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Décisions

CJUE, 6e ch., 22 mai 2014, n° C-36/12 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Armando Álvarez SA

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Borg Barthet

Avocat général :

Mme Sharpston

Juges :

M. Levits, Mme Berger (rapporteur)

Avocats :

Mes Troncoso Ferrer, Garayar Gutiérrez, Ruixo Claramunt

Comm. CE, du 30 nov. 2005

30 novembre 2005

LA COUR (sixième chambre),

1 Par son pourvoi, Armando Álvarez SA demande l'annulation de l'arrêt du Tribunal de l'Union européenne Álvarez-Commission (T-78-06, EU:T:2011:673, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l'annulation partielle de la décision C (2005) 4634 final de la Commission, du 30 novembre 2005, relative à une procédure d'application de l'article [81 CE] (Affaire COMP/F-38.354 - Sacs industriels) (ci-après la "décision litigieuse"), ainsi qu'à l'annulation ou, à titre subsidiaire, à la réduction de l'amende qui lui a été infligée par cette décision.

Les antécédents du litige et la décision litigieuse

2 La requérante est une société anonyme de droit espagnol, qui a développé diverses activités industrielles dans les secteurs de la fabrication de bidons métalliques, de la menuiserie industrielle et de la vente de bois. Elle possède plusieurs filiales, parmi lesquelles figurait Plásticos Españoles SA (ASPLA) (ci-après "ASPLA"), dont elle détenait 98,6 % du capital en 2002.

3 En novembre 2001, British Polythene Industries plc a informé la Commission des Communautés européennes de l'existence d'une entente dans le secteur des sacs industriels (ci-après l'"entente").

4 Après avoir procédé à des vérifications au cours du mois de juin 2002, la Commission a engagé la procédure administrative le 29 avril 2004 et a adopté une communication des griefs à l'encontre de plusieurs sociétés, au nombre desquelles figuraient, notamment, ASPLA et la requérante.

5 Le 30 novembre 2005, la Commission a adopté la décision litigieuse, dont l'article 1er, paragraphe 1, sous j), dispose qu'ASPLA et la requérante ont enfreint l'article 81 CE en participant, du 8 mars 1991 au 26 juin 2002, à un ensemble d'accords et de pratiques concertées dans le secteur des sacs industriels en matière plastique en Belgique, en Allemagne, en Espagne, en France, au Luxembourg et aux Pays-Bas, ayant porté sur la fixation des prix et la mise en place de modèles communs de calcul de prix, le partage des marchés et l'attribution de quotas de vente, la répartition des clients, des affaires et des commandes, la soumission concertée à certains appels d'offres et l'échange d'informations individualisées.

6 Pour ce motif, la Commission a infligé à ASPLA et à la requérante, à l'article 2, premier alinéa, sous h), de la décision litigieuse, une amende de 42 millions d'euros, pour le paiement de laquelle ces deux sociétés ont été déclarées conjointement et solidairement responsables.

L'arrêt attaqué

7 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 février 2006, la requérante a introduit un recours contre la décision litigieuse. Dans ce recours, elle concluait, en substance, à l'annulation de cette décision en tant qu'elle la concernait ou, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l'amende qui lui avait été infligée par la Commission.

8 À l'appui de son recours, la requérante invoquait un moyen unique, tiré d'une erreur d'appréciation des faits et d'une violation de la présomption d'innocence ainsi que du principe du respect des droits de la défense.

9 Le Tribunal a rejeté le recours dans son intégralité.

Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

10 La requérante demande à la Cour:

- d'annuler l'arrêt attaqué ainsi que la décision litigieuse, et

- de condamner la Commission aux dépens.

11 La Commission demande à la Cour:

- de rejeter le pourvoi, et

- de condamner la requérante aux dépens.

12 Par décision du président de la sixième chambre de la Cour du 15 mai 2013, la procédure relative au présent pourvoi a été suspendue jusqu'au terme de la procédure dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Gascogne Sack Deutschland/Commission (C-40-12 P, EU:C:2013:768), Kendrion/Commission (C-50-12 P, EU:C:2013:771) et Groupe Gascogne/Commission (C-58-12 P, EU:C:2013:770). La procédure a été reprise après le prononcé de ces arrêts le 26 novembre 2013.

Sur le pourvoi

Sur le moyen invoqué à titre principal

Argumentation des parties

13 La requérante fait valoir que, dans l'arrêt attaqué, le Tribunal lui a imputé la responsabilité de l'infraction constatée en se fondant sur deux motifs qui ne figuraient pas dans la décision litigieuse. En premier lieu, aux points 38 et 39 dudit arrêt, le Tribunal aurait considéré que les éléments de preuve présentés par la Commission établissaient la participation directe de la requérante à l'entente, ce qui ne ressortirait pas des considérants de la décision litigieuse. En second lieu, au point 35 du même arrêt, le Tribunal s'est référé à la présomption selon laquelle la requérante, en tant que société mère détenant 100 % du capital de sa filiale, à savoir ASPLA, aurait exercé une influence déterminante sur le comportement de cette dernière, alors que la Commission ne s'était pas fondée sur cette présomption dans la décision litigieuse.

