CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 22 mai 2014, n° 12-11462
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Accadix (SARL)
Défendeur :
GTM Bâtiment (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur
Avocats :
Mes Maupas-Oudinot, Frasson-Gorret, Bolling, Miguet
FAITS ET PROCÉDURE
À partir de l'année 2004, la société Accadix, qui exerce une activité d'entreprise de travail temporaire, a entretenu des relations commerciales avec la société GTM Bâtiment, filiale du groupe Vinci, qui a cessé de faire appel à ses services au cours de l'année 2008.
Estimant être victime d'une rupture brutale de leurs relations commerciales, la société Accadix a fait assigner la société GTM Bâtiment en réparation devant le Tribunal de commerce de Paris par acte du 9 mai 2011.
Par un jugement en date du 7 mai 2012, le Tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la société Accadix de la totalité de ses demandes,
- condamné la société Accadix à payer à la société GTM Bâtiment la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté le 21 juin 2012 par la société Accadix contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées le 17 septembre 2012 par lesquelles la société Accadix demande à la cour de :
- déclarer la société Accadix aussi recevable que fondée en appel.
- y faire droit.
- d'infirmer en conséquence le jugement rendu par le tribunal de commerce le 7 mai 2012 en ce qu'il a débouté la société Accadix de la totalité de ses demandes.
Statuant à nouveau,
- dire et juger que, compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales et de la situation de dépendance économique, la société GTM Bâtiment devait respecter un préavis de rupture de 18 mois ;
- constater que la société GTM Bâtiment n'a pas donné un préavis suffisant ;
- condamner la société GTM Bâtiment à payer la somme de 453 014 euros à la société Accadix en réparation des préjudices subis du fait de l'inobservation d'un délai de préavis suffisant ;
- condamner la société GTM Bâtiment au paiement d'une somme de 10 000 euros à la société Accadix au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Accadix précise qu'il faut considérer que la rupture est intervenue le 7 avril 2009, soit à la date de sa formalisation et non en mai 2008, comme l'a retenu le tribunal. Elle reproche aussi à ce dernier d'avoir commis une erreur d'appréciation en ne vérifiant pas si après la formalisation de la rupture le 7 avril 2009, la société GTM Bâtiment, avait continué à lui passer des commandes au titre du préavis.
Elle précise que la durée du préavis doit être déterminée au regard de la durée de la relation commerciale ainsi que de la dépendance économique qui était la sienne vis-à-vis de la société GTM et plus généralement du groupe Vinci.
La société Accadix fait valoir que son préjudice résulte du caractère brutal de la rupture, et qu'il consiste dans la perte des bénéfices qu'elle pouvait espérer retirer du maintien des relations commerciales. Elle ajoute que son préjudice a été aggravé par le fait qu'elle a dû rechercher de nouveaux employés, car les siens ont été repris par d'autres sociétés de travail temporaire et qu'elle a, de plus, subi un préjudice d'image et de réputation.
Vu les dernières conclusions signifiées le 16 novembre 2012 par lesquelles la société GTM Bâtiment demande à la cour de :
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 7 mai 2012 en toutes ses dispositions.
- condamner la société Accadix à verser à la société GTM Bâtiment la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société GTM soutient que le seul critère légal d'appréciation du délai de préavis est la durée de la relation commerciale et qu'en l'espèce cette durée a été de 5 ans et demi. Elle fait valoir que la convention signée entre elles était à durée déterminée et devait prendre fin le 30 décembre 2007. Ce que savait parfaitement la société Accadix, ainsi qu'il résulte d'une lettre du 5 mai 2008. Elle estime qu'au regard de la jurisprudence, le préavis n'avait pas à être supérieur à 6 mois ainsi que l'ont retenu les premiers juges.
L'intimée fait valoir que la société Accadix entretient une confusion entre les fondements des articles L. 442-6 et L. 420-2 en lui reprochant un abus de position dominante.
Elle précise qu'elle a respecté un préavis de plus d'une année et que, pendant la période visée, elle a vu son recours aux entreprises de travail temporaire amoindri.
La société GTM ajoute que la demande de dommages-intérêts pour rupture abusive présentée par la société Accadix est exorbitante compte tenu de ce qu'elle ne se trouvait pas en position de dépendance économique et qu'elle ne démontre pas qu'elle ne disposait pas de solution alternative pour pallier la baisse de son chiffre d'affaires. Elle fait aussi valoir que l'appelante ne justifie pas du montant de sa marge brute.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée, ainsi qu'aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la rupture des relations commerciales établies
Il n'est pas contesté qu'il a existé une relation commerciale établie entre les parties et que celle-ci a débuté en 2004. La société Accadix critique le jugement en ce qu'il a retenu que la rupture est intervenue en mai 2008 alors qu'elle n'a été formalisée par la société GTM que dans une lettre du 7 avril 2009. Cependant, cette lettre n'est produite par aucune des parties ce qui place la cour dans l'impossibilité de vérifier les termes d'une éventuelle formalisation de la rupture. Par ailleurs, il résulte d'une autre correspondance, adressée par la société Accadix à la société GTM le 26 août 2010, que celle-ci a brusquement mis un terme à leurs relations et il n'est pas contesté que cette rupture brutale s'est produite au mois de mai 2008. Enfin, la société Accadix ne rapporte aucun élément démontrant qu'elle aurait tenté de faire reprendre les relations après cette date ou qu'elle aurait pu douter du caractère définitif de la rupture. Dans ce contexte, il convient de retenir que la relation a été rompue en mai 2008 et qu'elle a donc duré quatre ans et quatre mois.
