CA Angers, ch. com. A, 8 avril 2014, n° 13-00837
ANGERS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Grass GmbH (Sté)
Défendeur :
Arena (SAS), Boudevin (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Van Gampelaere
Conseillers :
Mmes Monge, Grua
Avocats :
Mes Langlois, Mazingue, Vicart, Tordjman
FAITS ET PROCEDURE :
Le 20 octobre 2005, la société de droit autrichien Mepla-Alfit, spécialisée dans l'industrie du meuble de cuisine, a signé avec la société Arena, grossiste en quincaillerie, un accord de distribution de ses produits sur tout le territoire français pour une durée indéterminée. Le 27 août 2010, la société Grass GmbH venant aux droits de la société Mepla-Alfit avec laquelle elle avait fusionné a dénoncé cet accord à effet du 31 décembre suivant.
Par acte du 28 octobre 2011, la société Arena a assigné la société Grass devant le Tribunal de commerce du Mans à l'effet de faire juger que le contrat du 21 octobre 2005 était un mandat d'intérêt commun qui ne pouvait être résilié unilatéralement et, en tout état de cause, que la résiliation était abusive et justifiait le paiement de dommages-intérêts.
La société Grass ayant soulevé une exception d'incompétence territoriale au profit de la juridiction de Felkirch, en Autriche, et sollicité l'application du droit autrichien au litige, par un jugement du 11 mars 2013, le tribunal a dit que l'instance, interrompue par suite du jugement d'ouverture du redressement judiciaire à l'égard de la société Arena en date du 18 décembre 2012, avait été régulièrement reprise par l'intervention volontaire aux débats de Me Piollet, désigné comme administrateur judiciaire, a rejeté la demande de production de pièces présentée par la société Grass, s'est déclaré compétent, a rejeté la clause d'electio juris en faveur du droit autrichien présentée par la société Grass et a invité cette dernière à conclure au fond.
La société Grass a déposé un contredit de compétence le 21 mars 2013 auprès du greffe du tribunal de commerce, parvenu à la cour le 25 mars suivant. Les parties ont été convoquées par lettre recommandée avec accusé de réception à l'audience du 21 mai 2013.
Entre-temps, par jugement du 10 avril 2013, le redressement judiciaire de la société Arena a été converti en liquidation judiciaire et la Selarl Sarthe mandataire prise en la personne de Me Boudevin a été désignée en qualité de mandataire liquidateur à cette liquidation judiciaire.
Par arrêt du 2 juillet 2013, notre cour, relevant qu'en écartant la clause d'electio juris en faveur de la loi autrichienne le tribunal avait statué au fond, a déclaré irrecevable le contredit formé par la société Grass, dit que le recours devait être exercé par la voie de l'appel, constaté que la cour demeurait saisie de ce chef, l'affaire étant instruite et jugée selon les règles applicables à l'appel formé contre les jugements, invité la société Grass à faire acte de constitution dans le mois de l'avis qui lui serait donné par le greffe sous peine d'entendre déclarer d'office son appel irrecevable, dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile et réservé les dépens.
Les parties ont constitué avocat et ont conclu.
Une ordonnance rendue le 15 janvier 2014 a clôturé la procédure.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Les dernières conclusions, respectivement déposées les 9 décembre 2013 pour la société Grass et 10 octobre 2013 pour la société Arena représentée par la Selarl Sarthe mandataire prise en la personne de Me Boudevin mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire, auxquelles il conviendra de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.
