CA Douai, 1re ch. sect. 1, 2 juin 2014, n° 13-06034
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pajakowski
Défendeur :
Toyota France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Merfeld
Conseillers :
Mme Doat, M. Spateri
Avocats :
Mes Hecquet, Goaoc, Hareng, Claude, Leibovici
EXPOSE DU LITIGE :
Monsieur Claude Pajakowski a acquis de la société Toyota France un véhicule automobile neuf, livré le 16 novembre 2004, au prix de 23 661 euro TTC. Le contrat de vente prévoyait en outre une garantie contre tout défaut de fabrication ou de matière lors d'un usage normal pendant trois ans ou 100 000 kilomètres (le premier de ces termes atteint) et contre toute perforation des éléments de carrosserie provenant d'un défaut de conception ou de construction pendant douze ans.
Le 16 septembre 2009 Monsieur Pajakowski se plaignait auprès de la société Toyota France de l'amorce d'un phénomène de corrosion de son véhicule. Le 29 septembre 2009 la société Toyota refusait d'intervenir au titre de sa garantie.
Une expertise amiable était organisée, donnant lieu au dépôt d'un rapport le 15 février 2010, concluant au fait que le phénomène de corrosion est dû à un problème inhérent au constructeur, lié à un stockage en milieu humide et salin avec une protection en deçà des normes anticorrosion.
Par acte d'huissier du 5 mai 2010 Monsieur Pajakowski a fait assigner la société Toyota France devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Béthune sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile afin d'obtenir la désignation d'un expert chargé notamment de déterminer l'étendue et les causes du désordre affectant son véhicule. Monsieur Boiron, expert désigné par ordonnance du 23 juin 2010, a déposé son rapport le 8 août 2011.
Par acte d'huissier du 21 février 2012 Monsieur Pajakowski a fait assigner la société Toyota France devant le Tribunal de grande instance de Béthune sur le fondement de l'article 1641 du Code civil pour que soit ordonnée la résolution de la vente, que la société Toyota soit condamnée à lui payer la somme de 8 900 euro représentant la valeur de remplacement du véhicule au 23 septembre 2010, outre 3 000 euro pour la perte d'usage du véhicule, 3 000 euro de dommages et intérêts et 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement du 17 septembre 2013 le Tribunal de grande instance de Béthune a :
- rejeté "l'exception d'irrecevabilité" pour tardiveté de l'action en garantie des vices cachés,
- débouté Monsieur Pajakowski de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la société Toyota de sa demande formulée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné Monsieur Pajakowski aux dépens.
Monsieur Pajakowski a interjeté appel de ce jugement le 21 octobre 2013 dans des conditions de forme et de délai non critiquées.
Il demande son infirmation et la condamnation de la société Toyota, sur le fondement de sa responsabilité contractuelle, à lui payer les sommes de 8 900 euro au titre de la valeur de remplacement du véhicule, 3 000 euro pour perte d'usage et 3 000 euro de dommages et intérêts. Subsidiairement il sollicite, sur le fondement de l'article 1641 du Code civil, la résolution de la vente et l'octroi des mêmes sommes. Il demande enfin la condamnation de la société Toyota à lui payer la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes il fait valoir que la garantie contractuelle lui est acquise, dès lors qu'il en a sollicité l'extension pour une durée de deux ans après le terme initial de trois ans, de sorte qu'elle était encore en vigueur au moment de l'apparition des désordres. Il ajoute que l'expert désigné en référé a conclu à une corrosion généralisée du véhicule et à son caractère irréparable, de sorte qu'en application des stipulations du contrat la société lui doit une somme équivalente à sa valeur de remplacement.
Au soutien de sa demande subsidiaire il affirme que son action n'est pas prescrite en ce qu'elle a été intentée dans le bref délai visé dans l'article 1648 du Code civil dans sa rédaction applicable au contrat en cause, étant précisé que celui-ci a commencé à courir le 16 septembre 2009, puis a été interrompu par l'assignation en référé du 5 mai 2010, pour reprendre le jour du dépôt du rapport d'expertise le 8 août 2011. Il souligne qu'il résulte des constatations de l'expert que le vice résultant de la corrosion rend le véhicule impropre à son usage, et qu'il était antérieur à la vente puisque apparu dans la chaîne logistique d'approvisionnement avant l'arrivée en concession.
