Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 19 juin 2014, n° 2013-01006

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

France Télécom (SA), Orange France (Sté), SFR (Sté)

Défendeur :

Bouygues Télécom (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Remenieras

Conseillers :

Mmes Beaudonnet, Leroy

Avocats :

Mes Calvet, Teytaud, Hubert, Juvigny, Baechlin, Vogel

CA Paris n° 2013-01006

19 juin 2014

Le litige soumis à la cour est lié à la commercialisation, à partir de l'année 2005, par Orange et SFR d'offres d'abondance "on net", c'est-à-dire permettant aux abonnés d'appeler " en illimité"- pour un prix forfaitaire, indépendamment de la durée et du nombre d'appels-leurs seuls interlocuteurs, clients du même opérateur.

Il suffit de rappeler que dans le cadre des contrats d'interconnexion qui les lient, les opérateurs de téléphonie mobile se sont facturés entre eux une prestation dite de "terminaison d'appel" mobile à partir de 2005 : schématiquement, un appel mobile est composé d'un départ d'appel puis d'une terminaison d'appel. Pour un appel on net, le départ d'appel et la terminaison d'appel se font sur le même réseau (la prestation s'inscrit dans le cadre d'une communication entre deux clients d'un même opérateur) et l'opérateur n'a donc à supporter que deux opérations internes. Pour un appel off net (la prestation s'inscrit dans le cadre d'une communication entre deux clients raccordés à des réseaux différents) l'opérateur de l'appelant assure le départ de l'appel puis le livre à l'opérateur de l'appelé qui assure la terminaison de l'appel. L'opérateur de l'appelé facture à l'opérateur de l'appelant cette prestation de terminaison d'appel. Ainsi, pour un appel off net, l'opérateur assure le départ de l'appel et achète une prestation de terminaison d'appel à un opérateur tiers.

Le 10 octobre 2006, la société Bouygues Télécom a saisi le Conseil de la concurrence (devenu l'Autorité de la concurrence), d'une plainte aux termes de laquelle elle reprochait aux sociétés Orange France et SFR d'avoir généralisé dans leurs forfaits respectifs des offres d'appels illimités dites "on net illimité" ou "d'abondance".

Selon la société Bouygues Télécom, les offres d'abondance on net commercialisées par Orange et SFR, qui proposaient des avantages tarifaires aux abonnés pour les appels à destination de clients du même opérateur, sont constitutives d'un abus de position dominante, au sens des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE, dans la mesure où elles seraient fidélisantes, discriminatoires et susceptibles d'engendrer un ciseau tarifaire.

Selon elle, ces offres ont pris de plus en plus d'importance, à partir du moment où :

- elles ont été proposées de manière permanente et non plus pendant des périodes limitées,

- elles n'ont plus été limitées en nombre, sous forme de quotas, mais rendues accessibles à tous les abonnés,

- elles n'ont plus été soumises à des restrictions horaires,

- les abonnés ont pu appeler "en illimité", c'est-à-dire sans contrainte de durée, des numéros librement choisis.

Cette saisine a donné lieu à une première notification de griefs datée du 8 mars 2008 puis à un rapport daté du 4 août 2008 adressés aux sociétés Orange France et France Télécom d'une part, ainsi qu'à la société SFR, d'autre part. La notification de griefs puis le rapport ont retenu le grief de ciseau tarifaire et écarté celui de discrimination tarifaire.

Par décision n° 09·S-03 du 15 mai 2009, l'Autorité de la concurrence a sursis à statuer et demandé aux rapporteurs, un complément d'information.

Sur recours des sociétés France Télécom et Orange France à l'encontre de cette décision, la Cour d'appel de Paris a rendu le 6 avril 2010 un arrêt rejetant leurs demandes.

Par arrêt du 7 juin 2011, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cette décision.

Une seconde notification des griefs portant sur des pratiques de différenciation tarifaire a été adressée aux sociétés Orange France, France Télécom et SFR le 5 août 2011.

L'Autorité de la concurrence a notifié à chaque société un rapport complémentaire au 1er rapport le 12 avril 2012, puis un nouveau rapport daté du 25 avril 2012.

Par décision n° 12-D-24 du 13 décembre 2012 (ci-après la "décision"), l'Autorité de la concurrence (l'Autorité ou l'ADLC) a exclu le grief de ciseau tarifaire et dit établies que les pratiques de différentiation tarifaire mises en œuvre par Orange et SFR au travers de la commercialisation d'offres d'abondance "on net" sur le marché de détail et considéré qu'elles constituaient des abus de position dominante détenues par ces sociétés sur les marchés de leur terminaison d'appel respectives. Par ailleurs, selon la décision, ces pratiques étaient de nature à porter atteinte au jeu de la concurrence sur le marché de détail de la téléphonie mobile en tendant à renforcer plusieurs effets club.

L'Autorité a ainsi décidé :

Article 1er : Il est établi que la société Orange France, en tant qu'auteur des pratiques et la société France Télécom, en sa qualité de société mère de la société Orange France, ont enfreint les dispositions de l'article 102 TFUE et l'article L. 420-2 du Code de commerce en mettant en œuvre, depuis avril 2005, une différenciation tarifaire abusive entre les appels on net vers le réseau d'Orange, et les appels off net à destination des réseaux concurrents.

Article 2 : Il est établi que la société Société Française du Radiotéléphone - SFR a enfreint les dispositions de l'article 102 TFUE et l'article L. 420-2 du Code de commerce en mettant en œuvre, depuis avril 2005, une différenciation tarifaire abusive entre les appels on net vers son propre réseau, et les appels off net à destination des réseaux concurrents.

Article 3 : Eu égard aux infractions visées aux articles 1er et 2, sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

117 419 000 euros aux sociétés Orange France et France Télécom, se répartissant comme suit: 78 279 000 euros infligés conjointement et solidairement aux sociétés Orange France et France Télécom et 39 140 000 euros infligés à la société France Télécom ;

65 708 000 euros â la société Société Française du Radiotéléphone - SFR.

Article 4 : Il est enjoint aux sociétés Orange France et SFR de prendre toutes mesures utiles pour mettre fin aux infractions visées aux articles 1er et 2 et de s'abstenir à l'avenir de mettre en œuvre des pratiques ayant un objet ou un effet équivalent. Il est également enjoint à ces sociétés de porter à la connaissance des abonnés aux offres on net visées par la présente décision qu'ils disposent de la faculté de résilier leur abonnement sans indemnité et à tout moment, eu égard au constat d'infraction au droit de la concurrence effectué par l'Autorité de la concurrence.[...]

Article 5: Les personnes morales visées à l'article 3 feront publier à leurs frais, au prorata des sanctions prononcées, le texte figurant au point 716 de la présente décision dans les éditions papier d'"Aujourd'hui en France" et du "Parisien", en respectant la mise en forme [...].

