CA Angers, ch. civ. A, 15 avril 2014, n° 12-02459
ANGERS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Confédération de la Consommation du Logement et du Cadre de Vie
Défendeur :
Giboire (SA), Chalmin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hubert
Conseillers :
Mmes Grua, Monge
Avocats :
Mes Chatteleyn, Nguyen, Langlois, Nadreau
FAITS ET PROCÉDURE
Selon un acte sous-seing privé régularisé le 12 mars 2004 par l'intermédiaire de la société Alet immobilier, mandataire de M. Benoît Chalmin, les époux Lacorte ont pris à bail un logement situé à Saint-Malo (35) moyennant le paiement d'un loyer mensuel de 535 euros et de 2 euros de frais de correspondance.
Par un acte d'huissier délivré le 12 décembre 2006, les époux Lacorte ont fait assigner M. Benoît Chalmin et la société Alet immobilier en paiement de diverses sommes et annulation de la clause stipulant des frais de délivrance de quittances.
La Confédération de la Consommation du Logement et du Cadre de Vie de Saint-Malo (CLCV de Saint-Malo) est intervenue volontairement à l'instance et a demandé de déclarer illicite la clause relative à ces frais de délivrance.
Statuant sur ces demandes, par un jugement du 1er juillet 2008, le Tribunal d'instance de Saint-Malo a, notamment, déclaré recevable l'intervention de la CLCV mais l'a déboutée de ses demandes et condamnée au paiement d'une indemnité de procédure en faveur de M. Benoît Chalmin et de la société Alet immobilier.
Statuant sur appel des époux Lacorte et de la CLCV de Saint-Malo par un arrêt rendu le 25 novembre 2010, la Cour d'appel de Rennes a, notamment, infirmé le jugement en ce qu'il déclare recevable l'intervention volontaire de la CLCV de Saint-Malo et il a déclaré irrecevables les prétentions émises au nom de la CLCV nationale.
Statuant sur le pourvoi formé par la CLCV de Saint-Malo et la CLCV nationale, par un arrêt rendu le 12 juin 2012, la Cour de cassation, posant le principe selon lequel le mandat d'agir en justice, distinct du mandat de représentation, permet au mandataire de se substituer à un tiers lorsque la loi ou la convention n'en dispose autrement, a reproché à la cour d'appel d'avoir violé l'article 1994 du Code civil par fausse application, et l'article 414 du Code de procédure civile, par refus d'application, lorsqu'elle a retenu, pour dire irrecevables les prétentions formées au nom de la CLCV nationale par la CLCV de Saint-Malo, que la seconde a été, par la présidente de la première, investie pour agir au terme d'une subdélégation non prévue par le mandat que cette dernière avait reçu du bureau, aucun texte spécial n'habilitant par ailleurs une union locale de consommateurs à représenter l'Union nationale devant une juridiction.
La CLCV nationale et la CLCV de Saint-Malo ont saisi notre cour, désignée cour de renvoi, selon une déclaration reçue au greffe le 12 juin 2012.
Les parties ont conclu, à l'exception de M. Benoît Chalmin, qui n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 30 janvier 2014.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Les dernières conclusions, déposées les 20 janvier 2014 par les appelantes, 24 janvier 2014 par l'intimée, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.
La CLCV nationale et la CLCV de Saint-Malo demandent de dire la CLCV de Saint-Malo agissant en qualité de mandataire de la CLCV nationale, recevable et fondée en son appel et ses demandes, infirmer le jugement, sauf en ce qu'il déclare son intervention recevable, condamner la société intimée au paiement de 15 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'atteinte à l'intérêt collectif des consommateurs, sur le fondement des articles 1382 du Code civil, L. 421-2 et suivants et L. 421-7 et suivants du Code de la consommation, la déclarer recevable et fondée en ses demandes, sur le fondement de l'article L. 421-9 du Code de la consommation, de publication et d'affichage, condamner la société intimée au paiement d'une indemnité de procédure de 5 000 euros.
Elles prétendent que la CLCV de Saint-Malo agissait bien en qualité de mandataire de la CLCV nationale, ce que le tribunal a constaté, d'autant qu'elle justifiait du pouvoir donné le 12 janvier 2007 de la représenter en justice, et considèrent son intervention recevable, d'autant qu'elle est l'une des composantes de sa mandante et que l'objet statutaire de celle-ci est la défense des intérêts individuels et collectifs de ses membres, des consommateurs usagers.
Elles font valoir qu'il importe peu que les époux Lacorte n'aient subi aucun préjudice, celui-ci ne se confondant pas avec l'intérêt collectif des consommateurs ; que c'est bien l'agent immobilier qui facturait les envois de quittance aux locataires, en méconnaissance des dispositions légales, et que du seul fait de l'insertion d'une clause relative à ces facturations dans un bail, le professionnel a porté atteinte à l'intérêt collectif des consommateurs et elles s'estiment fondées en leur demande de dommages et intérêts pour atteinte à cet intérêt collectif.
La société Giboire, aux droits de la société Giboire Emeraude, elle-même aux droits de la société Alet immobilier, demande de dire et juger la CLCV de Saint-Malo irrecevable en son intervention pour défaut d'intérêt à agir, à titre subsidiaire, non fondée en ses demandes, la débouter de l'ensemble de ses demandes, sauf à réduire sa demande indemnitaire et le coût de publicité à une somme de principe, dans tous les cas, la condamner au paiement d'une indemnité de procédure de 5 000 euros.
