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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 8 avril 2014, n° 13-21121

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ebizcuss.com, Selafa MJA (ès qual.)

Défendeur :

Apple Sales International

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Acquaviva

Conseillers :

Mmes Guihal, Dallery

Avocats :

Mes Benech, Vidal, Agrest, Jaïs, D'ormesson

CA Paris n° 13-21121

8 avril 2014

La société "Ebizcuss.com" (ci-après dénommée Ebizcuss) qui exerce une activité de vente de produits informatiques sous les enseignes "ICLG", "International Computer IC", "La Centrale d'Achat", "Ebizcuss.com", "KA Services", "KA l'Informatique Bleue", "Eire Service" et "Ram City" et de prestations de services associés, s'est vu reconnaître la qualité de revendeur agrée ("Authorized Reseller Agreement") pour les produits de marque Apple par contrat conclu le 10 octobre 2002 avec la société de droit irlandais Apple Sales International (ASI), entité alors responsable de la vente de l'ensemble des produits Apple en Europe.

Ce contrat a été ensuite modifié par un avenant du 20 janvier 2005, entré en vigueur le 27 mars 2005 puis remplacé par une nouvelle version du contrat au mois d'avril 2007.

Plusieurs autres contrats ont été ultérieurement conclus par Ebizcuss et ASI : contrat de revendeur premium (Apple Premium Reseller) du 23 mars 2009 ; nouveau contrat de revendeur premium (Apple Premium Reseller) du 7 septembre 2009 ; contrat de prestation de services (Apple Authorized Service Provider) du 25 janvier 2011 et contrat de distributeur agréé pour iPhone (Apple Authorized iPhone Reseller) du 12 octobre 2011.

Faisant grief au groupe Apple de lui avoir imposé un état de dépendance commerciale et économique devenu abusif lorsque celui-ci a décidé de favoriser son propre réseau de distribution, les Apple Stores, pour en assurer le développement au détriment d'Ebizcuss, par des pratiques discriminatoires dans la commercialisation et la tarification de ses produits, celle-ci a fait assigner, par acte d'huissier du 13 avril 2012, les sociétés ASI , Apple Inc. et Apple Retail, devant le Tribunal de commerce de Paris à l'effet de voir constater au visa des articles 1382 du Code civil, L. 420-2 du Code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne que celles-ci avaient commis des abus de position dominante, des abus de dépendance économique et des faits de concurrence déloyale et d'obtenir la réparation de son préjudice.

Par jugement du 18 octobre 2012, la liquidation judiciaire d'Ebizcuss ayant été prononcée, son liquidateur la Selafa MJA, prise en la personne de Monsieur Leloup-Thomas, mandataire judiciaire, est intervenu volontairement aux fins de reprise d'instance.

Sur l'exception d'incompétence soulevée par ASI au profit des juridictions irlandaises en vertu des clauses attributives de juridiction stipulées aux contrats liant les parties, le tribunal de commerce de Paris, par jugement du 26 septembre 2013, a renvoyé la société Ebizcuss, à se mieux pourvoir et a fixé au passif la créance de ASI au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par écrit motivé déposé au greffe le 11 octobre 2013, cette dernière représentée par son liquidateur a formé contredit.

Vu les conclusions signifiées par RPVA le 3 mars 2014 et reprises oralement à l'audience par e.bizcuss aux termes desquelles il est demandé à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son contredit de compétence,

- dire que le Tribunal de commerce de Paris est compétent pour se prononcer sur la demande formée par Ebizcuss, suivant assignation en date du 13 avril 2012, contre Apple Sales International, Apple Inc. et Apple Retail France,

- infirmer, en conséquence, le jugement en date du 26 septembre 2013, par lequel le Tribunal de commerce de Paris s'est déclaré incompétent pour en connaître,

- renvoyer l'affaire à celui-ci pour qu'il statue sur la demande, conformément à la loi,

- condamner la société Apple Sales International à verser à la société Ebizcuss, outre les dépens, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions n°3 signifiées par RPVA le 6 mars 2014 et reprises oralement à l'audience par ASI qui sollicite au visa des clauses attributives de juridiction contenues dans les contrats liant ASI à Ebizcuss et de l'article 23 du Règlement Bruxelles I, que soit :

- rejeté le contredit formé par Ebizcuss à l'encontre du jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 26 septembre 2013 ;

- confirmé le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 26 septembre 2013 en toutes ses dispositions ;

- fixé la créance d'ASI sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au passif de la liquidation d'Ebizcuss à la somme de 2 000 euros ;

- condamnée Ebizcuss aux entiers dépens de l'instance.