La société Toyota France conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Monsieur Pajakowski de ses demandes, à son infirmation pour le surplus et à ce qu'il soit jugé que l'action de Monsieur Pajakowski sur le fondement de l'article 1648 du Code civil est prescrite. Elle demande également le rejet des demandes de Monsieur Pajakowski au titre de article 700 du Code de procédure civile et la condamnation de ce dernier à lui payer la somme de 3 000 euro sur le même fondement, outre les dépens.
Elle soutient que l'assignation en référé, en ce qu'elle n'invoquait pas la théorie des vices cachés, n'a pu interrompre le bref délai de l'article 1648 du Code civil, et que l'action au fond, intentée plus de 6 mois après le rapport d'expertise judiciaire et 21 mois après l'expertise amiable a en tout état de cause été introduite au-delà d'un tel délai.
Elle indique également que l'existence même du vice caché n'est pas démontrée, en particulier son existence avant la vente, dès lors que le véhicule n'a passé qu'un jour sur un navire de transport et dix jours sur un parc de stockage avant sa livraison. Elle fait encore valoir que l'expert a indiqué que les désordres avaient une cause externe au véhicule et qu'aucun désordre n'a été constaté au moment de la vente. Elle affirme encore que ce désordre n'a pas rendu le véhicule impropre à son usage, dès lors qu'il a pu circuler pendant près de cinq ans.
La société Toyota soutient que Monsieur Pajakowski ne peut en outre solliciter en même temps la résolution de la vente et exercer l'action estimatoire, tout en sollicitant une indemnité pour perte d'usage. Elle fait enfin valoir que la somme réclamée à titre de dommages et intérêts n'est pas justifiée.
SUR CE,
Sur la demande au titre du contrat de garantie
Attendu que bien que le contrat de prorogation du contrat de garantie au-delà du terme initial de trois ans ne soit pas produit, l'expert a pu constater que plusieurs interventions ont été prises en charge par la société Toyota jusqu'au 31 juillet 2009, ce qui suffit à démontrer que ce contrat a été prorogé pour une durée non contestée de deux ans, soit jusqu'au 16 novembre 2009 ;
Que Monsieur Pajakowski a signalé pour la première fois l'existence des problèmes liés à la corrosion de certains organes de son véhicule le 16 septembre 2009, pendant l'application du contrat ;
Que l'article XI d) du contrat stipule que "la garantie couvre les défauts de matériel ou de fabrication soit en réparant, soit en remplaçant des pièces défectueuses à titre gratuit dans la mesure où Toyota France reconnaît que les pièces présentent un défaut d'usinage ou de matière" ;
Qu'aux termes du même article XI les éléments de carrosserie sont garantis contre toute perforation provenant d'un défaut de conception ou de construction pendant 12 ans à compter de la date de mise en circulation, à l'exclusion de toute corrosion autre que perforation, les défauts de carrosserie n'ayant pas entraîné de perforation étant couverts par la garantie de trois ans ;
Que ces stipulations claires et dénuées de toute ambiguïté ne sauraient, sous couvert d'interprétation, être étendues à des cas non prévus au contrat ou donner lieu à des prestations qui n'y sont point stipulées, telles que l'indemnisation par le vendeur de la valeur de remplacement du véhicule en cas d'impossibilité de réparation et l'octroi d'indemnités supplémentaires au titre de la perte d'usage, dès lors que la société Toyota ne se trouve débitrice que d'une obligation de réparation ou remplacement des pièces défectueuses ;
Que Monsieur Pajakowski sera débouté de ses demandes à ce titre ;
Sur les demandes au titre de la garantie des vices cachés
Attendu que le contrat de vente ayant été conclu en novembre 2004, il convient d'appliquer, pour apprécier la recevabilité de cette demande, les dispositions de l'article 1648 du Code civil dans leur rédaction en vigueur à cette date ;
Que conformément à l'article 2241 du même Code, une citation en référé, interrompt la prescription ;
Que selon l'article 2231 l'interruption efface le délai de prescription acquis ; elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien ;
