CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 26 juin 2014, n° 13-10436
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sephira (SAS)
Défendeur :
Vericheck (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Charlon
Conseillers :
Mmes Graff-Daudret, Bouvier
Avocats :
Mes Galland, Ceccaldi, Maucande, Lesenechal
FAITS ET PROCEDURE :
La SAS Sephira est une société créatrice de solutions informatiques destinées aux professionnels de santé pour assurer la télétransmission et la gestion de leurs feuilles de soins informatiques. Elle commercialise notamment le terminal Intellio, boîtier permettant aux professionnels de santé d'établir pour le patient une feuille de soins électronique et la transmettre aux caisses d'assurance maladie. Elle propose en outre aux professionnels de santé d'autres services attachés au terminal Intellio, incluant les mises à jour des logiciels et la télétransmission des feuilles de soins électroniques.
La SAS Vericheck commercialise également des logiciels de gestion destinés aux professionnels de santé.
La société Sephira a fait appel à la société Vericheck pour commercialiser sa production, sans que les parties ne parviennent à signer de convention de partenariat.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 25 avril 2012, invoquant le fait que son distributeur continuait à travailler avec son concurrent direct, la société Saficard, la société Sephira a notifié à la société Vericheck la cessation des relations commerciales entre les parties, avec prise d'effet immédiat.
Par acte du 14 juin 2012, faisant valoir qu'elle avait distribué les solutions Sephira depuis l'année 2006 à 2009, puis que le relations commerciales avaient été rompues une première fois à l'initiative de la société Sephira, et reprises en mars 2011, avant d'être à nouveau rompues, et que cette rupture des relations commerciales entre les parties était abusive, la société Vericheck a assigné la société Sephira devant le juge des référés, sur le fondement des articles L. 442-6-5 du Code de commerce, 872 et 873 du Code de procédure civile, afin de voir constater l'absence de préavis, voir condamner la société Sephira au paiement d'une somme provisionnelle de 110 343,75 euros, et voir ordonner à la société Sephira la restauration à son bénéfice de tous accès informatiques et téléphoniques nécessaires aux interventions de maintenance sur les logiciels et matériels de ses clients.
Par ordonnance contradictoire du 30 avril 2013 (RG 12-00177), le juge des référés du Tribunal de commerce de Rennes a :
- débouté la société Vericheck de sa demande d'indemnité au titre de la rupture des relations commerciales et l'a invitée à mieux se pourvoir sur cette demande,
- ordonné à la société Sephira la restauration au bénéfice de la société Vericheck de tout accès informatique et téléphonique nécessaire aux interventions de maintenance des logiciels et matériels des clients Sephira et ce, sous astreinte de 100 euros par jour et par infraction constatée jusqu'au rétablissement de l'accès,
- condamné la société Sephira à payer à la société Vericheck la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,
- condamné la société Sephira aux entiers dépens.
La société Sephira a interjeté appel de cette décision le 24 mai 2013.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 mai 2014.
Moyens et prétention de la société Sephira :
Par dernières conclusions n° 2 du 14 avril 2014, auxquelles il convient de se reporter, la société Sephira demande à la cour :
- de déclarer irrecevable l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la société Vericheck,
- en tant que de besoin, de déclarer recevable l'appel interjeté par elle à l'encontre de l'ordonnance rendue le 30 avril 2013 par le juge des référés du Tribunal de commerce de Rennes,
- d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle lui a ordonné la restauration au bénéfice de la société Vericheck des accès informatiques et téléphoniques nécessaires aux interventions de maintenance sur les logiciels et matériels des clients de la société Vericheck,
Statuant à nouveau,
- de débouter la société Vericheck de l'intégralité de ses demandes,
- de confirmer pour le surplus, et y ajoutant,
- de condamner la société Vericheck à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 32-1 du Code de procédure civile,
- de condamner la société Vericheck à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de condamner la même aux dépens distraits au profit de la SCP Galland Vignes, avocats.
