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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 24 juin 2014, n° 13-04290

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Semaco (Sté)

Défendeur :

Grosset et Bapte (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mmes Calot, Orsini

Avocats :

Mes Auchet, Wadiou, Hategekimana

T. com. Pontoise, 1re ch., du 15 mai 201…

15 mai 2013

Vu le jugement rendu le 15 mai 2013 par le Tribunal de commerce de Pontoise qui a déclaré la Société d'exploitation des marchés communaux (la Semaco) recevable mais mal fondée en son exception d'incompétence, s'est déclaré compétent pour connaître du litige et a réservé les autres demandes et les dépens ;

Vu le contredit formé le 29 mai 2013 par la Semaco aux fins de voir infirmer le jugement, dire le tribunal de commerce incompétent, renvoyer l'affaire devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, à titre subsidiaire, renvoyer la société Grosset et Bapte à mieux se pourvoir, annuler le jugement et en tout état de cause de condamner la société Grosset et Bapte au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;

Vu les observations en date du 5 septembre 2013 aux termes desquelles la société Grosset et Bapte a demandé la confirmation du jugement et sollicité des dommages-intérêts pour procédure abusive et une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'arrêt en date du 1er octobre 2013 par lequel la cour, au visa des articles 91 et 99 du Code de procédure civile, a dit que la cour avait été saisie à tort par la voie du contredit dès lors que l'incompétence du tribunal de commerce était invoquée au profit du tribunal administratif, mais qu'elle n'en demeurait pas moins saisie du litige, l'affaire devant être jugée selon les règles applicables à l'appel ;

Vu la constitution en date du 3 octobre 2013 par la Semaco de la SCP Farge Colas, avocat au barreau du Val d'Oise, en lieu et place de la Selarl Modere & associés représentée par M. Wadiou avocat au barreau de Creteil ;

Vu les dernières conclusions en date du 9 avril 2014 aux termes desquelles la Semaco demande à la cour, au visa du décret du 17 mai 1809 et de l'article L. 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, d'infirmer le jugement, et :

- de dire le tribunal de commerce incompétent pour connaître du litige, déclarer le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise compétent et renvoyer la présente instance devant cette juridiction,

A titre subsidiaire,

Renvoyer la société Grosset et Bapte à mieux se pourvoir,

Vu l'article 16 du Code de procédure civile,

Annuler la décision rendue pour non-respect du principe du contradictoire,

En tout état de cause, débouter la société Grosset et Bapte de toutes ses demandes et la condamner au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;

Vu les dernières écritures signifiées le 4 décembre 2013 par lesquelles la société Grosset et Bapte demande à la cour de :

- ordonner l'attribution de l'emplacement à la société Grosset et Bapte au sein du marché de Sarcelles,

- condamner la Semaco au versement de la somme de 36 000 euros au titre du préjudice financier à la société Grosset et Bapte,

- condamner la Semaco à une astreinte de 100 euros par jour à partir du jour où elle a mis fin brutalement à la relation commerciale, le 14 mai, jusqu'au jour du jugement à intervenir ;

- condamner la Semaco au versement à la société Grosset et Bapte de la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- débouter la Semaco de toutes ses demandes,

- condamner la Semaco au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

A titre subsidiaire,

- ordonner la mise à disposition de tous les plans du Marché de Sarcelles ayant été élaborés depuis 2009,

- ordonner l'application des articles 1153 et 1154 du Code civil ;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée, à l'arrêt avant dire droit ainsi qu'aux écritures des parties oralement soutenues ; qu'il sera seulement rappelé que :

- la Société d'exploitation des marchés communaux, (la Semaco), a pour objet social "toutes opérations concernant ou pouvant concerner l'exploitation de marchés, concessions de marchés municipaux, gestion, administration" ;

- aux termes d'un "traité pour la concession des marchés publics" conclu le 21 juin 1984, la ville de Sarcelles a défini les conditions dans lesquelles elle confiait à la Semaco l'exploitation des marchés publics communaux, cette concession comprenant la charge et le monopole de percevoir tous les droits de place ou autres taxes dus par les usagers du marché et également le service général des marchés, la fourniture, l'entretien, la manutention et la location du matériel ; le traité renvoie au règlement des marchés communaux de la Ville de Sarcelles lequel précise les relations contractuelles entre concessionnaires, commerçants forains et représentants de la municipalité

- la société Grosset et Bapte, spécialisée dans la vente de vêtements et lingerie, a occupé un emplacement sur le marché de la ville de Sarcelles à partir de 2009 ;

- soutenant avoir été brutalement empêchée, à partir du 12 mai 2012, d'occuper son emplacement habituel, et reprochant à la société Semaco d'avoir brutalement et unilatéralement interrompu les relations commerciales qui existaient entre elles depuis plus de 3 ans, caractérisées par une succession de contrats régulièrement renouvelés et concrétisés par les paiements de droits de place, la société Grosset et Bapte a, par acte du 9 août 2012, assigné la Semaco devant le Tribunal de commerce de Pontoise, au visa de l'article L. 442-6 I 5 du Code de commerce et des articles 1147 et 1149 du Code civil, sollicitant sa condamnation à lui payer la somme de 36 000 euros au titre du manque à gagner et de la perte subie depuis le 26 juin 2012 et la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de relations commerciales ;

- la Semaco, soutenant avoir pour mission la commercialisation et la gestion des emplacements situés sur la commune de Sarcelles, en vertu d'un contrat de délégation de service public, a soulevé in limine litis l'incompétence du tribunal de commerce au profit du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, par application de l'article L. 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques ;

