CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 17 juin 2014, n° 13-02671
CHAMBÉRY
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Atrihome Solutions (SASU)
Défendeur :
JFBV (SARL), Chatel-Louroz (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Morel
Conseillers :
Mme Caullireau-Forel, M. Leclercq
Avocats :
Mes Cochet-Barbuat, Cohen-Boulakia, Barthélémy Bansac, SCP Bollongeon
FAITS ET PROCEDURE
Suivant acte du 28 septembre 2007 la société en cours d'immatriculation JFBV a souscrit un contrat de franchise d'une durée de 5 ans auprès de la société Clair de Baie, devenue par la suite Corabaie.
La société JFBV a été immatriculée au RCS de Thonon-les-Bains le 2 avril 2008 et a débuté son activité le premier mai 2008.
Cette société a été placée en redressement judiciaire le premier février 2013 puis en liquidation judiciaire le premier mars 2013.
Par acte du 4 juin 2013 M. Chatel-Louroz, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JFBV, ainsi que le gérant, les associés et divers créanciers, ont assigné la société la société Corabaie devant le tribunal de commerce en extension de liquidation judiciaire et en responsabilité pour insuffisance d'actif.
Par jugement du 26 juillet 2013 le tribunal a :
- dit irrecevables les actions des demandeurs à l'exception de celle de M. Chatel Louroz, ès qualités,
- donné acte à M. Chatel Louroz, ès qualités, de son désistement de sa demande d'extension de liquidation judiciaire,
- dit que la société Corabaie n'était pas dirigeante de fait mais qu'elle avait continué à soutenir de manière abusive la société JFBV en s'immisçant dans sa gestion après l'expiration du contrat de franchise,
- condamné la société Corabaie à verser à M. Chatel Louroz, ès qualités, la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Corabaie a relevé appel de ce jugement.
M. Chatel Louroz a relevé appel incident.
Le dossier a été communiqué au Ministère public.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La société Atrihome Solutions, venant aux droits de la société Corabaie à la suite d'une décision de transmission universelle du patrimoine, demande à la cour :
- de prononcer la nullité du jugement du 29 novembre 2013,
- subsidiairement, de l'infirmer dans toutes ses dispositions,
- de débouter M. Chatel-Louroz, ès qualités, de ses demandes,
- de le condamner à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Elle fait valoir :
- que le jugement doit être annulé : le droit à un procès équitable et le principe d'égalité des armes de l'article 6 § 1 de la CEDH n'ont pas été respectés, en effet, lors de l'audience de plaidoiries le Ministère public a évoqué pour la première fois des éléments contenus dans la déclaration de cessation des paiements et ses annexes déposée par la société JFBV, or ces pièces n'ont jamais été communiquées à son avocat,
- que subsidiairement le jugement doit être réformé: M. Chatel Louroz ne prouve pas que les conditions de l'action en comblement de passif sont réunies, à savoir qu'elle ait été dirigeant de fait de la société JFBV, qu'elle ait commis des fautes de gestion, que ces fautes de gestion aient contribué à l'insuffisance d'actif,
elle n'était pas dirigeant de fait puisqu'elle n'a exercé aucune activité positive de direction se traduisant par des actes ou des décisions, des immixtions dans des fonctions déterminantes pour la direction de l'entreprise, elle n'a fait qu'assister et conseiller le franchisé dans le cadre du contrat de franchise, elle était pleinement dans son rôle en préconisant des mesures pour lui permettre de surmonter ses difficultés financières, elle ne s'est jamais substituée au franchisé pour assurer la gestion de la société, l'audit des salariés de JFBV auquel a procédé son représentant M. Raber s'inscrivait dans le cadre du contrat de franchise, il était normal que la société Corabaie s'inquiète de la situation, alors que son image de marque était affectée par les retards de livraison, les commandes en cours, le service après-vente déficient, alors que le fonds de commerce continuait à être exploité sous l'enseigne Corabaie malgré la résiliation du contrat de franchise, le logiciel Diapason était mis à la disposition du franchisé dans le cadre de l'exécution du contrat de franchise, il ne permettait pas au franchiseur de se substituer au franchisé dans la gestion de son entreprise et dans la fixation des prix de vente à la clientèle, il s'agit d'un logiciel d'aide à la commande et au suivi des dossiers, à aucun moment Corabaie n'a pris contact avec les clients de JFBV, sauf pour rappeler que leur cocontractant était exclusivement JFBV, le grief de détournement de clientèle est dépourvu de fondement,