14 En retenant, à tort, ces deux motifs, le Tribunal aurait commis une erreur de droit et aurait violé les droits de la défense de la requérante, qui n'aurait pas été en mesure de se défendre contre des allégations qui ne se trouvaient pas dans la décision litigieuse.

15 La Commission soutient que ce moyen n'est pas fondé. Dans la décision litigieuse, la responsabilité de la requérante serait clairement fondée sur la présomption selon laquelle cette dernière exerçait, en tant que société mère, une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Ce ne serait qu'à titre complémentaire que cette décision ferait état d'indices relatifs à l'exercice effectif d'une telle influence de la requérante.

Appréciation de la Cour

16 À cet égard, il convient de relever que, dans la présente affaire, la Commission s'est expressément référée, au considérant 580 de la décision litigieuse, à la présomption de l'exercice effectif d'une influence déterminante par la société mère sur la filiale qu'elle détient à 100 % avant d'indiquer, au considérant 584 de cette décision, que cette approche serait détaillée au cas par cas pour chaque entreprise concernée (voir arrêt Kendrion/Commission, EU:C:2013:771, point 28).

17 Dans les considérants de la décision litigieuse consacrés à ASPLA et à la requérante, la Commission a, en premier lieu, rappelé, au considérant 669 de cette décision, que la requérante détenait 98,6 % du capital d'ASPLA. En second lieu, elle a indiqué, au considérant 671 de la même décision, qu'il apparaissait que la requérante était impliquée très étroitement dans la direction opérationnelle d'ASPLA. À l'appui de cette affirmation, la Commission a mentionné, aux considérants 672 à 676 de ladite décision, des éléments, débattus au cours de la procédure écrite, relatifs à la présence des plus hauts dirigeants de la requérante à au moins 22 réunions des entreprises participant à l'entente ainsi qu'à la transmission, à tout le moins apparente, des comptes rendus d'autres réunions par les représentants d'ASPLA aux dirigeants de la requérante.

18 Dans ces conditions, c'est sans commettre d'erreur de droit que le Tribunal a considéré, au point 35 de l'arrêt attaqué, que, sur la base de la jurisprudence relative aux conditions dans lesquelles une société mère est présumée exercer une influence déterminante sur sa filiale, la Commission était en droit de présumer que la requérante avait exercé, eu égard à la participation de 98,6 % qu'elle détenait dans le capital d'ASPLA, une influence déterminante sur le comportement de cette dernière.

19 En outre, la requérante ne saurait soutenir utilement qu'elle n'a pas été en mesure d'exercer ses droits de la défense à l'encontre de l'utilisation de ladite présomption par la Commission. Il ressort en effet de la requête introductive d'instance devant le Tribunal, notamment du point 19 de celle-ci, qu'elle a admis l'existence de cette présomption, même si elle en a contesté la légalité au regard de la présomption d'innocence. Ses arguments sur ce point ont d'ailleurs été examinés aux points 22 à 29 de l'arrêt attaqué et rejetés au point 30 de celui-ci.

20 C'est également à juste titre que le Tribunal, aux points 36 et 37 de l'arrêt attaqué, a examiné les arguments invoqués par la requérante pour réfuter la présomption de contrôle effectif découlant des liens capitalistiques existant entre la requérante et sa filiale, présomption sur laquelle s'était fondée la Commission. Dans le cadre de cet examen, le Tribunal a indiqué les motifs pour lesquels aucun de ces arguments ne pouvait, selon lui, être retenu.

21 Les points 38 et 39 de l'arrêt attaqué s'inscrivent dans la même étape du raisonnement développé par le Tribunal et leur portée doit donc être appréciée en tenant compte de l'ordre logique de ce raisonnement.

22 Au point 38 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la présence, à plusieurs réunions des entreprises participant à l'entente, des plus hauts dirigeants de la requérante ainsi que le fait que cette dernière a été tenue informée des autres réunions par des comptes rendus établis par des représentants d'ASPLA suffisaient à établir qu'elle intervenait directement dans les discussions menées au sein de l'entente. Au point 39 du même arrêt, le Tribunal a estimé que le fait que les représentants de la requérante n'avaient pas, selon cette dernière, été mandatés pour participer à l'entente était dépourvu de pertinence.

23 Contrairement à ce que fait valoir la requérante, ces appréciations ne sauraient être interprétées comme révélant une imputation à sa charge d'un nouveau chef de responsabilité au titre d'une participation directe à l'entente. En effet, à ce stade de son raisonnement, le Tribunal s'est borné à apprécier la pertinence et la plausibilité des arguments invoqués par la requérante pour réfuter ladite présomption ainsi que les indices supplémentaires sur lesquels s'était fondée la Commission pour considérer que cette société avait exercé une influence déterminante sur sa filiale. Dans le cadre de son appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, le Tribunal a pu légitimement souligner la force probante qu'il convenait d'attacher, selon lui, à l'indice tiré par la Commission de l'imbrication des organes dirigeants des deux sociétés, sans que cette appréciation modifie le fondement de la responsabilité imputée à la requérante.

