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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 avril 2014, n° 13-24342

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Carrefour France (Sté) ; Carrefour Administratif France (Sté)

Défendeur :

Ministre de l'Economie et des Finances, Leblay (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes de Maria, Arroyo

T. com. Paris, du 6 nov. 2009

6 novembre 2009

Depuis les années 1990, la société Carrefour Hypermarché France (aux droits de laquelle se trouve la société Carrefour France) était cliente de la société Cofim, société spécialisée dans l'étude de marchés et sondages. La société Carrefour Administratif France a mis fin aux relations commerciales entretenues avec la société Cofim par courrier du 7 octobre 2005 avec un préavis de quinze mois.

Maître Leblay, mandataire liquidateur de la société Cofim a assigné la société Carrefour Administratif France en réparation du préjudice subi par la société Cofim sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce. La société Carrefour France est intervenue à la procédure.

Intervenant en application de l'article 470-5 du Code de commerce, le ministre de l'Economie a déposé des conclusions et demandé la condamnation solidaire des sociétés Carrefour France et Carrefour Administratif France au paiement d'une amende civile.

Par jugement du 6 novembre 2009, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société Carrefour France de sa demande de mise hors de cause,

- condamné in solidum la société Carrefour Administratif France et la société Carrefour France venant aux droits de la société Carrefour France à payer à Maître Leblay en qualité de mandataire liquidateur de la société Cofim la somme de 405 000 euros,

- condamné in solidum la société Carrefour Administratif France et la société Carrefour France venant aux droits de la société Carrefour France à payer à Maître Leblay en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Cofim la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi de toutes ses demandes,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné in solidum la société Carrefour Administratif France et la société Carrefour France venant aux droits de la société Carrefour France aux dépens.

Maître Leblay ès qualités a interjeté appel du jugement le 18 décembre 2009. Il n'a pas intimé le ministre.

Le 15 avril 2010, le ministre a déposé des conclusions dans lesquelles il demandait à la cour de "recevoir l'appel incident du ministre..., réformer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a débouté le ministre... de ses demandes..., dire et juger que la société Carrefour Hypermarchés France a rompu partiellement sans préavis écrit ses relations commerciales avec la société Cofim et sans tenir compte de l'ancienneté de celles-ci, conférant à cette rupture un caractère brutal au sens de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, prononcer à l'encontre de la société Carrefour Hypermarché France une amende civile d'un montant de 150 000 euros au titre de l'atteinte à l'ordre public économique, condamner la société Carrefour Hypermarchés France au paiement au profit de l'Etat de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile."

Par arrêt du 16 juin 2011, la Cour d'appel de Paris a :

- déclaré recevable l'intervention du ministre recevable mais irrecevables ses demandes en paiement d'une amende civile et en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- déclaré irrecevable la demande de Maître Leblay ès qualités en paiement au titre de la perte de logiciels non amortis,

- confirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné Maître Leblay ès qualités aux dépens d'appel et dit qu'ils seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire de la société Cofim,

- accordé le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile à la société civile professionnelle Duboscq & Perrin, avoués.

Relevant que "alors que le ministre chargé de l'Economie avait, exerçant le droit propre que lui confère l'article L. 442-6 II du Code de commerce, demandé en première instance, par voie de conclusions déposées au visa de l'article L. 470-5 de ce Code, la condamnation des sociétés Carrefour au paiement d'une amende civile pour ne pas avoir respecté les dispositions de l'article L. 442-6 I 5°, de sorte qu'il avait la qualité de partie à l'instance et qu'il pouvait, en conséquence par la voie de l'appel incident, demander à la cour d'appel de réformer le jugement en ce qu'il avait rejeté sa demande", la Cour de cassation a, par arrêt du 4 décembre 2012, cassé cette décision mais seulement en ce qu'elle a déclaré recevable l'intervention du ministre et irrecevables ses demandes au paiement d'une amende civile et en application de l'article 700 du Code de procédure civile, remis les parties sur ces points dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et pour y être faire droit, renvoyé devant la Cour d'appel de Paris autrement composée.

Le ministre a saisi la cour d'appel de renvoi le 20 mars 2013.