Moyens et prétention de la société Vericheck :
Par dernières conclusions du 29 septembre 2013, auxquelles il convient de se reporter, la société Vericheck demande à la cour :
Vu les dispositions du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009 et l'article L. 442-5-6 du Code de commerce, vu le Code de l'organisation judiciaire,
- de se déclarer incompétente au profit de la Cour d'appel de Rennes,
- de confirmer l'ordonnance et lui donner acte qu'elle est remplie de ses droits et qu'elle renonce pour l'avenir au bénéfice de l'ordonnance,
- de débouter l'appelante de ses plus amples demandes,
- de constater l'abus de procédure et condamner la société Sephira à lui payer 10 000 euros de dommages et intérêts à ce titre,
- de condamner la société Sephira à lui payer 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de condamner la société Sephira aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR,
Sur la compétence :
Considérant, sur la recevabilité, que la demande tendant à voir dire que la Cour d'appel de Paris est incompétente sur le fondement du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009 (article D. 442-3 du Code de commerce) attribuant compétente exclusive aux juridictions désignées pour l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, n'est pas irrecevable sur le fondement de l'article 914 du Code de procédure civile, puisque la cour étant saisie sur le fondement de l'article 905 du même Code, aucun conseiller de la mise en état n'est désigné ;
Considérant, sur le bien-fondé, qu'au regard de l'article L. 442-6 du Code de commerce, la compétence doit s'apprécier au regard des textes qui fondent la demande ; que la société Vericheck ayant saisi le juge des référés du Tribunal de commerce de Rennes sur le fondement de l'article L. 442-6-5 du Code de commerce, c'est à juste titre que l'appel a été formé par la société Sephira devant la Cour d'appel de Paris sur le fondement du texte précité ;
Sur le référé :
Considérant que selon l'article L. 442-6 I du Code de commerce, "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...). Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure" ;
Que selon ce même article, "IV.- Le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire" ;
Que selon l'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile, le juge des référés peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;
Considérant qu'il résulte des pièces produites que la société Sephira a tenté, à compter du 22 juillet 2011, de conclure un contrat de partenariat avec la société Vericheck pour la distribution de ses produits, et que si aucun des trois projets de convention envisagés par les parties n'a abouti, au motif, selon la société Sephira, qu'elle a toujours subordonné le partenariat à un engagement de loyauté et de non-concurrence de la part de la société Vericheck, il n'en demeure pas moins que selon ces pièces, la société Vericheck a effectivement distribué ses produits, ainsi qu'en atteste notamment un courriel du 10 novembre 2011 mentionnant que les "grilles de rétribution concernent dorénavant tous les nouveaux contrats prospects" ; que la société Sephira, qui ne saurait donc nier l'existence de la relation commerciale, indique sans être sérieusement démentie dès lors que la demande initiale fait état de relations interrompues puis reprises en "mars 2011", qu' "en tout état de cause et du propre aveu de la société Vericheck la relation en question a débuté en avril 2011 pour s'achever en avril 2012, de sorte qu'elle aura duré à peine une année", ce qui lui confère suffisamment le caractère d'une relation commerciale établie ;
Considérant que la dénonciation, le 25 avril 2012, de cette relation commerciale établie depuis un an, "avec prise d'effet immédiat", donc sans préavis, constitue manifestement une rupture brutale de ladite relation ;
Que la société Sephira est mal fondée à se retrancher derrière la concurrence déloyale que lui aurait faite la société Vericheck pour avoir continué le partenariat qui la liait avec la société Saficard, son concurrent direct, alors qu'elle ne démontre pas que la société Vericheck aurait contracté à son égard une obligation de non-concurrence, les projets de convention entre les parties prévoyant une telle clause n'ayant au contraire pas été signés ;
Considérant, sur les mesures propres à faire le trouble manifestement illicite constitué par la rupture brutale de la relation commerciale, que la société Vericheck, qui par ailleurs ne demande pas l'infirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté sa demande de provision, estime être remplie de ses droits par les mesures ordonnées ;
Que la lettre de rupture indique que, par l'effet de la résiliation, la société Vericheck devra restituer tous les matériels (terminaux, CD ROM, matériel de démonstration etc..) appartenant à Sephira, diriger aussitôt vers Sephira tous les appels entrants qu'elle recevra au titre du support client niveau 1 et niveau 2, ne plus faire usage de signes distinctifs tels que notamment les logos et les marques appartenant à Sephira, ne plus se présenter comme étant le distributeur de Sephira, ne plus procéder à des migrations, notamment celles ayant trait au logiciel Medicawin ;
Que les procès-verbaux de constat dressés par huissier de justice, en date des 10 mai 2012 et 15 mai 2012, permettent, comme l'a relevé le premier juge, de constater qu'à la suite de la rupture de la relation commerciale, la société Vericheck s'est trouvée dans l'impossibilité d'assurer le service après-vente du matériel Sephira mis en place et bénéficiant d'une garantie ;
Que les mesures ordonnées par ce juge doivent, dès lors, être confirmées ;
Considérant que la société Vericheck ne justifiant pas du préjudice spécifique que lui aurait occasionné la présente instance, sa demande formée à titre de dommages et intérêts sera rejetée ;
Par ces motifs : Déclare recevable l'exception d'incompétence, Déclare la Cour d'appel de Paris compétente, Confirme l'ordonnance entreprise, Y ajoutant, Donne Acte à la société Vericheck qu'elle est remplie de ses droits et renonce pour l'avenir au bénéfice de l'ordonnance, Rejette la demande de la société Vericheck formée à titre de dommages et intérêts, Condamne la SAS Sephira à payer à la SAS Vericheck la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Sephira aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.