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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 15 avril 2014, n° 12-05938

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Royer Sport (SAS), Converse Inc. (Sté), All Star CV (Sté)

Défendeur :

Auchan France (SA), Sport Concept (SAS), CBS Diffusion (Sté), Fourtet (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poumarède

Conseillers :

Mmes André, Denoual

Avocats :

Mes Demidoff, Bloret-Pucci, Le Couls-Bouvet, Guin, Renaudin, Billet

TGI Nantes, du 7 juin 2012

7 juin 2012

EXPOSÉ DU LITIGE

Informée d'une opération promotionnelle organisée par les magasins Auchan du 2 au 8 avril 2008 portant notamment sur la vente de chaussures de marque Converse au prix de 39,99 euros la paire, la société Royer Sport, licencié exclusif pour la France des marques Converse dont la marque française Converse All Star Chuck Taylor (ci-après Converse) et distributeur exclusif en France des chaussures de cette marque, a fait constater par huissier de justice, le 5 avril 2008, l'achat dans le magasin à l'enseigne Auchan de Saint Sébastien sur Loire (44) de trois paires de chaussures de marque Converse portant la référence S48.

Elle a, le 9 juillet 2008, fait pratiquer dans le même magasin une saisie-contrefaçon à l'occasion de laquelle l'huissier a procédé à l'acquisition de cinq paires de chaussures Converse dont deux paires ne sont pas reconnues par la société Converse comme fabriquées sous son contrôle et deux autres portent également la référence S48.

Le 6 août 2008, la société Royer Sport a fait assigner la société Auchan France devant le Tribunal de grande instance de Nantes en contrefaçon de marques sur le fondement des articles L. 713-2, L. 713-3, L. 713-4 et L. 716-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Le 25 août 2009, la société Converse Inc. est intervenue volontairement à la procédure.

Par jugement du 7 juin 2012, le Tribunal de grande instance de Nantes a débouté la société Royer Sport et la société Converse Inc. de leurs actions en contrefaçon et de l'ensemble de leurs demandes et les a condamnés à payer une somme de 10 000 euros à la société Auchan France sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les sociétés Royer Sport et Converse Inc. ont régulièrement relevé appel de ce jugement. La société All Star CV, société de droit néerlandais venant aux droits de la société Converse Inc., est intervenue volontairement à la procédure.

La société Auchan France ayant, le 15 mars 2012, assigné en garantie la société CBS Diffusion ainsi que M. Christian Fourtet ès qualités de mandataire judiciaire de cette société alors en redressement judiciaire, le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Nantes a, par ordonnance du 14 février 2013, constaté la connexité de cette instance avec celle enrôlée devant la cour d'appel et ordonné le dessaisissement du tribunal de grande instance au profit de celle-ci. Les procédures ont été jointes le 15 mars 2013.

La société Auchan France ayant également, le 7 mars 2012, assigné en garantie la SAS Sport Concept, le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Nantes a, par ordonnance du 11 avril 2013, constaté la connexité de cette instance avec celle enrôlée devant la cour d'appel et ordonné le dessaisissement du tribunal de grande instance au profit de celle-ci. Les procédures ont été jointes le 4 juin 2013.

La liquidation judiciaire de la société CBS Diffusion ayant été prononcée, la société Auchan France a appelé en intervention Me Fourtet ès qualités de liquidateur de cette société, le 26 novembre 2013.

A la demande conjointe des parties, la date de l'ordonnance de clôture a été reportée à l'ouverture de l'audience le 17 décembre 2013, celles-ci étant de surcroît autorisées à déposer des notes en délibéré sur le point portant sur le risque de cloisonnement des marchés nationaux. Les sociétés All Star CV et Royer Sports ont déposé une note en délibéré le 13 janvier 2014 et la société Auchan le 14 février 2014.

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 13 décembre 2013, les sociétés All Star CV et Royer Sport demandent à la cour, vu les articles L. 713-2, L. 713-3, L. 713-4, L. 716-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle et 1382 du Code civil, de :

- réformer le jugement rendu le 7 juin 2012, en toutes ses dispositions ;

- donner acte à la société All Star CV de son intervention volontaire et la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes en sa qualité de cessionnaire dûment inscrit des marques françaises n° 1 356 944, 1 450 850 et 1 595 329 ;

- constater la parfaite validité du procès-verbal de constat dressé par Me Philippe Gobert, huissier de Justice, le 5 avril 2008 ;

- constater que les sociétés All Star CV, venant aux droits de Converse Inc., et Royer Sport invoquent un usage non autorisé des marques Converse par la société Auchan France, et donc une violation des articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 716-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle ;

- constater que l'atteinte ainsi alléguée constitue un fait juridique dont la preuve peut être administrée par tout moyen et n'est nullement soumise à une exigence d'impartialité qui ne concerne que la preuve littérale, et qu'en conséquence cette preuve peut résulter de simples présomptions de fait même fondées sur les déclarations des appelantes elles-mêmes, dès lors qu'elles sont propres à entraîner l'intime conviction du juge ;

- constater que les appelantes présentent, au soutien de leurs prétentions, un faisceau d'indices dont elles soutiennent qu'il est de nature, non seulement à satisfaire à la charge de l'allégation de faits concluants concernant l'usage non autorisé de ses marques, mais encore à établir, à titre de preuve, et dans la mesure de l'appréciation souveraine de la cour, un tel fait juridique ;

