CA Besançon, 2e ch. civ., 19 septembre 2012, n° 10-03066
BESANÇON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Etablissement Diebolt - Atelier de Constructions Mecaniques (SA)
Défendeur :
Billod-Laillet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sanvido
Conseillers :
MM. Theurey-Parisot, Boutruche
Avocats :
Me Richert, Bugnet-Levy, SCP Dumont - Pauthier, SCP Leroux Bruno & Caroline
FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Monsieur Billod-Laillet, qui exerce une activité de débardage forestier, a commandé le 10 juin 2005 à la SA Diebolt, une grue au prix de 19 500 euro HT, qui lui a été livrée le 8 septembre 2005.
Par jugement du 26 octobre 2010, le Tribunal de grande instance de Besançon a :
- débouté la SA Diebolt de sa demande de nullité de l'expertise judiciaire et de sa demande de nouvelle expertise,
- déclaré recevable comme non-prescrite la demande de Monsieur Billod-Laillet fondée sur le vice caché,
- déclaré non-écrite et non opposable la clause limitative de responsabilité,
- prononcé la résolution de la vente de la grue aux torts de la SA Diebolt,
- ordonné la restitution de la grue et du prix avec intérêts au taux légal à compter du 16 mars 2007,
- dit n'y avoir lieu à astreinte,
- sursis à statuer sur le préjudice financier et ordonné une expertise.
La SA Diebolt a interjeté appel pour que soit prononcée la nullité de l'expertise et que soit ordonnée en tant que de besoin une nouvelle mesure d'instruction, pour que les demandes soient déclarées irrecevables ou que Monsieur Billod-Laillet en soit débouté, en réclamant 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle expose que la grue d'une capacité de levage de 12 T/m n'a pas été montée sur le tracteur forestier par elle, qu'un problème de pression s'est d'abord posé.
Elle critique le rapport de l'expert judiciaire qui s'est contredit, qui n'a pas la pratique des grues forestières, qui a émis des avis tendancieux et qui n'a pas tenu compte de l'abaque remis à Monsieur Billod-Laillet montrant clairement les possibilités de levage de la grue.
Elle estime que la garantie des vices cachés ne peut s'appliquer puisque les capacités de la grue sont celles de l'abaque, que la grue est par ailleurs conforme à celle qui a été commandée, qu'il n'y a pas eu manquement à l'obligation de conseil puisque tous les documents utiles ont été fournis, qu'il a été indiqué qu'il devait disposer de 210 bars de pression.
Elle observe que les premiers juges lui ont à tort reproché de ne pas s'être informée des besoins de son client alors qu'il ne ressort pas du dossier qu'il comptait faire un usage particulier du matériel.
Elle soutient que les clauses restrictives de garantie sont valables du moment qu'elles n'exonèrent pas totalement le vendeur de toute responsabilité.
Elle estime excessives les sommes réclamées à titre de dédommagement.
Monsieur Billod-Laillet a conclu à la confirmation et au débouté de toutes les demandes.
Il demande à la cour de constater que la grue n'a pas les capacités de levage annoncées et ne peut être utilisée pour l'usage prévu, qu'elle est affectée d'un vice de conception entraînant un allongement intempestif du vérin, d'admettre l'action rédhibitoire pour vice caché, d'ordonner les restitutions, de renvoyer l'affaire devant le Tribunal de grande instance pour les demandes indemnitaires.
Subsidiairement, si le vice caché est écarté, il demande à la cour de constater que la SA Diebolt a manqué à son obligation de délivrance conforme aux prévisions contractuelles et d'ordonner résolution judiciaire et restitutions, en renvoyant l'affaire devant le tribunal de grande instance pour les demandes indemnitaires.
Plus subsidiairement, il demande à la cour de prononcer la nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielles avec restitutions et renvoi devant le tribunal de grande instance.
Il relate que la SA Diebolt lui a proposé deux modèles de grue, qu'il a choisi celui qui avait les capacités de levage les plus grandes, qu'en effet il a besoin d'une grue qui lui permette de saisir les grumes de bois, de les poser sur le bouclier arrière du tracteur, de les tracter ensuite sur les lieux de stockage où il faut à nouveau les saisir pour les empiler, que ces manipulations sont impossibles avec le matériel litigieux.
