CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 11 juin 2014, n° 12-01538
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
CTA 2 (Sté)
Défendeur :
JP Contrôle (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Vignes, Cartigny, Sicakyuz
La SARL CTA 2 exploite, depuis 1996, un centre de contrôle technique automobile affilié au réseau "Autovision", situé 746 rue du maréchal Juin à Vaux-le-Penil.
Dans le courant de l'année 2007, les associés de la société CTA 2 ont décidé de vendre la société. Les négociations engagées avec M. Jean-Paul Septier, embauché par la société CTA 2 depuis 1996 en qualité de contrôleur technique et qui occupait en dernier lieu les fonctions de responsable de centre, n'ont pas abouti.
La société CTA 2 a été cédée le 8 août 2008 à Mme Marion Château.
Le 15 octobre 2008, la société CTA 2 et M. Septier ont signé une convention conjointe de rupture du contrat de travail.
Le 6 juillet 2009, l'EURL JP Contrôle créée par M. Septier, avec pour activité le contrôle technique des véhicules, a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Melun. M. Septier a également créé une SCI dénommée "L'Orchidée" pour faire l'acquisition, par acte du 5 août 2009, d'un garage, situé 1055 rue du Maréchal Juin à Vaux Le Penil.
Le 25 septembre 2009 la société JP Contrôle a signé avec la Société Européenne de Contrôle Technique Automobile un contrat d'affiliation. La SCI "L'Orchidée" a donné à bail ses locaux à la société JP Contrôle à compter du 1er octobre 2009 pour y exercer l'activité de contrôle technique automobile.
Le 8 octobre 2009, M. Septier a ouvert un centre de contrôle technique automobile sous l'enseigne Autosur, situé 1055 rue du Maréchal Juin à Vaux Le Penil.
Le 31 août 2009, M. Laurent Petit, employé par la société CTA 2 en qualité de contrôleur technique depuis de 28 juillet 1997, a démissionné avec effet au 1er octobre 2009 et a été engagé par la société JP Contrôle.
Par acte du 20 juillet 2010 la société CTA 2, reprochant à la société JP Contrôle des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Melun.
Par jugement du 5 décembre 2011 le tribunal a :
- débouté la société CTA 2 de l'ensemble de ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné la société CTA 2 à payer à la société JP Contrôle la somme de 1 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société CTA 2 en tous les dépens,
- débouté les parties de leurs autres demandes.
Le 26 janvier 2012 la société CTA 2 a interjeté appel de ce jugement.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 9 août 2012, par lesquelles la société CTA 2 demande à la cour :
Au visa de l'article 1382 du Code civil,
- d'infirmer en intégralité le jugement,
statuant à nouveau,
- de condamner la société JP Contrôle à verser à la société CTA 2 la somme de 150 000 à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices économique et commercial subis par la société CTA 2 du fait des actes de concurrence déloyale et de parasitisme pratiqués par la société JP Contrôle,
- condamner la société JP Contrôle à verser à la société CTA 2 la somme de 5 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société JP Contrôle aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 15 juin 2012, par lesquelles la société
JP Contrôle demande à la cour :
Au visa de l'article 1382 du Code civil,
- constater que la société JP Contrôle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ou de parasitisme, que son activité n'est pas fautive et que dans tous les cas elle n'a causé aucun préjudice indemnisable à la société CTA 2,
- débouter la société CTA 2 de toutes ses demandes,
- condamner la société CTA 2 à payer à la société JP Contrôle la somme de 5 000 en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.
