CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 24 juin 2014, n° 2013-06758
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
E-Kanopi (SARL)
Défendeur :
Ministre de L'Economie des Finances et du Commerce Extérieur
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Remenieras
Conseillers :
Mmes Beaudonnet, Leroy
Avocat :
Me Lehman
Par courrier enregistré le 10 juin 2010, sous le numéro 10-0081 F, la société E-Kanopi a saisi l'Autorité de la concurrence (l'Autorité ou l'ADLC) de pratiques mises en œuvre par le groupe Google dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches. La société E-Kanopi a, le 10 septembre 2010, déposé une note complémentaire et le 11 janvier 2013, soumis des observations complémentaires en prévision de la séance de l'Autorité du 17 janvier 2013.
La société E-Kanopi expose qu'ayant conclu le 26 janvier 2010 un contrat AdWords pour promouvoir les sites "meteo-en-france.com", "teleannuaire.fr" et "france-société.com" qu'elle édite, elle a constaté le 13 mai 2010 que ses annonces n'étaient plus diffusées sur le site de Google, que les comptes AdSense ont également été coupés, de même que, le 30 juin 2010, sans préavis le compte AdWords "prevoir-retraite.com" et que ses comptes ne sont pas à ce jour réactivés.
La société E-Kanopi rappelle avoir alors engagé des procédures judiciaires.
Ainsi, par ordonnance du 3 août 2010, le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris a fait injonction, sous astreinte, à la société Google de rétablir les contrats AdWords et AdSense relatifs aux quatre sites de E-Kanopi et par ordonnance du 21 janvier 2011, le juge de l'exécution du TGI de Paris a, faute d'exécution, liquidé l'astreinte.
Saisi au fond, le Tribunal de commerce de Paris a, par jugement du 23 mai 2011, débouté la société E-Kanopi de toutes ses demandes.
Ce jugement a partiellement été réformé par arrêt du 23 novembre 2011 de la cour d'appel de Paris qui a condamné la société Google Ireland Ltd "au titre de la rupture brutale des contrats AdWords et AdSense litigieux à payer à la SARL E-Kanopi les sommes de 20 004,41 euros et 22 488 euros à titre de dommages et intérêts".
La société E-Kanopi a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, lui reprochant "de rejeter sa demande d'indemnisation du préjudice causé par la perte de marge nette sur les ventes encaissées pendant la période de suspension des comptes postérieure à la période de préavis de huit jours indemnisée au titre de la rupture brutale des contrats AdWords et AdSense, et de rejeter sa demande de remboursement des investissements réalisés au titre des dépenses AdWords ainsi que sa demande d'annulation de la créance AdWords relative au mois de juin 2010".
Par arrêt n° 1212900 du 16 avril 2013, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en ces termes :
"Mais attendu que, s'il résulte des dispositions combinées des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce qu'est prohibée l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, c'est à la condition que la pratique dénoncée ait pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ; que la société E-Kanopi n'ayant nullement prétendu que l'abus allégué pouvait avoir cet objet ou cet effet sur un marché au demeurant non défini, la cour d'appel ne peut se voir reprocher de n'avoir pas retenu l'abus de position dominante invoqué ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches" ;
La société E-Kanopi précise que sa saisine, parallèlement aux procédures judiciaires, de l'ADLC le 10 juin 2010, (saisine numéro 10-0081 F sus-rappelée) tendait à ce que l'Autorité "prenne les mesures nécessaires pour mettre un terme aux pratiques de rupture brutale et non motivée" du groupe Google.
Cette société soutenait que les coupures des comptes AdWords et AdSense en mai 2010 présentaient un caractère discriminatoire et constituaient des pratiques d'abus de position dominante ayant pour effet l'éviction des entreprises concurrentes de Google, et que ces coupures illustraient le caractère brutal de la rupture des relations commerciales avec Google. Elle ajoutait que Google avait manqué aux engagements qu'elle avait pris dans le cadre de l'affaire dite Navx ayant donné lieu à une décision de l'Autorité n° 10-D-30 du 28 octobre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité sur Internet ;
Dans le cadre de cette saisine, le rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence a, par "décision n°12-DSA-441 du 21 décembre 2012 relative à une demande de classement de pièces confidentielles par la société Google", décidé :
"Article 1er : Il est donné acte à la demande, formulée par la société Google le 21 décembre 2012, de protection vis à vis des autres parties à la procédure de documents regardés par cette dernière commemettant en jeu le secret des affaires."
