entreprise, ainsi que l'allocation de la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle prétend en effet :

- que les deux formulations utilisées en 1986 comme clauses attributives de compétence sont valables et applicables au litige puisque l'article 23 du règlement CE n° 44-2001 du 22 décembre 2000, qui reconnaît la validité d'une clause attributive de compétence au profit d'une juridiction d'un Etat membre de l'UE, stipulée dans un contrat dont l'une des parties au moins a son domicile sur le territoire d'un Etat membre de l'UE,

- que les clauses restent valables même dans le cadre d'un litige fondé sur l'application des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, dès lors qu'elles sont suffisamment larges et indéterminées pour inclure la rupture des relations entre les parties, que la responsabilité soit engagée sur un fondement contractuel ou un fondement délictuel et quelle que soit la forme syntaxique utilisée,

- que le caractère d'ordre public de la législation sur laquelle la société Fabimport se fonde ne constitue pas, au regard de la règlementation européenne, un obstacle à l'application des règles de compétence juridictionnelle autorisant les clauses attributives de compétence territoriale.

Sur quoi LA COUR,

Considérant que le contredit formé par la société Fabimport contre le jugement rendu le 22 avril 2013 par le Tribunal de commerce de Paris est motivé et qu'il a été remis au greffe de cette juridiction dans le délai de quinze jours à compter de la décision ;

Qu'il est donc recevable ;

Considérant que la société Fabimport a engagé une action devant le Tribunal de commerce de Paris pour obtenir à titre principal la condamnation de la société Embraco à lui payer des dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ;

Qu'il résulte de cette disposition légale que le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, engage la responsabilité délictuelle de son auteur ;

Considérant que le tribunal de commerce s'est déclaré incompétent en retenant que les parties étaient liées par une clause attributive de juridiction au bénéfice d'un tribunal italien ;

Qu'en réalité les accords passés entre les parties en 1986 pour formaliser leurs relations nouées depuis 1966 comportaient deux clauses distinctes ;

Que la première, libellée dans les mêmes termes dans le courrier adressé par la société Aspera à la société Fabimport le 1er avril 1986 et dans la réponse de celle-ci du 9 décembre 1986, stipulait : "au présent contrat on appliquera la loi italienne et l'autorité compétence est la Cour de Turin";

Qu'en renvoyant au contrat lui-même sans autre précision, la clause ne concerne que les litiges qui surviendraient à l'occasion de l'exécution de ce contrat, sans inclure ceux qui découleraient d'une rupture brutale engageant la responsabilité délictuelle de son auteur ;

Que dès lors cette clause doit être écartée dans le cadre du présent litige ;

Considérant que la seconde clause figurait au § 8 des "conditions générales de vente" annexées au courrier de la société Aspera du 1er avril 1986 et qu'en retour la société Fabimport avait accepté ces conditions générales en en adressant un exemplaire signé à la société Aspera ;

Que les termes de cette clause sont les suivants : "Les négociations s'entendent effectuées à Turin. Pour n'importe quelle dispute qui peut surgir, la seule autorité compétente est la Cour de Turin (Italie)";

Que la première phrase du paragraphe concerne la localisation des négociations menées entre les deux sociétés et non pas les litiges qui pourraient les opposer ; que cette phrase séparée par un point de la suivante, n'a aucun lien logique avec elle et qu'il s'agit de deux propositions indépendantes ;

Que la seconde phrase traite seule de la compétence, en utilisant le terme "dispute", synonyme de "querelle" qui désigne en langage juridique une contestation, un différend ou un litige (cf. : V° '"Querelle" dans le '"Vocabulaire Juridique" dir. G. Cornu) ;

Qu'ainsi, en employant le syntagme "n'importe quelle dispute", dans lequel "n'importe" signifie "quelle qu'elle soit", "quelconque" et dans lequel "dispute" signifie "différend, litige", les parties sont convenues d'une stipulation suffisamment large et compréhensive pour englober en une même clause et au-delà des seules opérations d'achat-vente - tous les litiges relevant tant du régime de la responsabilité contractuelle que du régime de la responsabilité délictuelle, le caractère extensif apporté par la locution adjective indéfinie "n'importe quelle" impliquant en effet que l'application de la clause ne soit limitée ni dans son objet, ni dans sa durée ;

Considérant qu'en outre la mise en œuvre de cette clause dans le cadre du procès engagé par la société Fabimport n'entraîne aucun effet rétroactif à l'égard de la situation ayant existé entre les parties de 1966 à 1986, puisque l'objet du litige n'est pas d'obtenir réparation de manquements contractuels commis avant 1986, mais bien plutôt de faire sanctionner une faute délictuelle qui, selon la société Fabimport, serait survenue en 2012 ;

Que par ailleurs le caractère très compréhensif de la clause attributive de compétence permet de l'étendre à la mise en jeu de la responsabilité délictuelle en vertu d'une disposition issue d'une loi du 1er juillet 1996 qui est venue, postérieurement à la convention des parties, régir les effets futurs de leur situation juridique ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble des développements qui précèdent que les sociétés Embraco et Fabimport sont liées par une clause attributive de compétence applicable au litige qui les oppose, fondé sur les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;

Considérant par ailleurs que, s'agissant d'un litige entre deux sociétés qui ont leur siège social l'une en France et l'autre en Italie, deux États membres de l'Union européenne, cette clause attributive de compétence doit, pour avoir effet au profit de la juridiction italienne désignée, répondre aux conditions posées par l'article 23 du Règlement (CE) n° 44-2001 du Conseil du 22 décembre 2000, c'est-à-dire être conclue par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée ;

Que cet article 23 n'impose aucune autre condition à la validité d'une clause attributive de compétence dans un contrat international dans lequel une des parties au moins a son domicile sur le territoire d'un État membre ;

Considérant que les parties n'ont pas choisi conventionnellement la loi qu'elles souhaitaient voir appliquer au litige ; qu'il n'est cependant pas possible d'appliquer, comme le voudrait la société Fabimport, le règlement (CE) n° 593-2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 puisque ce texte traite de la détermination de la loi applicable en matière d'obligations contractuelles alors que la rupture brutale d'une relation commerciale établie relève de la responsabilité délictuelle ;

Qu'en conséquence la société Fabimport, qui au demeurant assimile à tort ordre public et loi de police, ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article 9 de ce règlement européen ;

Considérant qu'en définitive il convient de débouter la société Fabimport de son contredit ;

Par ces motifs : LA COUR, Déclare recevable le contredit formé par la société Fabimport contre le jugement d'incompétence rendu le 22 avril 2013 par le Tribunal de commerce de Paris, mais l'en déboute ; Condamne la société Fabimport aux frais du contredit en application de l'article 88 du Code de procédure civile ; Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Laisse à la charge de la société Fabimport ses frais irrépétibles, La condamne à payer à la société Embraco la somme de 5 000 euros en remboursement de ses frais exposés devant la cour d'appel.