- dire et juger, en premier lieu et pour ce qui concerne les paires de chaussures produites sous les n° 21 et n° 23, que les appelantes invoquent, pour établir le défaut d'autorisation de l'usage des marques Converse, plusieurs circonstances de faits tangibles, sérieuses et concordantes d'où il résulte qu'à l'évidence, ni la consistance des produits ni les conditions de leur acquisition n'accréditent la possibilité d'une autorisation donnée par le titulaire de la marque ; qu'en effet la non-conformité flagrante des produits par rapport aux normes habituelles est de nature à susciter une suspicion de faux qui ne peut que conduire la cour, dans son appréciation souveraine, à juger qu'elle est déjà en soi incompatible avec la possibilité d'une autorisation de commercialisation ; qu'au surplus et en tout état de cause, l'absence de toute justification par l'intimée d'une quelconque acquisition des produits auprès d'un des membres du réseau de distribution de Converse, seul autorisé à procéder à une première commercialisation sous les marques, prive cette intimée de la possibilité de se prévaloir de l'autorisation tacite généralement déduite du principe de la liberté, du commerce et de l'industrie ; que, dès lors, dans la mesure où l'intimée, ni n'a la qualité de licencié ou de distributeur exclusif, ni n'établit s'être fournie auprès de tel licencié ou distributeur, les produits qu'elle commercialise sous les marques Converse se situent nécessairement hors du champ des autorisations susceptibles d'être données par le titulaire des marques ;

- dire et juger en conséquence, que l'usage illicite de marques est constitué dans tous ces éléments et suffit à justifier une condamnation au titre de la contrefaçon ;

- dire et juger, en second lieu et pour ce qui concerne les paires de chaussures produites sous les n° 5 a), n° 5 b), n° 5 c), n° 32 bis et n° 33, que les appelantes invoquent, pour établir le défaut d'autorisation du titulaire des marques Converse à la première mise en circulation intra-communautaire des paires de chaussures concernées, d'autres circonstances de faits tangibles, sérieuses et concordantes d'où il résulte ce consentement nécessaire du titulaire de la marque fait défaut ; qu'en tout état de cause, l'absence de toute justification par l'intimée d'une quelconque acquisition des produits auprès d'un des membres du réseau de distribution de Converse, seul autorisé à procéder à une première commercialisation sous les marques, prive encore cette intimée de la possibilité de se prévaloir de l'autorisation tacite généralement déduite du principe de la liberté, du commerce et de l'industrie ; que, dès lors, dans la mesure où l'intimée, ni n'a la qualité de licencié ou de distributeur exclusif, ni n'établit s'être fournie auprès de tel licencié ou distributeur, les produits qu'elle commercialise sous les marques Converse se situent nécessairement hors du champ des autorisations susceptibles d'être données par le titulaire des marques ;

- dire et juger en conséquence, que l'usage illicite de marques est constitué dans tous ces éléments et suffit à justifier une condamnation au titre de la contrefaçon ;

A titre subsidiaire, à supposer que, par extraordinaire, la cour juge que le défaut d'autorisation du titulaire des marques Converse à la première commercialisation intra-communautaire des chaussures produites sous n° 5 a), n° 5 b), n° 5 c), n° 32 bis et n° 33, n'est pas établi, se pose encore la question de la charge de la preuve de cette commercialisation intra-communautaire ;

- constater que l'intimée, qui ne peut se soustraire à une telle charge qu'à condition d'établir, ainsi que la CJCE l'a dit pour droit, un risque réel de cloisonnement, ne peut s'acquitter de la preuve préalable d'un tel risque en se bornant à invoquer simplement l'existence d'un réseau de distribution exclusive ;

- dire et juger en conséquence qu'à défaut d'établir un risque réel de cloisonnement, il appartient à l'intimée de démontrer une première commercialisation des produits litigieux dans l'Espace Economique Européen par Converse ou avec son consentement ;

- constater que l'intimée n'a pas prouvé, ni même offert de prouver sérieusement une telle commercialisation ;

- dire et juger en conséquence que l'intimée ne peut échapper à la responsabilité encourue du fait des actes d'usage illicite qu'elles ont commis ;

En conséquence,

- condamner la société Auchan France à verser à la société All Star CV, à titre provisionnel, une somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de l'atteinte portée à ses droits sur les marques Converse All Star Chuck Taylor n° 1 356 944, Converse n° 1 450 850 et All Star n° 1 595 329 ;

- condamner la société Auchan France à verser à la société Royer Sport, à titre provisionnel, une somme de 300 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice commercial sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;

- ordonner à la société Auchan France de produire, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, tous documents ou informations permettant de déterminer l'origine et le réseau de distribution des chaussures marquées "Converse" qu'elle a proposées à la vente et vendues dans le cadre dans le cadre de l'opération promotionnelle "Les Scoops Auchan n° 2" qui s'est déroulée du 2 au 8 avril 2008, et notamment les noms et adresses de ses fournisseurs, les quantités achetées et vendues et leur prix d'achat ;

- faire interdiction à la société Auchan France de poursuivre l'usage non autorisé des marques Converse All Star Chuck Taylor n° 1 356 944, Converse n° 1 450 850 et All Star n° 1 595 329, et plus généralement de toutes marques Converse, pour commercialiser des chaussures de sport, ou plus généralement tout autre équipement ou accessoire de sport, sous astreinte de 1 000 euros par usage constaté à compter du prononcé du jugement à intervenir ;

- dire que la cour de céans se réserve la compétence de liquider lesdites astreintes en application de l'article 33 de la loi du 9 juillet 1991 ;

- ordonner, à titre de réparation complémentaire, la publication judiciaire de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux au choix des sociétés All Star CV et Royer Sport et aux frais exclusifs de la société Auchan France, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 10 000 euros hors taxes, ainsi que, pendant une période de 15 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, en page d'accueil de son site internet www.auchan.fr, en haute de cette page d'accueil et en caractère Time New Roman de taille 12, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

- condamner la société Auchan France à payer à chacune des sociétés All Star CV et Royer Sport une somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Auchan France aux dépens et au remboursement des frais de constat et de saisie-contrefaçon exposés en l'espèce par les appelantes.