Elle prétend qu'en première instance, l'appelante est intervenue sans indiquer sa qualité de mandataire de la CLCV nationale et considère que le jugement doit être infirmé de ce chef, d'autant que ce jugement a été infirmé par l'arrêt de la cour de Rennes qui n'est pas atteint de cassation de ce chef, le premier moyen de cassation ayant été écarté, et qui est définitif.
Elle soutient que si l'appelante a mandat d'agir au nom de la CLCV nationale, son intérêt à agir fait défaut, le litige opposant M. Benoît Chalmin aux époux Lacorte n'intéressant pas les consommateurs. Elle ajoute que l'appelante ne justifie d'aucun préjudice, les époux Lacorte ayant été déclarés irrecevables en leur demande de restitution de frais de quittance, faute de chiffrage.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il est de principe, énoncé à l'article 624 du Code de procédure civile, que la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf le cas d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire. Toutes les parties de la décision qui n'ont pas été attaquées par le pourvoi subsistent donc en principe comme passées en force de chose jugée.
Il est certain que l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes est passé en force de chose jugée en ce qu'il infirme le jugement ayant déclaré recevable l'intervention de la CLCV de Saint-Malo, la Cour de cassation ayant rejeté le moyen tiré de sa recevabilité. Il n'y a donc pas lieu de statuer de ce chef.
Devant notre cour, il n'est pas contesté que la CLCV de Saint-Malo intervient en qualité de mandataire de la CLCV nationale, qui intervient également, sa qualité pour agir n'étant pas contestée, mais son intérêt à agir.
Si l'action est ouverte, aux termes de l'article 31 du Code de procédure civile, à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, l'article L. 421-1 du Code de la consommation permet aux associations de consommateurs agréées à cette fin d'exercer l'action civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs, la généralité de ce texte n'excluant aucune infraction dès lors que celle-ci cause un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs.
Ces consommateurs ayant intérêt à voir cesser des agissements illicites ou supprimer dans le contrat ou le type de contrat proposé une clause illicite, l'appelante a donc bien intérêt à intervenir et demander toute mesure destinée à faire cesser ces agissements ou supprimer une clause illicite, la demande initiale des époux Lacorte ayant d'ailleurs pour objet la restitution des sommes indûment perçues en application de cette clause. Son intervention est donc recevable.
Le tribunal, dont la décision a force de chose jugée, a annulé la clause du bail relative à la perception de frais de quittance intervenu entre l'intimée et les époux Lacorte. Si la demande de restitution de ceux-ci, non chiffrée, a été déclarée irrecevable, il ne peut être contesté qu'ils ont subi un préjudice du fait des agissements de l'intimée et il importe peu qu'ils se soient désistés de leur appel.
L'association qui agit en justice pour obtenir réparation doit démontrer qu'elle a subi un préjudice personnel, direct et certain.
L'intimée ne conteste pas qu'elle avait pour habitude d'insérer la clause annulée dans ses contrats, l'appelante étant d'ailleurs intervenue dans des procédures l'opposant à des consommateurs et qui ont donné lieu à des jugements déclarant nulle ladite clause (pièces n° 29, 32 et 33). Il y a donc dommage causé à la collectivité des consommateurs et l'appelante subit un préjudice du fait d'être intervenue pour obtenir le remboursement des frais versés par des consommateurs victimes des pratiques illicites de l'intimée. En conséquence, infirmant le jugement, une somme de 5 000 euros lui sera allouée.
L'appelante a demandé la publication dans deux journaux et l'affichage dans ses locaux mais elle n'a pas précisé l'objet de ces publications et affichage. Cependant, elle a visé l'article L. 421-9 du Code de la consommation, relatif à la diffusion de la décision, dans le dispositif de ses conclusions. Il convient, en conséquence de faire droit à ces demandes.
La société Giboire qui succombe sera condamnée au paiement des dépens d'appel et d'une indemnité de 4 000 euros en faveur de l'appelante.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement par arrêt rendu par défaut ; Constate que l'arrêt rendu le 25 novembre 2010 par la Cour d'appel de Rennes a force de chose jugée en ce qu'il infirme le jugement ayant déclaré recevable l'intervention de la CLCV de Saint-Malo ; Dit n'y avoir lieu de statuer de ce chef ; Infirme le jugement déféré, uniquement en ce qu'il déboute la CLCV de Saint-Malo de l'ensemble de ses demandes, laisse les dépens de son intervention à sa charge et la condamne au paiement d'une indemnité de procédure en faveur de M. Benoît Chalmin et de la société Alet immobilier ; Statuant à nouveau ; Constate l'intervention de la CLCV de Saint-Malo en qualité de mandataire de la CLCV nationale et de la CLCV nationale ; Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la CLCV de Saint-Malo ; Déclare son intervention recevable et fondée ; Condamne la société Giboire, aux droits de la société Giboire Emeraude, elle-même aux droits de la société Alet immobilier gestion location, à payer à la CLCV de Saint-Malo une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ; Ordonne la diffusion de l'information au public de la présente décision par : - publication dans le journal Ouest France, édition régionale, le journal Le Pays Malouins et dans un journal de consommateurs, - affichage de façon apparente dans les locaux de la société Giboire, ses agences ou filiales ; Dit que cette diffusion se fera aux frais de la société Giboire et ne pourra excéder un coût de 1 000 euros par publication ou affichage ; Condamne la société Giboire au paiement des dépens de l'intervention de la CLCV de Saint-Malo en première instance, des entiers dépens d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, et d'une indemnité de 4 000 euros en faveur de la CLCV de Saint-Malo.