Il souligne d'abord que son action en vice caché engagée moins de deux ans après la vente est recevable.
Il observe que les conditions générales sont illisibles, qu'il n'est pas établi par une signature qu'il en a pris connaissance, que de surcroît elles ne peuvent valablement exonérer le vendeur de toute garantie et vider une obligation essentielle du contrat de toute portée.
Il retient que selon l'expert, l'allongement parasite du vérin ne permet pas à la grue de décoller les grumes du sol compte tenu de leur taille, d'autres utilisateurs n'étant pas gênés par ce problème avec des charges plus légères.
Il argue du rapport qui met en évidence le fait que la machine n'est pas conforme à sa destination et à ses attentes, le fait que la société venderesse ne l'a pas informé de l'impossibilité de travailler avec la grue au plus près du tracteur, le fait que cette société ne s'est pas enquise des contraintes de travail.
Il prétend que l'incapacité de levage de la grue au droit du tracteur nuit à son usage normal, que cette capacité de levage était un élément essentiel de son choix, que l'abaque est trompeur puisqu'il n'évoque pas le levage au droit du tracteur.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 mai 2008.
DISCUSSION
Attendu que la SA Diebolt soulève la nullité de l'expertise judiciaire de Monsieur Fallard et sollicite l'instauration d'une nouvelle mesure en arguant de contradictions qu'il n'explicite pas et en exposant ses critiques alors qu'il a pu présenter des dires sur ces points et obtenir une réponse de l'expert ; qu'une expertise ne peut être annulée en raison d'un désaccord d'une partie sur l'avis de l'expert ; que le jugement sera donc confirmé sur ce point ;
Attendu que la SA Diebolt, tout en demandant l'infirmation du jugement qui a rejeté sa demande d'irrecevabilité pour prescription de l'action en vice caché, n'a pas développé de moyen à ce sujet ; qu'il y a lieu d'adopter les motifs pertinents des premiers juges repris par Monsieur Billod-Laillet et de confirmer le jugement de ce chef ;
Attendu que les conditions générales du contrat de vente stipulent à l'article VII :
"Les renseignements concernant le rendement, la puissance, la consommation, le poids ou les autres éléments techniques de notre matériel ne sont donnés qu'à titre indicatif et ne peuvent de ce fait constituer aucun engagement de garantie de notre part ; et en cas d'inexactitude, celle-ci ne peut être un motif de résiliation de la commande ou de demande d'indemnité." ;
Attendu qu'en vertu de l'article 1604 du Code civil, un vendeur est tenu de délivrer une chose conforme ; qu'entre professionnels, les clauses limitatives de responsabilité afférente aux défauts de conformité affectant certains éléments de la chose vendue sont valables ; que toutefois le vendeur ne peut se dégager par avance de toute garantie et céder du matériel dont les performances nécessairement connues de lui sont différentes de celles annoncées, agissant ainsi avec mauvaise foi ; que le jugement sera donc confirmé de ce chef ;
Attendu que l'expert a indiqué : que les performances théoriques de la grue sont globalement conformes aux 4 indications chiffrées sur la notice technique mais que celle-ci ne fait pas état de la capacité de levage lorsque le bras est pendant vertical et élude le fait qu'en cette position il faut tenir compte de la faiblesse du vérin ; que l'abaque produite ne signale pas cette perte de capacité qui est contraire à la logique géométrique ; qu'au cours des essais il est apparu qu'il était impossible de faire travailler la grue près du tracteur, à environ 2 mètres conformément à la méthode de travail de Monsieur Billod-Laillet, et de lui faire soulever des charges supérieures à 3 120 tonnes parce que le vérin de rallonge se déploie systématiquement ; qu'il a précisé que Monsieur Billod-Laillet travaillait seul et à cette fin utilisait le système de pose des grumes sur le bouclier du tracteur auquel il a dû renoncer pour recourir au câblage avec cette nouvelle grue ce qui l'oblige à recourir à une aide et à un deuxième tracteur ; qu'il a rencontré d'autres propriétaires de grues similaires qui ne rencontrent aucun problème alors qu'ils sont également confrontés à l'allongement du vérin et aux mêmes capacités de levage, parce qu'il travaillent en plaine et non dans le massif jurassien comme Monsieur Billod-Laillet, ne tractent pas les grumes mais les débardent en câblant, s'occupent de grumes plus légères que celles du massif jurassien ;
Attendu qu'il ne peut être soutenu qu'il existe un vice caché du seul fait que la grue a été conçue avec un vérin de rallonge qui se déploie systématiquement, ce qui était visible et décrit dans les documents remis à l'acquéreur et ce qui ne nuit pas à l'usage de la grue affectée à d'autres tâches alors que techniquement ce bras fonctionne correctement et n'est affecté d'aucun désordre.
