CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 24 juin 2014, n° 13-19019
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Confédération Nationale des Buralistes de France, Courageux, Les Courtilles (SNC)
Défendeur :
Clop & Co (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Girerd
Conseillers :
Mmes Bodard-Hermant, Bouvier
Avocats :
Mes Brault, Gambin, Caballero
M. Hervé Courageux et la SNC Les Courtilles sont débitants de tabac, le premier à Caen, 20 rue de Strasbourg (Le Corona-la Maison du Fumeur) et la seconde à Paris 11ème, 160 rue Oberkampf (Les Courtilles).
Ils ont constaté que la sarl Clop & Co a créé et exploite un site Internet www.clopinette.fr ainsi qu'une page "Facebook" associée, et deux magasins à l'enseigne Clopinette installés à proximité de leurs débits de tabac, qu'elle y propose et fait la promotion des "e-cigarettes" et des produits e-liquides pouvant contenir divers dosages de nicotine ou encore des cartouches sous la marque "Clopinette, la bouffée de plaisir" et les slogans "la cigarette" électronique qui respecte votre liberté de fumer où vous voulez" et "le plaisir de fumer où vous voulez quand vous voulez".
Soutenant que les débitants de tabac sont soumis à une réglementation contraignante encadrant la promotion et la commercialisation des produits du tabac et assimilés, et reprochant à la société Clop & Co d'assurer la promotion et de proposer à la vente des produits et ingrédients du tabac (la nicotine) ou qui rappellent les produits du tabac et produits destinés à être fumés en s'affranchissant de la législation applicable, leur causant ainsi un trouble manifestement illicite constitutif de concurrence déloyale, M. Courageux et la SNC Les Courtilles de concert avec la Confédération Nationale des Buralistes de France (ci-après CNBF) ont assigné en référé la société Clop&Co aux fins de lui voir ordonner de cesser toute promotion des cigarettes électroniques, dans ses boutiques de Caen et de Paris 11ème et sur son site Internet et la page "Facebook" associée, et de cesser toute commercialisation des cigarettes électroniques et "e-liquides", ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts provisionnels.
Par ordonnance en date du 27 septembre 2013, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris :
- les a déclarés irrecevables en leur demande tendant à voir interdire à la société Clop & Co toute activité de publicité de la cigarette électronique,
- a déclaré recevable mais a rejeté leur demande d'interdiction de commercialiser la cigarette électroniques et les 'e-produits' dans ses boutiques de Caen et Paris 11eme,
- a condamné in solidum les demandeurs à payer à la sarl Clop & Co la somme de 2 000 en indemnisation de ses frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.
La CNBF, M. Courageux et la SNC Les Courtilles ont relevé appel de cette décision.
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises le 12 mai 2014, ils poursuivent la confirmation de l'ordonnance en ce qu'elle les a déclarés recevables en leur demande, mais son infirmation pour le surplus, et demandent à la cour de :
- les déclarer recevables à agir pour faire cesser la promotion par la société Clop & Co des cigarettes électroniques et e-liquides,
- dire n'y avoir lieu à user de la faculté de saisir la CJUE d'une question préjudicielle ou de consulter pour avis l'Autorité de la Concurrence sur les points de droit soulevés par la société Clop & Co,
- juger que la promotion et la commercialisation par la société Clop & Co des cigarettes électroniques et e-liquides dans les boutiques de Caen et de Paris 11 ème, sur son site Internet et sur la page "Facebook" associée, est constitutive d'un trouble manifestement illicite générateur de concurrence déloyale à leur préjudice,
- en conséquence, ordonner à société Clop & Co de cesser cette promotion et cette commercialisation dans les huit jours de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 1 000 par jour de retard,
- condamner la société Clop & Co à verser à titre d'indemnité provisionnelle 14 000 à M. Courageux, 6 500 à la SNC Les Courtilles, et 28 000 à la CNBF, ainsi que 3 000 à chacun sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Clop & Co aux termes de ses dernières écritures transmises le 7 mai 2014, conclut à voir :
- constater que l'action des appelants se heurte à une contestation sérieuse,
- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré recevable leur action pour atteinte au monopole de l'Etat en matière de vente au détail des produits du tabac,
- déclarer irrecevable pour défaut de qualité à agir l'action des appelants visant à interdire la commercialisation des cigarettes électroniques pour atteinte au monopole de l'Etat de vente au détail des produits du tabac,
