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Décisions

CA Agen, 1re ch. com., 11 juin 2014, n° 12-00812

AGEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Carrefour Proximité France (SAS), CSF (SAS)

Défendeur :

Distribution Casino France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Muller

Conseillers :

Mmes Blum, Auber

Avocats :

Mes Vimont, Cosse, Tandonnet, Trombetta

T. com. Auch, du 23 mars 2012

23 mars 2012

EXPOSÉ DU LITIGE

Par jugement en date du 23 mars 2012, auquel le présent arrêt se réfère expressément pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties et des motifs énoncés par les premiers juges, le Tribunal de commerce d'Auch a débouté les sociétés Carrefour Proximité France et CSF de toutes leurs demandes et les a condamnés solidairement, outre aux dépens, à payer à la SAS Distribution Casino France la somme de 75 000 euros à titre d'indemnité pour procédure abusive et celle de 12 500 euros à titre d'indemnité de procédure.

Les sociétés Carrefour Proximité France et CSF ont interjeté appel de ce jugement par déclaration enregistrée au greffe le 19 avril 2012.

Selon dernières écritures enregistrées au greffe le 18 juillet 2012, expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions, les appelantes concluent à la réformation du jugement et sollicite la condamnation de la société Distribution Casino France, outre aux dépens, à leur payer une indemnité de 75 000 euros en réparation du préjudice résultant de son démarchage systématique qui est constitutif d'un acte de concurrence déloyale et une indemnité de procédure de 7 500 euros.

Les sociétés Carrefour Proximité France et CSF exposent que des sentences arbitrales ont retenu la rupture fautive des contrats de franchise et d'approvisionnement par M. Delmas et la société Saveurs de Gascogne et les a condamné à leur verser des dommages et intérêts. Elles soutiennent que la société Distribution Casino France a commis un acte de concurrence déloyale consistant à avoir tenté de débaucher M. Delmas et la société Saveurs de Gascogne, que cette tentative a produit ses effets et qu'il en résulte pour elle un préjudice qu'elle chiffre à 75 000 euros correspondant aux investissements qu'elles doivent réaliser pour reconstituer leur réseau dans le secteur géographique concerné en implantant deux points de vente du type de ceux de Miradoux et de Montcuq.

Elles font valoir que lorsque le démarchage est établi, son auteur est susceptible d'avoir commis une faute, que la faute invoquée est liée au démarchage pratiqué et à sa dissimulation, qu'en l'espèce, pour dissimuler son démarchage, la société Distribution Casino France n'a pas établi d'offre d'achat, mais a demandé à M. Delmas de lui adresser une offre de vente, qui en réalité avait été préparée par ses services juridiques puisqu'elle incluait des dispositions protectrices des intérêts de la société Distribution Casino France, qui figurent habituellement dans ses offres d'achat et que le rédacteur a omis de retirer du texte la mention du lieu de sa rédaction, Tarnos, où M. Delmas et la société Saveurs de Gascogne n'ont aucune domiciliation, que le caractère systématique du démarchage est démontré par la présence récurrente des mêmes personnes physiques dans les divers dossiers de captation des points de vente.

Selon dernières écritures enregistrées au greffe le 17 septembre 2012, expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions, la société Distribution Casino France conclut au rejet de l'appel et demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner in solidum les appelantes aux dépens et au payement d'une indemnité de 25 000 euros pour exercice abusif d'une voie de recours et de 12 500 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en faisant valoir :

- que le "débauchage" allégué procède d'un grossier amalgame puisqu'elle ne s'est pas substituée à Carrefour Proximité France pour conclure de nouveaux contrats de franchise, mais s'est contentée d'acquérir des fonds de commerce mis en vente par leurs propriétaires ;

- que les contrats de franchise liant ces propriétaires à Carrefour Proximité France n'interdisaient pas de telles cessions, mais au contraire les envisageaient puisqu'un droit de préférence au profit du franchiseur y était stipulé ;

