CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 5 juin 2014, n° 13-19047
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
NGK Spark Plus France (SAS)
Défendeur :
SCPI (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Charlon
Conseillers :
Mmes Graff-Daudret, Bouvier
Avocats :
Mes Grappotte-Benetreau, Schaffner, Ingold, Zazzo, Perdrieux
FAITS ET PROCEDURE :
La SAS SCPI (Société de Commercialisation de Produits Industriels), exploitant sous la dénomination "Sifam Trading" (ci-après Sifam), dont le siège social se trouve 40 chemin de Lombardie 06730 Saint-André-de-la-Roche, est spécialisée dans la vente de consommables et pièces détachées pour motos de différentes marques ou sous ses propres marques. Elle livre toutes les boutiques du groupe Sifam.
La société NGK Spark Plug Co. Ltd, société de droit japonais, est le leader mondial de bougies d'allumage, et la SAS NGK Spark Plug France (ci-après NGK) est sa filiale française chargée de la distribution des bougies de la marque NGK.
La société NGK ayant refusé d'honorer les commandes passées par la société Sifam les 16 octobre et 13 décembre 2006 en lui opposant une fin de non-recevoir, à savoir qu'elle n'avait jamais accepté qu'elle puisse distribuer les produits NGK, la société Sifam l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Nice, qui a renvoyé la cause et les parties devant le Tribunal de commerce de Marseille.
Par arrêt du 20 mai 2010, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, statuant sur contredit, a désigné le Tribunal de commerce de Paris comme étant compétent en application de l'article L. 420-7 du Code de commerce instituant les juridictions régionales pour connaître des litiges fondés sur les articles L. 420-1 à L. 420-5 du même Code et désignant pour le ressort de Nanterre, ledit Tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 28 mai 2013, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a dit que la société NGK avait commis un abus de position dominante en refusant de livrer ses produits à la société Sifam et l'a condamnée à payer la somme de 450 000 euros à titre de dommages et intérêts outre 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Un appel est pendant devant la Cour d'appel de Paris (Pôle 5-4).
Par lettre recommandée avec avis de réception du 8 avril 2013, la société Sifam a passé commande de 52 000 bougies exprimant une option pour 100 000 bougies, accompagnant sa commande d'une garantie bancaire établie le 18 juin 2013 par le Crédit Agricole.
Par acte du 10 juillet 2013, n'ayant pas reçu de réponse favorable à sa commande en dépit d'une sommation interpellative de livrer la marchandise du 4 juillet 2013, la société Sifam a assigné la société NGK devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris pour voir enjoindre à la société NGK de livrer ses commandes sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et voir statuer à titre provisionnel sur ses nouveaux préjudices.
La société NGK a notamment soulevé l'incompétence du Tribunal de commerce de Paris au profit du Tribunal de commerce de Nanterre, dans le ressort duquel est situé son siège social et, subsidiairement, a sollicité un sursis à statuer dans l'attente de la décision dans la procédure en arrêt de l'exécution provisoire du jugement rendu le 28 mai 2013 par le Tribunal de commerce de Paris.
Par ordonnance contradictoire du 10 septembre 2013, le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris :
- s'est déclaré compétent pour connaître du litige,
- a dit n'y avoir lieu à référé ni à application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- a renvoyé l'affaire à une audience collégiale pour qu'il soit statué au fond,
- a condamné la société Sifam aux entiers dépens.
La société NGK a formé contredit le 25 septembre 2013.
Par arrêt contradictoire du 6 février 2014, la présente cour (Pôle 1-2), au visa des articles 91 et 98 du Code de procédure civile, a :
- dit que la cour d'appel saisie par la voie du contredit ne pouvait l'être que par la voie de l'appel contre l'ordonnance du juge des référés du Tribunal de commerce de Paris du 10 septembre 2013,
- dit qu'à défaut pour la société NGK de constituer avocat dans le mois de l'avis donné aux parties, l'appel sera déclaré d'office irrecevable,
- fixé l'affaire à l'audience du 2 avril 2014 à 14 heures,
- dit que la clôture sera prononcée le 26 mars 2014,
- réservé les dépens.
La procédure a été régularisée dans les formes de l'appel.