- confirmer la décision en ce qu'elle a rejeté leur demande visant à lui interdire de commercialiser la cigarette électronique et les e-produits dans ses boutiques de Caen et de Paris 11ème,
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré irrecevable leur action pour infraction à l'interdiction de publicité en faveur du tabac,
- rejeter l'action en ce qu'elle vise à lui interdire la publicité et le commerce des cigarettes électroniques pour infraction à l'interdiction de publicité indirecte en faveur du tabac au sens des articles L. 3511-3 et L. 3511-4 du Code de la santé publique,
- constater l'absence de concurrence déloyale vis à vis des buralistes tant sur le plan de la commercialisation de la cigarette électronique que sur celui de leur publicité , en l'absence de réglementation applicable à son activité,
- et débouter les appelants de toutes leurs demandes dirigées contre la société Clop & Co,
Subsidiairement :
- surseoir à statuer en attendant que la Cour européenne de justice de l'union européenne (CJUE)
réponde à la question préjudicielle suivante,
"les articles 564 decies et 565 du Code général des Impôts qui prévoient que la vente au détail des produits du tabac et assimilés fait l'objet d'un monopole de l'Etat, en ce qu'ils sont susceptibles de s'opposer au commerce des cigarettes électroniques en dehors des débits de tabac sont-ils conformes aux articles 37, 49, 50, 56, 57 et 60 du Traité de l'Union européenne interdisant toute restriction au commerce et à la libre circulation des marchandises non justifiée par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique''
- très subsidiairement, vu les articles L. 420-1 et L. 420 -2, et les articles L. 461-1 à L. 462-9 du Code de commerce, saisir l'Autorité de la concurrence afin de recueillir son avis sur les questions suivantes :
"L'action des buralistes invoquant le monopole de vente au détail des produits du tabac en vue d'interdire le commerce concurrent des cigarettes électroniques constitue-t-elle un abus de position dominante au sens des articles 420-2 du Code de commerce et 102 TFUE ayant pour objet de restreindre abusivement la concurrence dans ce secteur de l'économie"
- L'action des buralistes invoquant le monopole de vente au détail des produits du tabac en vue d'interdire le commerce concurrent des cigarettes électroniques constitue-t-elle une action concertée au sens des articles 420-1 du Code de commerce et 101 TFUE ayant pour objet de limiter l'accès au marché et le libre exercice de la concurrence par la SARL. Clop & Co ''
- Condamner les appelants à lui verser 13 500 en remboursement de ses frais irrépétibles.
SUR CE LA COUR
Sur la recevabilité des demandes
Considérant que les appelants soutiennent que la CNBF, union de syndicats professionnels regroupant près de 90 % des débits de tabac de France, tient des dispositions générales des articles L. 2132-3 et 2133-3 du Code du travail le droit d'agir en justice concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à la profession qu'elle représente , qu'elle est par conséquent fondée à agir en référé aux fins de cessation d'agissements de concurrence déloyale constituant un trouble manifestement illicite en vue de la réparation du préjudice subi par la profession ;
Que cette action est autonome de l'action civile visée à l'article L. 3512-1 du Code de la santé Publique permettant aux associations dont l'objet statutaire comporte la lutte contre le tabagisme d'exercer le droit reconnus à la partie civile pour les infractions aux dispositions du livre V du Code de la santé Publique consacré à la lutte contre le tabagisme, que d'ailleurs le droit d'action de ces associations n'est pas exclusif de leur droit de syndicat professionnel d'agir en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession, que les droits protégés n'ont manifestement pas le même objet ni la même finalité ;
Qu'en ce qui concerne M. Courageux et la SNC Les Courtilles, les agissements de la société Clop & Co entraînent une distorsion de concurrence entre opérateurs économiques évoluant sur le même marché, la société Clop & Co bénéficiant d'un avantage concurrentiel déloyal, qu'ils sont directement exposés à ces agissements compte tenu de la proximité géographique entre commerces concurrents ;
Considérant que la société Clop & Co leur oppose l'irrecevabilité de l'action des buralistes visant tant la commercialisation que la promotion des cigarettes électroniques, soutenant :
- Sur la commercialisation, que les appelants n'ont ni intérêt ni qualité à agir pour défendre un monopole qui appartient à l'Etat.
