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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 11 juin 2014, n° 13-01206

COLMAR

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Univers Pharmacie (SAS), Union des Groupements de Pharmaciens d'Officine (Sté)

Défendeur :

Galec (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vallens

Conseillers :

Mmes Schneider, Roubertou

Avocats :

Mes Cahn, Bensoussan, Heichelbech, Parléani, Ianniello

TGI Colmar, du 21 janv. 2010

21 janvier 2010

Par un acte d'huissier du 30 novembre 2010, la société Univers Pharmacie et l'Union des groupements des pharmaciens d'officine (UDGPO) ont fait citer devant le Tribunal de grande instance de Colmar la société coopérative Groupement d'achats des centres Leclerc (Galec), aux fins de voir ordonner à celle-ci de cesser la communication publicitaire faisant la promotion des produits en se référant aux prix des médicaments vendus en officine et la condamner au paiement de dommages et intérêts, par suite d'une publicité qualifiée d'illicite et de désobligeante et constitutive d'actes de concurrence déloyale, réalisée au mois de novembre 2012.

Par un jugement du 14 février 2013, le tribunal a débouté Univers Pharmacie et UDGPO et les a condamnés à payer à Galec une indemnité de procédure de 3 000 euro.

Univers Pharmacie et UDGPO ont interjeté appel de ce jugement.

Elles demandent à la cour de :

- constater que Galec s'est rendue coupable de pratiques déloyales et parasitaires,

- la condamner à payer à chacune des parties intimées une somme de 250 000 euro à titre de dommages et intérêts outre 15 000 euro pour les frais irrépétibles,

- les autoriser à publier des extraits de l'arrêt à intervenir par voie de presse dans la limite de 15 000 euro chacune,

- ordonner à Galec de rembourser les frais sur justification,

- condamner Galec à publier le dispositif de l'arrêt à intervenir sur la première page de son site sesoignermoinscher@com.

- Elles exposent : au mois de novembre 2012, Galec a lancé une nouvelle campagne contenant des attaques malveillantes contre la pharmacie d'officine sur son site et dans la presse écrite ; deux affiches ont été ainsi notamment diffusées critiquant le prix des médicaments vendus en pharmacie et faisant de la publicité pour les parapharmacies Leclerc et en réclamant la fin du monopole des pharmacies pour la vente des médicaments non remboursés; les slogans racoleurs appuyés par une interview de M. Leclerc et par le site de Leclerc constituent une publicité déguisée pour les centres Leclerc en faveur de la parapharmacie ; Galec fait un usage abusif de la liberté d'expression ; sa campagne constitue des pratiques commerciales déloyales doublées d'actes de concurrence déloyale de parasitisme; ces pratiques peuvent altérer le comportement du consommateur ; elles ne sont pas conformes à des diligences professionnelles car les pharmaciens ne peuvent faire de la publicité ; le consommateur moyen est poussé à croire que Leclerc peut déjà vendre des médicaments ; la typographie utilisée n'informe pas loyalement la clientèle ; la publicité litigieuse dénigre les pharmaciens en critiquant l'absence d'une véritable concurrence ; Galec a abusé de la liberté d'expression; le préjudice subi est important et sera réparé par des dommages et intérêts ainsi que par la publication de l'arrêt à intervenir; le préjudice subi résulte du discrédit créé par la communication litigieuse; le chiffre d'affaires réalisé par Leclerc a été retiré aux pharmacies; compte tenu de la marge réalisée, qui, pour Univers Pharmacie, s'élève à 37 %, et de la perte de clientèle, le préjudice subi est estimé pour chacune des parties intimées à 250 000 euro.

Galec sollicite la confirmation du jugement ainsi que le paiement d'une indemnité de 10 000 euro pour appel abusif solidairement par chacun des appelants, augmentée d'une indemnité de procédure de 20 000 euro.

