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Décisions

CA Bastia, ch. civ. B, 23 avril 2014, n° 13-00016

BASTIA

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société Commerciale du Domaine Peraldi (SARL)

Défendeur :

Leva (SARL), Terra Corsa (EARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lavigne

Conseillers :

Mmes Alzeari, Luciani

Avocats :

Mes Recchi, Albertini

T. com. Ajaccio, du 23 avr. 2012

23 avril 2012

L'EARL Terra Corsa produit le vin du domaine Fiumicicoli, distribué par la SARL Leva.

La Société Commerciale du Domaine Peraldi (SCDP) a commercialisé ce vin jusqu'au 15 décembre 2009, date à laquelle l'EARL Terra Corsa a adressé à la SCDP un courrier lui signifiant la fin de leurs relations commerciales.

La SCDP a fait assigner l'EARL Terra Corsa devant le Tribunal de commerce d'Ajaccio pour obtenir l'indemnisation du préjudice subi du fait de cette rupture et le paiement de factures impayées.

La SARL Leva est intervenue volontairement aux débats.

Par jugement contradictoire du 23 avril 2012 le tribunal a débouté la SCDP de toutes ses demandes, l'a condamnée à payer à l'EARL Terra Corsa la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, a dit n'y avoir lieu à dommages-intérêts, a rejeté toutes autres demandes et a condamné la SCDP aux dépens.

La SCDP a relevé appel de cette décision le 9 janvier 2013.

Dans ses dernières conclusions déposées le 10 juin 2013 elle demande à la cour d'infirmer le jugement et statuant à nouveau :

- à titre principal de dire que la relation contractuelle établie entre la SCDP et l'EARL Terra Corsa est un contrat d'agent commercial, subsidiairement un mandat d'intérêt commun ; de dire que dans le premier cas la SCDP aurait droit au versement d'une indemnité en vertu de l'article L. 134-12 du Code de commerce, que dans le second cas une indemnité serait également due, en l'absence de faute du mandataire,

- subsidiairement, de dire qu'il y a eu rupture abusive d'un contrat de collaboration commerciale au sens de l'article L. 442-6-5°du Code de commerce,

- sur l'un de ces trois fondements, de condamner l'EARL à lui verser 10 000 euro de dommages-intérêts et 13 585 euros au titre des sommes exposées en raison du licenciement d'un salarié, M. Caviglioli,

- de condamner en outre l'EARL à lui payer la somme de 8 240,26 euros au titre de commissions impayées, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir, et de la condamner à lui verser 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Dans leurs dernières conclusions déposées le 15 mars 2013 l'EARL Terra Corsa et la SARL Leva concluent à la confirmation du jugement, au débouté de la SCDP, aux motifs que la relation commerciale liant les parties est un contrat de distribution ; que la rupture n'est pas fautive puisqu'un préavis suffisant a été respecté ; que le préjudice invoqué et le lien de causalité avec la rupture ne seraient pas établis.

En outre, les commissions réclamées ne seraient pas dues faute de preuve de l'encaissement réel des factures.

Formant appel incident, elles réclament 20 000 euros de dommages-intérêts en réparation des manques à gagner, imputables aux retards de livraison et aux négligences de la SCDP.

Enfin, elles sollicitent la condamnation de l'appelante à leur verser 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Vu l'ordonnance de clôture du 16 novembre 2013.

SUR CE :

Il convient d'abord de relever que l'intervention volontaire de la SARL Leva formée à titre accessoire en première instance est recevable, cette société ayant intérêt à soutenir les intimées pour la conservation de ses droits. Le premier juge n'a pas statué sur cette recevabilité qui n'est d'ailleurs pas discutée.

1) Sur la qualification juridique de la relation entre les parties :

Aucun contrat écrit n'étant produit, il revient à la juridiction de qualifier les relations entre les parties et d'en tirer les conséquences au vu des pièces produites.

La SCDP ne peut revendiquer la qualité d'agent commercial, dans la mesure où elle ne disposait d'aucune indépendance dans les négociations avec les clients, n'ayant aucune liberté, ainsi qu'elle le reconnaît d'ailleurs elle-même, pour établir des prix, des délais de règlement, des remises notamment. D'autre part, la qualité d'agent commercial suppose une immatriculation en tant que tel. Or la SCDP est immatriculée au registre du commerce d'Ajaccio, non pas en tant qu'agent commercial mais en tant que société commerciale - ce qui est exclusif du statut d'agent commercial - pour une activité d'achat, vente en gros et au détail, distribution de vins et spiritueux.