24 Dans ces conditions, la requérante ne saurait prétendre qu'elle n'a pas pu exercer ses droits de la défense à l'encontre de l'imputation à sa charge d'un nouveau chef de responsabilité.

25 Il découle des considérations qui précèdent que le moyen invoqué à titre principal par la requérante au soutien de son pourvoi doit être rejeté.

Sur le moyen invoqué à titre subsidiaire

Argumentation des parties

26 La requérante fait valoir que l'erreur de droit commise par le Tribunal en statuant sur la base de motifs non invoqués par les parties au litige a conduit à un défaut d'appréciation des allégations effectivement présentées dans sa requête introductive d'instance, de sorte que le raisonnement développé dans l'arrêt attaqué est entaché d'incohérence et d'un défaut de motivation.

27 D'après la requérante, alors que la Commission ne s'était référée, dans son cas, à aucune présomption selon laquelle une société mère est responsable du comportement de sa filiale, le seul élément de preuve invoqué pour établir son influence sur sa filiale était, outre sa participation dans le capital de cette dernière, l'identité partielle des dirigeants siégeant dans les conseils d'administration des deux sociétés. Devant le Tribunal, la requérante aurait fait valoir que cet élément était insuffisant et se serait fondée sur d'autres motifs pour réfuter la responsabilité qui lui était imputée dans le cadre de l'entente. Or, le Tribunal aurait négligé de procéder à une appréciation quelconque de ces arguments.

28 Selon la Commission, ce moyen invoqué à titre subsidiaire n'est pas fondé.

Appréciation de la Cour

29 À titre liminaire, il convient de constater que le moyen invoqué par la requérante à titre subsidiaire repose sur la prémisse selon laquelle la Commission ne se serait pas fondée, dans la décision litigieuse, sur la présomption d'une influence déterminante de la société mère sur sa filiale dont elle détenait la totalité ou la quasi-totalité du capital. Ainsi qu'il ressort des points 16 à 19 du présent arrêt, cette prémisse est erronée.

30 Par ailleurs, il découle des points 20 à 22 du présent arrêt que, contrairement à ce que soutient la requérante, la motivation de l'arrêt attaqué, en ce qui concerne l'examen des arguments qu'elle avait invoqués pour réfuter la présomption selon laquelle elle avait exercé une influence déterminante sur sa filiale, n'est entachée d'aucune incohérence.

31 Pour autant que la requérante soutient, dans le cadre de son moyen subsidiaire, que le Tribunal a manqué à son obligation de motivation en ne répondant pas à chacun des arguments qu'elle avait invoqués pour réfuter la présomption de l'exercice effectif d'une influence déterminante, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l'obligation de motiver les arrêts, qui incombe au Tribunal en vertu des articles 36 et 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l'Union européenne, n'impose pas à celui-ci de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige (arrêt Groupe Gascogne/Commission, EU:C:2013:770, point 37).

32 Le Tribunal a examiné les arguments de la requérante aux points 36 et 37 de l'arrêt attaqué. Si le rejet de certains de ces arguments, tels que ceux tirés de la nature des activités industrielles des deux sociétés, de leur valeur économique, de l'emploi de cadres externes et du droit des sociétés espagnol, n'a fait l'objet que d'une brève motivation, il n'en demeure pas moins que cette dernière est suffisante pour permettre à la requérante de connaître les raisons sur lesquelles le Tribunal s'est fondé. Il ressort, en effet, desdits points que le Tribunal a jugé que ces éléments n'étaient pas de nature à remettre en cause la force probante des éléments, tels que le rôle des plus hauts dirigeants de la requérante en ce qui concerne le fonctionnement des deux sociétés et les effets pratiques de la composition largement identique de leurs conseils d'administration, que la Commission avait invoqués pour conforter la présomption selon laquelle, eu égard au fait que la quasi-totalité du capital d'ASPLA était détenue par la requérante, cette dernière pouvait être présumée avoir exercé une influence déterminante sur sa filiale.

33 Dans la mesure où la requérante entend contester l'appréciation par le Tribunal des faits et des éléments de preuve fournis devant lui, il suffit de rappeler que, sous réserve des cas de méconnaissance des règles en matière de charge et d'administration de la preuve ainsi que de dénaturation des pièces, une telle appréciation ne constitue pas une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d'un pourvoi (arrêt FLSmidth/Commission, C-238-12 P, EU:C:2014, point 31 et jurisprudence citée).

34 Eu égard aux considérations qui précèdent, le moyen invoqué à titre subsidiaire par la requérante doit être rejeté.

35 Aucun des deux moyens invoqués par la requérante au soutien de son pourvoi n'étant susceptible d'être accueilli, ce dernier doit être rejeté.

Sur les dépens

36 En vertu de l'article 184, paragraphe 2, de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi n'est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

37 Aux termes de l'article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission dans le cadre du présent pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête:

1) Le pourvoi est rejeté.

2) Armando Álvarez SA est condamnée aux dépens du présent pourvoi.