Elle fait valoir : la communication litigieuse revendique une déréglementation de la vente des médicaments non remboursés ; Que Choisir a relevé l'absence de transparence des prix dans les pharmacies; dans une affaire précédente concernant la campagne publicitaire de novembre 2009, la Cour de cassation a statué en considérant qu'il ne pouvait s'agir d'une publicité trompeuse (Cass. com. du 27 avril 2011) ; la publicité comparative est licite au sens de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme; les prix des médicaments non remboursés ont augmenté, ce qui a conduit des consommateurs à renoncer aux soins ; les parapharmacies Leclerc sont animées par des docteurs en pharmacie et peuvent distribuer ces médicaments; la publicité d'opinion est libre; la publicité litigieuse n'est pas contraire aux diligences professionnelles ; Univers Pharmacie diffuse elle-même des messages dénigrant Leclerc sur son site "semoquerdumonde.com" ; la publicité est sans influence effective sur le comportement du consommateur; elle n'est ni déloyale ni parasitaire.

Sur ce LA COUR,

La recevabilité des demandes des intimées n'est plus discutée aujourd'hui par l'appelante.

Quant au fond, le litige soumis à la cour porte sur deux affiches signées La Parapharmacie Leclerc.

La première affiche présente des comprimés empilés, surmontés d'un titre, en gros caractères: "Etes-vous assez riches pour avoir mal à la tête"

Sous les comprimés, figure un texte en réponse :

"Oui aux médicaments non remboursés à prix E. Leclerc".

A la suite de ces termes, figurent en plus petits caractères le texte suivant : "Le coût de la santé augmente. Les médicaments, premier poste de dépense de santé, sont de moins en moins remboursés et les vagues successives de déremboursement ont généré une flambée des prix. Dans ces conditions, soigner les maux du quotidien est une charge qui pèse de plus en plus lourd dans votre budget. Une situation inquiétante, quand on constate que 26 % des Français ont déjà remis à plus tard ou renoncé à l'achat de médicaments du fait de leur prix trop élevé. Et malgré tout rien ne bouge ! Il y a pourtant un moyen rapide d'alléger le budget santé des Français :

Permettre l'instauration d'une vraie concurrence sur les médicaments non remboursés pour favoriser une baisse des prix significative. Nos parapharmacies sont des espaces spécialisés dédiés à la santé et nos docteurs en pharmacie, diplômés d'État, ont toutes les compétences pour apporter le conseil nécessaire à la vente de médicaments. Alors pourquoi continuer à nous interdire de vendre à prix E. Leclerc les médicaments non remboursés

Au bas de l'affiche, figure en signature : "La Parapharmacie Leclerc".

La deuxième affiche porte le titre: "Aujourd'hui pour soulager les jambes lourdes, il faut le budget qui va avec". Sous ce titre, figure un verre à pied dont le fond contient un liquide et à proximité du verre se trouve une ampoule brisée. Le texte figurant à la suite est le même que celui porté sur la première affiche.

La communication de Galec se présente comme une campagne d'opinion sur la nécessité d'ouvrir à la concurrence la vente des médicaments non remboursés. Il est constant qu'en l'état de la législation, les médicaments non remboursés ne sont pas commercialisés par Leclerc et ne peuvent l'être, de sorte qu'il ne peut être reproché à Galec d'avoir effectué une publicité trompeuse.

Est soumise à la cour la question de l'existence de faits fautifs, générateurs d'un préjudice.

Plusieurs griefs sont formulés par les intimées, qui peuvent se résumer ainsi :

- une concurrence déloyale par le recours à une publicité à laquelle les pharmaciens d'officine ne peuvent recourir ;

- une publicité qui comporte un dénigrement des pharmaciens quant aux prix pratiqués ;

une concurrence parasitaire, par l'utilisation de la réputation des pharmaciens, même s'il n'est pas créé une confusion, pour détourner les clients vers les espaces de parapharmacie Leclerc.

La communication litigieuse ci-dessus décrite consiste en une campagne en faveur de la déréglementation de la vente des médicaments non remboursés.

L'élément principal de la demande est constitué des deux affiches ci-dessus au mois de novembre 2012.