elle n'a pas commis de fautes de gestion : dans le cadre de son assistance et en vue de préserver l'image du réseau et d'assurer le développement de l'activité de JFBV il est normal qu'elle ait consenti des prêts à la société JFBV et que ces prêts soient assortis du cautionnement des consorts VENE, gérant et associé de ladite société, le fait qu'elle ait facturé des redevances postérieurement à la résiliation du contrat de franchise ne constitue pas une faute de gestion, il s'agit d'une simple erreur comptable d'un franchiseur à l'égard de son ancien franchisé, elle a fait l'objet d'une rectification, des avoirs ont été émis, ces redevances n'ont fait l'objet d'aucun règlement, la présence ponctuelle du représentant de Corabaie dans les locaux de JFBV après la résiliation du contrat s'explique par le fait qu'il était envisagé le renouvellement du contrat de franchise, en outre il essayait d'aider son ancien partenaire commercial,
il n'y a pas de preuve de l'existence et du montant de l'insuffisance d'actif: seul un état des créances proposées est produit, le passif vérifié n'est pas communiqué,
aucun élément ne permet de rattacher le comportement de la société Corabaie à la déconfiture de la société JFBV, les préconisations du franchiseur n'ont pas été suivies, dans son bilan économique, social et environnemental l'administrateur judiciaire ne fait pas état de fautes de gestion commises par Corabaie à l'origine de l'insuffisance d'actif, mais de raisons économiques, aux termes de son analyse l'expert Moncorge a relevé que le passif de la société JFBV entre la fin du contrat de franchise et le 31 décembre 2012 s'était accru de 119 000 euros et non des 200 000 euros réclamés à Corabaie, et qu'il n'y avait pas d'éléments bilanciels démontrant que Corabaie avait participé à l'aggravation du passif entre le terme du contrat de franchise et l'ouverture du redressement judiciaire.
M. Chatel Louroz, ès qualités de liquidateur de la société JFBV, demande à la cour :
- d'infirmer le jugement en ce qu'il n'a fait que partiellement droit à ses demandes,
- de condamner la société Atrihome Solutions au paiement du passif de la société JFBV, soit la somme de 396 780,51 euros,
- de la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il fait valoir :
- qu'il n'y a pas lieu d'annuler le jugement, aucun texte ne prévoyant la nullité d'une décision en cas de non communication d'une pièce dont il a été fait état, en outre l'article 6 de la CEDH n'a pas été méconnu, il n'est pas établi que le tribunal se soit fondé sur la déclaration de cessation des paiements pour fixer le montant de la condamnation, la société Corabaie connaissait l'existence de cette pièces, avait la possibilité d'en réclamer communication au ministère public ou au tribunal avant que l'affaire soit plaidée,
- que la société Corabaie s'est comportée en dirigeant de fait durant l'exécution du contrat puis plusieurs mois après son terme: elle exerçait une activité positive et indépendante dans l'administration de la société, elle avait un véritable pouvoir de direction et de contrôle à l'égard de la société JFBV, de par le contrat de franchise elle approvisionnait la société de manière exclusive et avait le pouvoir de bloquer tout approvisionnement, elle contrôlait les éléments comptables et financiers de celle-ci (logiciel Diapason), elle a injecté des fonds (prêts) dans la société JFBV quand celle-ci connaissait une situation financière difficile, elle a continué à exercer ses fonctions de dirigeant de fait après la rupture du contrat (paiement des redevances, visite de M. Raber, détournement de clientèle, débauchage des salariés de la société JFBV, blocage des livraisons fournisseurs).
- qu'en sa qualité de dirigeant de fait, la société Corabaie a pris de telles décisions et a diligenté de telles manœuvres qu'elle est responsable de la situation financière catastrophique qu'a connu la société JFBV qui n'était plus capable de payer ses salariés, honorer les commandes des clients, payer ses factures, son loyer, ses prêts, des préjudices financiers et moraux des créanciers qui ont versé des acomptes sans que leur commande soit honorée et qui ont tous effectué une déclaration de créance, de l'impossibilité pour M. Chatel Louroz de procéder au paiement du passif,
- qu'elle a donc commis de graves fautes de gestion qui ont causé la liquidation judiciaire de la société JFBV, son ingérence dans la gestion et l'administration de cette société étant avérée, en conséquence le paiement du passif de la société JFBV, d'un montant de 396 780 euros, doit être mis à la charge de la société Corabaie.