En réponse, la société Auchan France a déposé le 13 décembre 2013 des conclusions demandant à la cour, sur le fondement des articles 9 et 16 du Code de procédure civile, l'article 1353 du Code civil, l'article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle, l'article 13 du Règlement (CE) numéro 207-2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire relatif à l'épuisement du droit conféré par la marque, et l'article 7 de la directive CE n° 2008-95 sur les marques et de l'arrêt Van Doren de la Cour de justice de l'Union européenne du 8 avril 2003, de :

A titre principal

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Converse, la société Royer Sport de l'ensemble de leurs demandes,

- débouter la société All Star de l'ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire

- dire et juger que la société Auchan France rapporte la preuve que les produits de marque Converse sont commercialisés dans l'Espace Economique Européen, par le biais d'un système de distribution exclusive, qui présente par nature un risque de cloisonnement des marchés, ainsi que l'a notamment souligné la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt Van Doren (Affaire C-244-00) mais également la Commission européenne dans les Lignes Directrices sur les restrictions verticales (2010-C 130-01), et qu'au surplus le contrat de licence versé aux débats n'autorise même pas de ventes passives par la société Royer Sport en dehors de son territoire exclusif (la France) ;

- dire et juger que la Cour de justice de l'Union européenne n'a pas soumis l'aménagement de la charge de la preuve de l'épuisement des droits à la preuve d'un cloisonnement absolu des marchés nationaux, mais à un risque réel de cloisonnement dans l'hypothèse où le titulaire pourrait utiliser une action en justice en justice pour identifier et tarir des sources d'approvisionnement et cloisonner effectivement les marchés nationaux,

- constater la mise en œuvre par les demanderesses d'un système de distribution présentant un risque réel de cloisonnement des marchés, au sens de l'arrêt Van Doren du 8 avril 2003 de la Cour de justice de l'Union européenne,

- constater que les sociétés Converse Inc. et All Star CV n'ont versé aux débats aucun élément probant et qui ne repose pas sur leur seules affirmations, ou sur celles de personnes leur sont liées économiquement pour prétendre justifier des non-conformités alléguées des produits dont la vente est reprochée aux défenderesses,

- dire et juger que les sociétés Converse Inc. et All Star CV et Royer Sport ne sont pas fondées à justifier de cette carence par leur secret de fabrication pour des "indices de non-conformité", tels que par exemple, le test du stylo laser, qui ne sont, de leur propre aveu, plus utilisés depuis plusieurs années, ou qui sont non confidentiel (emplacement étiquette qui peut être relevé par tout un chacun) sur les produits en vente par les sociétés Converse elles-mêmes ;

- dire et juger qu'il est rapporté la preuve par les défenderesses de l'absence de fiabilité du test dit du stylo laser, et que les demanderesses ne versent aux débats aucune pièce prouvant au contraire sa fiabilité,

- dire et juger qu'il est rapporté la preuve par les défenderesses ne conteste pas l'absence de fiabilité du test dit du stylo laser constatée par le TGI de Paris, dans l'affaire ayant donné lieu au jugement rendu le 28 juin 2013,

- dire et juger que les constatations faites par Maître Le Marec ne sauraient rapporter la preuve des non conformités alléguées, compte tenu des interrogations appelées par le contenu de ces constats, leurs insuffisances et leur contradictions, et faute que les pièces mises à la disposition de l'huissier puisse faire l'objet d'un débat contradictoire,

- dire et juger que les chaussures présentées comme authentiques versées aux débats ne peuvent constituer un référentiel pertinent pour l'appréciation des non-conformités alléguées des produits, à défaut de production aux débats des échantillons étalons conservés par les usines de fabrication, et compte tenu de la preuve rapportée par les défenderesses de la mise sur le marché avec le consentement du titulaire de la marque de produits dont la qualité n'est pas homogène,

- dire et juger que les attestations des sous-traitants de Converse ne sauraient rapporter la preuve des non-conformités alléguées, compte tenu des liens économiques liant ses sous-traitants à Converse, des incohérences relevées sur la réalité des fonctions des personnes concernées, et à défaut que leurs déclarations relatives à des faits anciens soient étayées de pièces justificatives auxquelles elles se seraient référées,

- dire et juger que dès lors que les sociétés Converse Inc. et All Star CV et Royer Sport allèguent que la société Auchan France commercialise des produits non authentiques, c'est-à-dire fabriqués et mis sur le marché sans leur consentement, il leur appartenait d'en rapporter la preuve, et que cette preuve n'a donc pas été rapportée, et que n'a pas été rapportée non plus la preuve de faits constituant des présomptions graves précises et concordantes, compte tenu notamment des pièces versées aux débats par la société Auchan France et contredisant les allégations des sociétés Converse, Alll Star CV et Royer Sport,

- dire et juger que les demanderesses n'ont pas rapporté la preuve de la vente par la société Auchan France de produits qui auraient été mis sur le marché par le titulaire de la marque en dehors de l'Espace Economique Européen, au regard du fait notamment que la société Auchan France a fait constater la vente de produits comportant un Code S48, par la société Aaron qui fait partie du réseau officiel des détaillants des sociétés Converse et Royer Sport, et qui est mentionnée sur le site Internet de Converse, et à l'encontre de laquelle aucune action en justice n'a été engagée ;

- dire et juger qu'au regard de la carence des sociétés Converse et All Star CV et Royer Sport dans la preuve préalable qu'il leur incombait d'apporter, elles ne sont pas fondées à reprocher aux défenderesses de ne pas justifier de la mise sur le marché des produits par le titulaire de la marque ou avec son consentement dans l'Espace Economique Européen et que leur critiques à l'encontre du procès-verbal de constat versées aux débats par la société Sport Concept sont donc inopérantes,