- que le fait que les offres écrites et leurs acceptations aient été précédées de pourparlers ne caractérise pas un concert frauduleux, que les propriétaires cédants n'ayant commis aucune infraction en procédant à la vente de leurs fonds de commerce alors que les contrats de franchise et d'approvisionnement étaient en cours d'exécution, il ne peut y avoir de "complicité" ;

- que les appelantes ne rapportent pas la moindre preuve du caractère systématique du "démarchage" qu'elles lui imputent, et encore moins de son caractère systématique ;

- que la multiplicité des procédures engagées par Carrefour Proximité France s'inscrit dans une démarche systématique et délibérée tendant à empêcher le libre jeu de la concurrence et à intimider ses franchisés en cours et en fin de contrat, que cet abus doit être sanctionné par la condamnation à verser des dommages et intérêts.

La procédure de mise en état a été clôturée par ordonnance du 21 novembre 2012.

MOTIFS DE L'ARRÊT

I. SUR LA CONCURRENCE DÉLOYALE

A titre liminaire, il convient de rappeler en droit que l'achat d'un fonds de commerce, fait sans déloyauté, ne constitue pas une faute de nature à rendre l'acquéreur complice de la rupture, même fautive, du contrat de franchise par le cédant.

En l'espèce, l'achat par la société Distribution Casino France des fonds de commerce litigieux, franchisés dans un réseau concurrent, avant le terme du contrat de franchise et d'approvisionnement, ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale, dès lors que, d'une part, le franchiseur, bénéficiaire d'un droit de préférence, avait la possibilité d'acquérir les fonds litigieux aux mêmes conditions que son concurrent et a choisi de ne pas le faire, d'autre part, que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie autorise cette pratique relevant de la libre concurrence entre acteurs économiques.

Les appelantes ne le contestent pas, mais soutiennent que les acquisitions sont le résultat d'un démarchage systématique de ses franchisés par la société Distribution Casino France et de manœuvres déloyales, caractérisant une concurrence déloyale.

Les premiers juges ont écarté cette argumentation en relevant justement qu'ils ne constataient aucun acte de concurrence déloyale et que la désorganisation du réseau de Carrefour Proximité France résultait de son seul fait, constitué par sa renonciation à acheter les fonds en exerçant son droit de préférence.

Pour confirmer le jugement en ses dispositions rejetant les prétentions des appelantes, il suffira de relever :

- que les appelantes procèdent essentiellement par voie d'allégations, sans apporter le début d'une preuve de celles-ci ;

- qu'elles prétendent apporter la preuve du démarchage par une mention relative au lieu de la rédaction de l'offre de vente par les cédants, qui traduit simplement - ce qui tombe sous le simple bon sens - que la formulation des offres de vente par les cédants avait fait l'objet de discussions préalables entre ceux-ci et la SAS Distribution Casino, indispensables pour en fixer la teneur puisqu'elles devaient être transmises à Carrefour Proximité France afin de lui permettre de se prononcer en connaissance de cause sur l'exercice ou non de son droit de préférence ;

- qu'à supposer même que la SAS Distribution Casino ait pris l'initiative d'entrer en contact avec les cédants en vue d'acquérir les fonds litigieux, ce que absolument rien ne démontre, son attitude ne pourrait être constitutive de concurrence déloyale que si elle s'était accompagnée de manœuvres déloyales ;

- que si les appelantes affirment que la société Distribution Casino France se serait livrée à un démarchage systématique de ses franchisés, et non pas seulement de M. Delmas, ce qui caractériserait des manœuvres déloyales, force est de constater, notamment à la lecture de leurs écritures, qu'elles ne fournissent aucun élément de preuve de ces allégations, aucune attestation de franchisés faisant état de ce qu'ils auraient été démarchés par l'intimée en vue de rompre leurs relations avec les appelantes ;

- qu'en l'absence d'une quelconque preuve de manœuvres déloyales imputables à la SAS Distribution Casino dans le cadre des cessions de fonds de commerce litigieuses, le rejet intégral des prétentions des appelantes s'imposent.