Attendu qu'il n'est pas établi que Monsieur Billod-Laillet aurait commandé une grue permettant de manipuler de grosses grumes à proximité du tracteur pour les soulever et non les câbler ; que la commande a porté sur la grue décrite par la notice et l'abaque fournis lors de la vente ; que la grue livrée correspond à cette commande et au descriptif technique ; qu'il n'y a donc pas de défaut de conformité par rapport à des spécifications convenues.
Attendu qu'un vendeur est tenu d'informer et de conseiller son client, ce qui implique qu'il s'assure de l'adéquation du matériel aux besoins de celui-ci, fut-il lui-même un professionnel, lorsque sont en cause des éléments techniques dont la portée est susceptible d'appréciations variables selon l'usage ;
Attendu que la Société Diebolt n'établit pas avoir rempli cette obligation et notamment ne justifie pas être venue sur place pour connaître les conditions d'exploitation, s'être intéressé au précédent matériel utilisé par l'acquéreur et au degré de satisfaction qu'il apportait, avoir interrogé le client sur sa méthode de travail et les contraintes propres à la formule de débardage choisie par lui, avoir complété les explications plus commerciales que techniques de la documentation transmise ;
Attendu que le non-respect d'une obligation d'information n'a pas pour effet d'entraîner la résolution du contrat en dehors des conditions de droit commun ; que s'agissant d'un manquement à une obligation accessoire du contrat de vente, et non aux obligations principales de délivrance et de garantie, il ne peut selon l'article 1184 du Code civil, être considéré comme suffisamment grave pour entraîner la résolution et doit donner lieu à l'allocation de dommages et intérêts réparant les préjudices subis ; que ceux-ci selon l'expert sont nés de la nécessité :
- de mobiliser un deuxième tracteur avec son conducteur pour ranger les grumes ;
- de ne pas travailler seul pour pouvoir recourir au câblage ;
- de ne plus soumissionner les coupes les plus rentables ;
- de supporter des complications et des pertes de temps.
le tout étant générateur de pertes financières et commerciales à évaluer par un expert ;
Attendu dès lors qu'il convient d'une part de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de nullité de l'expertise, la demande de nouvelle expertise, la demande d'irrecevabilité, a admis le principe de la responsabilité de la Société Diebolt pour manquement à son obligation de conseil, d'autre part, de l'infirmer en ce qu'il a ordonné la résolution, la restitution de la grue et du prix de vente, enfin de renvoyer l'affaire devant le tribunal de grande instance pour l'évaluation du préjudice ;
Attendu que l'équité commande d'allouer à Monsieur Billod-Laillet 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile devant la cour d'appel.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré, CONFIRME le jugement rendu le 26-10-2010 par le Tribunal de grande instance de Besançon sauf en ce qui concerne la résolution de la vente, la restitution de la grue et du prix de vente, STATUANT des chefs infirmés, DEBOUTE Monsieur Billod-Laillet de sa demande en résolution de la vente, DECLARE la Société Diebolt tenue d'indemniser Monsieur Billod-Laillet des suites dommageables de manquement à l'obligation d'information et conseil, RENVOIE l'affaire devant le tribunal de grande instance qui a prononcé un sursis à statuer sur les demandes d'indemnisations soumises à expertise, CONDAMNE la Société Diebolt à payer à Monsieur Billod-Laillet DEUX MILLE EUROS (2 000 euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. CONDAMNE la Société Diebolt aux dépens d'appel avec possibilité de recouvrement direct par la SCP Leroux, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, LEDIT arrêt a été signé par M. Sanvido, Président de Chambre, ayant participé au délibéré et N. Jacques, Greffier. le greffier, le président de chambre.