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Décisions

CA Nancy, ch. soc., 4 juin 2014, n° 14-00605

NANCY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Nechi

Défendeur :

Albatravel (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Malherbe

Conseillers :

MM. Ferron, Brisquet

Avocats :

Mes de Prat, Wenisch, Launay

Cons. prud'h. Nancy, du 6 déc. 2013

6 décembre 2013

FAITS ET PROCÉDURE

M. Youssef Nechi, né le 26 juin 1984, a été embauché le 2 juin 2009 par la société Albatravel, qui a pour activité la diffusion auprès d'agences de voyages d'un site Internet de réservation d'hôtels et de produits touristiques, en vertu d'un contrat à durée déterminée, en qualité d'attaché commercial niveau III, coefficient 132 de la convention collective nationale du personnel des agences de voyages et de tourisme.

A compter du 3 novembre 2009, la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.

M. Nechi a démissionné de son poste le 2 décembre 2011, avec effet à compter du 31 décembre 2011, mais il a continué de travailler pour le compte de la société Albatravel dans le cadre d'un contrat d'agent commercial conclu le 6 janvier 2012.

Par courrier du 1er octobre 2012, la société Albatravel a mis fin au contrat d'agent commercial de M. Nechi. Celui-ci a contesté la décision de la société Albatravel qui a cependant maintenu que M. Nechi avait la qualité d'agent commercial et non de salarié tout en proposant, par lettre officielle de son conseil du 9 novembre 2012, une indemnité transactionnelle de 5 400 euros.

Contestant avoir été lié à la société Albatravel par un contrat d'agent commercial, M. Nechi a saisi le Conseil de prud'hommes de Nancy le 23 novembre 2012 aux fins de voir dire qu'il était lié à la société par un nouveau contrat de travail ayant pris effet le 1er janvier 2012, dire que la rupture doit s'analyser comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et obtenir la condamnation de la société au paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des indemnités de rupture, d'un rappel de salaire pour l'année 2012, d'une indemnité compensatrice de congés payés, de dommages et intérêts pour préjudice moral, d'une indemnité pour travail dissimulé et d'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Albatravel a soulevé l'incompétence du Conseil de prud'hommes de Nancy au profit du Tribunal de commerce de Paris et a demandé, à titre reconventionnel, la condamnation de M. Nechi au paiement de dommages et intérêts pour absence de loyauté pendant la période du 1er janvier au 31 octobre 2012 ainsi qu'au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 6 décembre 2013, le Conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris et a renvoyé l'affaire devant cette juridiction à défaut de contredit, en laissant à chacune des parties la charge de ses dépens.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont retenu qu'il n'était pas démontré que la démission de M. Nechi eût été donnée sous la pression de l'employeur, qu'il était inscrit au registre des agents commerciaux, qu'il organisait son activité de façon indépendante, qu'il n'était pas au service exclusif de la société Albatravel et qu'il apparaissait dans l'organigramme d'une société dénommée Soleavacances.

Par lettre recommandée adressée au greffe du Conseil de prud'hommes de Nancy le 18 décembre 2013, M. Nechi a formé un contredit à l'encontre du jugement prononcé le 6 décembre 2013.

M. Nechi demande l'infirmation du jugement et sollicite que la cour évoque le fond de l'affaire.

Il fait valoir que bien qu'étant inscrit au registre des agents commerciaux, la présomption de non-salariat en résultant peut être inversée par la preuve selon laquelle il se trouvait sous un lien de subordination à l'égard de la société Albatravel.

Il sollicite la requalification de son contrat d'agent commercial du 6 janvier 2012 en contrat de travail en soutenant qu'il n'a présenté sa démission de son précédent emploi salarié pour devenir agent commercial qu'à la demande de son employeur mais que les missions qu'il accomplissait était strictement identiques à celles qu'il exerçait en tant que salarié.

M. Nechi demande que la rupture de son contrat de travail soit requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse et que la société Albatravel soit condamnée à lui payer les sommes suivantes :

- 4 800 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 480 euros au titre des congés payés afférents ;

- 2 052 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

- 4 000 euros à titre de rappel de salaire pour l'année 2012 ;

- 2 200 euros au titre des congés payés de l'année 2012 ;

- 43 200 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

- 14 400 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé.

À titre subsidiaire, pour le cas où la cour n'évoquerait pas le fond, M. Nechi demande que le dossier soit renvoyé devant le conseil de prud'hommes de Nancy.

En tout état de cause, M. Nechi sollicite la condamnation de la société Albatravel au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens comprenant la contribution pour l'aide juridique.

La société Albatravel demande à titre principal à la cour de dire qu'elle n'était pas liée à M. Nechi par un contrat de travail et de confirmer en conséquence le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris.