MOYENS ET PRETENTIONS DE NGK :
Par dernières conclusions du 25 mars 2014, auxquelles il convient de se reporter, la société NGK fait valoir :
- qu'elle a refusé de contracter avec la société Sifam car la société Sifam Italie a été condamnée pour contrefaçon de marque, par jugement du Tribunal de Milan du 26 janvier 2012, qu'elle a ensuite assigné la société Sifam (France) devant le Tribunal de grande instance de Paris qui a, ainsi que la Cour d'appel de Paris, par décisions du 7 avril 2009 et 22 octobre 2010, fait droit à ses demandes pour contrefaçon des marques communautaires NGK, qu'un pourvoi en cassation est pendant dans cette affaire,
- qu'en l'espèce, s'agissant d'une commande isolée, les articles 42 et 43 du Code de procédure civile sont applicables, la demande de la société Sifam relevant du droit commun, les textes spécifiques étant d'interprétation restrictive,
- qu'aucune connexité ne justifie qu'il soit dérogé à ces règles de compétence, les deux litiges opposant les parties étant distincts, l'un portant sur la question d'un abus de position dominante qui lui est reproché et l'autre sur l'incidence des procédures en contrefaçon qu'elle a initiées avec succès contre la société Sifam, qu'en tout état de cause, le juge des référés ne pouvait déroger aux règles de compétence d'ordre public,
- que l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence est inopérant parce que rendu dans le cadre d'une action en contrefaçon engagée contre la société Sifam alors que le présent litige concerne deux sociétés commerciales au titre d'un refus de commande,
A titre plus subsidiaire,
- qu'il n'y a pas lieu à référé, ce que la société Sifam a elle-même reconnu en sollicitant la "passerelle" devant le juge du fond, qu'il y a absence de trouble manifestement illicite et caractère contesté et contestable de l'obligation dont s'est prévalue la société Sifam,
- que les demandes de la société Sifam sont irrecevables en ce qu'elles se heurtent à l'autorité de la chose jugée par le jugement du 28 mai 2013,
- que le premier juge, en faisant usage de la "passerelle", n'a pas appliqué correctement le principe général de connexité qu'il retenait, en renvoyant l'affaire au fond devant le Tribunal de commerce de Paris, alors que la Cour d'appel de Paris est saisie du litige connexe.
Elle demande à la cour :
- de la déclarer recevable et bien fondée en son appel, ainsi qu'en ses demandes,
- de rejeter les demandes de la société Sifam comme étant si ce n'est irrecevables, à tout le moins mal fondées,
- de lui donner cependant acte de ce qu'elle sollicite la confirmation de l'ordonnance de référé du 10 septembre 2013 "en toutes ses dispositions", y compris en ce que "l'ordonnance du 30 septembre 2013" a dit n'y avoir lieu à référé,
En conséquence,
A titre principal,
- de dire que Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Paris ayant rendu l'ordonnance de référé du 10 septembre 2013 n'était pas compétent territorialement au profit du Tribunal de commerce de Nanterre et renvoyer l'affaire devant la Cour d'appel de Versailles prise en sa qualité de juridiction d'appel du Tribunal de commerce de Nanterre,
A titre subsidiaire,
- de confirmer l'ordonnance de référé du 10 septembre 2013 en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé et donner acte à la société Sifam de ce qu'elle acquiesce à cette demande,
A titre plus subsidiaire et statuant par l'effet dévolutif,
- de dire que Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Paris a renvoyé à tort l'affaire au fond devant le Tribunal de commerce de Paris alors qu'une instance au fond dite connexe était alors pendante devant la Cour d'appel de Paris et, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, redistribuer aux fins de jonction de l'affaire enregistrée sous le numéro RG 2013054231 devant le Tribunal de commerce de Paris avec l'affaire enregistrée auprès de la Cour d'appel de Paris sous le numéro RG 13-14172,
En tout état de cause,
- de condamner la société Sifam à lui verser la somme de 55 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de condamner la société Sifam aux entiers dépens de l'instance, lesquels seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.