Qu'en ce qui concerne M. Courageux et la SNC Les Courtilles, ils ne peuvent se prévaloir de l'intérêt général défendu par l'Etat dont ils ne sont que les préposés, qu'obéissant à des contraintes et bénéficiant de privilèges octroyés par l'Etat, plus particulièrement l'administration des douanes, ils ne sont pas des commerçants ordinaires, et que, n'ayant reçu aucune délégation de service public, ils ne peuvent prétendre agir à la place de l'Etat pour défendre son monopole de vente au détail des produits du tabac, le premier juge s'étant à tort placé sur le terrain du droit commercial en qualifiant le contrat de gérance concédé par l'Etat à l'exploitant d'un débit de tabac de contrat de mandat ;
Que pour ce qui concerne la CNBF, syndicat professionnel auquel n'est ouverte que la possibilité d'exercer les droits réservés à la partie civile, ils ne sont dès lors recevables à agir que s'ils fondent leur action sur une infraction pénale commise par leur concurrent au titre de laquelle il pourrait se porter partie civile ;
Qu'en l'espèce, la CNBF n'invoque aucune infraction pénale, que les dispositions fiscales ou sanitaires invoquées ne sont pas de textes répressifs, que seul l'article L. 3511-4 du Code de la santé Publique réprime la publicité indirecte en faveur du tabac mais que ce texte, à vocation sanitaire, n'a nullement pour objet de protéger le monopole de la vente au détail de tabac et les débitants et que l'intérêt collectif des buralistes ne peut se confondre avec l'intérêt général de l'Etat détenteur du monopole de vente des tabacs ;
- Sur la publicité en faveur du tabac, que l'action civile exige que la victime prouve qu'elle a personnellement souffert des dommages directement causés par l'infraction ;
Qu'en l'espèce, à supposer l'infraction établie, les deux buralistes appelants n'établissent pas qu'ils subissent un préjudice personnel et certain ;
Que par ailleurs la CNBF n'est pas recevable en qualité de syndicat professionnel à invoquer à son profit la violation des interdictions de publicité en faveur du tabac édictées dans un intérêt de santé publique et qu'il convient de distinguer l'intérêt collectif et l'intérêt général ;
Qu'en matière de lutte contre le tabagisme il existe des dispositions spéciales édictées dans l'intérêt de la santé publique et non dans celui des buralistes qui s'y sont toujours opposés, si bien que l'action publique est réservée au Ministère Public et à certaines personnes limitativement énumérées dans les textes, dont l'objet statutaire comporte la lutte contre le tabagisme ; que la loi spéciale déroge à la loi générale, et que la réglementation n'a pas été édictée pour protéger les distributeurs de tabac mais pour défendre la santé publique ;
Considérant que la cour retient:
- qu'aux termes de l'article 31 du Code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé" ;
Que l'intérêt à agir, qui s'apprécie au jour de l'introduction de la demande en justice, n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action ;
Considérant qu'en l'espèce, l'action des appelants tend à voir ordonner la cessation de toute promotion d'une part, de toute commercialisation d'autre part, des cigarettes électronique et "e-liquides" dans les boutiques de Caen et de Paris 11ème exploitées par la société Clop & Co, ainsi que sur le site internet et la page "Facebook" associée de cette société ; que les buralistes et leur syndicat professionnel arguent de leur intérêt à faire cesser ces agissements qu'ils qualifient de concurrence déloyale, et constituant un trouble manifestement illicite ;
Considérant, en ce qui concerne l'activité de promotion,
Que les agissements illicites reprochés à la société Clop & Co consistent en la violation des dispositions de l'article L. 3511-3 du Code de la santé Publique aux termes desquelles la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac ou des ingrédients définis au deuxième alinéa de l'article L. 3511-1 ainsi que toute distribution gratuite ou vente d'un produit du tabac à un prix inférieur à celui mentionné à l'article 572 du Code Général des Impôts sont interdites ;
Considérant que ces dispositions sont insérées dans le Code de la santé Publique et qu'elles obéissent d'évidence à un objectif de santé publique, qui consiste dans la lutte contre le tabagisme ;
Que l'article L. 3512-1 du Code de la santé Publique précise que "les associations dont l'objet statutaire comporte la lutte contre le tabagisme, régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans à la date des faits peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile pour les infractions aux dispositions du présent titre.