Il résulte de cette publicité que Galec y critique avant tout le maintien du monopole des pharmaciens, en ce qui concerne la vente des médicaments non remboursés, et met en avant la capacité des centres Leclerc de procurer le même service.

En l'état de la réglementation actuelle, seuls les produits de parapharmacie peuvent être vendus dans ces commerces. Il s'agit donc d'une communication commerciale qui revendique le droit de concurrencer les pharmacies d'officine sur ce terrain. Si l'usage des mots "docteurs en pharmacie" et du mot "santé" fait référence aux médicaments sans distinction, l'objet du message publicitaire est indiscutablement ciblé sur une critique de la réglementation en vigueur.

Cette démarche s'insère dans l'exercice d'une campagne d'opinion qui bénéficie de la liberté d'opinion et d'expression garantie par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

Il s'agit certes avant tout de documents publicitaires en faveur des centres Leclerc, mais qui constituent aussi une revendication en faveur de ses intérêts commerciaux, par une libéralisation de la réglementation en ce domaine. La publicité s'insère ainsi dans un débat qui n'est pas factice sur cette question : ce débat est en effet illustré par un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 5 décembre 2013 défavorable à la libéralisation de la vente des médicaments en parapharmacie (CJUE 5 déc. 2013, n° 159-12, Venturi) et par un avis de l'Autorité de la concurrence préconisant au contraire la distribution au détail des médicaments non remboursables (Aut. conc. Avis n° 13-A-24).

Au surplus, restreindre le droit de procéder à une campagne publicitaire en faveur de la déréglementation des médicaments non remboursés, au nom du principe de la protection de la santé, laquelle relève des Etats, donnerait à la réglementation française actuelle un sens trop étendu, qui serait en opposition avec le principe de la liberté de prestation de services établie au sein du marché intérieur.

Ceci étant, la liberté ainsi garantie ne prive pas les tiers qui seraient victimes de propos déloyaux ou de comportements parasitaires d'en réclamer réparation dans les termes de droit commun.

Deux griefs sont articulés, la concurrence déloyale par dénigrement et la concurrence parasitaire.

En ce qui concerne le grief de concurrence déloyale par dénigrement, il apparaît à l'analyse de cette publicité que Galec ne critique pas les pharmaciens, mais les prix pratiqués, à l'abri du monopole dont ils bénéficient.

L'existence de variations de prix d'une officine à l'autre n'est pas sérieusement contestée par les intimées et confirmée par les études publiées dans la presse par les organismes de protection des consommateurs versées aux débats.

La communication consiste ainsi en une présentation critique des pratiques commerciales constatées et non une critique des pharmaciens eux-mêmes.

Les appelantes d'ailleurs confirment la réalité du reproche, en invoquant le fait que leur propre centrale d'achats permet aux pharmaciens affiliés à leur réseau d'offrir des prix sensiblement inférieurs à ceux pratiqués par les pharmaciens indépendants, ce qui est le propre d'une activité commerciale dans un environnement concurrentiel.

Les appelantes ne peuvent donc reprocher à l'intimée d'en appeler à une "véritable concurrence", selon les termes utilisés, alors qu'eux-mêmes pratiquent des méthodes commerciales similaires en offrant, grâce aux achats groupés, des prix inférieurs à ceux offerts par les officines indépendantes.

L'affirmation selon laquelle un tiers des Français aurait renoncé à l'achat de médicaments non remboursés en raison de son prix n'est certes pas démontrée autrement que par des sondages effectués par un organisme Opinion Way. Mais cette affirmation vient au soutien de la démarche commerciale entreprise par Galec pour obtenir des pouvoirs publics une déréglementation afin de pouvoir accroitre ses ventes dans ce secteur.

Le fait que des consommateurs en situation difficile renoncent à acquérir des médicaments, surtout s'ils ne sont pas remboursés n'est pas non plus sérieusement discuté par les appelantes.

Quant à la revendication d'une concurrence élargie dans un secteur commercial déterminé, elle ne peut par elle-même être critiquée sans porter atteinte à la liberté de prestation garantie par le Traité CE.