Article 2 : Les documents visés dans la demande, qui restent au dossier soumis à l'Autorité de la concurrence et au commissaire du Gouvernement, ne sont pas communiqués aux autres parties à la procédure.
Article 3 : La version non confidentielle et le résumé de ces documents sont communiqués aux autres parties à la procédure.
Par décision n° 13-D-07 du 28 février 2013 (la décision), l'Autorité de la concurrence a, sur le fondement de l'article L. 462-8 du Code de commerce, décidé : "La saisine enregistrée sous le numéro 10-0081 F est rejetée.
LA COUR
Vu le recours en annulation et subsidiairement en réformation formé le 5 avril 2013 par la société E-Kanopi contre la décision n° 13-D-07 du 28 février 2013 de l'Autorité de la concurrence (la décision) ;
Vu le mémoire déposé le 7 mai 2013 par la société E-Kanopi à l'appui de son recours et son "mémoire récapitulatif" déposé le 17 décembre 2013, et priant la cour d'annuler la décision, subsidiairement de "l'infirmer" et dans tous les cas de renvoyer le dossier à l'instruction de l'ADLC ;
Vu les observations de l'ADLC déposées le 15 octobre 2013, tendant au rejet du recours ;
Vu le courrier du ministre de l'Economie déposé le 10 octobre 2013, indiquant que, partageant sans réserve l'analyse de l'Autorité dans sa décision, il n'entend pas user de la faculté de présenter des observations ;
Vu les observations du Ministère Public, mises à disposition des parties avant l'audience, tendant au rejet du recours ;
Ayant entendu à l'audience publique du 13 mars 2014, en leurs observations orales, le conseil de la requérante qui a été mis en mesure de répliquer et qui a eu la parole en dernier, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence et le Ministère Public ;
SUR CE
Considérant que, pour contester la décision qui conclut qu'eu égard aux éléments qu'elle a développé, "la saisine ...n'est pas appuyée d'éléments suffisamment probants pour caractériser une violation des règles de concurrence nationales et, si le droit de l'Union européenne est applicable, européennes. Elle doit donc être rejetée sur le fondement de l'article L. 462-8 du Code de commerce", la société E-Kanopi invoque des moyens de procédure et des moyens portant sur le fond ;
Qu'il sera rappelé qu'aux termes de l'article L. 462-8, alinéa 2, du Code de commerce :
L'Autorité de la concurrence "peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'elle estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants".
"Sur les moyens de procédure"
Considérant que la requérante invoque des violations du contradictoire et des articles L. 463-7 et L. 462-8 du Code de commerce ;
Sur la violation du contradictoire
Considérant que la requérante soutient que les dispositions de l'article L. 463-1 du Code de commerce aux termes desquelles : "L'instruction et la procédure devant l'Autorité de la concurrence sont contradictoires sous réserve des dispositions prévues à l'article L. 463-4", n'ont pas été respectées ; qu'elle fait valoir que les documents visés dans la demande de classement de pièces confidentielles formée par Google ne lui ont pas été communiqués et qu'elle n'a eu accès ni aux pages 8 et 11 de ces documents, ni au résumé de ces pages et ajoute que "la présentation, nécessairement partisane par Google des contentieux concernant d'autres sociétés ayant eu à se plaindre des mêmes agissements de Google"... l'a "placée dans l'impossibilité de connaître les éléments d'information sur la pratique habituelle de Google"; qu'elle fait aussi valoir qu'ayant reçu le 27 décembre 2012 une convocation pour la séance de l'Autorité du 17 janvier 2013 dans laquelle il était seulement indiqué que le rapporteur proposerait le rejet de la saisine faute d'éléments probants, elle n'a découvert qu'en séance les motifs, appuyés par un document écrit qui ne lui a pas été remis, justifiant le rejet proposé et n'a donc pas été en mesure d'y répondre ; qu'elle reproche, enfin, à la décision d'avoir procédé à une analyse des sites concurrents du sien en utilisant des constatations ne figurant pas dans le dossier de la procédure ;
Mais considérant qu'ainsi que le rappelle l'Autorité, la phase contradictoire d'examen d'une affaire ne s'ouvre que lors de la notification des griefs ; qu'une telle notification n'a pas eu lieu en l'espèce, le rapporteur ayant proposé le rejet de la saisine faute pour celle-ci d'être appuyée d'éléments suffisamment probants pour caractériser une violation des règles de concurrence ;