LA COUR

Vu la décision n° 12-D-24 du 13 décembre 2012 (ci-après la décision) de l'Autorité de la concurrence ;

Vu le recours en annulation et/ou réformation formé le 17 janvier 2013 par les sociétés France Télécom SA et Orange France, devenues la société Orange (ci-après Orange), à l'encontre de la décision ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Orange le 15 janvier 2014, après un mémoire des sociétés Orange France et France Télécom SA du 15 février 2013, demandant à la cour de:

à titre principal,

- annuler la procédure,

subsidiairement.

- annuler les articles 1, 3, 4 et 5 de la décision,

et statuant à nouveau, dire qu'il n'est pas établi que Orange a enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 TFUE et écarter, en conséquence, les griefs notifiés à Orange,

très subsidiairement,

- réformer la décision de l' Autorité de la concurrence en ce qu'elle condamne Orange à payer, à titre de sanction pécuniaire, une somme totale de 117 419 000 €, en supprimant ou en tous cas en réduisant substantiellement le montant de ladite sanction, dire que les injonctions visées à l'article 4 de la décision sont dépourvues de fondement ou d'objet ou sont, en tout état de cause, excessives et injustifiées et, en conséquence, annuler l'article 4 de la décision

- dire que l'injonction de publication visée à l'article 5 de la décision est excessive et injustifiée, en conséquence, l'annuler et :

- ordonner sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard toute mesure utile pour en compenser les effets et en particulier, en cas d'annulation ou de réformation de la décision, ordonner la Publication par l'Autorité de la concurrence sur son site internet et, à ses frais, dans les éditions des quotidiens "Les Echos" et "Le Figaro", d'un exposé des motifs de l'annulation ou de la réformation prononcée par la cour, et se réserver la liquidation de l'astreinte.

en tout état de cause, ordonner la restitution des fonds payés, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et dire que les intérêts échus produiront eux-mêmes des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code civil.

- condamner Bouygues Télécom, le Ministère de l'économie et des finances et l'Autorité de la concurrence aux dépens, et à payer chacune à Orange la somme de 40 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu le recours en annulation et/ ou réformation formé le 18 janvier 2013 par la Société Française de Radiotéléphonie ("SFR") à l'encontre de la décision n° 12-D-24 du 13 décembre 2012 de l'Autorité de la concurrence ;

Vu les observations complémentaires déposées par la société SFR le 15 janvier 2014 après l'exposé des moyens du 18 février 2013, demandant à la cour de :

A titre principal :

- déclarer le recours recevable et fondé ;

- constater la violation des droits de la défense SFR ;

- constater en toute hypothèse, que les pratiques en cause de SFR ne peuvent être qualifiées d'abus de position dominante ;

En conséquence :

- annuler la décision ;

- ordonner le remboursement immédiat par le Trésor public à SFR des sommes versées au titre de la publication, dans les quotidiens d' "Aujourd'hui en France" et du "Parisien", du résumé de la décision n° 12-D-24 de l'Autorité de la concurrence, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;

A titre subsidiaire :

- dans l'hypothèse où, par extraordinaire, la Cour d'appel de Paris considérait comme avérée la pratique abusive de SFR, constater que la sanction pécuniaire infligée à SFR et l'injonction prononcée à cette société par l'Autorité de la concurrence ont un caractère manifestement disproportionné ;

- en conséquence :

- réformer la décision en ce qui concerne le montant de la sanction pécuniaire infligée à SFR et l'injonction prononcée ;

- ordonner le remboursement immédiat par le trésor public à SFR des sommes versées, le cas échéant, au titre de la sanction pécuniaire prononcée à son encontre par la décision, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du Code civil.

- en toute hypothèse, condamner Bouygues Télécom et l'Autorité de la concurrence à Payer à la société SFR la somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu la déclaration en jonction d'instance formée par la société Bouygues Télécom SA le 14 février 2013 ;

Vu le mémoire récapitulatif de Bouygues Télécom du 15 janvier 2014 après son mémoire en réponse aux recours en annulation de la décision, demandant à la cour de :

- la recevoir en son intervention ;

- rejeter les recours de Orange et de SFR.

- condamner la décision,

- condamner SFR à lui verser la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et condamner solidairement les sociétés Orange France et France Télécom à lui verser la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les observations de L'Autorité de la concurrence déposées le 15 octobre 2013 demandant à la cour de rejeter l'ensemble des conclusions et des demandes des requérantes, ainsi que, par voie de conséquence celles présentes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les observations du Ministère public, mises à disposition des parties avant l'audience, tendant au rejet du recours ;

Le ministère chargé de l'économie n'a pas entendu déposer de conclusions.

Ayant entendu à l'audience publique du 20 février 2014, en leurs observations orales, les conseils des requérantes qui ont été mis en mesures de répliquer et qu'ont eu la parole en dernier, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence, et le Ministère public ;

SUR CE

Sur le rejet des "observations complémentaires" de Bouygues Télécom déposées le 5 février 2014 :

Considérant que SFR prie la cour de déclarer irrecevables les observations complémentaires déposées par Bouygues Télécom le 5 février 2014, soit après la date fixée par le calendrier de procédure ;

Mais considérant qu'il d'agit d'observations, accompagnées de trois annexes en réplique aux mémoires de SFR et de Orange du 15 janvier 2014, auquel le mémoire de Bouygues déposé concomitamment n'avait pas répondu, et auquel SFR, par son mémoire complémentaire déposé le 15 février 2014, a pu répliquer ;

Qu'en outre le mémoire déposé par Bouygues le 5 février 2014 ne contient aucune demande nouvelle ;

Que par voie de conséquence, le principe de la contradiction et les droits de la défense ayant été respectés, il n'y a pas lieu de déclarer ce mémoire irrecevable ;

Considérant que les requérantes ont soulevé des moyens de procédure et des moyens de fond :

Sur les moyens d'annulation tenant de la procédure :

- sur la violation du principe d'impartialité dans la procédure suivie devant l'Autorité de la concurrence (anciennement le Conseil de ma concurrence) :

Considérant que Orange demande l'annulation de la décision en raison de la violation par l'Autorité du principe d'impartialité consacré par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme (ci-après, la "CEDH"), aux motifs qu'en renvoyant l'affaire aux services de l'instruction par sa décision du 15 mai 2009, l'Autorité a exigé la notification d'un grief de discrimination qui avait été effectivement instruit et expressément écarté par les rapporteurs et qu'elle s'est immiscée dans les compétences des services de l'instruction, contrevenant aisni au principe fondamental d'indépendance des fonctions d'instruction et de jugement ;

