CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 13 juin 2014, n° 12-04919
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Edif (SARL)
Défendeur :
Garonor France III (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jacomet
Conseillers :
Mme Prigent, M. Richard
Avocats :
Mes Grappotte-Benetreau, Cuba-Sichler, Guizard
La SARL Edif est appelante du jugement prononcé le 4 janvier 2012 par le Tribunal de commerce de Lille qui a condamné la société Garonor France III à lui verser 40 000 à titre de dommages-intérêts pour le préavis non exécuté et 3 500 au visa de l'article 700 du CPC.
Vu les dernières conclusions de la SARL Edif du 12/10/2012 tendant à dire que les relations commerciales avec Garonor France III sont établies sur 12 ans, condamner la société Garonor France III à lui payer 480 000 au titre de l'indemnisation du préjudice économique résultant de la perte de marge commerciale calculée sur la base d'un préavis de 12 mois, 134 000 au titre du coût des salaires des personnels resté sans activité supporté par Edif le temps d'organiser la restructuration de sa masse salariale, et du coût des licenciements économiques, 158 811,39 au titre de l'indemnisation du préjudice résultant des investissements devenus inutiles, 100 000 au titre du préjudice de reconversion, 20 000 au titre du préjudice d'image, 30 000 au titre du préjudice subi du fait de la mauvaise foi de Garonor France III, à titre subsidiaire, condamner Garonor France III à lui verser 700 000 correspondant au préjudice subi, et en tout état de cause, condamner Garonor France III à lui verser 6 500 au visa de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions de la société Garonor France III du 05/12/2014 tendant à confirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'il n'y avait pas de rupture abusive et infirmer sur le reste, débouter Edif de toutes ses demandes, et en tout état de cause, condamner Edif à payer 15 000 au visa de l'article 700 du Code de procédure civile.
SUR CE
Considérant que pour contester le caractère établi des relations au sens de l'article L. 442-6 5 du Code de commerce Garonor France 3 prétend que Garonor Services d'une part, et Garonor SAS et elle-même appartiendraient à des groupes distincts, que cette argumentation est vaine dès lors que Garonor Services agissait en vertu d'un mandat que lui avait donné Garonor SAS en sorte qu'il existe un lien suffisant pour rattacher l'ensemble des prestations accomplies de puis 1997 à 2008 à un même prestataire ;
Considérant que, ensuite Garonor France 3 prétend que le caractère établi de la relation implique que la relation ait une certaine intensité et s'inscrive dans la durée et la continuité ce qu'excluent des appels d'offres successifs qui confèrent à la relation un caractère précaire ;
Considérant que la relation a pour origine un appel d'offres qui a donné lieu à un contrat du 1er janvier 1997 d'une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, Garonor Services se réservant à chaque échéance de recourir à une nouvelle consultation, que le contrat a été tacitement reconduit jusqu'en 2002, date à laquelle Garonor a lancé un nouvel appel d'offres pour un contrat similaire à celui de 1997, mais pour une durée de trois ans et prévoyant une possibilité de dénonciation moyennant un délai préavis de 3 mois, que Edif a été retenu aux termes de cette nouvelle consultation comme adjudicataire suivant notification de Garonor Services du 21 octobre 2002, que le 22 septembre 2005 cette dernière a dénoncé le contrat avec effet au 31 décembre 2005 en l'informant le 25 octobre 2005 qu'une nouvelle consultation aurait lieu, que sur sa soumission du 14 novembre 2005 Garonor Services l'a informée le 24 novembre 2005 que sa candidature était retenue, un nouveau contrat aux mêmes conditions que le précédent prenant effet pour trois ans à compter du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2008, avant que par trois lettres du 25 août 2008, l'une de Foncière Europe Logistique représentant légal de Garonor France III, l'autre de Prologis du 2 septembre 2008, la troisième du 11 septembre 2008 se référant à la lettre du 25 août 2008 ne dénonce le contrat, seule la deuxième fixant la date de fin de prestations, en l'occurrence au 31 décembre 2008, sans aucune notification d'une prochaine consultation, que cependant par un mail du 15 janvier 2009 Edip était consultée dans le cadre d'un appel d'offres de prestation de balayage du site, ce même mail annonçant la commande de prestations à Edip pour réaliser la collecte de déchets du site pour les mois de janvier, février, mars 2009, que par lettre du 16 février 2009 Garonor France III demandait à Edip de revoir sa fourchette de prix qui s'avérait plus chère que celle des sociétés concurrentes, que cet appel d'offres ayant été infructueux, un nouvel appel d'offres sera lancé dont Edif reconnaîtra avoir reçu la remise le 14 avril 2009 lequel évoquait une mise en place effective du marché au 2 juin 2009 ;
Considérant que la détermination d'une relation établie implique une certaine intensité de la relation s'exprimant dans la durée et la continuité dont s'évince la conviction pour les parties qu'elles pouvaient prévoir que cette relation serait amenée à être stable, en fonction d'un faisceau d'indices tiré tant de la volonté des parties que des conditions d'exécution réelle de la relation ;