La société Grass demande à la cour, au visa du règlement CE 44-2001 du 22 décembre 2000, des articles 75 et 96 du Code de procédure civile, de l'article 30 du Code civil, des articles 3, 138, 139 et 142 du Code de procédure civile et du principe de loyauté dans la preuve civile, d'ordonner la production aux débats par la Selarl Sarthe mandataire ès qualités de l'exemplaire original des factures, confirmations de commande et bons de livraison produits par elle dans la présente instance sous les numéros n° 9 à 32, au visa des articles 80 et 96 du Code de procédure civile, de la déclarer recevable et bien fondée en son appel, en conséquence, d'infirmer le jugement déféré, de dire que le Tribunal de commerce du Mans est incompétent ratione loci, de dire que le Tribunal autrichien de Feldkirch est compétent pour connaître du litige, de dire le droit autrichien applicable et de renvoyer la Selarl Sarthe mandataire ès qualités à mieux se pourvoir. Dans l'hypothèse où la cour confirmerait le jugement et déciderait de faire application des dispositions de l'article 89 du Code de procédure civile, la société Grass lui demande de lui enjoindre de conclure au fond et de condamner la Selarl Sarthe mandataire ès qualités à lui verser la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Elle insiste, à titre liminaire, sur le fait qu'elle a vainement demandé la production par l'intimée de l'original de certaines pièces qu'elle ne détient plus qu'en copie, et sur lesquelles figurent au verso les conditions générales incluant une clause attributive de juridiction et une clause d'electio juris.
Elle se prévaut, en effet, à titre principal, de la clause d'attribution de juridiction convenue entre les parties dans une annexe du contrat de distribution qu'elles ont conclu le 20 octobre 2005 et qui renvoie expressément à ses conditions générales de vente et, à titre subsidiaire, de la clause d'attribution de juridiction figurant dans ses conditions générales de vente et rappelée au verso de tous ses documents contractuels (commandes, factures, bons de livraison ) et sur son site internet en langue française, en soutenant que ces conditions générales étaient connues et acceptées par la société Arena avant même la signature du contrat de distribution. Elle ajoute que la clause d'attribution de juridiction est rédigée en termes très généraux et donne compétence à la juridiction autrichienne pour statuer sur tous les différends susceptibles de s'élever entre les parties. Elle rappelle que la clause attributive de juridiction est prévue par le règlement 44-2001 en son article 23 et qu'elle est d'un usage courant en matière de commerce international, et plus particulièrement dans son secteur d'activité, ainsi que le démontrent les pièces contractuelles qu'elle produit émanant de ses concurrents.
Plus subsidiairement encore, elle soutient que l'application de la présomption de l'article 4.2 de la Convention de Rome et des dispositions de l'article 5-1 a) du règlement CE 44-2001 du 22 décembre 2000 donnent encore compétence à la juridiction autrichienne.
Elle invoque enfin une clause d'electio juris, que les cocontractants étaient libres d'accepter dans le cadre de leurs relations contractuelle et qui, selon elle, prévoit l'application au contrat du droit autrichien. Elle explique qu'indépendamment de cette clause la loi autrichienne aurait encore vocation à s'appliquer en vertu du droit européen, comme étant celle du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits. Elle fait ainsi valoir que la prestation caractéristique du contrat de distribution est celle qu'elle devait fournir et que son siège social se situant en Autriche, c'est la loi de ce pays qui est applicable d'autant que l'article 905 du "Code civil" autrichien (ABGB) qui, selon elle, est applicable détermine le lieu d'exécution du contrat comme étant celui de l'établissement auquel incombe l'obligation du contrat à la date de sa conclusion, soit, en l'espèce, l'Autriche.