Considérant que SFR conclut aux mêmes fins, en soulignant que lors de la séance du 11 mars 2009, et au vu des écritures des parties, le collège de l'Autorité a constaté que le grief de ciseau tarifaire ne pouvait pas, pour des raisons de fond, justifier une condamnation, mais qu'au lieu de prononcer le non-lieu qui s'imposait au regard du seul grief notifié, l'Autorité a décidé de renvoyer le dossier à l'instruction sur le fondement de l'article R. 463-7 du Code de commerce ;

Considérant que l'article 6 § 1 de la CEDH dispose : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur des droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale et dirigée contre elle" :

Considérant que les principes d'indépendance et d'impartialité sont indissociables de l'exercice du pouvoir de sanction de l'Autorité de la concurrence ; qu'ils imposent que des garanties légales permettent d'assurer une séparation entre les fonctions de poursuite et d'instruction et les pouvoirs de sanction, et qu'il appartient à la juridiction compétente d'en contrôler le respect : Considérant que la séparation de la fonction d'instruction et de la fonction décisionnelle de l'Autorité de la concurrence est consacrée par les articles L. 461-1-II, L. 461-3, L. 463-2 à L. 463-4, L. 463-7 et R. 461-3 du Code de commerce, la première s'exerçant sous l'autorité du rapporteur général, à qui il revient de notifier les griefs aux intéressés, et la seconde incombant au seul collège de l'Autorité ;

Considérant que l'article L. 463-2 du Code de commerce dispose :

"Sans préjudice des mesures prévues à l'article L. 464-1, le rapporteur général ou un rapporteur général adjoint désigné par lui notifie les griefs aux intéressées ainsi qu'au commissaire du gouvernement, qui peuvent consulter le dossier sous réserve des dispositions de l'article L. 463-4 et présenter leurs observations dans un délai de deux mois. [...]

Le rapport est ensuite notifié aux parties, au commissaire du Gouvernement et aux ministres intéressées. Il est accompagné des documents sur lesquels se fonde le rapporteur et des observations faites, le cas échéant, par les intéressés [...]

Considérant qu'e l'espèce, il résulte des pièces du dossier :

- que dans la saisine du Conseil de la concurrence, Bouygues Télécom dénonçait des abus de position dominante de Orange et de SFR en soutenant que les pratiques en cause :

- seraient fidélisantes, au sens de la jurisprudence sur les remises de fidélité, en ce qu'elles empêcheraient les clients de changer d'opérateur et incitent leur entourage à s'abonner au même opérateur,

- seraient également discriminatoires, en ce sens que l'écart entre les prix pour les appels "on net" et les prix finaux pour les appels "off net" proposés aux consommateurs est supérieur à l'écart existant entre les terminaisons d'appels respectives des opérateurs,

- engendreraient un ciseau tarifaire en ce qu'elles en laissent aux compétiteurs, et notamment à Bouygues Télécom, aucun espace économique viable pour concurrencer Orange et SFR ;

- que le 13 mars 2008 trois griefs d'abus de position dominante, pour la mise en œuvre de pratiques et ciseaux tarifaires étaient notifiés aux sociétés France-Télécom et Orange, et deux griefs reprochant des pratiques identiques étaient notifiées à la société SFR, alors qu'aucun grief de discrimination tarifaire n'était notifié ;

- que dans leur rapport établi le 4 août 2008, les rapporteurs concluaient que l'intégralité des griefs notifiés était maintenue et confirmait ne pas retenir le grief de discrimination tarifaire, notamment au motif que "la possibilité d'appeler des numéros en illimité est incluse dans le forfait, il n'est pas possible de définir rigoureusement de prix ex-post pour les communications illimitées et rien ne permet de partir du principe que le prix de l'illimité est nul" ;

- que par décision du n° 09-S-03 du 15 mai 2009, l'Autorité de la concurrence après avoir rappelé les préoccupations de concurrence que soulevait la saisine et constaté que la notification ne portait que sur des pratiques de ciseaux tarifaires, décidait, au paragraphe C de la décision intitulé :

"Sur l'absence de notification d'un grief de discrimination tarifaire" :

- "Les offres de téléphonie mobile limitant la possibilité de passer des appels de façon illimitée aux seuls appels "on net" se traduisent en effet par une différentiation tarifaire entre le prix des appels "on net" et celui des appels "off net", le prix des premiers étant moins élevé que celui des seconds. Cette différentiation tarifaire peut être justifiée par l'existence de niveaux de charges de terminaison d'appels différents [...]" (point 80)

- [...] " Il convient donc d'analyser dans quelle mesure des offres comprenant de l'"on net" illimité, en obligeant les opérateurs de petite taille à répliquer par des offres cross-net, et donc à acheter des volumes de terminaison d'appel plus élevés à leur concurrents pourraient fausser le jeu de la concurrence sur le marché des services de téléphonie mobile et constituer un abus de position dominante de l'opérateur lançant une telle office sur le marché de sa terminaison d'appel.

Aucun grief n'ayant été notifié sur ce point, l'Autorité ne peut se prononcer

Il y a donc lieu, dans ces conditions, de renvoyer le dossier à l'instruction" (point 83)

- qu'au point 84 de la décision, l'Autorité indiquait :

"l'existence d'un effet de ciseau tarifaire apparait ainsi comme une question subsidiaire à celle, plus vaste, de mécanismes de discrimination anticoncurrentiel. Les éléments figurant au dossier ne permettant pas d'éclairer l'Autorité sur ce point, il y a lieu, dans ces conditions de surseoir à statuer et de procéder à un complément d'instruction" :

Considérant que les requérantes font valoir que le renvoi à l'instruction dans les termes ci-dessus énoncés est de nature à faire naître doute objectivement justifié sur l'impartialité de l'Autorité, ce que tend à démontrer, selon elles, la deuxième notification, au terme de laquelle les rapporteurs ont retenu le grief à nouveau instruit ;

Mais considérant en premier lieu que la décision de renvoi de l'affaire à l'instruction a été rendue au visa de l'article R. 463-7 du Code de commerce qui permet à l'Autorité, lorsqu'elle estime que l'instruction est incomplète, de renvoyer l'affaire en tout ou partie à l'instruction, cette décision étant insusceptible de recours ; que le fait que le grief ait été préalablement écarté par le rapporteur, n'empêche pas qu'il soit réexaminé à la demande du collège grâce à une instruction complémentaire, s'il estime que certains aspects n'ont pas été abordés ; qu'il ne peut être utilement soutenu que la demande de renvoi à l'instruction, mesure d'ordre interne, constituerait un pré-jugement de la réalité des manquements à examiner ;