II. SUR LES DOMMAGES ET INTÉRÊTS

Les premiers juges ont alloué à la SAS Distribution Casino une indemnité de 75 000 euros en réparation du préjudice découlant de la procédure abusive engagée par les appelantes.

A hauteur d'appel, la société Distribution Casino France réclame non seulement la confirmation de cette condamnation, mais une indemnité supplémentaire de 25 000 euros en arguant de la faiblesse des moyens des appelantes, de la déloyauté de leur attitude, de l'extravagance du montant de leurs demandes, de la persistance de leurs démarches en dépit de multiples condamnations, et de l'exercice consécutivement abusif de la voie de l'appel.

Pour confirmer dans son principe la condamnation prononcée en première instance, sauf à en réduire le montant à 30 000 euros, et allouer à la SAS Distribution Casino une indemnité supplémentaire de 15 000 euros pour appel abusif, il convient de relever :

- que les appelantes avaient été indemnisées, en exécution des sentences arbitrales, de leur manque à gagner résultant du défaut d'exécution des contrats de franchise et d'approvisionnement jusqu'à leur terme ;

- qu'alors que les appelantes ne pouvaient ignorer que la désorganisation du réseau de Carrefour Proximité France dans les régions concernées résultait de la décision de celle-ci de ne pas exercer son droit de préférence pour acquérir les fonds, elles ont assigné en justice la société Distribution Casino France sur un fondement déjà rejeté à de multiples reprises dans des procédures les impliquant, sur la base de simples allégations dont elles ne pouvaient ignorer qu'en l'absence de tout élément de preuve, les demandes ne pouvaient qu'être rejetées ;

- que le montant des indemnités réclamées par les appelantes, sans aucune argumentation sérieuse et sans la moindre justification, est à ce point démesuré, qu'elle est elle-même exclusive de bonne foi ;

- qu'il apparaît que les appelantes ont agi en justice non pour obtenir la réparation d'un préjudice qu'elles auraient subi, mais pour exercer une pression, attestées par de multiples autres actions antérieures également rejetées, en vue de dissuader l'intimée et plus généralement ses concurrents d'exercer une concurrence parfaitement normale à son égard ;

- que le préjudice moral causé à l'intimée par cet abus de procédure à son encontre sera réparé par l'octroi d'une indemnité de 30 000 euros ;

- que si l'exercice d'une voie de recours constitue en son principe un droit qui ne dégénère en abus que s'il caractérise un acte de mauvaise foi ou de malice ou une erreur grossière équipollente au dol, il apparaît en l'espèce que les appelantes, compte tenu des multiples décisions antérieures rejetant l'argumentation développée et des motifs des premiers juges indiquant qu'aucun acte de concurrence déloyale n'était caractérisé, ne pouvaient raisonnablement ignorer qu'un appel était voué à l'échec, sauf à invoquer et justifier de tels actes, qu'en exerçant néanmoins le recours sans invoquer aucun acte concret de concurrence déloyale et en se limitant à maintenir de simples allégations, les appelantes ont abusé de leur droit de former un recours ;

- que cet abus a causé à la société Distribution Casino France un préjudice qui sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 15 000 euros.

III. SUR LES FRAIS NON RÉPÉTIBLES ET LES DÉPENS

Du fait de l'appel interjeté, l'intimée a été contrainte de se faire représenter en justice pour assurer la défense de ses droits. Il serait inéquitable que l'intégralité des frais ainsi exposés demeure à sa charge.

Par application de l'article 700 du Code de procédure civile, les appelantes seront condamnées à lui verser une indemnité de procédure de 5 000 euros.

Les sociétés Carrefour Proximité France et CSF, qui succombent, devront supporter les dépens.

Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par sa mise à disposition au greffe et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives au montant des dommages et intérêts pour procédure abusive ; Statuant à nouveau de ce chef et ajoutant au jugement, Condamne in solidum les sociétés Carrefour Proximité France et CSF à payer à la société Distribution Casino France les sommes de : - 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ; -15 000 euros pour appel abusif ; - 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne in solidum les sociétés Carrefour Proximité France et CSF aux dépens et autorise le recouvrement de ceux-ci conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.