En ce qui concerne le grief de concurrence parasitaire, il est reproché à Galec de vouloir utiliser le prestige et la notoriété des pharmaciens pour attirer la clientèle vers les centres Leclerc où seraient affectés des docteurs en pharmacie, jouant ainsi sur l'équivoque des termes. Ces derniers seraient de plus susceptibles de garantir aux clients l'information requise. Mais en l'état de la réglementation actuelle, la délivrance de médicaments reste du seul ressort des pharmacies d'officine et l'affirmation de la présence de docteurs en pharmacie dans les centres Leclerc, qui peuvent apporter un conseil pour la parapharmacie, ne saurait par elle-même être considérée comme une démarche déloyale en vue de profiter de la notoriété du titre.

Il est également reproché à Galec d'utiliser des moyens déloyaux en faisant une publicité qui n'est pas ouverte aux pharmaciens. Le fait que Galec ne soit pas soumise aux contraintes résultant pour les pharmaciens d'officine de leur mission de service public (transparence des prix, obligation de conseil, service public en dehors des heures d'ouverture des commerces...) ne peut suffire à considérer le recours par Galec à des méthodes de publicité commerciale traditionnelle comme un procédé fautif.

En définitive, le seul domaine où les parties sont en situation de concurrence effective est celui la parapharmacie. Or les produits de parapharmacie sont diffusés à la fois par les intimées et par les centres Leclerc dans leur secteur de parapharmacie, sans qu'il soit démontré que les conseils obtenus dans ce domaine seraient effectifs dans les pharmacies et absents dans les centres Leclerc.

Quant à la réglementation de la publicité, il n'est pas contestable que Galec peut faire usage des modes de publicité ayant une large diffusion au-delà des possibilités réglementaires des pharmacies et avec des moyens financiers importants. Mais ces différences de situation ne peuvent suffire à démontrer un abus de la part de Galec dans l'usage de ce procédé commercial ni un comportement fautif caractérisé destiné à porter préjudice aux pharmaciens, alors que cette publicité ne cherche pas à utiliser la réputation des pharmaciens mais seulement à remettre en cause leur monopole.

Il n'est pas établi non plus que l'utilisation du terme "docteur en pharmacie", destinée à rassurer les clients sur le sérieux du conseil, serait fautive, en l'absence de toute preuve de son caractère mensonger.

Force est de constater d'ailleurs que le parasitisme ou l'atteinte à l'honorabilité et aux qualités professionnelles des pharmaciens n'ont pas été jugés assez caractérisés, pour que les organismes et ordres professionnels défendant les intérêts collectifs des pharmaciens, hormis l'UDGPO, estiment nécessaire d'agir en justice.

Les pharmaciens rattachés au réseau Univers Pharmacie procèdent d'ailleurs de la même manière et revendiquent eux-mêmes la pratique de prix inférieurs à ceux des pharmaciens indépendants.

Dans ces conditions, la campagne publicitaire de Galec ne présente pas un caractère fautif ayant occasionné aux intimées un préjudice commercial par suite de faits déloyaux de dénigrement ou de parasitisme.

Le jugement déféré devra donc être confirmé en toutes ses dispositions.

Les dépens seront à la charge des appelantes. Toutefois, en déclenchant cette action commerciale, et en revendiquant la déréglementation de la vente des médicaments non remboursés, Galec ne pouvait ignorer que les appelantes engageraient une action contre elle, comme elles l'avaient déjà fait par le passé.

Elle a par ailleurs bénéficié elle-même de l'impact publicitaire des procédures judiciaires en faisant connaître sa campagne.

Enfin, il était légitime que les appelantes s'estimant lésées exercent un recours.

L'appel ne peut donc être considéré comme abusif.

Pour les mêmes raisons, l'équité n'impose donc pas d'ajouter aux dépens une indemnité supplémentaire pour les frais de procédure engagés.

Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement déféré, Condamne les appelantes aux dépens, Déboute la société coopérative Groupement d'achat E. Leclerc du surplus.