Vu la comparution à l'audience par leur conseil, de la société de droit américain Apple Inc. et de la SARL de droit français Apple Retail France, lesquelles ont indiqué ne pas formuler d'observations, n'étant pas concernées par le litige ;

SUR QUOI,

- Sur l'application de la clause contractuelle attributive de juridiction.

Considérant que la contredisante soutient que la clause d'élection de for contenue dans les conventions ne saurait être invoquée en l'espèce, dès lors :

- qu'elle est nulle et de nul effet pour être potestative et pour ne pas répondre à l'impératif de prévisibilité ;

- qu'elle est invalide, en ce que d'une part elle n'est pas conforme à l'article 23 du règlement Bruxelles I d'autre part en ce qu'elle contrevient à la compétence impérative d'une juridiction française dès lors qu'est incriminé un comportement anticoncurrentiel contraire à l'ordre public français et pour lequel le législateur a prévu la compétence exclusive des juridictions françaises ;

- et, enfin, que les parties n'ont jamais entendu soumettre à ses prévisions, un litige tel que celui qui oppose présentement Ebizcuss au groupe Apple, le champ d'application de la clause d'élection de for litigieuse étant limité à la relation telle que régie par les droits et obligations posés par le contrat sans pouvoir être étendue à toutes les relations entre les parties ayant un lien plus ou moins ténu avec le contrat et en tout cas pas à un litige portant sur des pratiques anti-concurrentielles par essence plurilatérales.

Considérant que les contrats liant la société Ebizcuss et Asi rédigés en langue anglaise stipulent que "This Agreement and the corresponding relationship between the parties shall be governed by and construed in accordance with the laws of the Republic of Ireland and the parties shall submit to the jurisdiction of the courts of the Republic of Ireland. Apple reserves the right to institute proceedings against Reseller in the courts having jurisdiction in the place where Reseller has its seat or in any jurisdiction where a harm to Apple is occurring". ;

que les parties ne s'accordent pas sur la traduction de cette clause, celle-ci devant se lire selon la contredisante aux termes de la traduction assermentée qu'elle produit "Le présent Contrat et la relation correspondante entre les parties seront régis par et interprétés conformément au droit de la République d'Irlande et les parties se soumettent à la compétence des tribunaux de la République d'Irlande. Apple se réserve le droit d'engager des poursuites à l'encontre du Revendeur devant les tribunaux dans le ressort duquel est situé le siège du Revendeur ou dans tout pays dans lequel Apple subit un préjudice." tandis que pour ASI la clause doit être traduite par "Le présent Contrat et les relations en découlant entre les parties seront régis par et interprétés conformément au droit de la République d'Irlande et les parties se soumettent à la compétence des tribunaux de la République d'Irlande. Apple se réserve le droit d'engager des poursuites à l'encontre du Revendeur devant les tribunaux dans le ressort duquel est situé le siège du Revendeur ou dans tout pays dans lequel Apple subit un préjudice."

que toutefois si les parties ne s'accordent pas sur la portée de cette clause au regard de la formule "and the corresponding relationship" sur la traduction de laquelle elles divergent, Ebizcuss la traduisant par "la relation correspondante" et ASI par 'les relations en découlant', il ne peut être contesté que celle-ci donne expressément compétence aux juridictions de la République d'Irlande pour les litiges nés de l'exécution du contrat ;

que s'il est de fait que cette clause d'élection de for impose à Ebizcuss de porter ses demandes devant les juridictions irlandaises tandis qu'est réservée à son contractant de manière optionnelle la faculté de saisir une autre juridiction, il ne peut être considéré que le choix de la juridiction compétente se trouve abandonné à la seule discrétion de ASI dès lors que seules les juridictions du lieu du siège social d'Ebizcuss ou du lieu où le dommage a été subi par ASI peuvent être saisies ce qui exclut, au regard des critères précis édictés pour la détermination des juridictions compétentes, fussent-elles multiples, tout caractère potestatif à l'égard de ASI de la prorogation de compétence stipulée en sa faveur laquelle ne recèle au surplus aucune contrariété avec les chefs de compétence édictés par le Règlement 44-2001 en matière contractuelle et délictuelle ;

que dès lors, cette clause qui permet d'identifier les juridictions éventuellement amenées à se saisir d'un litige opposant les parties à l'occasion de l'exécution ou de l'interprétation du contrat, répond à l'impératif de prévisibilité auquel doivent répondre les clauses d'élection de for ;

