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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 26 juin 2014, n° 12-14429

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sfet (SARL)

Défendeur :

Ebrex (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur

Avocats :

Mes Azghay, Buret, Uzan

T. com. Paris, 13e ch., du 2 juill. 2012

2 juillet 2012

FAITS ET PROCEDURE

La société Sfet qui exerce l'activité de transporteur de marchandises a été le sous-traitant de la société Nexia à partir de 2006, puis de la société Ebrex à la suite de la reprise par celle-ci de la société Nexia.

Le 6 août 2010, la société Ebrex a informé la société Sfet qu'à moins qu'elle accepte de diminuer ses tarifs elle souhaitait "résilier le contrat" qui les liait à compter du 25 septembre 2010. Elle lui a toutefois confié d'autres prestations au service de la société Sédifrais. Puis le 10 février 2011, elle l'a informée qu'elle "résili[ait] la prestation qu'elle réalis[ait] (...)" pour son compte auprès de la société Sedifrais à compter du 26 février 2011.

Estimant cette rupture brutale, la société Sfet a, le 1er juin 2011, fait assigner la société Ebrex en paiement de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce.

Par jugement en date du 2 juillet 2012, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit la société Sfet irrecevable en ses demandes,

- dit les parties mal fondées en leurs demandes plus amples ou contraires au dispositif du présent jugement et les en a déboutées

Vu l'appel interjeté le 27 juillet 2012 par la société Sfet contre cette décision.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 4 mars 2014, par lesquelles la société Sfet demande à la cour de :

- recevoir la société Sfet en son appel,

- dire et juger que l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce est applicable au cas d'espèce en raison d'une part de la présence de contrats écrits de sous-traitance et d'autre part en raison du fondement sur ledit article par la société Ebrex pour la résiliation du contrat objet du litige,

- dire et juger la société Sfet recevable et bien fondée en ses demandes,

Y faisant droit,

- dire et juger sur le fondement de l'article L. 442-6, 5 du Code de commerce que la société Sfet est recevable à reprocher à la société Ebrex d'avoir rompu brutalement une relation commerciale établie, remontant à l'année 2006, avec un préavis insuffisant ne tenant pas compte de la durée de la relation commerciale et ne respectant pas la durée minimale de préavis, déterminée notamment par référence aux usages reconnus ou par des accords interprofessionnels,

À titre principal,

- dire et juger que les conditions de la rupture entrent dans le cadre de l'article L. 442-6, 5 du Code de commerce [et] engagent la responsabilité de la société Ebrex au titre de la période de préavis non accordée ni payée,

À titre subsidiaire,

- dire et juger que les conditions de la rupture entrent dans le cadre de l'article 12.2 du contrat-type approuvé par le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 et engagent la responsabilité de la société Ebrex au titre de la période de préavis non accordée ni payée, soit 3 mois,

- dire et juger sur le fondement du contrat-type approuvé par décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 et l'article 1134 du Code civil que la société Sfet est recevable à reprocher à la société Ebrex d'avoir rompu abusivement une relation commerciale établie, remontant à l'année 2006, avec un préavis insuffisant ne tenant pas compte de la durée de la relation commerciale et ne respectant pas la durée minimale de préavis, déterminée notamment par référence aux usages reconnus ou par des accords interprofessionnels,

- dire et juger que s'agissant du montant des dommages-intérêts revenant à la société Sfet, la rupture brutale engage la responsabilité pour faute de la société Ebrex, de sorte que la société demanderesse a droit à la réparation de son entier préjudice occasionné par un préavis insuffisant,

- dire et juger que le préjudice subi par la société Sfet s'élève à 49 721 + 54 572,34 + 368 703,99 = 472 997,33 euros,

- dire et juger que la société Sfet avait bien droit à au moins six mois de préavis en application de l'article L. 442-6, 5, du Code de commerce ou à défaut à 3 mois en application de l'article 12.2 du contrat-type approuvé par le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003,

- condamner la société Ebrex en paiement de la somme de 472 997,33 euros au titre de dommages-intérêts pour rupture brutale, abusive et avec un préavis insuffisant, des relations contractuelles et commerciales,

- condamner la société Ebrex à payer à la société Sfet la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir

La société Sfet soutient que l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce est applicable en l'espèce puisque plusieurs contrats écrits de sous-traitance ont été conclus. Elle fait valoir à ce sujet que le contrat-type de transport, approuvé par le décret n° 2003-1295, ne s'applique que dans le cas où aucun contrat écrit de sous-traitance n'a été conclu.

Dans le cas où la cour estimerait que l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce n'est pas applicable, elle fait valoir que l'article 12.2 du contrat-type de transport prévoit un préavis minimum de 3 mois, et que la société Ebrex n'a pas respecté cette disposition en ne lui accordant qu'un préavis de quelques jours.