Considérant qu'il sera rappelé ici en tant que besoin, que par arrêt n° 10-17.044 du 7 juin 2011 la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la Cour d'appel de Paris qui a déclaré irrecevable le recours introduit contre la décision de renvoi à l'instruction et de sursis à statuer de l'Autorité ; que la cour a, par cette décision, approuvé l'arrêt de la cour d'appel qui, - après avoir rappelé qu'en application de l'article R. 463-7 du Code de commerce, lorsqu'elle estime que l'instruction est incomplète, l'Autorité de la concurrence peut décider de renvoyer l'affaire à l'instruction et que cette décision n'est pas susceptible de recours, -a retenu que l'Autorité , après avoir examiné l'argumentation des sociétés France Télécom et Orange France tant sur la procédure suivie que sur la définition provisoire des marchés, n'a tranché définitivement aucun point et n'a pris qu'une mesure interne concernant l'instruction d'une affaire estimée incomplète ;

Considérant en second lieu que contrairement à ce que soutiennent les requérantes il ne peut être tiré de la circonstance que les rapports ont aux termes de la deuxième notification intervenue le 7 août 2011, finalement retenu un grief de différentiation tarifaire abusive entre les appels on net et les appels off net, une immixtion du collège de l'Autorité dans l'instruction de l'affaire ;

Qu'en effet, si les rapporteurs, se conformant à la demande du collège, ont repris l'instruction du grief précédemment écarté, rien ne leur imposait de notifier ce grief, à l'issue de deux années complémentaires d'enquête, alors qu'aucune décision de fond, n'avait été prise par l'Autorité, que les services d'instruction travaillent sous la direction du rapporteur général et non du collège qui n'assurer pas l'instruction de l'affaire et surtout, que l'indépendance des rapporteurs est garantie par les textes précités (autonomie budgétaire, garanties dans les règles de composition et de délibération des organes) ;

Considérant que ce moyen sera, par voie de conséquence, écarté ;

Considérant que SFR ajoute que le principe de séparation des fonctions d'instruction et de sanction imposait à l'Autorité de statuer sur la totalité des griefs notifiés, et donc sur le grief de ciseau tarifaire qui avait été notifié le 13 mars 2009 ; que l'absence de réponse apportée par celle-ci, sur ce point confirme le caractère orienté de la décision de renvoi et le pré-jugement qui en est résulté ;

Mais considérant que cette argumentation est inopérante, l'ADLC étant en droit de décider comme elle l'a fait que "dès lors que ces faits ont déjà été qualifiés au regard des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 TFUE [en ce qu'ils concernent la discrimination tarifaire] au titre de ces mêmes dispositions ;

Qu'en toute hypothèse l'annulation de la décision ne saurait être prononcée pour ce motif, favorable aux requérantes, en l'absence de grief retenu ; que cet argument sera écarté ;

- sur la violation du principe d'impartialité dans la décision (Orange) et/ou le droit à être entendu (SFR)

Considérant que Orange et SFR affirment que la décision n'a pas répondu aux arguments et moyens essentiels qu'elles ont soulevés, révélant la partialité avec laquelle l'Autorité a examiné l'affaire, et traduisant le manquement de celle-ci à son obligation de loyauté, notamment en ce qui concerne les arguments sur la méthode inédite utilisée pour établir le grief de discrimination tarifaire ;

Mais considérant que la décision étant motivée en droit et en fait, aucune nullité ne saurait résulter de ce qu'elle n'a pas examiné de manière exhaustive la totalité des arguments développés par SFR et Orange ; que celles-ci conservent d'ailleurs la possibilité de les soumettre à la cour au soutien de son recours de pleine juridiction si elle persiste à les estimer pertinents ; que la motivation de la décision doit permettre aux parties mises en cause de comprendre la nature de l'infraction ; qu'elle soit également permettre à la juridiction compétente d'exercer son contrôle ;

Considérant qu'en l'espèce, en particulier, l'Autorité a justifié l'existence d'un traitement différencié entre les appels on net et off net en raison de la structure même de l'offre, sans retenir les arguments avancés sur ce point par SFR ; que de même, elle a décrit la méthode qu'elle a suivie pour évaluer l'ampleur de la différenciation sans retenir les arguments développés par les requérante ; qu'il n'en demeure pas moins que sa décision contient les éléments de fait et de droit qui permettent d'en contrôler la légalité, et que rien dans la motivation de la décision ne permet d'affirmer que les exigences de loyauté et/ou d'impartialité n'auraient pas été respectées ; que les critiques avancées se rapportent à la pertinence du raisonnement suivie par l'Autorité, que la cour examinera au fond ; qu'elles ne sauraient justifier l'annulation de la décision au motif que les principes du procès équitable auraient été méconnus ; qu'il en est de même des autres arguments auxquels l'Autorité se serait abstenue de répondre, afférents notamment à la démonstration de l'absence d'éviction de Bouygues, à l'augmentation des revenus de Bouygues avec la réplique du forfait Néo, à l'application rétroactive du communiqué du 11 mai 2011 en violation du principe de non rétroactivité de la loi pénale (arguments développés par SFR) ;

Que pour sa part, Orange a établi une liste "non-exhaustive" des arguments "clés" qui auraient été ignorés par l'Autorité, récapitulée sous forme de tableau ; que son moyen d'annulation tiré de la violation des exigences d'impartialité et de loyauté sera écarté pour le même motif que ci-dessus ;

- sur le respect du principe de la contradiction :

Considérant que l'article L. 463-1 du Code de commerce dispose que "l'instruction et la procédure devant l'Autorité de la concurrence sont contradictoires, sous réserve des dispositions prévues à l'article L. 463-4".

Que SFR soutient que l'ADLC a violé le principe de la contradiction :

- en la condamnant sur la base de calculs nouveaux présentés oralement par les services d'instruction lors de la séance, concernant l'existence même de l'un des prétendus effets anticoncurrentiels, à savoir la rétention du trafic off-net, argument également soutenu par Orange ;

- en identifiant un prétendu lien de causalité entre la position dominante et la pratique litigieuse, sur la base de faits jamais évoqués avant la décision ;

Considérant que sous couvert de moyens de forme, SFR conteste la pertinence de la méthode employée par l'Autorité et des calculs effectués par celle-ci qu'elle qualifie d'incompréhensibles ; que cependant, contrairement à ce qui est retenue par la décision a été décrite et expliquée pendant l'instruction ; que les éléments de faits soumis à la discussion des parties ;

Considérant en outre que Orange soutient à tort que les calculs de l'Autorité relatifs à la différentiation tarifaire n'ont pas été détaillées et qu'ils ont été réalisés en dehors de tout débat contradictoire alors que la méthode employée et retenue par la décision a été décrite et expliquée pendant l'instruction ; que les éléments prétendument nouveaux de calculs évoqués dans la décision avaient été mentionnés dans al notification des griefs et que Orange ne pouvait les méconnaître ;