La SCDP ne peut pas non plus invoquer l'existence d'un mandat d'intérêt commun. En effet rien ne démontre que l'EARL Terra Corsa lui avait donné le pouvoir de la représenter pour accomplir des actes juridiques dans leur intérêt commun.

L'activité de la SCDP consistait essentiellement en la prise de commande, l'entreposage, la livraison des produits puis l'encaissement des factures ; il s'agissait donc pour cette société, non pas de développer l'activité commerciale au nom et pour le compte de l'EARL, dans leur intérêt commun, mais plutôt, en conformité avec son inscription au registre du commerce, d'exercer une activité de prestation de services et d'achats pour revendre.

La relation établie entre les deux sociétés peut être exactement définie, comme l'a fait le premier juge, comme un contrat de distribution commerciale à durée indéterminée.

C'est d'ailleurs le terme employé par le directeur commercial de la SCDP dans son courrier du 4 janvier 2010 adressé à l'EARL Terra Corsa en réponse au courrier du 15 décembre 2009.

2) Sur la rupture du contrat :

Dans le cadre juridique ainsi défini, l'EARL Terra Corsa pouvait librement mettre fin aux relations commerciales existant entre les parties, à condition de ne pas le faire brutalement et en respectant une durée minimale de préavis, ainsi que le précise l'article L. 442-6-5° du Code de commerce, auquel l'appelant se réfère.

La SCDP estime que le délai de deux mois et demi, après une relation de 10 ans, est trop bref, que la rupture est brutale et injustifiée, tandis que l'EARL, qui s'appuie sur la motivation du premier juge, estime que le délai était suffisant et que la rupture était justifiée par les négligences de la SCDP, tant dans l'encaissement des factures que dans la livraison du vin.

Le Tribunal de commerce d'Ajaccio a estimé à bon droit que le délai de deux mois et demi était suffisant, après une relation commerciale remontant à 2001 ; les constatations du premier juge, selon lesquelles au jour de la rupture du contrat, la SCDP n'avait pas encore encaissé de nombreuses factures pour un total de 17 737,81 euros, et que des retards de livraison étaient déplorés par certains clients, s'appuient sur les pièces versées aux débats et ne sont pas explicitement remises en cause par l'appelant, qui ne produit aucune pièce contraire. Celui-ci se borne en effet à constater que la lettre de rupture n'énonce aucun grief.

Le retard d'encaissement des factures, la plus ancienne d'avril 2001, et les retards de livraison étant avérés, l'EARL était fondée à mettre fin au contrat de distribution après avoir respecté le délai de préavis.

La rupture ne peut être en conséquence qualifiée d'abusive et les demandes d'indemnisation formées sur ce fondement par la SCDP doivent être rejetées.

3) Sur les factures impayées :

La SCDP devait être rémunérée par des commissions sur les ventes des vins produits par l'EARL.

Il lui revient donc d'établir que les factures pour lesquelles elle réclame le versement des commissions ont été effectivement réglées.

Après avoir affirmé qu'elle devait elle-même procéder aux encaissements des factures, la SCDP a ensuite soutenu, en se contredisant, ne pas être en mesure de contrôler l'effectivité des encaissements qui étaient à l'entendre directement réalisés par l'EARL et la SARL Leva. Alors que l'examen du grand livre fournisseurs de la SARL Leva, produit aux débats, permet de constater que cette dernière n'est pas redevable envers la SCDP de la somme litigieuse, cette dernière ne produit pas le moindre élément de nature à rapporter la preuve, dont la charge lui incombe, de la créance qu'elle réclame.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la SCDP de sa demande en règlement de commissions.

4) Sur la demande de dommages-intérêts formée à titre incident :

Les intimées ne démontrent pas que l'attitude de l'appelante, notamment le retard dans les encaissements, leur cause un préjudice particulier, constitutif d'un manque à gagner ; par conséquent la demande de dommages-intérêts doit être écartée, en appel comme elle l'a été en première instance et pour les mêmes motifs.

Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions y compris celles concernant l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.

En appel l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile. Les dépens seront laissés à la charge de l'appelant qui succombe.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement déféré, Rejette la demande formée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne la Société commerciale du domaine Peraldi aux dépens de l'appel.