Elle ajoute que la société Ebrex a commis une faute sur le fondement de l'article 1134 du Code civil puisqu'elle se trouvait en situation de dépendance économique vis-à-vis d'elle et que celle-ci a arrêté brutalement les tournées en 2010 et en février 2011.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 11 mars 2014, par lesquelles la société Ebrex demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

En conséquence,

- dire la société Sfet irrecevable en ses demandes,

- débouter la société Sfet de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Sfet à payer à la société Ebrex la somme de 7 000 euros pour procédure abusive,

- condamner la société Sfet à payer à la société Ebrex une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

La société Ebrex oppose qu'aucun contrat écrit de sous-traitance n'a été conclu entre elle et la société Sfet, et que dans ces conditions celle-ci est irrecevable à invoquer l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Elle estime avoir respecté les délais de préavis d'un mois pour la rupture des deux contrats de sous-traitance conclus respectivement en février 2010 et septembre 2010, car les relations contractuelles ont commencé en 2010, et chacune des deux prestations a eu une durée inférieure à 6 mois.

Elle demande enfin à être indemnisée du préjudice résultant de la procédure abusive initiée par la société Sfet, la société Ebrex ayant respecté les délais de préavis légalement prévus, malgré les fautes commises par la société Sfet dans l'exécution des deux contrats de sous-traitance.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée, ainsi qu'aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur l'applicabilité de l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce

La loi du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs (dite loi Loti) qui a institué, dans son article 8 § II, un contrat-type de sous-traitance de transport réglant les rapports entre l'opérateur de transport et le transporteur, dispose que celui-ci s'applique en l'absence de convention écrite définissant les rapports entre les parties au contrat sur les matières mentionnées à l'alinéa précédent et que les clauses de contrats-types s'appliquent de plein droit.

Il n'est pas contesté que la société Sfet a accompli des prestations de sous-traitance de transport pour la société Ebrex. Mais, contrairement à ce que soutient la société appelante, aucun contrat écrit n'a été conclu entre elles. En effet, le fait d'être choisie au terme de procédures d'appel d'offres, ni les lettres annonçant cette désignation ne peuvent constituer un contrat écrit lequel doit, selon l'article 8, §2 de la loi Loti comporter des clauses précisant, entre autres, la nature et l'objet du transport, les modalités d'exécution du service de transport proprement dit et les conditions d'enlèvement et de livraison des objets transportés, ainsi que le prix du transport et celui des prestations accessoires prévues.

Dans ces conditions, les relations des parties sont soumises au contrat-type approuvé par le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 et, en application de ce statut spécifique particulier, les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce n'ont pas vocation à s'appliquer.

Cependant, l'inapplicabilité d'une disposition légale au litige, ne rend pas la demande formée à ce titre irrecevable, mais mal fondée et en conséquence, le jugement qui a déclaré les demandes de la société Sfet irrecevables à ce motif doit être infirmé.

Sur l'application des dispositions de l'article 12-2 du contrat-type approuvé par le décret n° 2003-1295, du 26 décembre 2003

L'article 12.2 du contrat-type applicable aux transporteurs publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants et qui figure en annexe I du décret n° 2003-1285 du 26 décembre 2003 portant approbation du contrat-type applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitant, énonce que "le contrat de sous-traitance à durée indéterminée peut être résilié par l'une ou l'autre partie par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception moyennant un préavis d'un mois quand le temps déjà écoulé depuis le début d'exécution du contrat n'est pas supérieur à six mois. Le préavis est porté à deux mois quand ce temps est supérieur à six mois et inférieur à un an. Le préavis à respecter est de trois mois quand la durée de la relation est d'un an et plus".

La société Sfet fait valoir que la durée des relations des parties ne doit pas être appréciée au regard du dernier contrat verbal passé entre elles, mais depuis 2006, et que dans ces conditions le préavis aurait dû être de trois mois.

L'appelante produit à ce sujet la copie de plusieurs traites adressées par la société Nexia pour le règlement de factures de prestations accomplies par elle, ainsi que les factures correspondantes, dont la première date du 31 mai 2006 (pce. 20) et démontre la date à laquelle le contrat verbal de sous-traitante a débuté. La société Sfet verse aussi aux débats divers courriers (pces 1, 16, 21,) ainsi que des relevés de compte bancaire comportant des versements de la société Ebrex qui démontrent que les relations des parties se sont continuées jusqu'en février 2011 date à laquelle la société Ebrex a rompu le dernier contrat de sous-traitance qu'elle lui avait confié qui concernait la réalisation des transports commandés par la société Sedifrais. Par ailleurs, la société Ebrex ne démontre pas qu'elle aurait, après la date de la rupture, continué à confier des prestations à la société Sfet.