Attendu qu'il n'est pas contesté, et qu'il est reconnu expressément par Monsieur Pajakowski, qu'il a eu connaissance des vices affectant son véhicule le 16 septembre 2009, date à laquelle il a demandé qu'il y soit remédié, de sorte qu'il convient de retenir celle-ci comme étant le point de départ du bref délai pour agir visé à l'article 1648 précité ;
Que l'assignation en référé expertise a été signifiée à la société Toyota France le 5 mai 2010, soit huit mois après la découverte du vice ;
Que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a dit que cette assignation a interrompu le bref délai de prescription bien que Monsieur Pajakowski n'y ait pas indiqué expressément agir sur le fondement de l'article 1641 du code civil ; qu'il ressort en effet de cet acte qu'il se plaint de la corrosion du véhicule, évoque des désordres extrêmement importants selon lui interdisant de revendre le véhicule et sollicite la désignation d'un expert pour dire si le véhicule est affecté d'un vice, le décrire et donner son avis sur son origine ; qu'il en résulte que l'action en référé a un lien direct avec l'action au fond,
Attendu que l'article 2239 du code civil dispose que la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une mesure d'instruction présentée avant tout procès, et que le délai de prescription recommence à courir pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois à compter du jour où la mesure a été exécutée ;
Que l'ordonnance du juge des référés a été rendue le 23 juin 2010, soit 50 jours après l'assignation ; que l'expert a déposé son rapport le 8 août 2011, date à laquelle le bref délai a recommencé à courir, délai auquel il faut amputer 50 jours ; que l'assignation au fond a été délivrée le 21 février 2012 ; que le bref délai, même amputé des 50 jours qui avaient couru, a été respecté ;
Qu'il convient de confirmer le jugement qui a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de l'action ;
Attendu que l'expert indique que les défauts observés sur le véhicule, constitués d'une corrosion généralisée, "sont la conséquence d'une exposition généralisée et prolongée du véhicule à un environnement particulièrement agressif" ;
Qu'il mentionne encore que "les conditions de réunion de ces situations sont le plus vraisemblablement et probable, à ce stade, dans la chaîne logistique d'approvisionnement du véhicule avant l'arrivée en concession" ;
Qu'outre le fait que cette conclusion reste largement hypothétique et ne décrit pas les conditions de l'exposition prolongée à un milieu agressif qu'elles évoquent, elles se heurtent aux données de la fiche de renseignements annexée en page 27 de son rapport selon lesquelles le véhicule a été fabriqué le 28 octobre 2004 au Royaume Uni, est sorti d'usine, a été chargé sur le navire "Isar Higway" puis débarqué en France le 31 octobre 2004, a été stationné sur un parking et est arrivé en concession le 10 novembre 2004 avant d'être mis en circulation le 25 novembre 2004 ;
Que la notion d'exposition prolongée se trouve ainsi exclue, dès lors qu'il ne s'est écoulé que 26 jours entre la sortie d'usine et la livraison, dont une journée sur un navire, dix jours sur un parking et quinze jours en concession ;
Qu'en outre il ne résulte ni de l'expertise ni d'aucune autre des pièces de la procédure que le véhicule a été exposé à un milieu particulièrement agressif, sauf la journée passée sur le navire, encore qu'il n'est pas établi qu'il a été dans ces circonstances exposé directement au milieu marin ;
Qu'il s'ensuit que la preuve de l'antériorité du vice à la vente n'est pas suffisamment rapportée, et qu'en conséquence Monsieur Pajakowski devra être débouté de ses demandes ;
Attendu qu'en conséquence le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir fondée sur la prescription, a débouté Monsieur Pajakowski de ses demandes et l'a condamné aux dépens ;
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
Attendu que Monsieur Pajakowski succombe en son appel et en supportera les dépens ;
Qu'il sera encore condamné à payer à la société Toyota France la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel;
Par ces motifs, LA COUR, statuant contradictoirement, Confirme le jugement, Condamne Monsieur Pajakowski à payer à la société Toyota France la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause appel ; Condamne Monsieur Pajakowski aux dépens de l'appel.