Considérant, en outre, que la société E-Kanopi, partie qui a saisi l'Autorité de pratiques mises en œuvre par le groupe Google, ne peut se plaindre du fait que ne lui ont pas été communiqués des documents ou éléments de documents concernant le groupe qu'elle a mis en cause et qui, sur la demande formée par celui-ci au titre de la protection du secret des affaires, ont été classés en pièces confidentielles, seule la version non confidentielle et le résumé de ces éléments ayant été communiqués à la saisissante ;
Considérant, par ailleurs, que, par courrier recommandé daté du 24 décembre 2012, la société E-Kanopi a été convoquée à la séance de l'Autorité du 17 janvier 2013 ; que cette convocation rappelle que le dossier relatif à sa saisine du 10 juin 2010 a déjà été adressé à la société E-Kanopi, et qu'en application de l'article L. 462-8 du Code de commerce, l'Autorité peut rejeter une saisine ; que ce courrier précise que lors de la séance du 17 janvier, "la rapporteure proposera au collège le rejet de la saisine pour absence d'éléments suffisamment probants" ; que la société E-Kanopi a adressé le 11 janvier 2013 à l'Autorité, en vue de cette séance, ses pièces et observations exposant notamment les motifs la conduisant à estimer que sa "saisine comporte suffisamment d'éléments probants pour que l'affaire fasse l'objet d'une véritable instruction" ; que s'il n'est pas contesté que les explications orales du rapporteur lors de la séance du 17 janvier étaient "appuyées sur un document écrit" non remis à la saisissante, aucune disposition n'impose que le rapport oral du rapporteur et celui du rapporteur général aient préalablement revêtu une forme écrite et aient été communiqués aux parties ; que la société E-Kanopi, qui a été mise en mesure, lors de la séance, de répliquer à ces observations orales ne peut soutenir que la contradiction aurait été méconnue ;
Considérant, enfin, que, sous couvert d'un grief relatif à une "analyse non contradictoire des sites concurrents", la requérante conteste l'analyse par la décision du grief de discrimination qu'elle écarte faute d'éléments démontrant que les sites estimés concurrents par E-Kanopi seraient dans une situation comparable à la sienne (Cf n° 63 et svts) ;
Qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré par la requérante de la violation du contradictoire doit être écarté ;
Sur la violation de l'article L. 463-7 du Code de commerce
Considérant que la société E-Kanopi, qui rappelle que les avocats de la société Google UK Ltd ont été entendus au cours de la séance de l'Autorité le 17 janvier 2013, soutient que les dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce ne permettent pas d'entendre la plaidoirie des avocats de la personne visée par la saisine ;
Mais considérant qu'aux termes de l'article L. 463-7 du Code de commerce : "L'Autorité de la concurrence peut entendre toute personne dont l'audition lui paraît susceptible de contribuer à son information" ;
Considérant qu'en procédant en séance à l'audition des avocats de la société Google UK Ltd, personne visée par la saisine mais non partie à la procédure, l'Autorité n'a fait qu'user de la faculté que lui offrent les dispositions sus-rappelées ; qu'il ne peut être soutenu que ces dispositions ont été méconnues ;
Sur la violation de l'article L. 462-8 du Code de commerce
Considérant que, selon la requérante, l'article L. 462-8, alinéa 2, du Code de commerce (sus-rappelé) "a pour objet de rejeter sans instruction les saisines qui ne sont pas accompagnées d'éléments de preuve, ou, éventuellement, celles qui sont, manifestement, ab initio, injustifiées" ; qu'elle soutient qu'en l'espèce, l'Autorité qui a rendu une décision de rejet deux ans et demi après la saisine et qui a mené une "demi-instruction" en procédant à son audition et à celle de Google, en demandant des pièces et en classant certaines comme confidentielles, ne pouvait rejeter la saisine faute d'éléments probants, mais devait mener l'instruction à son terme quitte, le cas échéant, à prononcer une décision de non-lieu dans les conditions de l'article L. 464-6 du Code de commerce ;