MOTIFS
Attendu qu'il ne résulte pas des énonciations du jugement entrepris que la déclaration de cessation des paiements et ses annexes aient été invoquées devant les premiers juges et encore moins que ces derniers se soient référés à ces documents pour prendre leur décision ;
Que faute de preuve de violation du contradictoire au détriment de la société Corabaie, il n'y a pas lieu d'annuler le jugement ;
Attendu qu'il appartient à M. Chatel-Louroz, ès qualités, de rapporter la preuve que la société Corabaie s'est comportée en dirigeant de fait de la société JFBV, c'est-à-dire a exercé une activité positive de direction ou de gestion en toute indépendance et souveraineté ;
Attendu que le contrat de franchise consenti par la société Clair de Baie à la société JFBV comporte les clauses habituelles de ce type de convention :
en contrepartie des droits exclusifs sur la marque et la distribution des produits qu'il confère au franchisé sur un territoire déterminé, de la formation et du savoir-faire qu'il lui dispense, de l'assistance dans le démarchage et dans l'exploitation qu'il lui fournit, le franchisé s'engage à lui verser un droit d'entrée et des redevances et à réaliser 90 % de son volume d'achat auprès des fournisseurs référencés par le franchiseur ;
Que l'article 9 de cette convention précise expressément que sous réserve des obligations mises à sa charge en vertu du présent contrat le franchisé exploitera en toute indépendance, fixera librement le prix de ses produits et de ses prestations, sera seul responsable de l'application et du respect de normes, législations, réglementation relatives à l'exercice de son activité ;
Qu'il ne peut être déduit une gestion de fait de l'application des clauses de ce contrat,
M. Chatel-Louroz ne pouvant dès lors, à l'appui de sa démonstration, valablement se prévaloir de ce que les fournisseurs référencés par le franchiseur approvisionnaient à 90 % le franchisé, étant relevé qu'aucun pouvoir de bloquer les livraisons n'est accordé directement au franchiseur par le contrat ;
Attendu que si le contrat de franchise prévoit en son article 11 que le franchisé s'engage à utiliser le logiciel spécifique mis à sa disposition par le franchisé, il ne ressort pas des productions que le logiciel "Diapason", au-delà de l'aide à la commande, au suivi des dossiers et à l'établissement du prix qu'il procurait au franchisé, permettait au franchiseur de contrôler la totalité des éléments comptables et financiers de la société JFBV ;
Attendu que les deux prêts consentis par la société Corabaie à la société JFBV les 13 mars et 8 août 2012, d'un montant respectif de 23 000 et 15 000 euros, s'ils peuvent s'expliquer par une volonté d'assistance et de soutien du franchisé par le franchiseur, ne peuvent être considérés comme des actes de direction ou de gestion ;
Attendu que le prélèvement de redevances postérieurement à la cessation du contrat le 28 septembre 2012, au demeurant restituées par la suite, ne constitue pas un acte de gestion ;
Que la visite ponctuelle, après l'expiration du contrat, de M. Raber, représentant le franchiseur, dans les locaux de la société JFBV, ne peut être analysée comme un acte de gestion, l'audition des salariés à laquelle il a procédé tendant essentiellement à la recherche des raisons ayant amené les difficultés de la société, lesquelles impactaient directement la bonne exécution du contrat de franchise et l'image de marque du franchiseur, logiquement soucieux de cette situation, alors même que le fonds de commerce continuait d'être exploité par la société JFBV sous l'enseigne Clair de Baie malgré la cessation du contrat de franchise; Que le fait d'avoir proposé à certains salariés de les reprendre si la société JFBV était liquidée ne peut être considéré comme un acte de gestion de ladite société ;
Qu'aucune tentative de détournement de clientèle pendant le fonctionnement de la société n'est établie, pareille attitude, à la supposer prouvée, étant, en tout état, typique d'un concurrent et non d'un dirigeant de fait ;
Attendu qu'il n'est donc pas démontré que la société Corabaie a été le dirigeant de fait de la société JFBV ;
Que l'action en comblement de passif diligentée à l'encontre de la société Corabaie, devenue Atrihome Solutions, doit être rejetée ;
Attendu que les circonstances de la cause ne justifient pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Dit qu'il n'y a pas lieu d'annuler le jugement entrepris, Infirme le jugement entrepris, Rejette les demandes de M. Chatel Louroz, ès qualités, Rejette toute autre demande, Condamne M. Chatel Louroz, ès qualités, aux dépens de première instance et d'appel, les dépens d'appel étant distraits au profit de la selarl Juliette Cochet Barbuat.