Peuvent exercer les mêmes droits les associations de consommateurs mentionnés à l'article L. 421-1 du Code de la consommation ainsi que les associations familiales mentionnées aux articles L. 211-1 et L. 211-2 du Code de l'action sociale et des familles pour les infractions aux dispositions de l'article L. 3512-2 ";
Considérant que la CNBF, union de syndicats professionnels réunissant des débitants de tabac, a, pour but aux termes de l'article II de ses statuts, de défendre les intérêts matériels et moraux de ses adhérents ;
Que si, en application de l'article L. 2132-3 et L. 2133-3 du Code du travail, en sa qualité de syndicat professionnel, elle a le droit d'agir en justice "pour exercer devant toutes les juridictions les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession" qu'elle représente, il s'infère des dispositions spéciales en matière de publicité pour les produits du tabac ou dérivés du tabac que la loi, au regard de l'objectif d'intérêt général que représente la lutte contre le tabagisme, a désigné pour exercer les droits de la partie civile en cas d'infractions aux dispositions du livre V du Code de la santé Publique des associations dont l'objet statutaire comporte la lutte contre le tabagisme, auxquelles par conséquent l'action est réservée ;
Qu'il suit de là que la CNBF n'est pas fondée à se prévaloir, fût-ce dans le cadre d'une action en concurrence déloyale en vue de protéger l'intérêt particulier des buralistes, de la violation de dispositions que seules les associations désignées comme agissant dans un intérêt de santé publique sont recevables à poursuivre ;
Que par conséquent que le premier juge l'a exactement déclarée irrecevable à solliciter l'interdiction de la promotion de la cigarette électronique en raison de son interdiction, à défaut de qualité pour le faire ;
Considérant sur l'intérêt à agir de M. Courageux et de la SNC Les Courtilles, que ceux-ci se bornant à invoquer une concurrence déloyale ne précisent pas le préjudice personnel et direct qu'il subirait du fait de la publicité illégitime imputée à la société Clop & Co pour la cigarette électronique, publicité nécessairement indirecte en faveur du tabac à la supposer établie, de telle sorte qu'ils n'ont pas caractérisé, en première instance comme à hauteur de cour, leur intérêt à agir ;
Que l'irrecevabilité de leur action prononcée par l'ordonnance dont appel sera par conséquent confirmée ;
Considérant, en ce qui concerne la commercialisation des produits incriminés,
Considérant que la CNBF a pour objet la défense des intérêts collectifs de la profession de débitants de tabac ; que l'action collective peut être exercée devant les juridictions civiles dès lors qu'il est porté atteinte aux intérêts généraux de la profession, sans que l'action soit restreinte aux infractions pénalement réprimées;
Considérant qu'en l'espèce, les agissements reprochés à la société Clop & Co, soit la commercialisation de la cigarette électronique et "e-liquides" prétendument produits du tabac ou dérivés du tabac, sur Internet et sur son site "Facebook" en violation du monopole conféré par l'administration des douanes aux buralistes, concernent l'organisation et la réglementation applicables aux débitants de tabac ;
qu'ils sont de nature à porter atteinte aux intérêts collectifs de la profession, tenue de respecter cette réglementation ;
Que l'intervention de la CNBF est par conséquent recevable ;
Considérant en ce qui concerne M. Courageux et la SNC Les Courtilles, qu'il est constant que ceux-ci exploitent des débits de tabac à proximité immédiate des boutiques "Clopinette" exploitée par société Clop & Co ;
Que quoi que disposant d'un statut particulier du fait du contrat de gérance les liant à l'administration des douanes et leur conférant une mission de service public, ils n'en demeurent pas moins également commerçants, ce qui justifie qu'ils puissent agir au titre d'une concurrence déloyale ;
Que s'il s'avère que les e-cigarettes sont des produits du tabac ou dérivés du tabac, exploités sans respect de la réglementation à laquelle eux sont soumis pour des produits similaires, cette commercialisation hors toute réglementation sera de nature à caractériser une concurrence déloyale qui leur causera nécessairement un préjudice ;
Qu'ils justifient par conséquent d'un intérêt manifeste à agir de ce chef ;
Que les dispositions de l'ordonnance entreprise sur la recevabilité seront confirmées ;
Sur le principal