CELA ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR :
Sur la concurrence déloyale et le parasitisme :
Considérant que l'appelante soutient que la société JP Contrôle a procédé à un démarchage systématique de la clientèle de la société CTA 2 en utilisant le fichier client de la société CTA 2 et en usant de manœuvres visant à semer la confusion dans l'esprit de sa clientèle, afin de la détourner ; que M. Petit, qui a rejoint la société JP Contrôle dès l'expiration de son préavis, a permis à M. Septier de rester en contact avec le fichier client de la société CTA 2 le temps que soit créé le centre exploité par la société JP Contrôle ; que l'intimée s'est adressée à l'imprimerie habituelle de la société CTA 2 afin de faire réaliser des tracts promotionnels les plus semblables possible à ceux de la société CTA 2 ; que les clients de la société CTA 2 ont également été démarchés par téléphone grâce aux informations que seule la société CTA 2 détenait dans le cadre de sa relation commerciale ;
Considérant que la société CTA 2 soutient également que le détournement illicite de sa clientèle a été aggravé par la proximité géographique des deux centres de contrôle et l'identité des couleurs utilisées pour les enseignes et les plaquettes publicitaires, ces circonstances générant un risque de confusion entre les deux établissements ; que la société JP Contrôle use de moyens déloyaux pour tirer profit des efforts et de la notoriété de la société CTA 2 ;
Considérant que la société JP Contrôle dément disposer du fichier client de la société CTA 2 et conteste qu'une confusion soit créée dans l'esprit du public, les réseaux Autovision et Autosur s'identifiant par une charte graphique commerciale distincte ; qu'elle fait observer qu'il existe un troisième centre de contrôle technique automobile, membre du réseau Auto Securite Securitest, dans la même commune et soutient que la situation de la société CTA 2, qui connaît des difficultés économiques depuis 2006, est la conséquence d'une mauvaise gestion et du manque de professionnalisme de son personnel ; que la diminution du chiffre d'affaires de la société CTA 2 s'explique par le fait qu'elle n'emploie plus qu'un seul contrôleur depuis le 1er octobre 2009, au lieu de deux contrôleurs aidés d'une secrétaire comptable en 2008 ;
Considérant que, en application du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, l'installation en octobre 2009 d'un centre de contrôle automobile par la société JP Contrôle dans la rue où est implanté, depuis 1996, le centre de contrôle automobile de la société CTA 2, n'est pas constitutif d'une faute, d'autant que M. Septier, associé unique et gérant de la société JP Contrôle, n'était pas tenu au respect d'une clause de non-concurrence ;
Considérant que la société CTA 2 produit l'attestation d'une de ses clientes indiquant avoir été démarchée par téléphone, au mois de mars 2010, par la société JP Contrôle, qui sans se présenter lui a proposé de prendre un rendez-vous et qui disposait d'informations, telles que l'identification précise de son véhicule ou la date du précédent contrôle technique, qui ne pouvaient être connues que de la société CTA 2 ;
Considérant que l'intimée produit des courriers adressés par la société Axa à ses assurés pour leur proposer d'appeler un numéro vert afin de prendre contact avec un centre Autosur et de bénéficier d'une réduction de 15 %, ainsi qu'une publicité de la société GAN en faveur d'Autosur, mentionnant également un numéro vert ;
Considérant que l'unique attestation produite par la société CTA 2 est insuffisante à établir que la société JP Contrôle a détourné le fichier client de la société CTA 2 pour démarcher sa clientèle ;
Considérant que la société JP Contrôle verse aux débats de nombreuses attestations de clients mentionnant avoir appris l'ouverture par M. Septier d'un centre de contrôle technique et avoir décidé de le suivre en raison de ses compétences ; que la société JP Contrôle a bénéficié de la réputation acquise par M. Septier auprès des clients de la société CTA 2, pour laquelle il a travaillé durant de nombreuses années, cette situation étant licite ; que les manœuvres déloyales invoquée par la société CTA 2 pour détourner sa clientèle ne sont pas démontrées ;
Considérant que la ressemblance des enveloppes utilisées par les deux sociétés, comme celle de l'aspect extérieur, de la configuration ou des couleurs des deux centres techniques sont indépendantes de la volonté de la société JP Contrôle, qui utilise les enveloppes pré timbrées de la poste et la charte graphique et commerciale imposée par le réseau Autosur ; que le fait que la société JP Contrôle s'adresse au même imprimeur que la société CTA 2 n'est pas fautif dès lors que les documents de chacune des sociétés sont différents ;
Considérant qu'il résulte des attestations versées aux débats par chacune des parties que l'implantation sur la même voie de circulation de deux centres de contrôle technique présentant un aspect extérieur similaire, a été une source de confusion pour de nombreux clients qui, ayant rendez-vous dans un centre, se présentaient dans l'autre établissement, sans être détrompés par le personnel sur place ;
Considérant que même si la société JP Contrôle justifie par la production d'attestations, que la situation était la même pour ses clients, toutefois c'est la société JP Contrôle qui, en faisant le choix de s'installer en octobre 2009 dans la rue où était implanté depuis 1996 le centre technique exploité par la société CTA 2, est à l'origine de cette situation ;