A titre infiniment subsidiaire

- constater que les demanderesses ne justifient pas que les dommages et intérêts sollicités correspondraient à un préjudice réellement subi, et les débouter de toutes leurs demandes, y compris celles relatives à la publication et aux mesures d'interdiction sollicitées et de demande de communication de pièces,

- dire et juger que l'indemnisation sollicitée ne pourrait porter que sur les chaussures dont le caractère contrefaisant serait établi, et non pas sur d'autres chaussures de marque Converse commercialisées par la concluante et dont le caractère contrefaisant ne serait pas établi,

- dire et juger que la société Sport Concept devra garantir la société Auchan France contre toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre pour les chaussures en cause qu'elle lui a livrées,

- condamner la société Sport Concept à verser à la société Auchan France la somme 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,

- dire et juger que la société CBS Diffusion devra garantir la société Auchan France contre toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre pour les chaussures en cause qu'elle lui a livrées,

- fixer la créance de la société Auchan France au passif de la liquidation judiciaire de la société CBS Diffusion au montant des condamnations prononcées à son encontre,

- fixer la créance de la société Auchan France au passif de la liquidation judiciaire de la société CBS Diffusion à la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l' article 699 du Code de procédure civile,

En toute hypothèse :

- débouter les sociétés appelantes de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- les condamner au paiement d'une somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La société Sport Concept, s'associant aux moyens développés par la société Auchan France, conclut également au débouté de la société Royer Sport et de la société Converse Inc. de l'ensemble de leurs demandes et à leur condamnation au paiement d'une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur l'appel en garantie dirigée contre elle par la société Auchan France sur la base de deux factures des 5 et 25 mars 2008 portant les références IP626, M9166, M9697 et M9622, elle conclut au débouté de la société Auchan France et à sa condamnation au paiement d'une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre les dépens.

Elle verse aux débats un procès-verbal de constat en date du 25 mars 2008 établi à la demande de son fournisseur, par Me Pasquin Lucchini, huissier de justice à Saint-Denis, qui constate que lui a été présentée une facture émise par un licencié officiel Converse implanté en Europe au profit d'une société européenne, facture portant sur 39 855 paires de chaussures comportant notamment les références IP626, M9166, M9697 et M9622, ainsi que la facture concernant les mêmes marchandises émise par cet acquéreur au profit d'un tiers, les indications afférentes à l'identité des différentes parties ayant été masquées.

Le liquidateur de la société CBS Diffusion n'a pas constitué avocat.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour les sociétés appelantes le 13 décembre 2013, pour la société Auchan France le 13 décembre 2013 et pour la société Sport Concept le 25 novembre 2013.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Les sociétés Converse se prévalent, pour caractériser des actes de contrefaçon commis par la société Auchan France par usage non autorisé de leurs marques, des constatations effectuées sur sept des huit paires de chaussures de marque Converse acquises dans le magasin Auchan de Saint Sébastien sur Loire, soit sous le contrôle d'un huissier de justice le 5 avril 2008, soit dans le cadre de la procédure de saisie-contrefaçon le 9 juillet 2008.

Les intimées contestent la valeur probante du constat d'huissier établi par Me Gobert le 5 avril 2008 au motif que celui-ci n'était pas présent dans le magasin Auchan ou à portée de vue des caisses de ce magasin mais était resté sur la voie publique de sorte qu'il n'a pas constaté personnellement l'achat, par le préposé de la société Royer Sport, des trois paires de chaussures présentées comme acquises à cette date.

Mais, d'une part, il n'est pas contesté que le magasin Auchan vendait, à la date du constat, des chaussures de marque Converse des mêmes modèles que celles dont l'achat a été constaté par Me Gobert. D'autre part, l'huissier a constaté que l'acheteur des chaussures, entré à 10 heures dans le magasin sans être porteur d'un sac apparent ou dissimulé, a obtenu du magasin Auchan, à 10 heures 15, un ticket de caisse portant les références de l'achat litigieux puis la facture correspondante, avant de le rejoindre à 10 heures 20 à proximité du lieu de vente et de lui remettre ses acquisitions accompagnées du ticket de caisse et de la facture qu'il venait d'obtenir.

Ces constatations, non démenties par aucune circonstance de fait susceptible d'en contrarier la valeur probante telle l'existence à proximité d'un autre point de vente offrant des marchandises similaires, suffisent à établir que les chaussures litigieuses ne pouvaient provenir que du magasin Auchan de Saint Sébastien sur Loire.

Il en résulte que les faits reprochés à la société Auchan reposent sur les constatations opérées sur un échantillon de huit paires de chaussures Converse comportant ;

- une paire de chaussures reconnue authentique et d'importation licite ;

- cinq paires de chaussures authentiques mais qui proviendraient selon les sociétés appelantes d'importations parallèles non autorisées ;

- deux paires de chaussures qui n'auraient pas été fabriquées à la demande de la société titulaire de la marque et sous son contrôle.

1° Sur le grief d'absence d'authenticité des chaussures de modèle SKU M3310 et SKU 9622

L'autorisation de mise sur le marché dans l'Espace économique européen invoqué comme moyen de défense par les sociétés Auchan et Sport Concept ne pouvant concerner que des chaussures dont la fabrication par des contrefacteurs n'est pas démontrée, il convient dans un premier temps d'examiner le grief portant sur l'absence d'authenticité des deux paires de chaussures acquises le 9 juillet 2008, l'une modèle SKU M3310 référence 9Z0706K63 fournie par la société CBS Diffusion qui en a facturé 30 paires au magasin de Saint Sébastien sur Loire et l'autre modèle SKU M9622 référence 7K0712Z39 fournie par la société Sport Concept qui en a facturé 3 123 paires au réseau Auchan.