Considérant que les développements des parties relatifs à la prétendue concurrence déloyale née de la promotion de la cigarette électronique et "e-liquides" sont sans objets, eu égard au défaut d'intérêt à agir des appelants de ce chef tel que ci-dessus prononcé ;
Considérant que les appelants font plaider au soutien de leur demande d'interdiction de la commercialisation de produits qu'ils prétendent issus du tabac :
- que la société Clop & Co a placé son exploitation hors des réglementations administratives, en l'occurrence hors du monopole de l'Etat sur le tabac manufacturé et produits du tabac alors que cette réglementation vaut pour les cigarettes électroniques et "e-liquides", qui contiennent de la nicotine, produit du tabac, destinées à être fumées ; qu'il n'appartient pas à la nouvelle Directive Européenne de déterminer si ces cigarettes électroniques relèvent ou non du monopole français de distribution du tabac et des produits assimilés, que d'ailleurs celle-ci rappelle que les Etats membres sont libres de légiférer en la matière,
- que seules peuvent être vendues en dehors des débits de tabac les cigarettes électroniques et "e-liquides" nécessitant une autorisation de mise sur le marché si elles répondent aux critères du médicament ;
- qu'ainsi la commercialisation par la société Clop & Co constitue un trouble manifestement illicite qui constitue à leur égard des actes de concurrence déloyale, que le juge des référés a le pouvoir de faire cesser ;
- que le préjudice s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, ce qui justifie leur demande de provisions ;
Ils ajoutent que la question préjudicielle que la société Clop & Co demande de soumettre à la CJUE est sans objet puisque la Directive n° 2014-40-CE prévoit que les Etats sont libres de réglementer ou interdire les produits semblables en apparence aux produits du tabac ou connexes afin de protéger la santé publique, et que le renvoi préjudiciel n'est pas nécessaire pour résoudre le litige ;
Que de même la saisine de l'Autorité de la concurrence, demande irrecevable comme nouvelle en appel, est en tout état de cause dénuée d'intérêt puisque l'intimée n'a pas qualité pour exercer une activité concurrente de celle dont le monopole est confié par la loi aux buralistes.
Considérant que la société Clop & Co fait valoir :
- que sa commercialisation des cigarettes électroniques, si elle peut entrer en concurrence avec les produits du tabac vendus chez les buralistes, ne peut être qualifiée de déloyale; qu'elle ne porte pas atteinte au monopole de vente au détail des tabacs ; que la cigarette électronique n'est en effet ni du tabac, ni un produit du tabac, produit agricole alors qu'elle est un produit industriel, ni un produit assimilé au tabac au sens de la réglementation; qu'elle ne contient que de la nicotine en faible proportion; qu'elle est destinée non pas à fumer mais à vapoter, ne produisant pas de fumée mais de la vapeur ;
Qu'en droit national, le statut de la cigarette électronique n'est pas encore fixé par la loi qui refuse de l'assimiler au tabac ;
Que la Directive n° 2014-40-UE du 3 avril 2014, en son article 20 consacré à la cigarette électronique, laisse aux Etats membres le soin de réglementer la communication commerciale, retenant qu'elle n'est ni produit du tabac ni médicament lorsqu'elle ne contient pas de nicotine au-delà de 20mg/ml, comme le produit distribué par la société Clop & Co ;
Qu'elle ajoute que se pose d'ailleurs la question de la compatibilité du monopole français du tabac au regard du droit européen et français de la concurrence; l'action des buralistes contre le réseau de distribution des cigarettes électroniques pouvant s'analyser comme un abus de position dominante, ce qui justifie ses demandes subsidiaires ;
Qu'elle s'oppose enfin aux demandes de provision, qui ne reposent sur aucun fondement sérieux, et, en ce qui concerne la CNBF, n'est pas justifiée en ce que celle-ci ne subit aucun préjudice personnel ;
Considérant que la cour relève :
Qu'aux termes de l'article 809 alinéa 1er du Code de procédure civile, la juridiction des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;
Que le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit ; qu'il s'ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés la méconnaissance d'un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines ;
Considérant l'article 565 du Code général des impôts réserve à l'Etat la vente au détail des tabac manufacturés, qui délègue cette activité aux débits de tabac auxquels sont imposés un contrat de gérance, qui contraint les buralistes à se conformer aux directives de l'administration dans la vente des produits du monopole ;