À titre subsidiaire, si la cour estimait que les parties étaient liées par un contrat de travail, elle demande qu'il soit constaté que le salaire de référence s'élevait à 2 000 euros bruts par mois et de limiter en conséquence le montant des condamnations aux sommes suivantes :

- 1 400 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

- 4 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 400 euros au titre des congés payés afférents ;

- 2 000 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés pour l'année 2012 ;

- 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle demande que M. Nechi soit débouté pour le surplus et qu'il soit condamné à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de loyauté durant la période du 1er janvier au 31 octobre 2012 ainsi qu'au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

LA COUR se réfère aux conclusions des parties, visées par le greffier le 23 avril 2014, dont elles ont repris oralement les termes lors de l'audience.

MOTIVATION

- Sur l'existence d'un contrat de travail et sur la compétence :

Attendu que selon l'article L. 134-1 du Code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux ;

Attendu que selon l'article L. 8221-6 du Code du travail, les personnes physiques immatriculées au registre des agents commerciaux sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription ; que l'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci ;

Qu'il résulte par conséquent de ce dernier texte que la présomption simple résultant de l'immatriculation au registre des agents commerciaux peut être renversée si la partie qui se prévaut de l'existence d'un contrat de travail rapporte la preuve du lien de subordination ;

Attendu qu'il ressort de l'extrait du registre spécial des agents commerciaux produit aux débats que M. Nechi est immatriculé en cette qualité depuis le 3 janvier 2012, pour un début d'activité fixé au 1er janvier précédent ; qu'il est également établi que la société Albatravel et M. Nechi ont signé le 6 janvier 2012 un contrat commercial aux termes duquel la première donnait mandat au second de la représenter pour une mission consistant à négocier la diffusion du site Internet "Albatravel" ;

Attendu que M. Nechi soutient, sans toutefois aller jusqu'à remettre en cause la validité de sa démission donnée par lettre du 2 décembre 2011, que celle-ci est intervenue à la demande de la société Albatravel et qu'il a également été contraint, compte tenu de sa situation de dépendance économique, à accepter la signature du contrat d'agent commercial du 6 janvier 2012 ;

Mais attendu qu'aucune pièce probante ne permet d'affirmer que la société Albatravel ait été à l'initiative de la démission et du changement de statut de M. Nechi ; qu'il résulte au contraire d'un courriel adressé par celui-ci le 17 octobre 2011 à MM. Elio Paterniti et Marco Guaramonti, dirigeants de la société Albatravel, qu'il a choisi de façon délibérée cette nouvelle orientation ("Comme évoqué lors de notre dernière entrevue de Top Resa, j'ai décidé de créer ma structure et donc de me mettre à mon compte à partir de janvier 2012. Pour ce faire, j'ai longuement réfléchi et pris conseil et j'ai conclu qu'il est inévitable de redéfinir mon secteur...)" ; que si M. Nechi invoque des courriels de M. Marco Guaramonti de novembre 2011, de décembre 2011 et du début janvier 2012 lui demandant de confirmer sa démission ou de préciser ses demandes au sujet de son secteur géographique, ces courriels étaient cependant justifiés par la nécessité de mettre rapidement en place le cadre juridique dans lequel devait s'inscrire la collaboration de M. Nechi à compter du 1er janvier 2012 ;

Qu'il n'est donc nullement établi que le passage du statut de salarié à celui d'agent commercial ait procédé de la seule volonté de la société Albatravel ;

Attendu que l'acceptation d'un contrat d'agent commercial n'interdit cependant pas à l'intéressé de demander sa requalification en contrat de travail et il y a lieu de rechercher si les conditions concrètes d'exercice des missions confiées à M. Nechi révélaient l'existence d'un lien de subordination caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui avait le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ;

Attendu que les conditions du contrat d'agent commercial n'étaient pas identiques à celles du contrat de travail dans la mesure notamment où le secteur géographique n'incluait plus la Belgique ni le département de l'Oise mais incluait en revanche les départements alsaciens ainsi que le Doubs et le Territoire de Belfort ;

Attendu que la circonstance selon laquelle M. Nechi devait établir des rapports hebdomadaires d'activité ne faisait que traduire l'obligation s'imposant à tout mandataire de rendre compte à son mandant des opérations réalisées dans son intérêt, sans que cela prouve qu'il ait été obligé d'obéir à des injonctions précises de la société Albatravel ;

Attendu que le courriel de la direction commerciale du 13 septembre 2012 évoquant des problèmes de paiement de certaines agences de voyage se borne à appeler l'attention des commerciaux sur la nécessité pour eux d'être vigilants à propos de la santé financière de certains clients potentiels (pièce n° 43) ; que ces simples recommandations à portée générale ne peuvent être assimilées à des ordres ou à des directives traduisant le pouvoir de direction de l'employeur à l'égard de ses salariés ;

