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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 24 juin 2014, n° 2013-06766

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

E-Kanopi (SARL)

Défendeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et du Commerce extérieur

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Remenieras

Conseillers :

Mmes Beaudonnet, Leroy

Avocats :

Mes Lehman, Brisset-Foucault

AdlC, du 21 déc. 2012

21 décembre 2012

Par courrier enregistré le 10 juin 2010, sous le numéro 10-0081 F, la société E-Kanopi a saisi l'Autorité de la concurrence (l'Autorité ou l'AdlC) de pratiques mises en œuvre par le groupe Google dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches. La société E-Kanopi a, le 10 septembre 2010, déposé une note complémentaire et le 11 janvier 2013, soumis des observations complémentaires en prévision de la séance de l'Autorité du 17 janvier 2013.

La société E-Kanopi expose qu'ayant conclu le 26 janvier 2010 un contrat AdWords pour promouvoir les sites "meteo-en-france.com", "teleannuaire.fr" et "france-société.com" qu'elle édite, elle a constaté le 13 mai 2010 que ses annonces n'étaient plus diffusées sur le site de Google, que les comptes AdSense ont également été coupés, de même que, le 30 juin 2010, sans préavis le compte AdWords "prevoir-retraite.com" et que ses comptes ne sont pas à ce jour réactivés.

La société E-Kanopi rappelle avoir alors engagé des procédures judiciaires.

Ainsi, par ordonnance du 3 août 2010, le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris a fait injonction, sous astreinte, à la société Google de rétablir les contrats AdWords et AdSense relatifs aux quatre sites de E-Kanopi et par ordonnance du 21 janvier 2011, le juge de l'exécution du TGI de Paris a, faute d'exécution, liquidé l'astreinte.

Saisi au fond, le Tribunal de commerce de Paris a, par jugement du 23 mai 2011, débouté la société E-Kanopi de toutes ses demandes.

Ce jugement a partiellement été réformé par arrêt du 23 novembre 2011 de la Cour d'appel de Paris qui a condamné la société Google Ireland Ltd "au titre de la rupture brutale des contrats AdWords et AdSense litigieux à payer à la SARL E-Kanopi les sommes de 20 004,41 euros et 22 488 euros à titre de dommages et intérêts".

La société E-Kanopi a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, lui reprochant "de rejeter sa demande d'indemnisation du préjudice causé par la perte de marge nette sur les ventes encaissées pendant la période de suspension des comptes postérieure à la période de préavis de huit jours indemnisée au titre de la rupture brutale des contrats AdWords et AdSense, et de rejeter sa demande de remboursement des investissements réalisés au titre des dépenses AdWords ainsi que sa demande d'annulation de la créance AdWords relative au mois de juin 2010".

Par arrêt n° 12-12.900 du 16 avril 2013, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en ces termes :

"Mais attendu que, s'il résulte des dispositions combinées des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce qu'est prohibée l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, c'est à la condition que la pratique dénoncée ait pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ; que la société E-Kanopi n'ayant nullement prétendu que l'abus allégué pouvait avoir cet objet ou cet effet sur un marché au demeurant non défini, la cour d'appel ne peut se voir reprocher de n'avoir pas retenu l'abus de position dominante invoqué ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

La société E-Kanopi précise que sa saisine, parallèlement aux procédures judiciaires, de l'AdlC le 10 juin 2010, (saisine numéro 10-0081 F sus-rappelée) tendait à ce que l'Autorité "prenne les mesures nécessaires pour mettre un terme aux pratiques de rupture brutale et non motivée" du groupe Google.

Cette société soutenait que les coupures des comptes AdWords et AdSense en mai 2010 présentaient un caractère discriminatoire et constituaient des pratiques d'abus de position dominante ayant pour effet l'éviction des entreprises concurrentes de Google, et que ces coupures illustraient le caractère brutal de la rupture des relations commerciales avec Google. Elle ajoutait que Google avait manqué aux engagements qu'elle avait pris dans le cadre de l'affaire dite Navx ayant donné lieu à une décision de l'Autorité n° 10-D-30 du 28 octobre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité sur Internet ;

Dans le cadre de cette saisine, le rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence a, par "décision n° 12-DSA-441 du 21 décembre 2012 relative à une demande de classement de pièces confidentielles par la société Google" (la Décision), décidé :

"Article 1er : Il est donné acte à la demande, formulée par la société Google le 21 décembre 2012, de protection vis-à-vis des autres parties à la procédure de documents regardés par cette dernière comme mettant en jeu le secret des affaires."

Article 2 : Les documents visés dans la demande, qui restent au dossier soumis à l'Autorité de la concurrence et au commissaire du Gouvernement, ne sont pas communiqués aux autres parties à la procédure.

Article 3 : La version non-confidentielle et le résumé de ces documents sont communiqués aux autres parties à la procédure.

Par décision n° 13-D-07 du 28 février 2013, l'Autorité de la concurrence a, sur le fondement de l'article L. 462-8 du Code de commerce, décidé : "La saisine enregistrée sous le numéro 10-0081 F est rejetée".