Par ordonnance du 3 décembre 2013, le conseiller de la mise en état a déclaré recevable la saisine de la cour par le ministre le 20 mars 2013, déclaré l'appel provoqué formé par le ministre contre le jugement recevable, débouté la société Carrefour Administratif France et la société Carrefour France de leurs demandes, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Carrefour Administratif France et la société Carrefour France ont déféré cette ordonnance à la cour par requête du 18 décembre 2013, dans laquelle elles exposent que le ministre n'a pas valablement interjeté appel ni à titre principal ni à titre incident ou provoqué, ce dernier rendu impossible en raison du défaut d'intérêt pour agir du ministre à qui la décision du premier juge ne fait pas grief, sauf à lui conférer en violation du principe de l'égalité des armes, plus de droits qu'aux autres parties ; elles demandent à la cour de réformer la décision, dire irrecevable l'appel incident formé par le ministre, constater que le jugement a autorité de chose jugée, condamner le Trésor Public à leur payer la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.

Par conclusions du 24 février 2014, les sociétés Carrefour Administratif France et Carrefour France forment les mêmes demandes à l'exception de la demande d'indemnité pour frais irrépétibles qu'elles portent à 10 000 euros.

Par conclusions du 25 février 2014 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé plus ample des moyens, le ministre demande à la cour de :

- déclarer la requête en déféré irrecevable,

- déclarer irrecevables comme tardives les conclusions en réponse des sociétés Carrefour France et Carrefour Administratif France du 24 février 2014,

- confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état,

- débouter les sociétés Carrefour France et Carrefour Administratif France de toutes leurs demandes,

- les condamner à lui payer une indemnité de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

SUR CE

1) Sur la recevabilité du déféré :

Considérant, selon l'article 916 du Code de procédure civile, que le déféré de la décision du conseiller de la mise en état doit être porté devant la cour par requête dans les quinze jours de la date de l'ordonnance critiquée ;

Considérant que l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 3 décembre 2013 a été déférée à la cour par requête du 18 décembre 2013 ainsi qu'il est justifié par le récépissé émanant du greffe de la cour produit aux débats, que le déféré est recevable ;

2) Sur le rejet des conclusions des sociétés Carrefour France et Carrefour Administratif France :

Considérant que si la requête a été portée à la connaissance du ministre avec retard, il a été toutefois en mesure d'organiser sa défense, que le principe du contradictoire est respecté ;

Considérant ainsi que le ministre qui demande le rejet des conclusions du 24 février 2014, n'expose pas toutefois en quoi ces conclusions ont désorganisé la défense qu'il a traduite dans ses conclusions écrites du 25 février, la cour observant que le ministre en a tenu compte dans la rédaction de celles-ci ; que la demande d'irrecevabilité des conclusions des sociétés Carrefour Administratif France et Carrefour France fussent-elles de la veille de l'audience ne peut être accueillie ;

3) Sur la recevabilité de l'appel incident du ministre :

Considérant que la recevabilité de la déclaration de saisine de la cour de renvoi par le ministre n'est pas mise en cause ;

Considérant que la recevabilité de l'"appel incident" du ministre du 15 avril 2010 est contestée par les sociétés demanderesses au déféré ;

Considérant que selon les termes des articles 549 et 550 du Code de procédure civile, ce dernier texte dans sa version en vigueur avant le premier janvier 2011, l'appel incident peut émaner, sur appel principal ou incident qui le provoque de toute personne, même non intimée, ayant été partie en première instance et que cet appel incident peut être formé en tout état de cause... ;

Considérant que le ministre est partie à l'instance et qu'il peut en cette qualité faire appel incident ; que toutefois ce recours n'est recevable que si l'appel principal ou l'appel incident éventuel l'ont provoqué, remettant en cause les droits du ministre et lui donnant ainsi un intérêt nouveau alors qu'il n'avait pas cru utile de faire un recours ; que le ministre qui agit pour la défense de l'ordre public économique peut être partie dans la procédure d'appel au cours de laquelle les sociétés Carrefour France et Carrefour Administratif entendent remettre en cause la décision qui les a condamnées pour rupture brutale des relations commerciales ;

Considérant que pour ce seul motif, le ministre est recevable en son appel incident provoqué, qu'il s'agit ici non de reconnaître à celui-ci une prérogative dépassant le droit commun mais d'appliquer les règles de procédure civile, ce qui ne saurait remettre en cause le principe du procès équitable.

Par ces motifs : LA COUR, Déclare le déféré recevable, Déboute le ministre de sa demande d'irrecevabilité des conclusions des sociétés Carrefour France et Carrefour Administratif du 24 février 2014, Rejette le déféré, Condamne les sociétés Carrefour France et Carrefour Administratif à payer au ministre de l'économie la somme de 4 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles, Condamne les sociétés Carrefour France et Carrefour Administratif aux dépens.