Considérant que, en l'espèce, si à l'origine les parties avaient stipulé diverses clauses exclusives de stabilité tant à raison de la durée annuelle du contrat que de la faculté pour Garonor Services de prévoir une consultation avant chaque échéance, les parties ont voulu lui conférer dans le cadre de l'exécution concrète de leurs relations un caractère stable à leur relation en utilisant la faculté de tacite reconduction pendant plusieurs années consécutives, Garonor Services s'abstenant de toute nouvelle consultation jusqu'en 2002, en procédant à cette date à un appel d'offres en vue d'un contrat sur une durée de trois ans permettant à Edif au cas où il serait retenu de n'être pas soumis à l'aléa d'une reconduction annuelle, en retenant effectivement ce prestataire lors de deux appels d'offres successifs, et en lui proposant après la dénonciation du contrat d'août et de septembre 2008 d'ajuster ses prix dans le cadre d'une nouvelle consultation où Edif s'était révélé être plus cher que la concurrence ; que au regard de ces circonstances, les appels d'offres, qui tendent à être une gestion normale d'une relation contractuelle dans le cadre du respect de la libre concurrence s'intégraient dans un processus de stabilité de la relation et non d'exclusion de stabilité comme ils auraient pu l'être dans un autre contexte ;
Considérant que pour prétendre que cette relation s'est prolongée, par tacite reconduction jusqu'au 31 mai 2009 et qu'elle est intervenue de manière brutale sans aucun préavis, alors qu'eu égard à la durée des relations soit douze ans un préavis de 12 mois commençant à courir le 31 mai 2009 aurait été nécessaire, Edip prétend que, eu égard à l'ambiguïté des conditions de dénonciation et de sa date de prise d'effet, de l'absence de mise en œuvre préalable d'un nouvel appel d'offres qui n'interviendra qu'en avril 2009, de la poursuite des relations au-delà du 31 décembre 2008 non de manière ponctuelle mais sur les bases contractuelles, le contrat s'est tacitement reconduit pour une nouvelle durée d'un an prenant effet du 1er janvier au 31 décembre 2009, les dénonciations étant caduques, en sorte que la relation a été rompue brutalement sans aucun préavis le 31 mai 2009 par l'adjudication de l'appel d'offres à un nouveau prestataire, à compter du 2 juin 2009 ;
Considérant que cependant, eu égard à ce qui a été indiqué sur la succession des formes juridiques des sociétés Garonor et de la triple dénonciation contractuelle intervenue en août et septembre 2008, Edif ne pouvait se méprendre sur la date de prise d'effet de cette dénonciation au 31 décembre 2008, précisée expressément dans une de ces dénonciations, ni que la poursuite des relations au-delà de cette date était exclusive de toute reconduction ce qui s'évince des termes clairs du mail du 15 janvier 2009, en sorte que la triple dénonciation conserve tout son effet et s'analyse comme le prévis écrit exigé par l'article précité qui a commencé à courir le 1er octobre 2008 compte tenu des stipulations contractuelles trois mois avant la date d'expiration du contrat et que n'étant pas utilement contredit que les relations contractuelles se sont poursuivies jusqu'au 31 mai 2009, cette période s'analyse comme une exécution du préavis; qui s'est effectuée sur une période de huit mois ;
Considérant que, au vu de ce qui précède les dispositions de l'article précité sont applicables et qu'eu égard à la nature de la relation, son objet et la durée de l'ordre de 11 ans pendant laquelle elle s'est développée soit du 1er janvier 1997 au 1er octobre 2008 c'est par d'exacts motifs que le tribunal a retenu qu'un préavis de neuf mois était nécessaire ;
Considérant que, au sens du texte précité, le non-respect d'un délai suffisant de préavis oblige son auteur à réparer les seules conséquences de sa durée insuffisante et non de la rupture elle-même ;
Considérant que, sur la base de l'exercice 2008 c'est par d'exacts motifs que le tribunal se fondant sur la perte de valeur ajoutée mensuelle de 40 000 HT validé par le commissaire aux comptes de la société Edif a retenu ce montant au titre du mois de préavis non effectué ;
Considérant que, la société Edif sera déboutée de ses demandes au titre de l'indemnisation du coût des licenciements, des investissements réalisés pour l'exécution du marché et qui seraient devenus inutiles, et d'un éventuel préjudice de reconversion, qui ne se rattachent pas à l'insuffisance d'un mois de la durée du préavis mais sont une conséquence de la rupture elle-même, dont il appartenait à Edif de pallier les effets pendant la durée du préavis dont c'était précisément l'objet ;
Considérant que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté ces chefs de préjudice ;
Considérant que la société Edif sera encore déboutée de sa demande au titre du préjudice subi pour perte d'image qui ne saurait résulter ni de la seule perte d'un marché, ni de l'insuffisance du délai d'un mois de préavis par rapport à la durée qui aurait dû lui être accordée, ni du fait que son successeur se soit présenté comme une société novice privilégiant une offre transparente et honnête dont elle ne saurait tirer aucune conséquence défavorable ou préjudiciable à son encontre ;
Considérant que, il n'y a lieu d'examiner la demande d'un préjudice au titre de la violation par Garonor France III de ses obligations contractuelles découlant du marché conclu pour la période de 2006 à 2008, dès lors que cette demande n'est présentée qu'à titre subsidiaire au cas où la cour n'aurait pas retenu une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442- 6 I 5 du Code de commerce que cette cour a précisément admise ;
Considérant que les conditions d'application de l'article 700 du Code de procédure civile ne sont pas réunies le jugement étant confirmé sur cet article ;
Considérant que la SARL Edif qui succombe en son appel, est condamnée aux dépens d'appel, le jugement étant confirmé en ses dispositions relatives aux dépens ;
Par ces motifs : Confirme le jugement, Y ajoutant, Rejette le surplus des demandes, Condamne la SARL Edif aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.