Sur la durée du préavis
Il résulte de l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce et de la jurisprudence appliquant ces dispositions que la durée d'un préavis suffisant doit être appréciée au regard de la durée de la relation commerciale et des usages de la profession, mais aussi d'autres éléments de contexte de la relation, notamment, de la situation de dépendance économique dans laquelle a pu se trouver la victime de la rupture vis-à-vis de son auteur.
La société Accadix soutient qu'elle se trouvait en situation de dépendance économique envers le Groupe Vinci qui représentait au minimum 40 % de son chiffre d'affaires pour les années 2005 à 2007 et même 47 % pour cette dernière année. Elle précise que toutes les sociétés du groupe ont quasi simultanément interrompu leurs relations avec elle. Elle ajoute que compte tenu de l'importance de ce groupe de sociétés sur le marché du BTP en Île-de-France, il lui sera difficile de retrouver un débouché équivalent.
Cependant, la société Accadix ne rapporte pas la preuve que les autres sociétés du groupe Vinci, qu'elle n'a d'ailleurs pas appelées en la cause, auraient elles aussi rompu sans préavis écrit les relations commerciales qu'elles entretenaient avec elle. De plus, elle ne démontre pas s'être trouvée dans l'impossibilité de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations qu'elle avait nouées avec la société GTM en particulier, ou avec les autres sociétés du groupe Vinci. Il convient encore, à ce titre, de relever qu'il résulte des données attestées par son expert-comptable qu'en 2005, le chiffre d'affaires réalisé par la société Accadix avec la société GTM représentait 5 % de son chiffre d'affaires total et qu'en 2007, ce rapport était de 8 %. Dans ces conditions, la société Accadix ne peut être fondée à soutenir que l'appréciation de la durée du préavis devrait prendre en compte la situation de dépendance économique dans laquelle elle se trouvait vis-à-vis du groupe de sociétés Vinci, ou de la société GTM en particulier.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, c'est par une juste analyse et des motifs que la cour adopte pour le surplus que le tribunal a fixé à six mois la durée du préavis qui aurait dû être accordé par la société GTM à la société Accadix. Il convient de préciser que ce préavis a couru à compter du mois de mai 2008, date de l'arrêt brutal des relations commerciales.
Sur ce point, la société GTM ne saurait sérieusement soutenir qu'elle a accordé un préavis de 18 mois à la société Accadix, puisque le préavis ne peut courir qu'à compter de la date à laquelle la rupture a été effective, sans qu'importe le fait que la convention que les parties avaient conclue soit arrivée à échéance le 30 décembre 2007.
Sur le préjudice de la société Accadix
Ainsi que le soutient la société Accadix, le préavis doit s'exercer dans les mêmes conditions économiques que celles qui existaient avant l'annonce de la rupture. Il n'est par ailleurs pas contesté que le préjudice s'évalue au regard de la perte de marge brute pendant la durée du préavis. Dans ces conditions, il n'est nul besoin de rechercher si la société GTM a continué à demander à la société Accadix la conclusion d'autres contrats d'intérim pendant les six mois de préavis, mais de vérifier au regard de la moyenne mensuelle de marge brute réalisée avant la rupture, si celle réalisée pendant le préavis a ou non été équivalente.
Il résulte des données chiffrées attestées par l'expert-comptable de la société Accadix et non contestées par la société GTM qu'en 2006 et 2007 et pour les quatre premiers mois de 2008, le chiffre d'affaires réalisé par la société Accadix avec la société GTM a été respectivement de 569 055, 1 306 467 et 860 833 euros, soit un total de 2 736 355 euros et une moyenne mensuelle de 97 726,96 euros (2 736 355 /28).
Au regard du secteur d'activité concerné, la cour estime qu'il convient de retenir le taux de marge brute de 24,34 % attesté par l'expert-comptable de la société Accadix et non sérieusement contesté par la société Accadix.
L'application de ce taux au chiffre d'affaires mensuel moyen calculé ci-dessus, conduit à fixer à 142 720,45 euros la marge brute qu'aurait dû réaliser la société Accadix pendant les six mois du préavis ([ 97 726,96 X 24,34 %] X 6).
Il n'est pas contesté que la société GTM a interrompu toute commande à compter du mois de mai 2008 et il n'y a donc pas lieu de déduire une quelconque somme au titre de l'exécution de contrats pendant le préavis. Dès lors, le préjudice de perte de marge brute subi par la société Accadix s'élève à 142 720,45 euros.
Par ailleurs, il convient de rappeler que la réparation à laquelle un manquement aux dispositions de l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce ouvre droit est celle du préjudice résultant de la brutalité de la rupture, mais ne peut être celle du dommage résultant de la rupture elle-même. Dans ces conditions, la société Accadix ne saurait prétendre à la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de l'obligation de réactualiser sa politique de commercialisation, ou d'engager des investissements pour la recherche de nouveaux clients. Enfin, elle ne démontre pas avoir subi d'atteinte à sa réputation ou à son image.
Le jugement doit donc être infirmé et la cour, statuant à nouveau, condamnera la société GTM à verser à la société Accadix la somme de 142 720,45 euros.
Sur les frais irrépétibles
Il est justifié, au regard de l'ensemble de ce qui précède de ne pas laisser à la charge de la société Accadix l'ensemble des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer pour faire valoir ses droits et de condamner la société GTM à lui verser la somme de 7 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau Dit que la société GTM a rompu brutalement, sans préavis écrit, la relation commerciale établie entre elle et la société Accadix depuis 2004 ; Condamne la société GTM à verser à la société Accadix la somme de 142 720,45 euros ; Condamne la société GTM à verser à la société Accadix la somme de 7 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes demandes autres, plus amples ou contraire des parties ; Condamne la société GTM aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.