Que le moyen doit être écarté ;

Sur l'atteinte au principe de l'égalité des armes :

Considérant que Orange soutient qu'en présence de deux rapports contradictoires des 12 et 25 avril 2012, elle a été placée dans l'impossibilité d'organiser sa défense ; que de surcroît, le second rapport a été notifié en toute illégalité ;

Considérant qu'il est constant qu'à la suite de la notification du 5 août 2011, qui retenait le grief de discrimination tarifaire, ont été successivement notifiés aux parties mises en cause, un "rapport complémentaire" du 12 avril 2012 puis un second rapport du 25 avril 2012 ;

Mais considérant que contrairement à ce qui est soutenu, le premier de ces rapports n'a pas clôturé la procédure d'instruction, empêchant, selon Orange, la notification du second ;

Considérant qu'en effet, la teneur de ce rapport, intitulé "rapport complémentaire à celui établi le 4 août 2008", ne permet pas de suivre l'argumentation développée par Orange, dès lors qu'il est expressément indiqué en préambule qu'il a pour seul objet de signaler aux parties les éléments susceptibles d'influer sur la détermination des sanctions relatives au grief notifié le 13 mars 2008, du fait de la publication du communiqué "sanctions" du 16 mai 2011, afin de leur permettre de faire valoir leurs observations ;

qu'il y était en outre souligné qu'il n'avait pas pour objet de répondre aux écritures des parties relatives tant au rapport daté du 4 août 2008, qui excluait le grief de discrimination tarifaire, qu'à celles relatives à la notification de griefs datée du 5 août 2011 ;

Considérant dès lors, que non seulement la critique tenant a la notification illégale du second rapport, en raison de la clôture de l'instruction n'est pas encourue, mais que pas davantage, il ne peut être reproché une quelconque contradiction dans les griefs notifiés, au motif que le second rapport du 25 avril notifie le grief de discrimination tarifaire à l'inverse de celui du 12 avril ;

qu' il suffit d'ajouter que les termes des rapports concernés étant dénués de toute ambiguïté, Orange n'a pu se méprendre sur leur portée, et a pu faire valoir ses droits en toute connaissance de cause ;

Considérant que le moyen doit être rejeté ;

Sur la durée de la procédure :

Considérant que contestant la complexité de l'affaire, alléguée en réplique par l'ADLC, à la durée excessive de la procédure avancée par les requérantes, celles-ci estiment que cette prétendue justification constitue l'aveu implicite de réflexions "imaginatives", et d'une méthodologie imprévisible à l'époque des faits, ayant abouti au revirement des services d'instruction; qu'elles ajoutent que "si la durée de la procédure ne conduisait pas à l'annulation de la décision, elle devrait au moins engendrer une réduction de la sanction";

Considérant que le délai raisonnable prescrit par l'article 6 paragraphe 1 de la CEDH doit s'apprécier au regard de l'ampleur et de la complexité de l'affaire et que la sanction qui s'attache à la violation par l'Autorité de la concurrence, de l'obligation de se prononcer dans un délai raisonnable n'est pas l'annulation de la procédure mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi, sous réserve, toutefois, que le délai écoulé durant la phase d'instruction, en ce compris la phase non contradictoire, devant l'Autorité n'ait pas causé à chacune des sociétés mises en cause, une atteinte personnelle, effective et irrémédiable â son droit de se défendre, de telles circonstances devant s'apprécier in concreto ;

Considérant que, même à la supposer excessive, la durée de la procédure ne saurait conduire à l'annulation de la présente procédure; qu'en outre, aucun élément n'établit en l'espèce que la durée de la procédure aurait porté atteinte au droit des sociétés en cause de se défendre ; que le moyen doit être rejeté ;

Sur la violation par l'Autorité de sa compétence d'attribution et l'excès de pouvoir reproché :

Considérant que Orange soutient qu'en se prononçant sur les éléments relevant de la réparation des préjudices (§228, 534,537, 747,751 de la décision) qui auraient été subis par Bouygues Télécom du fait des pratiques en cause, l'Autorité a méconnu sa compétence d'attribution, et empiété sur la compétence du juge judiciaire ;

Mais considérant que la décision a rappelé qu'il ne lui appartenait pas d'évaluer le préjudice subi par un opérateur mais seulement de démontrer l'existence d'un effet anticoncurrentiel, au moins potentiel, résultant des pratiques en cause (§ 540 de la décision);

Qu'il ne peut être soutenu comme le prétend Orange que l'Autorité a caractérisé les éléments du préjudice et chiffré ceux-ci, alors qu'il résulte des développements de la décision qu'elle s'est contentée d'utiliser les données fournies par Bouygues pour démontrer l'existence de pratiques anticoncurrentielles ;

Considérant que par suite, le moyen sera rejeté ;

Sur l'annulation de la décision en raison d'erreurs de fait

Considérant que Orange prétend que l'Autorité a commis de multiples erreurs de fait qui affectent la présentation du contexte économique et du fonctionnement du marché;

Considérant qu'à les supposer commises, les erreurs de fait dénoncées, si elles sont susceptibles d'avoir une incidence sur le fond de l'affaire, ne constituent pas en soi, un moyen d'annulation de la décision ;

Considérant qu'en définitive, les moyens d'annulation de la décision tenant à la procédure seront rejetés ;

Sur le fond :

Sur le droit applicable et les marchés pertinents :

Considérant que la décision n'est pas remise en cause par les requérantes en ce qu'elle a dit que les pratiques litigieuses étaient susceptibles d'affecter sensiblement les échanges entre Etats membres, et qu'elles devaient par conséquent être examinées, non seulement au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce, mais aussi au regard de l'article 102 du TFUE ;

Considérant que par ailleurs, la décision, après avoir rappelé que le "marché est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande de produits ou de services spécifiques, considérés par les acheteurs ou les utilisateurs comme substituables entre eux, mais non substituables aux autres biens et services offerts", a énoncé ( §338) sans être contredite, qu'il con venait en l'espèce, conformément à la pratique déci si annelle tant de l'Autorité que DE l'ARCEP, d'opérer une distinction entre le marché de services de téléphonie mobile fournis aux consommateurs (marché de détail), et le marché de prestations de la terminaison d'appel vocal mobile offertes aux opérateurs de réseaux (marché de gros) ;

qu'au terme de son analyse non contestée par les parties, elle a retenu les marchés pertinents suivants, en France métropolitaine :

- le marché de gros de la teminaison d'appel vocal sur le réseau d'Orange, sur lequel Orange détient une position dominante,

- le marché de gros métropolitain de la terminaison d'appel vocal sur le réseau de SFR, sur lequel SFR est en position dominante,