MOYENS ET PRETENTIONS DE SIFAM :
Par dernières conclusions du 21 mars 2014, auxquelles il convient de se reporter, la société Sifam fait valoir :
- que le Tribunal de commerce de Paris est compétent car l'action engagée le 10 juillet 2013 a pour fondement les articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 442-6 du Code de commerce et relève donc des juridictions régionales pour connaître des pratiques restrictives de concurrence ou pratiques anticoncurrentielles,
- que la demande ne porte pas uniquement sur l'exécution d'une commande nouvelle mais aussi sur l'allocation d'une provision à valoir sur l'indemnisation de préjudices subis par elle dans des circonstances et sur une période non prises en compte par les juridictions ayant eu à connaître précédemment du litige,
- que le renvoi devant la Cour d'appel de Versailles constituerait une violation flagrante du double degré de juridiction,
- qu'elle est recevable à agir et que son action ne se heurte pas à l'autorité de la chose jugée car il est de jurisprudence constante que si l'auteur d'un refus de vente fautif peut être condamné à verser des dommages et intérêts au demandeur en réparation du préjudice subi, en revanche, il ne peut être condamné à satisfaire la commande, et qu'elle n'a pas invoqué des fondements juridiques nouveaux mais formulé des demandes nouvelles,
- qu'il ne saurait être reproché à l'ordonnance déférée de n'avoir pas renvoyé l'affaire directement à la connaissance de la Cour d'appel de Paris (Pôle 5-4) sans à nouveau méconnaître le principe du double degré de juridiction.
Elle demande à la cour :
- de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 10 septembre 2013 par M. le Président du Tribunal de commerce de Paris,
- de condamner la société NGK à lui verser la somme de 3 000 euros,
- de la condamner à la somme de 20 000 par application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel et pour les seconds, de l'admettre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR,
Sur la compétence :
Considérant que la compétence doit s'apprécier au regard des textes qui fondent la demande et n'est pas subordonnée à l'examen du bien-fondé de celle-ci ;
Considérant que l'assignation introductive de la présente instance devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris du 10 juillet 2013 est fondée sur les articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 442-6 du Code de commerce, outre les articles 872 et 873 du même Code ;
Que dès lors, c'est à juste titre que le Tribunal de commerce de Paris, compétent pour l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, en vertu de l'article D. 442-3 du même Code, pour le ressort de la Cour d'appel de Versailles où la société NGK a son siège social, a retenu sa compétence territoriale ;
Sur le référé :
Considérant qu'il résulte des articles 1351 du Code civil et 480 du Code de procédure civile que l'autorité de chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ;
Considérant que les demandes de la société Sifam formées devant le juge des référés tendent à voir enjoindre à la société NGK de livrer la commande de la marchandise décrite en préambule (commande du 8 avril 2013) dans les huit jours de la signification de l'ordonnance et ce sous astreinte, et la voir condamner à une provision de 85 000 euros à parfaire, à valoir sur la réparation de ses préjudices couvrant la période du 1er janvier au 1er juillet 2013 ;
Que cette demande ne se heurte pas à l'autorité de la chose jugée par jugement au fond du Tribunal de commerce de Paris du 28 mai 2013 ayant dit que la société NGK avait commis un abus de position dominante en refusant de livrer ses produits à la société Sifam, cela sans justification objective et après avoir engagé une relation contractuelle avec celle-ci, et condamné en conséquence la société NGK à payer à la société Sifam la somme de 450 000 euros à titre de dommages et intérêts, alors, d'une part, que la prétention portant sur la commande objet du litige soumis au juge des référés n'a pas été soumise au juge du fond, saisi par assignation du 28 novembre 2008 d'un abus de position dominante constitué par des refus de vente portant sur des commandes antérieures et que, d'autre part, la demande de provision à valoir sur la réparation de son préjudice est relative à une période postérieure à celle pour laquelle le préjudice a été indemnisé par le jugement du 28 mai 2013 ;
Considérant que le premier juge a exactement considéré que les relations entre les parties s'analysaient en un ensemble complexe qui ressortait des pouvoirs du juge du fond, ce que les parties s'accordent à dire ;
Que, sur la connexité, il apparaît de bonne justice de ne pas priver les parties du principe du double degré de juridiction, alors que la présente instance n'apparaît pas liée avec celle pendante devant la cour d'appel à un point tel qu'il serait de l'intérêt d'une bonne justice de les juger ensemble ;
Que la société Sifam ne justifiant pas du préjudice spécifique que lui aurait occasionné la présente procédure, sa demande formée à titre de dommages et intérêts sera rejetée ;
Par ces motifs Constate que la procédure a été régularisée dans la forme applicable à l'appel, Confirme l'ordonnance entreprise, Y ajoutant, Rejette la demande de renvoi devant la Cour d'appel de Paris (Pôle 5-4), Rejette la demande de dommages et intérêts formée par la société SCPI, Condamne la SAS NGK Spark Plugs France à payer à la SAS SCPI (Société de Commercialisation de Produits Industriels), exploitant sous la dénomination Sifam Trading, la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS NGK Spark Plugs France aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.