Mais considérant que, s'il n'appartient pas à l'Autorité - lorsqu'elle rejette une saisine sur le fondement de l'article L. 462-8, alinéa 2, du Code de commerce, par décision indiquant les motifs la conduisant à estimer que les faits invoqués ne sont pas étayés d'éléments suffisamment probants - de suppléer le manque d'éléments probants à l'appui de la saisine et la carence de la saisissante par la conduite d'une instruction complète, il ne peut lui être fait grief d'avoir, avant de se prononcer sur la saisine, examiné les éléments de preuve apportés par la saisissante en procédant à son audition ou à celle des personnes qu'elle a mises en cause ou en demandant des précisions ; que la requérante n'est pas fondée à invoquer une violation des dispositions de l'article L. 462-8 du Code de commerce ;
"Sur les moyens portant sur le fond"
Sur le détournement de procédure et l'erreur manifeste allégués
Considérant que la société E-Kanopi soutient que sa saisine met en évidence des pratiques d'abus de position dominante de la part de Google ; que les pratiques qu'elle a dénoncées le 10 juin 2010 d'exclusion brutale et non motivée d'AdWords sont identiques à celles, dénoncées par la société Navx, qui ont fait l'objet d'une décision 10-MC-01 de l'Autorité du 30 juin 2010 ordonnant des mesures conservatoires, puis d'une décision 10-D-30 de l'Autorité du 28 octobre 2010 rendant obligatoires des engagements de Google, non respectés par celle-ci ; qu'elle estime que l'Autorité, après avoir mis en œuvre des mesures de régulation grâce à l'affaire Navx, n'a pas souhaité engager une nouvelle procédure de sanction à l'encontre de Google et a, pour aboutir à ce résultat, procédé à une triple dénaturation : "l'utilisation de la notion d'"éléments insuffisamment probants" pour une pratique qu'elle a elle-même décrite quelques jours après la saisine comme étant manifestement constitutive d'un abus de position dominante, afin d'éviter de se prononcer sur le fond", "une analyse sur le comportement du plaignant et non pas sur les pratiques de l'entreprise en position dominante, ce qui constitue une inversion surprenante", "une déclaration selon laquelle "l'Autorité se montrera vigilante" (point 86) alors qu'elle se contente de promesses verbales des avocats de Google, démenties par la réalité des faits et les propres écritures de ces conseils" ; que selon la requérante, en rejetant sa saisine alors même qu'elle était victime d'une rupture brutale, sans motifs, ni avertissement, maintenue malgré une décision du juge des référés, sanctionnée par le juge de l'exécution et réitérée à plusieurs reprises pendant une année, l'Autorité a rendu une décision en négation :
- de ses propres décisions de mesures conservatoires dans l'affaire Navx et avis (10-A-29 du 14 décembre 2010),
- de l'autorité de la chose jugée résultant de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 novembre 2011 estimant que Google avait mis fin au contrat sans aucun préavis et sans caractériser un quelconque manquement préalable ;
- de la réalité car il est faux de prétendre que ses moteur de recherche et barre d'outil pouvaient être chargés sans être "l'objet de la demande des internautes" (Cf description de la décision n° 54),
- de la notion de "risque grave et immédiat" car, en toute hypothèse, ni Google, ni la décision ne démontrent en quoi les prétendus manquements aux règles contractuelles qui lui sont reprochés "imposaient une rupture sans préavis" ;
Considérant qu'il doit, à titre liminaire, être observé que, contrairement à ce que soutient la requérante qui invoque "une négation de la réalité", la décision - qui, après avoir rappelé certaines obligations contractuelles applicables aux services AdWords et AdSense de Google, a précisément décrit (Cf n° 51 et suivants) le mécanisme qui conduisait un internaute à télécharger la barre d'outils d'E-Kanopi et à modifier sa page d'accueil pour le moteur de recherche "iadah" d'E-Kanopi à partir d'une visite sur la page thématique météorologique www.meteo-en-france.com, - a exactement relevé que, durant les étapes suivies par l'internaute, celui-ci n'apprenait nulle part clairement qu'il allait installer une barre d'outils non limitée à la météo ou qu'il allait remplacer sa page d'accueil par un moteur de recherche généraliste s'appelant "iadah" enrichi de plusieurs "widgets" dont un spécifique sur la météo ; que la requérante, qui a elle-même lors de son audition par le rapporteur le 19 mai 2011, indiqué (page 3) qu'en "mars 2010, quand a été lancé le moteur de recherche iadah, l'accès à l'information est proposé moyennant le téléchargement de la toolbar", ne peut sérieusement contester que l'accès à des sites thématiques, conditionné par le téléchargement préalable d'une barre d'outils, même