Considérant par ailleurs qu'il ne peut être retenu comme le soutient Ebizcuss que la clause litigieuse serait invalide au regard des exigences de l'article 23 du Règlement 44-2001 en ce que permettant à ASI de porter sa demande, devant les tribunaux de "tout pays dans lequel Apple subit un préjudice" la mise en œuvre de cette clause peut en l'absence de tout périmètre géographique, conduire ASI à saisir les juridictions d'un Etat non membre de l'Union européenne, où elle estimerait avoir subi un préjudice ;

qu'en effet, si l'article 23 du Règlement ne reconnaît comme valide, dans l'ordre communautaire, que les prorogations conventionnelles de compétence qu'autant que l'une au moins des parties à la clause a son domicile sur le territoire d'un État membre et que les parties sont convenues de désigner un tribunal ou des tribunaux d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, la clause attributive de juridiction litigieuse répond à ces exigences, dès lors que les juridictions irlandaises sont désignées comme devant être saisies par Ebizcuss, société ayant son siège social en France en cas de litige l'opposant à ASI à l'occasion de l'exécution du contrat liant les parties ;

Considérant qu'il ne peut davantage être considéré que la clause attributive de juridiction litigieuse serait invalide pour contrevenir à une compétence impérative des juridictions françaises en matière de pratiques anticoncurrentielles ;

qu'en effet, la clause attributive de juridiction contenue dans les contrats liant les parties a vocation à s'appliquer à tout litige né de leur exécution et que tel est le cas du litige opposant les parties, le litige devant être regardé comme de nature contractuelle au sens de l'article 5 du Règlement, ce quelle que soit l'interprétation donnée à la formule "and the corresponding relationship" dès lors qu'il trouve précisément son origine dans l'exécution du contrat dont Ebizcuss prétend que l'équilibre économique a été bouleversé par des pratiques commerciales et tarifaires de ASI qualifiées de discriminatoires et d'anti-concurrentielles, procédant selon elle d'un abus de position dominante ce qui rend vaine l'affirmation de la contredisante que l'action qu'elle a engagée est sans lien avec le contrat et doit être regardée comme de nature délictuelle ;

que par suite, cette prorogation conventionnelle de compétence s'impose à Ebizcuss, peu important à cet égard que son action soit fondée sur des dispositions impératives qualifiées de loi de police lesquelles ne sont pas de nature à faire échec à la compétence des juridictions irlandaises, n'étant privées pas d'effectivité dès lors que l'article 7 de la Convention de Rome prévoit expressément "lors de l'application, en vertu de la convention, de la loi d'un pays déterminé, la possibilité de donner effet aux dispositions impératives de la loi d'un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat" ;

Considérant enfin que la contredisante invoque vainement les dispositions de l'article 27 du Réglement relatif aux situations de litispendance, lesquelles ne sont applicables qu'autant que deux juridictions d'Etats membres différents sont saisies de demandes ayant le même objet et la même cause, formées entre les mêmes parties et que tel n'est pas le cas en l'espèce, aucune autre juridiction d'un Etat membre n'ayant été saisie par ASI ;

Considérant qu'il convient dès lors de confirmer le jugement déféré du chef de la compétence et de rejeter le contredit ;

Considérant que Ebizcuss qui succombe supportera les frais du contredit sans pouvoir prétendre à une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile et sera condamnée sur ce même fondement à payer à ASI une somme de 2 000 euros, sans qu'il y ait lieu de fixer la créance due au titre des frais irrépétibles exposés tant au premier qu'au second degré, au passif de la liquidation judiciaire de la contredisante dès lors que son fait générateur trouve son fondement juridique dans la décision de condamnation postérieure au jugement déclaratif de la procédure collective, le jugement déféré devant être émendé de ce chef ;

Par ces motifs : LA COUR, Rejette le contredit Confirme la décision déférée sauf en ce qu'elle a fixé la créance de la société de droit irlandais Apple Sales International (ASI) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au passif de la liquidation d'Ebizcuss à la somme de 2 000 euros. L'emendant sur ce point, Condamne la SAS Ebizcuss.com représentée par son liquidateur judiciaire à payer à la société de droit irlandais Apple Sales International (ASI) la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ; Y ajoutant, Condamne la SAS Ebizcuss.com représentée par son liquidateur judiciaire aux frais du contredit et au paiement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute la SAS Ebizcuss.com représentée par son liquidateur judiciaire de toutes ses demandes.