Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 12 juin 2014, n° 12-19673

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

SNIW (SA)

Défendeur :

US Import-Export (SAS), Levalois (SA), SCP Silvestri et Baujet (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur

Avocats :

Mes Montacie, Bourayne, Henoussene

T. com. Lille, du 22 nov. 2011

22 novembre 2011

FAITS ET PROCÉDURE

La société SNIW exerce une activité de centrale d'achats de produits alimentaires, spécialisée dans l'approvisionnement de supermarchés et de grossistes exploitant leur activité de façon internationale.

Depuis 2003, elle comptait parmi ses clients la société US Import-Export pour l'approvisionnement d'un supermarché et de deux supérettes à Saint Martin (971). Celle-ci passait ses commandes directement auprès de la société SNIW, qui émettait ses factures au nom de la société Levalois, société "commissionnaire exportateur" située à Bruges (33) sur le territoire métropolitain, laquelle les réglait au comptant, mais accordait à la société US Import-Export un paiement par traite à 90 jours.

Les achats de la société US Import se sont développés rapidement pour atteindre environ 1,8 millions d'euros en 2005/2006, et 2,2 millions d'euros en 2008/2009, représentant presque 15 % du chiffre d'affaires de la société SNIW.

Répondant à une demande de M. Ursulet de la société US Import-Export, M. Dupuis, responsable de la société SNIW, a, par un courrier électronique du 15 janvier 2010, précisé que celle-ci acceptait d'approvisionner un supermarché de Saint-Martin acquis par une filiale du groupe de la société US Import-Export. Il précisait que la société faisait payer ses clients comptant, mais qu'elle accepterait pour ce supermarché, une facturation directe et paiement à 30 jours moyennant dépôt d'un chèque de caution équivalent à environ deux mois de chiffre d'affaires, soit la somme de 400 000 euros. Il ajoutait que compte tenu des difficultés financières rencontrées par la société Levalois, la société SNIW était obligée de "sécuriser les paiements" et que si la société US Import-Export souhaitait "passer en direct" elle lui accorderait alors les mêmes conditions que celles proposées pour le nouveau supermarché, c'est-à-dire un paiement à trente jours avec une caution de 400 000 euros.

A compter du 6 mars 2010, la société SNIW a constaté un arrêt des commandes de la société US Import-Export et l'a interrogée par courrier électronique du 19 avril 2010 sur les raisons de cet arrêt.

Ne recevant pas de réponse, elle a, par lettre recommandée du 6 mai 2010, mis en cause la responsabilité de son ancienne partenaire pour rupture brutale de leurs relations d'affaires. Puis, elle a, le 13 octobre 2010, fait assigner les sociétés US Import-Export et Levalois en réparation de son préjudice devant le Tribunal de commerce de Lille.

Le 2 février 2011, le Tribunal de commerce de Bordeaux a placé la société Levalois en liquidation judiciaire. La société Silvestri Baujet, est intervenue à la procédure en sa qualité de liquidateur judiciaire.

Par jugement rendu le 22 novembre 2011, le Tribunal de commerce de Lille a :

- déclaré le Tribunal de commerce de Lille compétent ratione loci.

- déclaré la société Levalois et la société Silvestri Baujet ès qualités de liquidateur de judiciaire de la société Levalois hors de cause.

- débouté la société SNIW de toutes ses demandes.

- condamné la société SNIW à payer à la société US Import-Export la somme de 5 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté par la société SNIW le 2 novembre 2012 contre cette décision.

Vu les dernières conclusions, signifiées par la société SNIW le 28 janvier 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 22 novembre 2011 par le Tribunal de commerce de Lille en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau,

- condamner solidairement les sociétés US Import-Export et Levalois ou l'une à défaut de l'autre à payer à la société SNIW une somme de 284 638 € en réparation du préjudice qui a résulté pour cette dernière de la rupture abusive et brutale de la relation d'affaires.

- condamner solidairement les sociétés US Import-Export et Levalois ou l'une à défaut de l'autre, à payer à la société SNIW la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société SNIW soutient que la rupture de relations commerciales établies doit s'apprécier indépendamment de la nature contractuelle ou non de la relation, les dispositions légales visant une réalité économique et non la consécration juridique de la relation en cause.

Elle précise qu'en l'espèce la société SNIW fournissait directement les produits à la société US Import-Export, la société Levalois n'intervenant que pour fournir à cette dernière un crédit fournisseur.

Elle ajoute que la relation en cause, ayant duré sept ans, était établie et que la brutalité de la rupture résulte de la cessation subite et totale des commandes à compter du 6 mars 2010, dans un contexte de chiffre d'affaires en constante augmentation, et sans préavis écrit.

Elle précise qu'au regard de la durée de la relation, de la part du chiffre d'affaires réalisée par la société SNIW avec la société US Import-Export, et les faibles possibilités de reconversion, le préavis aurait dû être au minimum de douze mois.

Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 5 septembre 2013, déclarant les conclusions d'intimée régularisées par la société US Import-Export le 31 mai 2013 irrecevables ;

Vu les conclusions, signifiées par la société SNIW le 19 février 2014, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- déclarer recevables et bien fondées les prétentions de la société US Import

Y faisant droit,

- dire et juger qu'il n'y a pas lieu de constater l'existence d'un grief

- déclarer irrecevable la déclaration d'appel de la société SNIW

- en tout état de cause, constater que le contractant direct de la société SNIW était la société Levalois.

- débouter la société SNIW de ses prétentions et de toutes ses demandes

- confirmer le jugement du 22 novembre 2011 du Tribunal de commerce de Lille en toutes ses dispositions,

Et y ajoutant,

- condamner la société SNIW à payer à la société US Import la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société US Import-Export invoque un avis de la Cour de cassation du 21 janvier 2013, par lequel il a été précisé que dans la procédure d'appel en matière civile contentieuse avec représentation obligatoire, les parties peuvent, jusqu'à la clôture de l'instruction, invoquer de nouveaux moyens. Elle estime qu'en application de cet avis, elle est recevable à présenter de nouveaux moyens en dépit de l'ordonnance du 5 septembre 2013.

À ce titre, elle soutient que la déclaration d'appel est nulle faute de mention concernant l'organe représentant de la société SNIW et que celle-ci ne peut régulariser cette cause de nullité de fond.

Elle demande par ailleurs la confirmation du jugement.

Vu les conclusions d'incident signifiées par la société SNIW le 25 février 2014, par lesquelles la société SNIW demande au conseiller de la mise en état de :

- dire irrecevables les conclusions d'intimée régularisées par la société US Import-Export le 19 février 2014 ;

- condamner la société US Import-Export à payer à la société SNIW la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée, ainsi qu'aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la recevabilité des conclusions de la société US Import-Export régularisées le 19 février 2014

L'ordonnance de clôture a été rendue dans cette affaire le 27 février 2014, sans que le conseiller de la mise en état statue sur la demande de la société SNIW tendant à ce que les conclusions déposées par la société US Import-Export le 19 février précédent soient déclarées irrecevables. Il appartient en conséquence à la cour de statuer sur cette question.

Par ordonnance du 5 septembre 2013, les conclusions d'intimées déposées par la société US Import-Export ont été déclarées irrecevables sur le fondement de l'article 902 du Code de procédure civile, faute d'avoir été déposées par l'intimée dans le délai de deux mois prévu par ce texte.

C'est à tort que la société US Import-Export invoque l'avis de la Cour de cassation n° 1300005 du 21 janvier 2013 pour soutenir que puisque les parties peuvent présenter de nouveaux moyens jusqu'à la clôture de l'instruction, elle est recevable à déposer les siennes qui comportent un moyen nouveau d'irrecevabilité de l'appel, en dépit de l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 5 septembre 2013.

En effet, si cet avis énonce que dans la procédure d'appel en matière civile contentieuse avec représentation obligatoire, les parties peuvent, jusqu'à la clôture de l'instruction, invoquer de nouveaux moyens, la portée de ce principe ne saurait s'étendre au-delà de la question posée. Or cette question qui était de savoir si "l'appelant peut (...), dans un second jeu de conclusions signifiées et remises plus de trois mois après la déclaration d'appel, articuler des moyens nouveaux (fins de non-recevoir ou moyens de fond) non soulevés dans ses premières conclusions d'appel, et non suscités par une évolution du litige susceptible d'avoir été provoquée par les conclusions signifiées entre-temps par l'intimé", concerne la limite procédurale dans laquelle les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux. Au regard de cette question, le principe énoncé par cet avis, ne saurait être étendu à la question de savoir si une partie dont les conclusions initiales ont été déclarées irrecevables peut déposer ultérieurement de nouvelles conclusions soulevant un moyen nouveau. Plus encore, admettre l'interprétation proposée par la société US Import-Export reviendrait à permettre à une partie de contourner les exigences de délais fixés pour garantir le déroulement efficient des procédures.

Ainsi, les conclusions déposées par la société US Import-Export le 19 février 2014, alors que ses conclusions initiales ont été déclarées irrecevables, sont elles-mêmes irrecevables.

Par ailleurs s'il est prescrit par la combinaison des articles 58 et 901 du Code de procédure civile que la déclaration d'appel doit préciser quel est l'organe qui représente la société appelante, il n'est pas prévu par ces dispositions que cette cause de nullité doit être soulevée d'office. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'examiner les conséquences de l'absence de cette mention dans la déclaration d'appel de la société SNIW, qui n'a d'ailleurs pu causer aucun grief à la société US Import-Export.

Sur le fond

Aux termes de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers,... de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...)".