La société Arena représentée par la Selarl Sarthe mandataire prise en la personne de Me Boudevin liquidateur à la liquidation judiciaire demande à la cour de donner acte à la Selarl Sarthe mandataire de son intervention volontaire en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la société Arena, au visa du règlement CE n° 44-2001 du 22 décembre 2000, de la Convention de Rome du 19 juin 1981, des articles 14, 1134 et 1162 du Code civil, de déclarer la société Grass mal fondée en son appel, de juger les juridictions françaises compétentes, d'évoquer le fond du litige, de dire, à titre principal, que le contrat signé entre les sociétés Arena et Grass s'analyse en un mandat d'intérêt commun, à titre subsidiaire, que la société Grass a résilié abusivement le contrat, de lui ordonner de produire ses tarifs de vente avec la société Cuisine Morel depuis le mois de juin 2011, ainsi que l'ensemble des factures émises au nom de cette cliente, en tout état de cause, de constater la violation par la société Grass de ses obligations contractuelles, notamment en ce qui concerne le budget marketing publicité prévu par le contrat, de condamner la société Grass à lui payer les sommes de 237 580 euros au titre de la perte de marge brute, 60 000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires, 77 122,50 euros correspondant aux stocks conserves, 53 324 euros à titre d'indemnité représentant 2 % du chiffre d'affaires réalisé entre le mois de septembre 2005 et le mois d'août 2010, 850 000 euros au titre de la construction d'un site de stockage, 150 000 euros au titre du préjudice lié au dépôt de bilan, à la liquidation judiciaire et à la cession des actifs, de dire que toutes les sommes sus-indiquées porteront intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation avec capitalisation et de condamner la société Grass au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Elle soutient qu'aucune clause attributive de compétence n'est incluse dans le contrat du 20 octobre 2005, entièrement rédigé en français, qui la liait à la société Mepla-Alfit, la charte dont se prévaut la société Grass n'étant ni datée ni signée et dénie à la société Grass la possibilité de se prévaloir utilement d'une clause qui figurerait, rédigée en langue étrangère, sur ses documents commerciaux postérieurs à la signature du contrat établis par elle unilatéralement et qu'elle n'a pas acceptée. Elle observe que lorsque la société Mepla-Alfit voulait soumettre les conflits éventuels avec son cocontractant français à la compétence d'une juridiction étrangère, elle prenait soin de le stipuler, ainsi qu'elle l'a fait à l'égard de la société S3D qui bénéficie, en France, d'un segment de clientèle complémentaire de celui qui lui a été confié et constate que ce sont d'ailleurs les juridictions de Bruxelles qui ont été choisies et non les juridictions autrichiennes. Elle ajoute que les documents commerciaux invoqués par la société Grass ont un objet limité se rapportant à des ventes particulières ou prévoyant une clause de réserve de propriété, alors que le contrat qui lie les parties ne se réduit pas à une succession de ventes particulières puisqu'il porte sur la création d'un véritable réseau commercial avec, pour ce qui la concerne, d'importants investissements humains et matériels.
Elle soutient encore que les seules dispositions du droit communautaire donnent compétence aux juridictions françaises pour connaître du litige, le centre de gravité du contrat signé en France, rédigé en langue française et portant sur le développement d'un réseau commercial sur le territoire français, s'analysant en un mandat d'intérêt commun s'exécutant en France. Elle en déduit que, que l'on considère le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ou que l'on considère que le contrat s'analyse en une vente de marchandises ou en une fourniture de services, la compétence du Tribunal de commerce du Mans s'impose. Elle demande enfin à la cour d'user de son pouvoir d'évocation pour donner une solution définitive au litige.
MOTIFS DE LA DECISION :
Attendu que l'accord de distribution conclu, le 20 octobre 2005, entre la société Mepla-Alfit et la société Arena (pièce n° 1 de l'intimée) s'ouvre sur les paragraphes suivants :
"Il est convenu entre la société Mepla-Alfit (...) et la société Arena (...) de confier à la société Arena l'exclusivité de la distribution des produits Mepla-Alfit à partir de son stock sur toute la France, pour tous les produits et pour toutes les clientèles à l'exception des clients industriels suivis par S3D (liste jointe au 30 septembre 2005).