LA COUR

Vu le recours en annulation et subsidiairement en réformation formé le 5 avril 2013 par la société E-Kanopi contre la décision n° 12-DSA-441 du 21 décembre 2012 relative à une demande de classement de pièces confidentielles par la société Google (la Décision) ;

Vu le mémoire déposé le 7 mai 2013 par la société E-Kanopi à l'appui de son recours et son "mémoire récapitulatif" déposé le 17 décembre 2013, et priant la cour d'annuler la Décision ;

Vu les observations de l'AdlC déposées le 15 octobre 2013 concluant que ce recours "apparaît comme étant irrecevable, tout comme la demande, mais aussi infondé, et ne peut qu'être rejeté" ;

Vu les observations écrites du ministre de l'Economie déposées le 10 octobre 2013 ;

Vu les observations du Ministère public, mises à disposition des parties avant l'audience;

Ayant entendu à l'audience publique du 13 mars 2014, en leurs observations orales, le conseil de la requérante qui a été mis en mesure de répliquer et qui a eu la parole en dernier, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence et le Ministère public ;

SUR CE

Considérant que la requérante soutient que la demande de protection du secret des affaires formulée par Google le 21 décembre 2012 est irrégulière car non conforme aux exigences de forme et de délai exigées par l'article R. 463-13 du Code de commerce et que la décision du rapporteur général est irrégulière en ce qu'elle fait droit à une demande de protection du secret des affaires relative à des documents qui ne sont pas de nature à mettre en jeu un tel secret ; qu'en réponse aux observations de l'Autorité, elle conteste chacun des moyens invoqués par cette dernière pour conclure à l'irrecevabilité du présent recours et souligne qu'un des moyens d'irrecevabilité soulevé par l'AdlC contredit les observations du ministre de l'Economie ; qu'elle fait en particulier valoir qu'il importe peu de savoir si elle pouvait demander la "déconfidentialisation" des pièces et que le simple fait que la décision prise par le rapporteur général est illégale lui permet, en tant que partie saisissante, de former un recours contre cette décision qui lui fait grief car lui interdit l'accès à des pièces auxquelles elle aurait eu accès en l'absence de ladite décision ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 463-4 du Code de commerce :

"Sauf dans les cas où la communication ou la consultation de ces documents est nécessaire à l'exercice des droits de la défense d'une partie mise en cause, le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence peut refuser à une partie la communication ou la consultation de pièces ou de certains éléments contenus dans ces pièces mettant en jeu le secret des affaires d'autres personnes. Dans ce cas, une version non-confidentielle et un résumé des pièces ou éléments en cause lui sont accessibles.

"Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent article."

Que l'article R. 463-15 du même Code précise :

"Lorsque le rapporteur considère qu'une ou plusieurs pièces dans leur version confidentielle sont nécessaires à l'exercice des droits de la défense d'une ou plusieurs parties ou que celles-ci doivent en prendre connaissance pour les besoins du débat devant l'Autorité, il en informe par lettre recommandée avec demande d'avis de réception la personne qui a fait la demande de protection du secret des affaires contenu dans ces pièces et lui fixe un délai pour présenter ses observations avant que le rapporteur général ne statue. La décision du rapporteur général est notifiée aux intéressés.

Lorsqu'une partie mise en cause n'a pas eu accès à la version confidentielle d'une pièce qu'elle estime nécessaire à l'exercice de ses droits, elle peut en demander au rapporteur la communication ou la consultation en lui présentant une requête motivée dès sa prise de connaissance de la version non-confidentielle et du résumé de cette pièce. Il est alors procédé comme à l'alinéa précédent.

Le rapporteur général fixe, le cas échéant, un délai permettant un débat sur les informations, documents ou parties de document nouvellement communiqués."

Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'indépendamment de la possibilité pour le rapporteur de demander le déclassement de pièces confidentielles, seule la partie mise en cause peut demander au rapporteur la communication ou la consultation de la version confidentielle d'une pièce qu'elle estime nécessaire à l'exercice de ses droits et qu'une telle faculté n'est pas ouverte à la partie qui a saisi l'Autorité ;

Qu'il s'en déduit que la partie saisissante, qui n'est pas recevable à présenter au rapporteur une requête tendant à la communication ou la consultation de pièces mettant en jeu le secret des affaires d'autres personnes, dont en particulier de la personne qu'elle met en cause dans sa saisine, n'est pas davantage recevable à contester la décision par laquelle le rapporteur - faisant droit, en la forme ou au fond, à la demande de la personne visée par la saisine tendant à la protection par le secret des affaires d'éléments par elle communiqués à l'Autorité - a classé en pièces confidentielles des documents ou des éléments de documents concernant la personne mise en cause par le saisissant et n'a ordonné la communication aux autres parties à la procédure que de la version non-confidentielle et du résumé desdits documents ;

Que le présent recours formé par la société E-Kanopi contre la décision du rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence doit être déclaré irrecevable ;

Par ces motifs : Dit irrecevable le recours formé par la société E-Kanopi contre la décision n° 12-DSA-441 du 21 décembre 2012 du rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence, relative à une demande de classement de pièces confidentielles par la société Google ; Condamne la société E-Kanopi aux dépens.