- et le marché de détail de la téléphonie mobile, accessible à une clientèle résidentielle, en France métropolitaine sur lequel aucun des opérateurs présents sur le marché de· détail métropolitain des offres accessibles à une clientèle résidentielle ne pouvait, au cours de la période en litige, être considéré comme détenant seul une position dominante ;

Considérant qu'après avoir analysé les pratiques, l'Autorité a relevé qu'il s'avérait nécessaire de vérifier si la mise en œuvre de ces pratiques résultait d'une concurrence par les mérites ou s'expliquait par un abus de position dominante commis en violation des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 TFUE (point 385) ;

Que pour prononcer les sanctions dont l'annulation est demandée, l'Autorité a dit que les offres proposées aux particuliers, par ces deux opérateurs, essentiellement commercialisées entre 2005 et 2008, et qui donnaient la possibilité d'appeler en illimité uniquement au sein de leurs réseaux, ont créé une différenciation tarifaire abusive entre les appels "on net" (sur leurs réseaux respectifs) et "off net" (vers les réseaux concurrents) et ont freiné la concurrence sur le marché de la téléphonie mobile, en raison des effets négatifs qu'elles ont produits, qui se sont manifestés de deux manières :

1. Ces offres ont amplifié l'effet "tribu", c'est-à-dire la propension des proches à se regrouper auprès d'un même opérateur, en incitant les consommateurs à changer d'opérateur pour rejoindre celui de leurs proches, d'une part et d'autre part, une fois les tribus constituées, en "verrouillant" durablement les consommateurs auprès de leur opérateur du fait de l'augmentation significative des coûts de sortie encourus par ceux qui souhaitaient souscrire une nouvelle offre auprès d'un opérateur concurrent-: en rendant plus difficile la migration des clients vers un autre opérateur en place, ces offres ont dégradé la fluidité du marché de détail,

2. Ces offres ont été de nature à affaiblir le troisième opérateur, Bouygues : par l'effet "de réseau", elles ont mécaniquement favorisé les opérateurs de grande taille au détriment des petits opérateurs, les abonnés intéressés pour appeler le plus grand nombre d'interlocuteurs sans que ces appels soient décomptés de leurs forfaits, maximisant leur chance de trouver des interlocuteurs abonnés auprès du même opérateur qu'eux en choisissant Orange ou SFR ; compte tenu de la petite taille de son parc d'abonnés, Bouygues Télécom (17 % des abonnés) n'a pas été en mesure de s'aligner sur les offres on net d'Orange et SFR et s'est par conséquent vue .contrainte de commercialiser des offres d'abondance "cross net" permettant à ses clients d'appeler leurs interlocuteurs "en illimité", quel que soit leur réseau (lancement de l'offre Néo en 2006) mais au prix d'une forte hausse de ses coûts ; en lançant cette offre, Bouygues Télécom a dû supporter des charges de terminaison d'appel beaucoup plus lourdes, affaiblissant sa capacité à animer la concurrence sur le marché ; compte tenu des effets négatifs de ces offres sur son équilibre financier, il existait un risque important que Bouygues Télécom soit évincée du marché.

Considérant que l'Autorité a également décidé que les entreprises mises en cause n'avaient pas démontré que ces pratiques étaient objectivement justifiées ou indispensables à la réalisation de gains d'efficience l'emportant sur leurs effets anticoncurrentiels et retransmis aux consommateurs ;

Sur les moyens d'annulation tenant au fond développés par Orange et SFR :

Considérant qu'au soutien de leur demande d'annulation de la décision, Orange et SFR invoquent essentiellement des moyens tenant à la violation des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE en l'absence, selon elles, de différentiation tarifaire entre les appels on net et les appels off net au sein des offres incriminées, d'effets anticoncurrentiels, et de lien de causalité entre la position dominante et l'abus allégué ; qu'elles ajoutent que les pratiques étaient objectivement justifiées ;

Considérant en premier lieu que Orange et SFR contestent l'existence même d'une différentiation tarifaire ; qu'elles font valoir que la décision ( § Il l à 184} a "construit" un différentiel tarifaire qui n'existe pas, et selon une méthode très contestable, qui peut rendre "discriminante" n'importe quelle offre, y compris celles ne comportant aucune discrimination entre les appels on-net et off net, et qui a été contestée notamment par les études des économistes qu'elles ont consultés ;

qu'elles critiquent le grief retenu, en l'absence de différence de prix entre les appels on net et les appels off net, dès lors que les offres sont forfaitaires, et que le prix du forfait; qui rémunère un ensemble indispensable de prestations est unique, une minute "on-net" facturée au client comme une minute "off-net";

Considérant que Orange souligne que la méthode adoptée par la décision est "aberrante"; que l'Autorité, a postulé l'existence de la tarification de manière erronée, sans chercher à la mesurer objectivement, retenant pour la seule composante des appels on net illimités, trois valorisations très différentes mais arbitraires ;

que selon les parties, il appartenait à l'Autorité, pour caractériser une discrimination anticoncurrentielle, de déterminer de façon certaine le prix des deux prestations prétendument différentes, puis d'établir que la pratique donnait lieu à des effets anticoncurrentiels potentiels ou réels, le test de discrimination tarifaire consistant, à vérifier la réplicabilité de l'offre par les concurrents ; qu'ensuite seulement, l'Autorité devait s'attacher à examiner les justifications ;

Considérant que SFR, qui critique la décision pour avoir analysé les pratiques sous l'angle de la "différenciation tarifaire", sans vérifier au préalable si les produits en cause, prétendument facturés différemment par l'entreprise dominante (appels on net/off net), n'étaient pas des produits distincts et non substituables, fait valoir que l'Autorité a dénaturé le test de la discrimination anticoncurrentiel, qui n'est pas conforme à la jurisprudence (arrêt post Danemark) car après n'avoir pas réussi à l'établir, elle a négligé la question de la comparaison du prix des services avec leur coût de production, sans jamais s'intéresser à l'efficacité économique du concurrent prétendument victime ;

Considérant que Orange et SFR reprochent à l'Autorité d'avoir estimé que la mesure précise de la différence de prix entre ces deux types d'appels, n'était pas indispensable (§ 403 à 406 de la décision) alors que la différenciation tarifaire entre appels on net et off net ne pose de problème de concurrence que lorsque l'écart de prix est inferieur à l'écart de coût, démonstration qui nécessite donc de procéder au calcul exact de l'écart de prix en cause ;

qu'elles ajoutent que pour éluder cette difficulté, l'Autorité a comparé les différences de prix et de coûts selon une approche particulièrement complexe; que Orange précise que des incohérences affectent les calculs d'écarts de coûts entre les appels on net et off net (§ 411 et suivants, 428, 429 et 190 de la décision) ; que les écarts de coûts techniques, administratifs et commerciaux liés aux deux types d'appels, que l'Autorité a refusé d'examiner, sont pourtant susceptibles de justifier "l'ampleur des différences de prix entre les appels on net et off net" retenue par l'Autorité ; que la décision pose des postulats ( § 430 et 431 de la décision) et refuse de façon arbitraire d'examiner des éléments objectifs prétendument non pertinents ;