accepté par l'utilisateur, impose cette barre d'outils aux "utilisateurs intéressés par des sites thématiques variés vers lesquels ils étaient attirés par les annonces Adwords", ces sites thématiques étant alors "utilisés par E-Kanopi pour accroître la base d'utilisateurs de son moteur de recherche, afin de gonfler ses revenus AdSense, sans que ce moteur de recherche et la barre d'outils qui lui est propre soient l'objet de la demande des internautes"; qu'ainsi que le relève la décision (n°60), Google a coupé les comptes AdWords et AdSense d'E-Kanopi à la suite de la violation, par cette dernière, des règles contractuelles visant à protéger les internautes de l'installation de logiciels non expressément sollicités et de celles concernant l'interdiction de la vente de contenus qui pouvaient être obtenus de manière gratuite sur Internet ;
Considérant que l'argumentation de la requérante manque également en fait lorsqu'elle invoque une "négation de l'autorité de la chose jugée" puis une "négation de la notion de "risque grave et immédiat" ;
qu'en effet, la décision de la cour d'appel de Paris du 16 novembre 2011 (devenue définitive en raison du rejet du pourvoi de la société E-Kanopi) n'a fait droit aux demandes de la société E-Kanopi qu'en ce qui concerne la brutalité de la rupture des relations commerciales établies entre elle et Google, estimant, par application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, non réunies les conditions d'une résiliation sans préavis et la responsabilité de Google engagée du fait de l'absence de préavis ; qu'il ne peut être déduit du fait qu'il a ainsi été jugé que Google ne pouvait mettre fin, sans préavis, à la relation commerciale établie avec E-Kanopi que cette rupture est intervenue sans motif ; qu'en outre, ainsi que le relève la décision (n° 71 et suivants) et contrairement à ce que soutient la requérante, le droit de la concurrence, et notamment l'article L. 420-2 du Code de commerce, ne trouve à s'appliquer que si la rupture brutale de la relation commerciale a un objet ou des effets anticoncurrentiels, avérés ou potentiels ; que l'argumentation de la requérante relative à la gravité de la violation des règles contractuelles permettant, par application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, une rupture sans préavis des relations commerciales, est inopérante ;
Considérant que la requérante n'est pas davantage fondée à soutenir que l'Autorité aurait rendu une décision en négation de ses propres décisions de mesures conservatoires dans l'affaire Navx/Google (décision n° 10-MC-01 de l'Autorité du 30 juin 2010) et avis (10-A-29 du 14 décembre 2010) ; qu'il convient à cet égard de rappeler que les faits de l'affaire Navx ne sont pas identiques à ceux de la présente espèce et que, contrairement à ce que soutient la requérante, ce n'est pas la brutalité de la rupture du compte de la société Navx qui a conduit l'Autorité à estimer que Google était susceptible d'avoir enfreint le droit de la concurrence et à ordonner le 30 juin 2010 des mesures conservatoires, mais la mise en œuvre par Google d'une politique de contenus Adwords dans des conditions non objectives, non transparentes et discriminatoires entre les fournisseurs de base de données radar ; qu'au surplus, dans la décision Navx au fond (décision 10-D-30 de l'Autorité du 28 octobre 2010
rendant obligatoires des engagements de Google), - en réponse aux observations présentées dans le cadre du test de marché par plusieurs sociétés, dont E-Kanopi, soutenant que les engagements proposés par Google ne devaient pas être limités aux annonceurs actifs dans le secteur des dispositifs de contournement des contrôles routiers, mais devaient s'étendre à l'ensemble des annonceurs actifs dans le secteur de la publicité en ligne,- l'Autorité a précisé (Cf n° 91 et suivants de cette décision) que le champ des engagements pris par Google, limité au secteur des dispositifs de contournement des contrôles routiers, correspond à celui des préoccupations de concurrence identifiées par le rapporteur ; que la décision n'a donc rendu obligatoires, à compter du 1er janvier 2011, que les engagements de Google relatifs à ce secteur, se bornant à donner acte à Google de ses engagements généralisés ; que l'argumentation de la requérante manque en fait et en droit ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requérante n'est fondée à invoquer ni "un détournement de procédure", ni une erreur manifeste ;