S'agissant d'un fait juridique, la preuve de la contrefaçon est libre mais incombe à la partie qui l'allègue.

Les sociétés appelantes soutiennent que ni la consistance de ces produits, ni les conditions de leur acquisition n'accréditent la possibilité d'une autorisation donnée par le titulaire de la marque au motif que leur non-conformité flagrante par rapport aux normes habituelles est de nature à susciter une suspicion de faux en soi incompatible avec la possibilité d'une autorisation de commercialisation.

Cependant, elles ne développent plus devant la cour le moyen tiré des différences affectant les deux paires de chaussures litigieuses par rapport à d'autres chaussures du même modèle présentées comme authentiques, leur adversaire ayant démontré que ces éléments de comparaison n'étaient pas pertinents, des modèles identiques invoqués par elles devant d'autres juridictions comme authentiques revêtant les mêmes caractéristiques que celles dénoncées, de sorte que les variantes en cause révèlent seulement l'absence d'homogénéité des chaussures commercialisées sous la marque Converse.

Ainsi les sociétés All Star CV et Royer Sport précisent dans leurs écritures qu'elles ne se fondent pas sur la police des caractères utilisés sur les étiquettes, ni sur l'apparence des patchs latéraux présents sur les chaussures, ni encore sur celle de la semelle des dites chaussures. Elles concentrent dorénavant leur argumentation sur le code qualifié de fantaisiste porté sur l'étiquette thermocollée appliquée sur la face interne de la languette de chacune des chaussures, sur le positionnement inadéquat de cette étiquette au regard de la charte de fabrication des modèles et sur l'absence de réaction au stylo laser de l'étoile y figurant.

Selon, les sociétés All Star CV et Royer Sport, le code 7K identifie l'usine chinoise de Fuqing Hong Fu Footwear Ltd tandis que le code 9Z correspond au site de production Vinh Long Footwear Co Ltd au Vietnam, lesquels n'auraient pas fabriqué les modèles en cause à la date indiquée par la codification pour le licencié Z39 d'une part, et K63 d'autre part.

Pour étayer leurs affirmations, elles produisent deux attestations dactylographiées - à l'exception de l'avertissement portant sur les peines encourues en cas de faux témoignage - attribuées à Mme Wu Chang Hou se présentant comme "Business Manager", d'une part, et à M. Tsao-Kang Chen se présentant comme "Général Manager" d'autre part, reprochant aux premiers juges de ne pas avoir retenu comme probants ces documents.

Mais s'il est exact que pour établir la preuve d'un fait juridique, une partie peut se prévaloir de toute attestation, même émanant d'un tiers sous sa subordination ou sa dépendance économique, il n'en incombe pas moins au juge de vérifier concrètement la valeur probante qui en résulte, au regard notamment de son caractère personnel, spontané, circonstancié, des constatations que le rédacteur affirme et justifie avoir lui-même effectuées, des précisions qu'il donne et des documents qu'il joint, tous éléments de nature à permettre d'apprécier la sincérité du témoignage mais aussi éventuellement d'en démontrer le caractère inexact ou incohérent.

En l'occurrence, les deux attestations invoquées ont bizarrement été établies à la même date, le 13 avril 2011, par deux rédacteurs dont l'un déclarait se trouver à Zhong Shan en Chine et l'autre "au Vietnam" sans autre précision.

Elles sont rédigées selon un modèle dactylographié strictement identique y compris dans la présentation des variantes (en gras dans le corps du document s'agissant de l'indication du lieu de production et seulement de cette variante), tandis que la mention manuscrite apposée sur chacun des documents présente une troublante similitude d'écriture.

Il sera relevé que les sociétés appelantes produisent en pièce 68 une seconde attestation de Mme Wu Chang Hou en date du 9 septembre 2011 destinée à établir la preuve d'autres faits, attestation tout aussi stéréotypée.

Rien n'établit que ces deux personnes exercent et exerçaient, en 2007, des fonctions de direction dans les usines en cause dont l'identification même est imprécise, ni que ces établissements ont conservé des archives permettant de procéder à des vérifications de la nature de leur production, ni que celles-ci ont été faites.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, les affirmations aussi péremptoires qu'imprécises des rédacteurs (l'usine a-t-elle fabriqué le modèle indiqué à cette époque pour un autre licencié ou n'a-t-elle jamais fabriqué ce modèle qui n'est même pas décrit) sont dénuées de force probante.

Cette insuffisance est d'autant plus incompréhensible que l'attention des sociétés appelantes avait déjà été appelée par le Tribunal de grande instance de Paris, le 1er avril 2012, sur les anomalies d'attestations attribuées aux mêmes individus (portant là encore la date identique du 25 janvier 2011) Mme Wu Chang Hou se présentant alors, dans deux attestations distinctes, dans un cas comme dirigeante de la société Aurora Vietnam Industrial Footwear au Vietnam, dans l'autre de la société Fuqing Hong Fu Footwear en Chine, tout en mentionnant une adresse différente dans chaque attestation.

Pourtant le constat par un organe indépendant des indications contenues dans les registres de ces unités de production apparemment impliquées dans plusieurs litiges de contrefaçon, ne pouvait, eu égard au temps écoulé depuis les faits allégués et à la modification des codifications en 2009, porter une atteinte au secret des affaires et préjudicier aux intérêts du titulaire de la marque.