L'objectif poursuivi est de mettre en place des stocks en France chez Arena, de mettre en place un réseau de distributeurs locaux dans le but de développer les ventes des produits Mepla-Alfit, de proposer un service plus grand à toutes les clientèles et d'asseoir l'image de Mepla-Alfit. Une charte de qualité (voir annexe) encadrera les relations ;
Le fonctionnement s'organisera au fur et à mesure des cas rencontrés et des situations particulières." ;
Que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 27 août 2010 (pièce n° 3 de l'intimée), la société Grass, venant aux droits de la société Mepla-Alfit, a informé la société Arena de sa "décision de mettre un terme à la coopération" avec cette dernière, ajoutant qu'elle avait "décidé de confier à la société Würth France la distribution" de ses produits en France, la résiliation du contrat devenant effective "à partir du 31.12.2010" ;
Que la présente action de la société Arena dirigée contre la société Grass et reprise par la Selarl Sarthe mandataire repose sur la reconnaissance du caractère abusif de cette résiliation ;
Sur l'opposabilité de la clause attributive de juridiction invoquée par la société Grass
Attendu que l'article 23-1 du règlement du Conseil n° 44-2001 du 22 décembre 2000 dit "Bruxelles I", applicable en l'espèce à la société française comme à la société autrichienne, dispose : "Si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un Etat membre, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un Etat membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet Etat membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée" ;
Attendu en l'espèce que la société Grass se prévaut d'une clause attributive de juridiction insérée dans ses conditions générales de vente libellée, dans sa version en langue française, comme suit : "Lieu d'exécution-juridiction compétente. Le lieu d'exécution est Höchst ou Darmstadt. La juridiction compétente pour tous les contrats conclus sur la base de ces CGVL, y compris la question de leur réalisation, ainsi que de leurs effets anticipés et différés est le tribunal objectivement compétent à Feldkirch ou Darmstadt.";
Mais attendu que s'agissant, ainsi qu'il vient d'être dit, d'un litige portant sur la rupture du contrat de distribution qui les liait, contrat dont les deux parties s'accordent à dire qu'il dépassait la simple addition de contrats particuliers de vente pour avoir organisé entre elles un véritable partenariat commercial, la clause attributive de juridiction qui pourrait être opposable à la société Arena doit avoir été acceptée par elle sans équivoque au moment de la formation de ce contrat ;
Or attendu que le contrat du 20 octobre 2005 ne porte pas mention d'une clause attributive de juridiction et ne fait pas même référence à l'existence de conditions générales de vente ;
Que si la charte de qualité, non datée ni signée, qui y est annexée (pièce n° 2 de l'intimée) indique au titre des obligations que les parties s'engageaient à observer celle de respecter "les conditions générales de vente", elle ne précise pas que ces conditions, non jointes, comportaient une clause attributive de juridiction donnant compétence aux juridictions autrichiennes pour connaître des litiges susceptibles de s'élever entre les parties à l'occasion de l'exécution de leur accord ;
Et attendu que l'on ignore le contenu exact des conditions générales de la société Mepla-Alfit, celles versées par la société Grass aux débats, datées du 25 juillet 2008, étant les siennes et non celles de son auteur ;
Qu'aucun élément ne permet, au surplus, d'établir avec certitude que les conditions générales de la société Mepla-Alfit aient jamais été portées à la connaissance de la société Arena et acceptées par elle, la mention "Nos conditions générales sont la base de nos relations que nous vous envoyons volontiers - pour autant que pas encore - non connu sur demande" qui figurait sur les confirmations de commande de la société Mepla-Alfit antérieures à la signature du contrat de distribution, laissant au contraire penser que ces conditions générales n'avaient pas spontanément été mises à la disposition de la société Arena ;