Considérant qu'il apparaît que le choix fait par la société JP Contrôle de s'installer à quelques centaines de mètres de la société CTA 2 et de n'employer que d'anciens salariés de cette société, soit outre M. Septier, M. Petit, contrôleur technique et Mme Leviel, secrétaire comptable, a créé une confusion entre les deux établissements et a permis à la société JP Contrôle de profiter de la notoriété de la société CTA 2 et de récupérer immédiatement la clientèle de cette société, notamment celle qui avait l'habitude de confier leur véhicule à Messieurs Septier et Petit;
Considérant qu'ainsi la société JP Contrôle s'est volontairement placée dans le sillage de la société CTA 2 pour tirer profit de la notoriété et des efforts fait par cette société, implantée dans la rue du Maréchal Juin depuis de nombreuses années, pour attirer la clientèle, et a ainsi pu récupérer facilement et immédiatement un tiers de la clientèle de la société CTA 2 ; qu'en cherchant à tirer profit à moindre frais de la notoriété de la société CTA 2 pour s'installer et se développer , la société JP Contrôle s'est livrée à une concurrence parasitaire ; qu'en conséquence, l'action en responsabilité de la société CTA 2 doit être accueillie et le jugement infirmé ;
Sur le préjudice :
Considérant que la société CTA 2 expose que dès le mois d'octobre 2009 son chiffre d'affaires a diminué fortement, passant de 351 visites de contrôle en septembre 2009 à 240 visites de contrôle au mois d'octobre 2009 alors qu'elle avait réalisé 355 visites de contrôle au cours du mois d'octobre 2008 ; que d'octobre 2009 à mai 2010 la société CTA 2 a perdu 866 visites par rapport à l'année précédente, soit une moyenne mensuelle de 109 visites ; que les actes de démarchage de la société JP Contrôle persistent toujours ; que le prix d'un contrôle technique s'élevant à 60 , elle a subi une perte de chiffre d'affaires mensuelle minimum de 6 540 , soit la somme de 58 860 , du mois d'octobre 2009 au mois de juin 2010 ; qu'à ce préjudice économique s'ajoute les préjudices commercial et d'image subis ; que l'appelante chiffre son préjudice à la somme totale de 150 000 ;
Considérant que la société JP Contrôle soutient que la situation de la société CTA 2 est la conséquence d'une mauvaise gestion et de son manque de professionnalisme ; que la société CTA 2 rencontre des difficultés économiques depuis 2006 et que depuis le 1er octobre 2009 elle n'emploie qu'un seul contrôleur technique au lieu de deux, ce qui explique la baisse de son activité et de son chiffre d'affaires ;
Considérant que le registre d'entrées et de sorties du personnel montre que la société CTA 2 a employé deux contrôleurs techniques durant toute l'année 2009 et jusqu'au mois de février 2010 ; que si la société JP Contrôle verse aux débats des attestations de personnes se déclarant insatisfaites des prestations de la société CTA 2, cette société produit de nombreuses attestations de satisfaction émanant de ses clients ;
Considérant que la société JP Contrôle n'établit pas que les difficultés rencontrées par la société CTA 2 soient dues à une mauvaise gestion ou à sa politique à l'égard de la clientèle ; que les pièces produites aux débats par les deux parties montrent qu'à compter de la fin de l'année 2007 de graves difficultés sont apparues entre M. Septier et la direction de la société CTA 2, qui ont affectées le bon fonctionnement de la société ;
Considérant que la société CTA 2 justifie par la production du cahier d'exploitation du centre de contrôle technique pour l'année 2009 et jusqu'au mois de mai 2010, que dès le mois d'octobre 2009 elle a brusquement perdu plus d'une centaine de contrôles technique par mois, passant de 351 visites au mois de septembre 2009 à 240 visites au mois d'octobre 2009, et que cette situation a perduré en 2010, privant ainsi, du jour au lendemain, la société CTA 2 de plus du tiers de ses clients ;
Considérant que la société JP Contrôle, qui a débuté son activité au mois d'octobre 2009, refuse, malgré la sommation qui lui a été faite par la société CTA 2, de produire le moindre élément concernant son activité et son chiffre d'affaires ; qu'il ne fait cependant pas de doute que la société JP Contrôle, qui ne le conteste pas, a bénéficié de ce transfert de clientèle ;
Considérant que la société CTA 2 ne peut obtenir, en réparation du préjudice qu'elle a subi, le paiement du prix des contrôles techniques dont elle a été privée sur la base d'un prix de visites de 60 , dès lors que les pièces produites aux débats montrent que la société CTA 2, comme la société JP Contrôle, proposait à ses clients de fréquentes promotions et surtout que la société CTA 2 ne peut être indemnisée que de sa perte de marge brute et non de sa perte de chiffre d'affaires ;
Considérant que seul le préjudice résultant de la concurrence parasitaire doit être indemnisé et non celui résultant de la perte de clientèle résultant de l'ouverture d'un centre concurrent ;
Considérant que la société CTA 2, qui a cédé son activité, peut demander réparation du préjudice économique qui est résulté pour elle de la dévalorisation du centre de contrôle technique du fait de la concurrence parasitaire ; qu'en revanche, la société CTA 2 , qui ne démontre pas que la société JP Contrôle ait commis des actes de dénigrement, ne justifie pas l'existence d'un préjudice d'image ; que la cour dispose des éléments lui permettant de chiffrer à 10 000 le préjudice subi par la société CTA 2 ;
Par ces motifs : Infirme le jugement ; Et statuant de nouveau, Condamne la société JP Contrôle à verser à la société CTA 2 la somme de 10 000 à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant d'actes de concurrence parasitaire ; Condamne la société JP Contrôle à verser à la société CTA 2 la somme de 3 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société JP Contrôle aux dépens de première instance et d'appel.