En second lieu, les sociétés appelantes affirment que l'emplacement de l'étiquette thermocollée des deux paires de chaussures n'est pas conforme à celle prescrite dans la Charte de fabrication de ces modèles. Elles produisent un procès-verbal établi le 26 avril 2011 par Me Le Marec, huissier de justice à Paris, lequel indique avoir reçu communication d'un document technique intitulé "Emboss & Heat seal" définissant l'emplacement de l'étiquette thermocollée pour une liste de références et avoir constaté que l'étiquette thermocollée sur les chaussures litigieuses se trouvait à une distance 'significativement différente' du positionnement défini par cette pièce. Par un second constat dressé le 26 juillet 2012, Me Le Marec précise que quatre documents lui sont soumis à cette date, le premier imprimé le 26 septembre 2003, le second non daté et les deux derniers émis les 30 avril 2008 et 1er mars 2012, soit postérieurement à la fabrication des chaussures arguées de contrefaçon (juin et décembre 2007).

Selon l'huissier, les distances et exceptions visées dans le dernier document concordent avec celles contenues dans les trois premiers dont celui non daté, intitulé "Emboss & Heat Seal" qui apparaît être (bien qu'il ne le précise pas) celui qui lui avait été présenté pour les besoins de son premier constat.

Cependant ce document n'est pas daté et l'huissier ne précise pas si les références M3310 et M9622 étaient déjà recensées dans le document imprimé en 2003, ce qui est douteux eu égard au renouvellement rapide des modèles. Il subsiste dès lors une incertitude quant à la date d'entrée en vigueur de cette prescription pour les modèles en cause et à celle de sa diffusion auprès des fabricants.

Surtout dans la mesure où il n'est pas justifié d'un contrôle de qualité des très nombreux modèles de chaussures produits en grande quantité, à la demande de la société Converse par ses multiples fabricants et leurs sous-traitants, il demeure un doute sérieux quant au caractère probant de ce "curseur d'authenticité", des erreurs de positionnement ne pouvant être exclues.

Ceci est corroboré par l'achat effectué, sous le contrôle de Me Albou huissier de justice, le 21 juin 2011 dans le magasin Rodéo Store à Paris, revendeur agréé de la marque Converse, d'une paire de chaussures d'un modèle M9006 présentant, selon un autre constat de Me Le Marec, le même positionnement incorrect que celui dénoncé dans le cadre de la présente procédure.

Si une procédure a été diligentée à l'encontre de ce distributeur agréé, elle n'a pas permis d'établir qu'il écoulait au moment de la saisie-contrefaçon des produits contrefaits, ni de déterminer avec certitude l'origine de la paire de chaussure opposée par les sociétés intimées de sorte qu'il subsiste un doute sur l'origine illicite de cet article.

Enfin, les sociétés appelantes se prévalent de l'absence de réaction des deux paires de chaussures arguées de contrefaçon au test du stylo laser, en invoquant notamment l'attestation de M. Baier, préposé de la société Converse, selon lequel si une réaction positive au test n'est pas significative, en revanche l'absence de réaction caractérise à coup sûr une fabrication illicite. Mais ses affirmations sont contredites par celles tenues par d'autres représentants de la marque dans la procédure jugée par le Tribunal de Breda au Pays Bas le 19 octobre 2011, notamment lorsque l'encre s'est estompée.

De surcroît, la société Auchan démontre que des chaussures ne réagissant pas à ce test étaient mises en vente par deux distributeurs agréés différents dans la seule ville de Paris le 12 mai 2011, chaussures provenant comme l'une des paires de chaussures litigieuses de l'usine 7K. Pour des raisons non expliquées, aucune procédure n'a cependant été diligentée contre l'un de ces distributeurs alors que le fait qu'il ait eu d'autres fournisseurs que la société Royer ne suffit pas à établir qu'il s'approvisionnait en produits contrefaits, preuve qui n'est pas davantage apportée par l'attestation de Mme Wu Chang Hou sur l'absence de crédibilité de laquelle la cour s'est déjà expliquée.

Si une procédure clôturée par une transaction a été mise en œuvre à l'encontre du second distributeur agréé, déjà mis en cause pour avoir mis en vente une paire de chaussures portant une étiquette au positionnement non conforme, elle n'a pas permis d'établir qu'il écoulait au moment de la saisie-contrefaçon des produits contrefaits, ni de déterminer l'origine de la paire de chaussure en cause et partant son caractère contrefait.

Il ne peut par ailleurs être fait abstraction des énonciations contenues dans le jugement rendu par le Tribunal d'Assen au Pays Bas le 18 mai 2011 qui relate l'affidavit d'un responsable de la société Converse reconnaissant avoir volontairement mis sur le marché européen, à une époque contemporaine des faits litigieux, environ 6 000 paires de chaussures présentant des non-conformités par rapport à la charte de fabrication, ces marchandises quelles que soient leurs qualités intrinsèques ne pouvant être qualifiées de contrefaçon puisque mises sur le marché à l'initiative du titulaire de la marque mais étant de nature à affaiblir la force probante des "curseurs d'authenticité" mis en avant par le titulaire de la marque et son licencié.

Enfin, s'agissant au moins de la paire de chaussure modèle SKU M9622, il est versé aux débats un indice sérieux d'origine licite de ce produit comme provenant, selon un constat d'huissier, d'un distributeur officiel européen de la marque.

Les indices de contrefaçon allégués par les sociétés appelantes, efficacement combattus par des éléments contraires, sont dès lors insuffisants à apporter la preuve que les deux paires de chaussures litigieuses n'avaient pas été produites par l'un des fabricants de la société Converse à la demande du titulaire de la marque ou de l'un de ses licenciés exclusifs.

2° Sur le grief d'importation non autorisée de chaussures versées aux débats sous les n° 5 a), n° 5 b), n° 5 c), n° 32 bis et n° 33

Si selon les dispositions des articles L. 716-1 et L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle sont interdits sauf autorisation du propriétaire, l'usage d'une marque reproduite, pour désigner des produits identiques à ceux désignés dans l'enregistrement, l'article L. 713-4 du même Code énonce que le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits mis dans le commerce dans l'Espace économique européen, sous cette marque par le titulaire de la marque ou avec son consentement.