Sur les éléments invoqués comme constitutifs d'un abus de position dominante
Considérant que la société requérante reprend in extenso dans ses conclusions devant la cour les termes de ses observations présentées à l'Autorité le 11 janvier 2013 en vue de la séance du 17 janvier 2013 ; que, s'agissant de la position dominante de Google, elle conclut que le pouvoir de marché de Google est "totalement exceptionnel" car Google contrôle 90 % du marché de la publicité en ligne et ce marché conditionne l'accès à tout le e-commerce si bien que lorsque Google exclut une entreprise d'Adwords, elle l'exclut du e-commerce ; que, s'agissant des abus, elle ajoute critiquer la décision en ce qu'au lieu de rechercher si Google a, sur le marché qu'elle contrôle, un comportement abusif en coupant brutalement, sans avertissement, délai ni motif, les comptes de ses co-contractants, l'Autorité s'est attachée à démontrer qu'E-Kanopi méritait le traitement qui lui était appliqué ; que, s'agissant de l'effet anticoncurrentiel des pratiques, elle précise contester la décision en ce qu'elle retient d'une part que Google n'aurait pas cherché à évincer un concurrent et d'autre part que les sites offrant les mêmes services que ceux d'E-Kanopi ne recouraient pas au même modèle économique ;
Mais considérant que c'est par d'exacts motifs, qui ne sont pas utilement contestés et que la cour approuve, que la décision a répondu à l'argumentation présentée par la société E-Kanopi et reprise par cette société devant la cour ;
Qu'il convient simplement de rappeler et de préciser :
- que la décision ne méconnaît ni que Google est en position dominante sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches, ni que son moteur de recherche atteint en France 90 % de part de marché ;
- que, contrairement à ce qui est soutenu, la décision n'a pas recherché si 'E-Kanopi méritait le traitement qui lui était appliqué', mais a recherché si E-Kanopi mettait en évidence les abus d'éviction qu'elle reprochait à Google ; qu'après avoir souligné que l'adoption par Google de politiques de contenus AdWords et AdSense, guidées par l'objectif de protéger les intérêts des consommateurs en évitant à l'internaute de télécharger des logiciels non désirés ou de payer pour des biens gratuits, est objectivement justifiée, ne présente pas un caractère anticoncurrentiel et relève de l'exercice légitime de la liberté commerciale de Google, la décision retient exactement que la société E-Kanopi n'apporte, à l'appui de sa saisine, aucun élément permettant de considérer que le moteur de recherche "iadah" et celui de Google appartiendrait au même marché et seraient dès lors en concurrence, et que les pratiques d'éviction imputées par E-Kanopi à Google ne peuvent être mises en évidence alors que c'est en raison d'un modèle d'acquisition de clients contrevenant aux règles contractuelles AdWords et AdSense que les campagnes et annonces d'E-Kanopi ont fait l'objet de suspensions ;
- que c'est à juste titre que la décision retient qu'il n'est pas démontré que la rupture des relations contractuelles, justifiée par le non-respect des règles de contenu mises en place par Google dans l'intérêt du consommateur, aurait eu un objet anticoncurrentiel et qu'en outre, les effets anticoncurrentiels invoqués par E-Kanopi ne sont pas caractérisés dans la mesure où, ainsi que l'établissent les courriers échangés avec Google, celle-ci était disposée à rétablir les comptes supprimés si ceux-ci respectaient lesdites règles ;
- qu'enfin, s'agissant des discriminations alléguées, la requérante ne justifie pas ses affirmations selon lesquelles la décision (n° 63 et svts) aurait retenu à tort qu'elle ne démontrait pas que les sites qu'elle présentait comme concurrents au sien seraient dans une situation comparable à la sienne et en particulier recourraient au même modèle économique ; qu'ainsi que le retient la décision, la saisine d'E-Kanopi ne contient pas d'éléments suffisants pour prouver que l'application des règles de la politique de contenus AdWords et AdSense invoquée par Google pour suspendre les comptes AdWords et AdSense de cette société n'ait pas été objective, claire et non discriminatoire ;
Sur la violation invoquée des engagements
Considérant que la société E-Kanopi a, par ses observations écrites du 11 janvier 2013, soutenu devant l'Autorité que Google avait manqué au respect des engagements pris dans le cadre de l'affaire Navx (Cf ci-dessus) ;