Sur l'existence d'une relation commerciale établie

En l'espèce, il ressort des pièces produites au dossier et notamment d'une lettre adressée par M. Winer, dirigeant de la société SNIW à M. Levalois, dirigeant de la société éponyme, le 6 janvier 2003, ainsi que du contrat signé entre les sociétés SNIW et Levalois le 7 janvier 2003, que les relations des parties ont débuté en 2003. Depuis cette date, la société SNIW a régulièrement et de façon continue approvisionné la société US Import. Si les factures de ces approvisionnements ont été établies au nom de la société Levalois et payées par celle-ci, les commandes étaient néanmoins passées directement par la société US Import-Export et livrées à celle-ci. Il est, de plus, établi que ces relations ont été stables, pendant cette durée et qu'elles ont atteint des montants élevés de plus de deux millions entre le 1er mai 2008 et le 30 avril 2009 et de plus d'un million neuf entre le 1er mai 2009 et le 30 avril 2010. Il a donc bien existé une relation commerciale établie entre les sociétés SNIW et US Import-Export, sans qu'importe que cette relation ne se soit pas déroulée dans un cadre contractuel. Cette relation a débuté en janvier 2003 pour se terminer le 6 mars 2010, date de la dernière commande ; elle a donc duré sept ans.

Sur le caractère brutal de la rupture

Il n'a pas été contesté que la société US Import-Export a cessé ses approvisionnements auprès de la société SNIW du jour au lendemain, sans lui adresser ni lettre de rupture, ni préavis écrit. Cette façon de procéder engage sa responsabilité en application de la disposition précitée, sans qu'importe le fait que la société SNIW ait pu prévoir cette rupture, ce qui au demeurant n'est pas démontré. Il n'est en outre pas établi que la société SNIW aurait commis une quelconque faute qui aurait pu justifier une rupture immédiate des relations commerciales en raison de l'inexécution de ses obligations envers la société US Import-Export.

Le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts de la société SNIW.

Sur la durée du préavis

Il résulte des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce et de la jurisprudence appliquant ce texte que la durée du préavis précédant une rupture de relations commerciales établies doit être appréciée au regard de la durée de la relation, mais aussi des éléments propres et particuliers de celle-ci.

En l'espèce, la durée de la relation a été, ainsi qu'il a été précédemment relevé, de sept ans et il ressort d'une attestation de l'expert-comptable de la société SNIW que durant les deux derniers exercices précédant la rupture, la part représentée par les échanges entre les deux sociétés dans le chiffre d'affaires réalisé par la société SNIW a été de 15,12 % entre 2008 et 2009 et de 13,15 % entre 2009 et 2010. Celle-ci ne se trouvait donc pas dans une situation de dépendance vis-à-vis de sa partenaire la société US Import-Export. Par ailleurs, si le marché local de la partie française de l'île de Saint-Martin n'offrait que peu de solutions de reconversion à la société SNIW, il convient de relever que celle-ci était spécialisée dans les ventes internationales et pouvait chercher d'autres débouchés dans d'autres secteurs géographiques.

Dans ces conditions, il convient de fixer la durée du préavis à six mois.

Sur le montant du préjudice

Le préjudice résultant d'une rupture des relations commerciales sans préavis réside dans la perte de marge brute que la victime de la rupture aurait pu réaliser pendant la durée du préavis si celui-ci lui avait été accordé.

En l'espèce, la société SNIW produit une attestation de son expert-comptable selon laquelle durant l'exercice du 1er mai 2009 au 30 avril 2010 le chiffre d'affaires réalisé par la société SNIW avec la société Levalois s'est élevé à 1 911 791, 21 euros et que ce chiffre d'affaires représentait exclusivement celui réalisé avec la société US Import-Export. Par ailleurs, cet expert-comptable a attesté que le taux de marge brute réalisé par la société SNIW était de 12,10 % pour les exercices clos au 30 avril 2009 et au 30 avril 2010. Il s'en déduit que le préjudice subi par la société SNIW du fait de la rupture est de 115 663,35 euros ([1 911 791,21 / 2 ] X 12,10 %).

La société US Import-Export doit en conséquence être condamnée à verser cette somme à la société SNIW.

Sur les frais irrépétibles

Il est justifié au regard de l'ensemble de ce qui précède de ne pas laisser à la charge de la société SNIW l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'elle a été contrainte d'exposer pour défendre ses droits.

Dans ces conditions, la société US Import-Export sera condamnée à lui verser 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs La COUR statuant publiquement, par arrêt rendu par défaut et en dernier ressort : Déclare irrecevables les conclusions déposées par la société US Import-Export le 19 février 2014 ; Infirme le jugement déféré sauf en ses dispositions qui ont déclaré le Tribunal de commerce de Lille compétent rationae loci et déclaré la société Levalois et la SCP Silvestri Baujet ès-qualités, hors de cause ; Statuant à nouveau, Dit que la société US Import-Export a engagé sa responsabilité envers la société SNIW en rompant brutalement, sans préavis, leur relation commerciale établie ; Condamne la société US Import-Export à verser à la société SNIW la somme de 115 663,35 euros Condamne la société US Import-Export à verser à la société SNIW la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société US Import-Export aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés dans les conditions énoncées par l'article 699 du Code de procédure civile.