En l'espèce, il est reproché à la société Auchan d'avoir offert à la vente, à Saint Sébastien sur Loire, cinq paires de chaussures authentiques mais dont l'importation autorisée dans l'Espace économique européen est contestée. Il s'agit de trois paires fournies par la société Sport Concept, acquises le 5 avril 2008, portant les références suivantes :

- 7B07 04S48 modèle SKU 1P626

- 7D0710S48 modèle SKU M9166

- 9K0704S48 modèle SKU M9697

et de deux paires acquises au mois de juillet suivant à l'occasion de la saisie contrefaçon, fournies par la société CBS Diffusion, portant les références :

- 7D0701S48 modèle SKU 1X894

- 7K0703S48 modèle SKU M9162.

Ces cinq paires de chaussures ont en commun une codification se terminant par la référence S48 qui, selon l'attestation émise le 11 novembre 2010 par M. Kevin Perry identifiait jusqu'au mois de novembre 2009, les produits destinés au marché des Etats Unis. Le document joint à l'attestation est cependant moins précis. Il prévoit deux cas correspondant aux codes de destination : wholesale et licencee, le code S48 étant l'ancien code de destination des "wholesale" à facturer et à adresser à la société Converse Inc. Des explications concordantes ont été données devant le Tribunal de Breda qui les a reproduites dans le jugement du 19 octobre 2011 s'agissant de la signification de la codification, soit X42 pour le distributeur italien, K63 pour le distributeur allemand, Y41 pour celui du Benelux.

Cependant, le fait que des chaussures aient été fabriquées à la demande du titulaire de la marque et lui aient été facturées et que l'expédition en ait été faite à son nom ne suffit pas à établir leur lieu de première commercialisation sur le marché, ni à exclure qu'elles aient pu être mises sur le marché européen à l'initiative de la société Converse, rien ne démontrant que les commandes du titulaire de la marque soient exclusivement réservées à son marché domestique. Ainsi la société Auchan établit que des chaussures portant le code S48 étaient en vente le 22 mars 2011 chez un distributeur agréé de la marque Converse à Paris, la société Aaron, laquelle n'a pas été inquiétée. Cette codification est dès lors insuffisante à caractériser une importation non autorisée et à faire échec au principe de l'épuisement des droits de marque.

Si celui-ci doit en principe être démontré par les tiers qui l'invoquent, les exigences découlant de la protection de la libre circulation des marchandises dans l'Espace économique européen peuvent nécessiter que cette règle de preuve subisse des aménagements. Il en est ainsi lorsque l'existence d'un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux est établi, en particulier lorsque le titulaire de la marque commercialise ses produits dans l'Espace économique européen au moyen d'un système de distribution exclusive. Il appartient alors à ce titulaire d'établir que les produits ont été initialement mis dans le commerce par lui-même ou avec son consentement en dehors de l'Espace économique européen.

Les sociétés appelantes soutiennent que la société Auchan France et son fournisseur n'établissent pas l'existence d'un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux dès lors que cette preuve ne saurait résulter de la seule existence du réseau de distribution exclusive qu'elles ne contestent pas. Elles soutiennent, sur la base d'attestations dactylographiées émises sur le même modèle par plusieurs distributeurs exclusifs de la marque à l'intention du juge allemand, que des ventes passives seraient autorisées par leurs contrats de distribution à des tiers domiciliés hors de leur territoire, reconnaissant d'ailleurs qu'une clause contraire serait illicite. Cependant s'agissant d'établir non pas la preuve d'un fait mais le contenu d'un acte juridique, les déclarations des parties directement intéressées au maintien d'un système de distribution dont la légalité peut être mise en cause ne suffisent pas à établir le bien-fondé de leur position. Au contraire, l'opacité cultivée par la société Converse et la société Royer Sport quant à l'organisation de leur système de commercialisation ne peut manquer de surprendre, dans la mesure où cette information serait sans conséquence sur la protection de leurs marques et ne serait pas davantage de nature à gêner sérieusement le secret des affaires.

Or, non seulement elles ne produisent pas le contrat de distribution exclusive conclu entre elles et ne s'expliquent pas précisément sur les modalités selon lesquelles chaque distributeur exclusif, et en particulier la société Royer Sport, est censé s'approvisionner en produits de la marque, mais elles ne précisent pas davantage les conditions dans lesquelles celle-ci répartit ensuite les dits produits auprès des revendeurs. A cet égard, une réelle ambiguïté est entretenue par les sociétés appelantes dans leurs écritures puisque sans expressément se prévaloir d'un réseau de distribution sélective se superposant à leur réseau de distribution exclusive, dont la légalité au regard du droit communautaire de la concurrence devrait alors être démontrée, elles prétendent déduire du seul non-respect de leur réseau, la preuve que la société Auchan France serait l'auteur d'actes de contrefaçon par usage illicite de leurs marques. Pourtant, parallèlement, elles n'arguent pas du caractère illicite des ventes hors réseau par des distributeurs européens exclusifs par lesquelles les sociétés intimées justifient leur approvisionnement.