La société Ebrex ne saurait réduire ce contrat à la dernière prestation relative à la société Sédifrais qu'elle a confiée à la société Sfet, dès lors que celle-ci s'est inscrite dans une suite de prestations de façon continue et ininterrompue depuis 2006.

Enfin, elle ne saurait se prévaloir de fautes qui auraient été commises par la société Sfet dans l'accomplissement des services au bénéfice de la société Sédifrais dans la mesure où, d'une part, elle ne démontre pas qu'elle aurait fait connaître à la société Sfet les reproches que lui a adressés la société Sédifrais par lettres des 30 décembre 2010, 21 janvier et 1er février 2011, d'autre part, elle n'a invoqué aucun comportement fautif, ou même seulement négligent, dans la lettre du 10 février 2011 par lequel elle a rompu le contrat. Bien au contraire, elle indiquait dans cette lettre que "cette fin de contrat n'entame en rien la confiance que nous pouvons vous porter" ce qui est totalement contradictoire avec les fautes qu'elle lui impute dans le cadre du litige.

Il résulte donc de l'ensemble de ces éléments que le contrat verbal de sous-traitance des parties a débuté en 2006 pour s'achever en février 2011 et qu'il a donc duré quatre ans. En application de l'article 12.2 du contrat-type approuvé par le décret n° 2003-1295, du 26 décembre 2003, la société Ebrex aurait dû accorder à la société Sfet un préavis de trois mois au lieu de celui d'un mois et elle lui doit réparation du préjudice résultant de ce préavis écourté.

Sur la rupture brutale et abusive de la relation commerciale

La société Sfet ne démontre pas s'être trouvée en situation de dépendance économique vis-à-vis de la société Ebrex. En effet, elle ne rapporte aucune preuve de ce qu'elle se trouvait dans l'impossibilité de trouver des solutions alternatives pour compenser les pertes résultant de la rupture du contrat verbal qui la liait à la société Ebrex. Elle n'apporte de plus aucune preuve de ce qu'elle mobilisait sept camions pour satisfaire aux prestations requises par la société Ebrex, ni qu'elle aurait dû procéder à des investissements particuliers à la demande de celle-ci.

Par ailleurs, n'établissant d'autre faute que celle constituée par le défaut de respect d'un préavis conforme au contrat-type, elle n'est pas fondée à demander réparation sur le fondement de l'article 1134 du Code civil au titre de la rupture brutale des relations commerciales.

Sur le préjudice

La lettre du 10 février 2011 indiquait que les prestations de la société Sfet s'arrêteraient le 26 février suivant. Elle a donc bénéficié d'un préavis de 15 jours au lieu de trois mois. Son préjudice est donc équivalent à la perte, non de chiffre d'affaires comme elle le prétend, mais de marge brute dont elle aurait bénéficié durant les deux mois et demi dont elle a été privée. Elle ne saurait en effet se prévaloir d'un préjudice équivalent à son chiffre d'affaires alors qu'elle n'a pas exposé les charges afférentes à sa réalisation.

Il résulte des pièces produites au dossier que le chiffre d'affaires mensuel réalisé par la société Sfet dans le cadre des prestations rendues à la société Sfet a été de 61 450,66 euros. Au regard de l'activité concernée, il convient d'appliquer un taux de marge brute de 35 %. Le préjudice subi s'établit donc à la somme de 53 769,32 euros (21 507 X 2,5) que la société Ebrex sera condamnée à lui verser.

Sur la procédure abusive

En réclamant réparation du préjudice que lui a causé la société Ebrex en ne respectant pas la durée de préavis auquel elle avait droit en application des dispositions du contrat-type approuvé par le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003, la société Sfet n'a pas mis en œuvre une procédure abusive et la demande formée sur ce fondement par la société Ebrex doit donc être rejetée.

Sur les frais irrépétibles

Au regard de l'ensemble de ce qui précède, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Sfet l'ensemble des frais exposés par elle pour faire valoir ses droits et la société Ebrex sera condamnée à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Infirme le jugement en toutes ses dispositions Statuant à nouveau, Dit qu'en application de l'article 12-2 du contrat-type approuvé par le décret n° 2003-1295, du 26 décembre 2003, la société Ebrex aurait dû accorder à la société Sfet un préavis de trois mois dans le cadre de la rupture du contrat verbal de sous-traitance conclu entre elles, Condamne la société Ebrex à verser à la société Sfet la somme de 53 769,32 euros à titre de réparation ; Rejette la demande de la société Ebrex de dommages-intérêts au titre de la procédure abusive ; Condamne la société Ebrex à verser à la société Sfet la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes demandes autres, plus amples ou contraires des parties ; Condamne la société Ebrex aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions énoncées par l'article 699 du Code de procédure civile.