Attendu encore que le renvoi aux "conditions générales d'affaires de Alfit AG" apparaissant sur les documents commerciaux de la société Mepla-Alfit tels que les confirmations de commandes, les bons de livraison, les factures ou encore sur les courriels échangés avant la conclusion du contrat-cadre ou en application de celui-ci est encore insuffisant à établir que la société Arena ait eu connaissance de la clause attributive de juridiction et, de surcroît, l'ait acceptée pour le règlement de litiges ayant un objet plus large que la seule commande ou la livraison concernée par le document commercial ou le message électronique, étant observé que la mention "Gerichsstand Felkierch" qui a pu figurer en tête ou au pied des documents commerciaux ou des courriels par ailleurs entièrement rédigés en langue française, n'est pas suffisamment explicite pour que le destinataire puisse comprendre qu'il s'agissait-là de la juridiction qui serait nécessairement compétente en cas de conflit ;
Qu'il importe dès lors peu qu'aient pu apparaître au verso de certains de ces documents commerciaux, dont la communication en original est par suite inutile, les conditions générales de vente, parmi lesquelles une clause attributive de juridiction, qui plus est libellées seulement en langue allemande et, parfois, en langue anglaise ;
Attendu, enfin, que la circonstance que les principales sociétés concurrentes de la société Mepla-Alfit puis de la société Grass aient prévu dans leurs conditions générales de vente une clause attribuant aux juridictions autrichiennes la compétence pour régler les différends susceptibles de survenir à l'occasion de leurs relations d'affaires ne suffit pas à caractériser un usage dans la branche commerciale que la société Arena était censée connaître, la Selarl Sarthe mandataire relevant au contraire, à juste titre, que la société Mepla-Alfit elle-même, dans le contrat d'agent commercial qu'elle avait signé, le 4 mai 2004 (pièce n° 37 de l'intimée) avec la société S3D relatif au segment complémentaire de celui qui lui serait confié, l'année suivante, sur le territoire français avait stipulé "Tout litige relatif à la conclusion, l'exécution, l'interprétation et/ou la rupture du présent contrat seront de la compétence des Tribunaux de Bruxelles" et non de celle des tribunaux autrichiens ;
Attendu ainsi que la société Grass ne rapporte pas la preuve de ce qu'une clause attributive de compétence aux juridictions autrichiennes, répondant aux exigences de l'article 23 susvisé, a été convenue entre les parties au titre du contrat litigieux ;
Sur l'application de l'article 5-1 du règlement du Conseil n° 44-2001 du 22 décembre 2000
Attendu que le principe en droit européen comme en droit français est que le défendeur est attrait devant les juridictions de l'état où il a son domicile ;
Que c'est, en particulier, ce que rappellent les articles 2 et 3 du règlement du Conseil n° 44-2001 du 22 décembre 2000 ;
Attendu que les parties n'ont pas discuté le caractère contractuel de la responsabilité de la société Grass recherchée par la société Arena ;
Qu'en matière contractuelle, l'article 5 dudit règlement, encore applicable en l'espèce, prévoit :
"Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, dans un autre État membre :
1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ;
b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est :
- pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
- pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;
c) le point a) s'applique si le point b) ne s'applique pas ;"
Qu'il appartenait ainsi à la société Arena, demanderesse à la procédure, de démontrer qu'elle était fondée à attraire la société Grass devant les tribunaux français, et donc d'établir la compétence internationale de ceux-ci en application de ces dispositions ;
Attendu qu'il n'est pas sérieusement contesté par les parties que le contrat de distribution exclusive litigieux n'est ni un contrat de vente de marchandises ni un contrat de fourniture de services ;
Que dès lors, l'article 5-1 susvisé en son b) n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce ;
Attendu que la Selarl Sarthe mandataire soutient que le contrat liant la société Arena à la société Mepla-Alfit d'abord et la société Grass ensuite s'analyse, en revanche, en un mandat d'intérêt commun, chacune trouvant intérêt à l'essor de l'entreprise et à la création et au développement de la clientèle sur le territoire français ;
Mais attendu que la coopération de deux sociétés commerciales juridiquement et patrimonialement indépendantes l'une de l'autre, la première mettant au service de la seconde son entreprise pour assurer la distribution de ses produits sur un territoire déterminé et sous sa surveillance, en contrepartie du monopole de leur revente, ne caractérise pas l'existence d'un mandat, le distributeur demeurant maître et responsable de son entreprise et étant rémunéré par les bénéfices tirés de l'exploitation des produits de son fournisseur ;