Attendu que la plupart des autres courriels invoqués par M. Nechi sont de simples commentaires des résultats réalisés ou bien encore sont relatifs à des échanges d'informations qui ne contiennent aucune instruction précise à propos de la façon dont il devait accomplir ses missions ; qu'en tout état de cause, M. Nechi ne rapporte pas la preuve qu'il était tenu à la réalisation d'objectifs précis ni que l'absence de réalisation d'éventuels objectifs pouvait être sanctionnée d'une façon ou d'une autre ;

Attendu que la circonstance selon laquelle M. Nechi a été invité à participer à une réunion commerciale organisée par la société Albatravel le 17 septembre 2012 (pièce n° 48) ne prouve pas que cette rencontre ait été destinée à transmettre des instructions précises aux participants ; qu'il ressort en réalité du courriel produit aux débats par M. Nechi qu'il s'agissait avant tout, dans l'esprit des organisateurs, d'une réunion d'information ("Nous nous sommes efforcés d'aborder différents thèmes qui vous touchent de près au quotidien, auxquels nous souhaiterions apporter des réponses les plus concrètes possibles") ;

Attendu que M. Nechi ne rapporte pas la preuve qu'il ait été tenu de solliciter l'autorisation de la société Albatravel lors de ses absences, même s'il pouvait lui arriver d'en informer la société ; qu'il résulte au contraire d'un courriel du 11 juin 2012 qu'il produit lui-même aux débats (pièce n° 39) qu'il décidait seul de la prise de ses congés ("il est temps que je me prenne quelques jours, je serai donc en congés du 18 au 22 juin") ; que de façon générale, rien ne permet d'établir que M. Nechi ait été soumis à des contraintes horaires ou d'emploi du temps et il apparaît qu'il gérait seul son emploi du temps ; qu'il est en revanche établi qu'il sollicitait l'autorisation de la société Albatravel pour la prise de ses congés lorsqu'il relevait du statut de salarié (pièces n° 7 à 9 du dossier de la société) ;

Attendu que la circonstance selon laquelle M. Nechi a souhaité commander le 2 juin 2012 des cartes de visite comportant le logo et les coordonnées de la société Albatravel n'est en rien incompatible avec le statut d'agent commercial chargé de représenter cette société et ne prouve pas que l'intéressé ait travaillé dans le cadre d'un service organisé par la société ;

Attendu que M. Nechi ne conteste pas qu'il a également travaillé à partir de l'année 2012 en qualité d'agent commercial pour la société Solea Vacances, spécialisée dans les séjours touristiques dans les îles, ainsi que cela ressort du site Internet de cette société où l'intéressé est mentionné, photographie à l'appui, comme étant le "commercial Est" (pièce n° 3 du dossier de la société) ; que M. Nechi avait informé la société Albatravel de cette activité au service de la société Solea puisqu'il a précisé dans un courriel du 26 mars 2012 que les choses se passaient très bien pour lui avec cette société ; que l'exercice d'une autre activité susceptible de concurrencer celle de la société Albatravel aurait été incompatible avec l'obligation de loyauté inhérente au contrat de travail, étant observé en outre que M. Nechi a indiqué à l'audience qu'il était toujours agent commercial pour le compte de la société Solea ;

Qu'en définitive, M. Nechi ne rapporte pas la preuve qu'il ait accompli ses missions de représentation de la société Albatravel sous les ordres et les directives d'un supérieur hiérarchique qui avait le pouvoir d'en contrôler l'exécution et de sanctionner ses éventuels manquements ; qu'il apparaît au contraire que M. Nechi exerçait de façon indépendante ses mandats de représentation pour le compte de la société Albatravel ainsi que pour celui d'une autre société relevant également du secteur du tourisme ;

Que dès lors, la preuve de l'existence d'un lien de subordination n'étant pas établie et la présomption de non-salariat résultant de l'inscription de M. Nechi au registre des agents commerciaux n'étant pas renversée, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par la société Albatravel en retenant l'absence de contrat de travail et en renvoyant l'affaire devant le Tribunal de commerce de Paris, étant observé que la compétence territoriale de cette juridiction n'est pas discutée ; qu'il y a lieu en conséquence de rejeter le contredit formé par M. Nechi et de confirmer le jugement déféré ;

- Sur les frais irrépétibles et sur les frais de la procédure de contredit :

Attendu que la société Albatravel ne formule pas à titre principal, pour le cas où le contredit serait rejeté, de demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu que la demande présentée par M. Nechi au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, qui est formulée en tout état de cause, doit être rejetée dans la mesure où il n'est pas fait droit à son contredit ;

Attendu que M. Nechi doit être condamné aux éventuels frais de la procédure de contredit, par application de l'article 88 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, La COUR, Statuant par arrêt contradictoire, Rejette le contredit formé par M. Youssef Nechi ; Confirme en conséquence le jugement déféré ; Y ajoutant : Déboute M. Youssef Nechi de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne M. Youssef Nechi aux éventuels frais de la procédure de contredit, par application de l'article 88 du Code de procédure civile.