Considérant que Orange et SFR font valoir en deuxième lieu que les effets anticoncurrentiels des offres incriminées ne sont pas établis ;

Considérant que selon elles, le lancement de l'offre cross-net "Neo" par Bouygues Télécom a conduit à une intensification de la pression concurrentielle exercée par celle-ci ; que cette offre a constitué une réplique encore plus performante de la pan de Bouygues, que leurs propres offres on-net, et n'est que l'expression du libre jeu de la concurrence par Les mérites ; que La généralisation des offres cross-net par tous les opérateurs fin 2008, bénéfique au consommateur, démontre au surplus la pression concurrentielle exercée par Bouygues Télécom sur Orange et SFR et plus généralement sur le marché ;

que les requérantes en concluent que l'augmentation des coûts qui aurait été subie par Bouygues Télécom n'est que la juste contrepartie de l'innovation et ne peut être qualifiée d'effet anticoncurrentiel et que tout dommage à la concurrence est exclu ;

Considérant que Bouygues réplique que cette présentation dénature totalement la réalité des faits et l'évolution du marché sur la période; qu'elle n'a évité une chute de sa part de marché qu'au prix de la commercialisation d'une offre cross net ruineuse ;

Considérant qu'au soutien de leur argumentation, Orange et SFR soulignant l'effet "incontestablement positif des offres on net illimité sur le jeu de la concurrence et le bienêtre des consommateurs", font essentiellement valoir que la décision est, d'une part erronée en droit en ce qu'elle aurait "abaissé" à ton, le standard de preuve des effets anticoncurrentiels, en estimant qu'il suffisait de démontrer l'existence d'effets potentiels, et non d'effets réels des pratiques ;

Considérant que SFR expose à cet égard qu'il esl impossible de se contenter d'effets d'éviction potentiels cinq ans après la fin des pratiques; qu'elle invoque l'arrêt Post Danemark, dans lequel la Cour de justice aurait invité la juridiction de renvoi à rechercher une preuve concrète et passée de l'éviction du concurrent; Qu'elle souligne, comme Orange, que la part de marché de Bouygues n'a cessé d'augmenter depuis 2005 alors que tant sa part de marché que celle de Orange ont diminué de manière significative (respectivement 9,9 % et 7,8 %) et que celle des opérateurs virtuels a également augmenté (de 0,6 % fin 2005 à 6 % mi 2010); que la décision retient à tort que les parts de marché des trois opérateurs de réseau étaient stables (§ 62 de la décision) ; que SFR précise que ni les effets sur Bouygues invoqués par l'Autorité, ni les effets sur le marché, ne sont établis ; que les requérantes soutiennent d'autre part que les prétendus effets potentiels ne Sont pas démontrés ;

Considérant que Orange estime qu'en toute hypothèse, le standard de preuve des effets potentiels retenu est abstrait et théorique et qu'il conduit à tenir pour abusive toute pratique de différentiation tarifaire; qu'il est économiquement injustifié ; qu'aucun des effets anticoncurrentiels évoqué par l'Autorité n'est établi à suffisance de droit ; que l'analyse du renforcement de l'effet tribu repose sur les simples présomptions;

- qu'en effet, contrairement à ce que soutient l'ADLC, qui fait état de calculs trompeurs, la stabilité du taux de churn (c'est-à-dire de résiliation par rapport au parc d'abonnés) des clients d'Orange entre 2005 et 2008 contredit tout effet de "verrouillage potentiel" des abonnés aux offres on net illimité; que ces offres n'ont eu aucun impact sur la propension des clients d'Orange à changer d'opérateur ; - que l'évolution observée des flux de clients entre Bouygues Télécom et Orange et de leurs parts respectives, rapport du cabinet Mapp à l'appui, contredit l'existence d'un prétendu renforcement de l'effet "tribu" au détriment de Bouygues Télécom (§ 449 à 469) ou d'un prétendu verrouillage des clients d'Orange(§ 473 à 491); qu'au cours de la période en cause, Bouygues Télécom a fait migrer plus d'abonnés d'Orange qu'Orange n'a fait migrer d'abonnés de Bouygues Télécom; que l'Autorité a interprété des données de manière erronée, à l'effet de soutenir son argumentation selon laquelle les offres incriminées ont eu pour conséquence d'élever des barrières à l'entrée des opérateurs concurrents sur le marché et ont entravé la fluidité du marché ;

- qu'alors que selon l'Autorité, les pratiques reprochées étaient censées inciter fortement les clients de Bouygues â rejoindre les deux plus gros opérateurs, la part de Bouygues au sein des foyers, quelle que soit leur taille, s'est améliorée ; que l'Autorité, qui écarte les études produites(§ 469 de la décision) et l'argumentation développée par les requérantes, ne justifie pas ses assertions, alors que la charge de la preuve lui incombe ;

- que la rentabilité financière de Bouygues n'a pas été affaiblie par les offres litigieuses, au contraire, comme Je démontre la communication financière réglementée de l'actionnaire de Bouygues Télécom, qui se félicite de la performance commerciale et financière de celle-ci, réalisée notamment grâce à l'offre Neo ; que la décision, qui ne conteste pas que les prétendues pratiques d'éviction aient de fait, renforcé la position de Bouygues en tient seulement compte en tant qu'élément tempérant le dommage à l'économie(§ 190 et 191 et 661 et 662 de la décision) ;

- qu'enfin, la prétendue distorsion des flux de trafic (les offres litigieuses entraînent une augmentation des flux d'appels on net au détriment des appels off net), qui se traduirait par une perte de recettes de terminaison d'appel des petits opérateurs concurrents, n'est pas démontrée, et que l'effet potentiel d'éviction de Bouygues ne l'est pas davantage ;