- le tribunal a rejeté cette exception au visa de l'article 136 du décret du 17 mai 1809, relatif aux octrois municipaux et applicable aux droits de place perçus dans les halles et marchés ;

Sur l'exception d'incompétence

Considérant que pour soutenir l'incompétence du juge judiciaire au profit de la juridiction administrative, la Semaco invoque l'article L. 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques aux termes duquel sont portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires ;

Qu'elle précise être une société délégataire d'un service public de la ville de Sarcelles depuis 1984 et exploiter à ce titre des marchés communaux, attribuant des places sur les marchés de la ville, conformément au règlement des marchés communaux ; qu'elle a ainsi attribué ponctuellement un emplacement à la société Grosset et Bapte, commerçant volant ;

Qu'elle en déduit que, cette attribution ayant pour objet l'occupation du domaine public et étant régi par le règlement des marchés communaux, le litige, né de cette attribution, qui l'oppose à la société Grosset et Bapte, doit être porté devant le juge administratif ;

Qu'elle soutient que, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal de commerce de Pontoise, l'article 136 du décret du 17 mai 1809 ne peut fonder la compétence du juge judiciaire, la compétence attribuée à ce juge étant réservée aux contestations relatives au paiement des droits de place qui n'est pas en l'espèce l'objet du présent litige ;

Considérant que, dans ses dernières conclusions, la société Grosset et Bapte ne soutient aucun moyen relatif à la compétence du juge judiciaire contestée par la Semaco ;

Qu'elle se borne à conclure au fond, au visa de l'article L. 442-6-I 5 du Code de commerce, reprochant à la Semaco d'avoir rompu brutalement une relation commerciale établie et soutenant que cette société a cessé en mai 2012 de mettre à sa disposition l'emplacement dont elle disposait depuis 2009 sur le marché de Sarcelles ;

Que ce faisant, elle conclut implicitement à la compétence du Tribunal de commerce de Pontoise et à la confirmation du jugement qui a fondé cette compétence sur l'article 136 du décret précité ;

Considérant que s'il est de principe que les litiges relatifs aux contrats comportant occupation du domaine public passés par les collectivités publiques relèvent de la compétence des juridictions administratives, l'article 136 du décret du 17 mai 1809, relatif aux octrois municipaux et applicable aux droits de place perçus dans les halles et marchés, attribue spécialement compétence aux tribunaux judiciaires pour statuer sur toutes les contestations qui pourraient s'élever entre les communes et les fermiers de ces taxes indirectes, sauf renvoi préjudiciel à la juridiction administrative sur le sens et la légalité des clauses contestées; qu'il résulte de ce texte que le juge judiciaire est exclusivement compétent pour statuer sur toutes les contestations nées de l'exécution du contrat de concession conclu entre la commune et la Semaco ; que les emplacements attribués à la société Grosset et Bapte, de manière ponctuelle l'ont été, en exécution de ce contrat et du règlement des marchés communaux auquel il renvoie, règlement qui prévoie la possibilité pour le concessionnaire d'attribuer un emplacement à la journée aux commerçants "volants", comme la société Grosset et Bapte, par opposition aux commerçants "abonnés" ; que la société Grosset et Bapte reproche à la Semaco d'avoir brutalement cessé de lui attribuer un emplacement et d'avoir ainsi rompu brutalement la "relation commerciale établie" au mépris de l'article L. 442-6 du Code de commerce ; que le litige relève de la compétence du juge judiciaire ;

Que c'est à bon droit que le premier juge a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la Semaco au profit du juge administratif ;

Sur la demande subsidiaire de nullité du jugement

Considérant que la Semaco soutient la nullité du jugement, pour violation du principe de la contradiction et fait valoir que le tribunal a fondé sa décision sur un moyen soulevé d'office tiré de l'article 136 du décret du 17 mai 1809 sans inviter les parties à présenter leurs observations ;

Considérant que la société Grosset et Bapte ne conclut pas sur ce moyen de nullité ;

Considérant que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ;

Qu'en l'espèce, les écritures des parties devant le tribunal de commerce ne comportent aucun moyen fondé sur l'article 136 du décret susvisé ; que les moyens développés oralement par les parties devant le tribunal et qui sont exposés dans le jugement ne sont pas pris de l'application de cet article, les parties s'opposant sur l'applicabilité à l'espèce de l'article L. 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de l'article 136 du décret du 17 mai 1809 qui n'avait été invoqué, ni par la société Grosset et Bapte ni par la société Semaco, sans inviter les parties à présenter leurs observations, le tribunal a méconnu le principe de la contradiction ;

Que le jugement rendu en méconnaissance de ce principe doit être annulé, étant précisé que cette violation n'affecte pas la régularité de la saisine du tribunal ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de la société Grosset et Bapte portant sur le fond du litige ;

Qu'il sera, cependant à toutes fins observé que les demandes de la société Grosset-Bapte étant fondées sur l'article L. 442-6 I 5 du Code de commerce, la question pourrait se poser du pouvoir juridictionnel du Tribunal de commerce de Pontoise et de la Cour d'appel de Versailles pour statuer sur un litige relatif à l'application des dispositions de l'article L. 442-6 I 5 du Code de commerce, eu égard aux dispositions de l'article D. 442-3 du même Code qui désigne de manière limitative les juridictions commerciales compétentes pour en connaître ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Statuant par arrêt contradictoire Annule le jugement rendu le 15 mai 2013 par le Tribunal de commerce de Pontoise ; Déboute la Société d'exploitation des marchés communaux de son exception d'incompétence au profit du tribunal administratif ; Dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes au fond présentées par la société Grosset et Bapte ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la Société d'exploitation des marchés communaux aux dépens.