Que tel est le cas en l'espèce, la société Arena, propriétaire des produits autrichiens qu'elle commandait et dont elle acquittait le prix pour les distribuer en France, ne justifiant pas avoir perdu son indépendance juridique et financière pour revêtir la qualité de mandataire de l'une puis de l'autre des deux sociétés autrichiennes ;
Qu'en conséquence, toute l'argumentation développée et la jurisprudence invoquée par l'intimée autour de la notion de mandat d'intérêt commun est inopérante ;
Attendu que s'agissant d'un contrat de distribution exclusive l'obligation qui sert de base à la demande de la société Arena reprise par la Selarl Sarthe mandataire est l'obligation qui pesait sur la société Grass, venant aux droits et obligations de la société Mepla-Alfit, et qui aurait été méconnue, soit ici l'obligation de confier à la société Arena l'exclusivité de la distribution de ses produits sur le territoire français, réserve étant seulement faite de la société S3D et de ses clients industriels limitativement énumérés dans une liste jointe au contrat ;
Qu'en application de l'article 5-1 susvisé en son a) il y a donc lieu de rechercher le lieu où cette obligation devait être exécutée pour déterminer la compétence internationale ;
Que cette recherche doit être faite à la lumière de la loi applicable au contrat ;
Et attendu que la clause d'electio juris, invoquée par la société Grass en faveur de la loi autrichienne, n'étant pas plus opposable à la société Arena que la clause attributive de juridiction, pour des motifs identiques à ceux développés ci-avant, il sera recouru aux dispositions de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ;
Attendu qu'en vertu de l'article 4-1° et 2° de cette Convention, en l'absence de choix par les parties, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits ; qu'est présumé présenter de tels liens, celui où le débiteur qui doit la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ;
Attendu que pour un contrat de distribution, il est de jurisprudence constante que la fourniture du produit est la prestation caractéristique ;
Que celle-ci émanant, en l'espèce, de la société autrichienne, ayant son siège social en Autriche, la loi autrichienne était donc applicable au contrat ;
Que dès lors le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande se détermine au regard de cette loi ;
Or attendu qu'il ressort de l'analyse d'une consultation juridique d'un avocat autrichien versée aux débats et non remise en cause par l'intimée (pièce n° 221 de l'appelante) que selon le droit autrichien, et plus particulièrement l'article 905 ABGB, le lieu d'exécution de toutes les obligations pesant sur la société Grass, en particulier son obligation de fourniture exclusive, était, au sens de cet article, le lieu d'établissement de cette société, soit Höchst, en Autriche ;
Qu'ainsi le tribunal compétent pour connaître du présent litige est-il nécessairement un tribunal autrichien ;
Attendu en définitive, que le Tribunal de commerce du Mans ayant retenu à tort sa compétence, son jugement sera infirmé de ce chef ;
Sur les demandes accessoires
Attendu que la société Arena représentée par la Selarl Sarthe mandataire ès qualités succombant en cause d'appel supportera les entiers dépens, sera condamnée à verser à la société Grass la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et sera déboutée de sa propre demande de ce chef ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Donne acte à la Selarl Sarthe mandataire prise en la personne de Me Boudevin de son intervention volontaire en sa qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Arena, Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a dit que la procédure n'était pas interrompue et a rejeté la demande formée par la société Grass aux fins d'obtenir la production par la société Arena des originaux des pièces n° 9 à 32 produites par elle en copie, Et statuant à nouveau des chefs infirmés, Dit que les juridictions françaises, et en particulier le Tribunal de commerce du Mans, ne sont pas compétentes pour connaître du litige opposant la société Arena représentée par la Selarl Sarthe mandataire prise en la personne de Me Boudevin ès qualités et la société Grass GmbH venant aux droits de la société Mepla-Alfit, En conséquence, Renvoie les parties à mieux se pourvoir, Condamne la société Arena représentée par la Selarl Sarthe mandataire ès qualités aux dépens, qui seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire et recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, La Condamne ainsi représentée à payer à la société Grass GmbH la somme de quatre mille euros (4 000 euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.