Que l'article 564 du même Code dispose que "sont assimilés aux tabacs manufacturés :
1°) les produits destinés à être fumés, prisés ou mâchés, même s'ils ne sont que partiellement constitués de tabac ;
2°) les cigarettes et produits à fumer, même s'ils ne contiennent pas de tabac, à la seule exclusion des produits qui sont destinés à un usage médicamenteux" ;
Considérant que la CNBF, M. Courageux et la SNC Les Courtilles estiment que la cigarette électronique et 'e-liquide relève du monopole de l'Etat en ce qu'il s'agit d'un produit destiné à être fumé, avec ou sans tabac, et plus particulièrement en ce qui concerne les cigarettes électroniques contenant de la nicotine, scientifiquement et incontestablement produits du tabac ;
Que la société Clop & Co, qui critique leurs allégations, ne conteste pas que la cigarette électronique qu'elle distribue contient de la nicotine, mais dans une proportion réduite, ce dont elle tire un argument pour l'exclure des produits relevant du monopole de l'Etat ;
Considérant qu'au vu des pièces du dossier, le 30 mai 2011, l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de santé recommandait de ne pas consommer de cigarette électronique en relevant un risque de dépendance ;
Que la même année la Direction générale des Douanes et des Droits indirects écrivait à la confédération des Buralistes que "la cigarette électronique ne constitue pas un produit du tabac au sens fiscal" ; qu'elle ajoutait que "dès lors que le sevrage tabagique ou toute notion équivalente est revendiquée, que la cartouche contienne ou non de la nicotine, ce produit répond à la qualification de médicament" ;
Que l'Office Français contre le tabagisme dans un rapport de mai 2013 décrit "l'e-cigarette" comme un produit fonctionnant à l'électricité sans combustion, destiné à simuler l'acte de fumer du tabac, qui produit "un brouillard de fines particules, appelé communément vapeur ou fumée artificielle..l'aérosol contient selon les données disponibles beaucoup moins de substances délétères à la santé que la fumée du tabac... aucun pays européen ne classe les e-cigarettes comme produit du tabac et ne pourrait le faire car la définition européenne commune précise que ces produits doivent contenir du tabac ce qui n'est pas le cas" ;
Qu'il note que "si l'e-cigarette était considérée comme un produit du tabac, ce qu'elle n'est pas, c'est la réglementation des produits du tabac qui devrait s'appliquer"... "si l'e-cigarette passait les étapes d'analyse et d'études nécessaires pour devenir un médicament, ce qu'elle n'est pas aujourd'hui ; qu'il conclut en écrivant "l'e-cigarette est, par défaut en début 2013 un produit de consommation courante";
Qu'il apparaît que dans sa Directive n° 2014-40-CE, l'Union Européenne elle-même n'a pas classé les cigarettes électroniques automatiquement en produits du tabac ou dérivés ; qu'elle laisse aux Etats le soin de légiférer ;
Qu'au vu de ces éléments contradictoires, la qualification de "produits du tabac" qu'il est demandée à la juridiction des référés de retenir pour la cigarette électronique, et qui détermine la solution du litige, n'est pas établie avec l'évidence requise en référé; qu'elle requiert une analyse du produit et de ses caractéristiques et une appréciation qui ne relèvent pas du juge des référés juge de l'évidence ;
Que dès lors le trouble allégué, fondé sur la concurrence déloyale que constituerait la commercialisation faite hors de la réglementation imposée aux produits du tabac de la cigarette électronique, n'est pas manifeste, que le premier juge a exactement débouté les appelants de leurs demandes ;
Sur l'indemnité de procédure et les dépens
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Clop & Co la totalité des frais irrépétibles qu'elle a exposés pour se défendre ;
Que le premier juge a exactement réglé le sort de l'indemnité de procédure ; qu'une indemnité de 8 000 lui sera allouée en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Considérant que les appelants, parties perdantes, devront supporter la charge des entiers dépens ;
Par ces motifs Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions Condamne M. Courageux, de la SNC Les Courtilles et de la CNBF à verser à la société Clop & Co une indemnité de 8 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Les condamne aux dépens de l'appel.