Considérant que SFR fait valoir comme Orange que le renforcement de l'effet tribu n'est pas établi et conclut à l'absence de verrouillage du marché, l'augmentation prétendue des coûts de sortie ne l'étant pas davantage ;

qu'elle souligne que contrairement à ce que soutient l'Autorité, la pratique qui lui est reprochée n'a pas abouti à un effet anticoncurrentiel d'augmentation des coûts de Bouygues Télécom ; que rappelant que Bouygues Télécom n'a pas été évincée du marché, elle précise que la décision se fonde sur la théorie économique de l'augmentation des coûts des rivaux, qui n'a jamais été utilisée en Europe à l'appui d'une décision contentieuse et dont les deux conditions d'application ne sont pas remplies ;

qu'elle ajoute que sur le plan factuel, un point central de la thèse de l'Autorité, qui consiste à prétendre que Bouygues Télécom ne pouvait pas répliquer par des offres trois numéros illimités on-net, n'est pas étayé (§ 512 à 521 de la décision); qu'enfin, la preuve que les coûts de Bouygues Télécom auraient augmenté du fait des pratiques litigieuses (car elles ont contraint Bouygues à lancer des offres cross net qui engendrent une augmentation des dépenses au titre des charges de terminaison d'appel payées aux autres opérateurs lors de l'émission d'appels off net par leurs abonnés) n'est pas rapportée puisque les chiffres avancés sont relatifs aux coûts d'une offre de Bouygues Télécom qui est bien plus ambitieuse et bien plus chère (offre cross net) que les offres litigieuses de SFR, et ce alors que Bouygues Télécom a délibérément fait le choix de promouvoir ses offres cross net, plutôt que les offres d'abondance on net, qu'elle avait lancées dans le même temps ; que la prétendue augmentation des coûts de Bouygues Télécom (notamment § 533 et suivants) ne peut donc en aucun cas recevoir la qualification d'effet anticoncurrentiel ;

Considérant que les requérantes observent également que dans ses observations déposées devant la cour, l'Autorité admet finalement que la détérioration prétendue du solde d'interconnexion de Bouygues s'explique pour partie par la stratégie commerciale de celle-ci, - et non plus seulement par la commercialisation des offres on net - et qu'elle sereit compensée partiellement par la régulation asymétrique ex-ante des charges de terminaison d'appel au profit de Bouygues, mais elle n'en tire aucune conséquence ( § 538, 539 et 654 de la décision et observations de l'Autorité,§ 214);

Considérant que Orange et SFR exposent en troisième lieu que l'Autorité sanctionne un abus de position dominante à l'encontre d'opérateurs non dominants sur le marché de détail de la téléphonie mobile à raison de pratiques tarifaires afférentes à ce marché ; que la démonstration d'un lien de causalité entre l'abus allégué et la position dominante n'est pas faite ;

Considérant que Orange et SFR invoquent en quatrième lieu, le refus de prendre en compte, dans l'analyse des pratiques incriminées, les conséquences de la régulation sectorielle s'imposant aux acteurs du marché ; qu'elles rappellent que pour prévenir le risque de déséquilibre d'interconnexion dans les échanges de trafic, l'ARCEP a décidé de le compenser par avance en autorisant Bouygues à pratiquer un tarif de terminaison d'appel supérieur à celui de ses concurrents, tant que ses charges de terminaison d'appel ne seraient pas orientées vers les coûts sous-jacents, créant une asymétrie entre la charge de terminaison de Bouygues et celle de ses concurrents ;

que le Conseil de la concurrence en 2005 (avis 07-A-05, § 23) et la Commission européenne en 2008 (décision de l'Arcep 2008-1176, p53) avaient effectué des mises en garde contre les effets pervers de cette asymétrie ;

qu'en effet, cette régulation asymétrique a augmenté les incitations d'Orange et de SFR à multiplier les offres d'abondance on net, qu'elle les a dissuadées de lancer des offres d'abondance off net qui auraient à la fois conduit à des sorties de trésorerie importantes et qui auraient été excessivement rémunératrices pour Bouygues, et enfin, qu'elle a augmenté les paiements d'Orange vers Bouygues ;

que la décision ne peut pas à la fois admettre, ainsi qu'elle l'a fait(§ 701 à 705) comme simple circonstance atténuante, les effets de la régulation sur les incitations des acteurs économiques, reconnaissant ainsi la rationalité de leur comportement dans ce contexte régulé, et le leur reprocher ;

que les requérantes développent, en cinquième lieu, des moyens relatifs aux justifications des pratiques ;

Considérant que l'article 5.1 du règlement CE n° 1-2003 du 16 décembre 2002 dispose : "Dans les procédures d'application de l'article 81 ou 82 du traité (devenus 101 ret 102 du TFUE), les juridictions des Etats membres peuvent demander à la Commission de leur communiquer [...] un avis au sujet de questions relatives à l'application des règles communautaires de concurrence" ;

Que les articles R. 470-2 et suivants du Code de commerce précisent les conditions de mise en œuvre de cette disposition ;

Considérant qu'il convient en l'espèce de relever que les offres incriminées ont une structure différente de celles examinées à l'occasion de litiges antérieurs ; que les questions d'ordre factuel, économique et juridique qu'elles soulèvent au regard de l'application des règles de concurrence européennes, justifient le recours à l'avis de la Commission, suggéré par SFR dans ses observations déposées au greffe de la cour d'appel le 15 janvier 2014, notamment sur les points suivants :

1. Sur l'existence de la différentiation tarifaire et plus spécialement sur la méthode employée pour apprécier les écarts de prix et les écarts de coûts des appels on net et off net, faisant l'objet des § 111 à 184 de la décision, puis 402 à 406 ; 411 à 418 et 421 à 432, et le test pertinent ;

2. Sur l'appréciation des effets ami-concurrentiels des offres incriminées sur le marché de détail de la téléphonie mobile en apportant à la cour son éclairage sur l'impact des offres sur l'intensité concurrentielle du marché, et en donnant son avis sur la prise en compte de la régulation sectorielle et sur les effets des pratiques tels que l'effet "tribu" et l'effet de "verrouillage" du marché, ainsi que l'effet "de réseau" (ou de club), ainsi que sur leurs conséquences ;

qu'il convient, par voie de conséquence, de surseoir à statuer sur le fond de l'affaire, dans l'attente de l'avis de la Commission européenne ;

Par ces motifs, Déclare recevables les "observations complémentaires" de Bouygues Télécom déposées au greffe le 5 février 2014 ; Déboute Orange et SFR de leurs moyens d'annulation de la décision tenant à la procédure ; Renvoie à la Commission européenne aux fins de donner son avis sur l'application de l'article 102 du TFUE aux offres on net lancées par Orange et par SFR entre 2005 et 2008, et notamment les questions économiques et juridiques présentées par l'affaire, plus spécialement en ce qui concerne : - 1. l'existence de la différentiation tarifaire entre les appels on net ct off net et la méthode employée pour apprécier les écarts de prix et des écarts de coûts entre ces deux types d'appels, et le test pertinent, - 2. la prise en compte de la régulation sectorielle, - 3. La question des effets anti concurrentiels des offres incriminées sur le marché de détail de la téléphonie mobile ; En conséquence, sursoit à statuer sur le fond de l'affaire dans l'attente de l'avis qui sera donné par la Commission européenne ; Réserve les dépens.