Considérant que la requérante se borne à reproduire à l'identique devant la cour ses observations écrites du 11 janvier 2013 ; que, cependant, la décision a répondu par des motifs pertinents auxquels il est renvoyé (n° 77 et svts) à l'argumentation de la requérante ;
Considérant, toutefois, que la requérante ajoute in fine (mémoire récapitulatif page 31) un nouvel exemple à l'appui de son allégation selon laquelle Google ne respecterait pas ses engagements ; qu'elle fait valoir que la décision ne pouvait, à la fois, d'une part, en rappelant que Google avait affirmé devant la cour d'appel de Paris (conclusions pour l'arrêt du 16 novembre 2011) qu'elle pouvait résilier sans préavis les contrats de clients qui commettaient des fautes graves, s'interroger sur la portée pratique ainsi donnée par Google au respect des engagements qu'elle avait pris et étendu volontairement dans le cadre de l'affaire Navx et se contenter de prendre note des déclarations en séance de Google à cet égard, et, d'autre part, rejeter sa saisine bien qu'E-Kanopi soit victime du non respect par Google de ses engagements ;
Considérant qu'il est constant que dans le cadre de la procédure Navx ayant conduit à la décision 10-D-30 de l'Autorité du 28 octobre 2010 rendant obligatoires des engagements de Google et notamment l'engagement n° 4 par lequel Google s'est engagée à mettre en place une procédure spécifique menant à la suspension de compte pour violation de la politique AdWords sur les dispositifs de contournement des contrôles routiers en France, engagements acceptés par l'Autorité et rendus obligatoires à compter du 1er janvier 2011, l'Autorité a donné 'acte de ce que, en pratique, Google appliquera à tous les contenus et à toutes les règles du service AdWords, dans tous les pays
concernés par ce service, le principe des améliorations et clarifications apportées en application des présents engagements ;
Considérant que la société E-Kanopi n'est pas fondée, pour soutenir que Google ne respecte pas ses engagements et commet ainsi, à son détriment, un abus de position dominante, à invoquer le fait que Google ne respecterait pas ses engagements à l'égard de sociétés tierces, et ce, au surplus, sans en justifier autrement que par la reprise des affirmations de ces tiers ;
Considérant, en outre, que la société E-Kanopi ne justifie pas du fait que ce serait au mépris des engagements actés par la décision du 28 octobre 2010 que Google a résilié ses contrats AdWords et AdSense au mois de juillet 2011 ; qu'en effet, cette résiliation s'inscrivait dans le cadre du contentieux judiciaire opposant E-Kanopi à Google relativement à la résiliation de ces contrats, antérieurement aux engagements de Google, contentieux dans le cadre duquel le juge des référés avait le 3 août 2010 ordonné à la société Google de rétablir les contrats AdWords et AdSense relatifs aux quatre sites de E-Kanopi avant que, par jugement du 23 mai 2011, le tribunal ne déboute la société E-Kanopi de toutes ses demandes mettant ainsi fin à aux injonctions prononcées par le juge des référés (Cf ci-dessus et décision n° 82) ;
Considérant qu'il en résulte que la décision n'encourt pas les critiques alléguées en ce qu'elle retient que la société E-Kanopi n'accrédite pas l'existence des manquements qu'elle allègue aux engagements pris par Google dans le cadre de l'affaire ayant donné lieu à la décision du 28 octobre 2010, mais indique qu'elle "se montrera vigilante" quant au respect par Google de l'engagement dont elle a donné acte à Google dans sa décision n° 10-D-30 du 28 octobre 2010
Conclusion
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la cour, qui, saisie d'un recours contre une décision de rejet d'une saisine fondée sur l'article L. 462-8, alinéa 2, du Code de commerce, doit vérifier si les faits invoqués, tels qu'ils ont été soumis à l'Autorité étaient étayés d'éléments suffisamment probants, ne peut que constater que tel n'était pas le cas en l'espèce et que c'est à juste titre que l'Autorité a rejeté la saisine de la société E-Kanopi ; que dès lors qu'il n'appartient pas à l'Autorité de suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve, la demande de la requérante tendant au renvoi de l'affaire à l'instruction sera rejetée ;
Par ces motifs, Rejette le recours formé par la société E-Kanopi contre la décision n° 13-D-07 de l'Autorité de la concurrence du 28 février 2013 et toutes ses demandes ; Condamne la société E-Kanopi aux dépens.