Même si les contrats de distribution exclusive ne comportent pas de clause expresse l'interdisant, il n'en demeure pas moins que l'existence effective de ventes passives consenties régulièrement et ouvertement au vu et au su des différents membres du réseau, est contredite par les courriers électroniques versés aux débats par la société Auchan. En effet, l'éventualité de tels échanges est spontanément écartée par les rédacteurs de ces e-mails émis à partir des adresses électroniques de plusieurs des distributeurs européens concernés y compris celui adressé le 7 août 2009 par Mark Atkinson à partir de l'adresse [email protected] en réponse à une demande d'approvisionnement d'un détaillant se présentant comme exploitant un magasin au nord de l'Italie et un autre au sud de l'Autriche, dans les termes suivants : "Nous pouvons distribuer des produits Converse exclusivement en France. Nous ne sommes pas autorisés de vendre en dehors de la France". Les dénégations opposées pour les besoins de la cause, en des termes identiques et selon la même présentation, par les représentants légaux des distributeurs exclusifs concernés, dont aucun ne dément formellement employer les rédacteurs ayant émis à partir de leur adresse électronique, comportant pour certains le nom de domaine "converse", les courriers en cause, sont insuffisantes à apporter la preuve d'une pratique régulière, admise par le titulaire de la marque et les autres distributeurs exclusifs, de ventes hors du réseau territorial d'exclusivité.

Cette preuve ne résulte pas davantage des pièces évoquées par les sociétés appelantes dans leur note en délibéré, pièces non soumises à un débat contradictoire devant la cour, qui de surcroît apparaissent révéler a contrario que la société Royer Sport ne peut justifier avoir réalisé la moindre vente hors de son territoire.

Il sera en outre observé que la position procédurale adoptée par chacune des parties ne peut s'expliquer que par la réalité du risque allégué.

Ainsi, la société Converse, qui expose avoir mis en œuvre une codification lui permettant d'assurer la traçabilité des chaussures portant sa marque, est en mesure de justifier sans difficulté, compte tenu du lieu de fabrication qu'elle est seule en mesure d'identifier et de la date de celle-ci, du lieu de première commercialisation des produits portant la codification S48 qu'elle a commandés, payés et fait livrer. En s'abstenant de le faire alors de surcroît qu'il est par ailleurs établi qu'elle a fait commercialiser sur le marché européen des marchandises non conformes à ses règles internes, elle donne du crédit à l'argumentation opposée en défense selon laquelle la procédure n'a pour seul but que de maintenir un cloisonnement des marchés nationaux en identifiant afin d'y mettre un terme les sources d'approvisionnement ne respectant pas ce cloisonnement.

De même, la société Sport Concept, fournisseur principal de la société Auchan, démontre avoir, comme cette dernière, cherché à se prémunir par avance contre les risques d'acquisition de produits contrefaits en obtenant la preuve que les produits en cause avaient été cédés par un distributeur autorisé de la marque mais préfère s'exposer à une procédure longue, aléatoire et coûteuse plutôt que de dévoiler sa source d'approvisionnement en produisant dans sa version intégrale le procès-verbal d'huissier dont elle se prévaut.

Le risque réel de cloisonnement des marchés nationaux inhérent au système de distribution mis en place est enfin confirmé par le rapport de l'Office fédéral allemand de lutte contre les cartels qui relate avoir dû intervenir auprès du distributeur exclusif allemand après sa menace publique, dans un article de presse, d'agir contre les revendeurs de son réseau en cas de "non-respect du prix conseillé" ou de "prix cassés", manifestant ainsi sa volonté d'imposer des pratiques commerciales et tarifaires qui présupposaient un fonctionnement non concurrentiel du marché national en cause, incompatible avec le principe de libre circulation des marchandises à l'intérieur de l'EEE.

Le risque réel de cloisonnement des marchés nationaux étant ainsi établi, la divulgation des sources licites d'approvisionnement intra communautaire ne peut qu'avoir pour conséquence d'entraîner le tarissement de ces sources, de sorte que c'est à juste titre que la société Auchan se prévaut de l'aménagement de la règle de la preuve résultant de l'arrêt Van Doren.

Or la société All Star venant aux droits de la société Converse et son licencié exclusif la société Royer Sport ne produisant pas les factures et bons de livraison aux détaillants ou distributeurs établissant que le lieu de première commercialisation des chaussures en cause était extérieur à l'Espace économique européen, ne démontrent pas l'absence d'épuisement du droit de la marque.

Aux termes de l'alinéa 2 de l'article L. 713-4, faculté reste ouverte au propriétaire de s'opposer à tout nouvel acte de commercialisation s'il justifie de motifs légitimes, tenant notamment à la modification ou à l'altération, ultérieurement intervenue, de l'état des produits.

Devant la cour, les sociétés appelantes invoquent cette exception à la règle de l'épuisement du droit de marque en faisant valoir que la distribution des chaussures litigieuses se fait exclusivement par l'intermédiaire d'un réseau dont l'existence est, selon elles, de nature à supprimer la présomption d'autorisation tacite d'usage par les membres n'y appartenant pas telle la société Auchan, la distribution hors réseau étant par elle-même un acte d'usage illicite de la marque.

Mais les sociétés appelantes ne démontrent pas avoir mis en place un réseau de distribution bénéficiant d'un règlement d'exemption et ne justifient pas d'un motif légitime faisant échec au principe de l'épuisement du droit de marque énoncé par le premier alinéa de l'article L. 713-4. Ce moyen n'est dès lors pas fondé.

Le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Nantes sera en conséquence confirmé.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Auchan France l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, de sorte qu'il lui sera alloué une somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La demande présentée à ce titre par la société Sport Concept sera accueillie à concurrence de la somme de 3 000 euros.

Par ces motifs : LA COUR, Donne acte à la société All Star CV de son intervention volontaire en sa qualité de cessionnaire des marques françaises n° 1 356 944, 1 450 850 et 1 595 329 ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 juin 2012 par le Tribunal de grande instance de Nantes ; Y ajoutant, Condamne in solidum les sociétés Royer Sport et All Star CV à payer à la société Auchan France une somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne in solidum les sociétés Royer Sport et All Star CV à payer à la société Sport Concept une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Condamne in solidum les sociétés Royer Sport et All Star CV aux dépens d'appel.