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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 2 juillet 2014, n° 11-13823

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Bli DBP (Sté)

Défendeur :

Reme (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Grappotte-Benetreau, Prieur, Ribaut, Gaslini

T. com. Marseille, du 1er juin 2011

1 juin 2011

Vu le jugement du 1er juin 2011, assorti de l'exécution provisoire, par lequel le Tribunal de commerce de Marseille a condamné la société Bli DBP à payer à la société Reme la somme de 43 794,68 au titre de la rupture brutale des relations commerciales, celle de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-exécution des nouvelles commandes, ainsi que celle de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté le 21 juillet 2011 par la société Bli DBP contre cette décision et ses conclusions notifiées et déposées le 13 avril 2012, par lesquelles elle demande à la cour de juger que la rupture n'a pas été brutale, que le préavis a été suffisant et que l'action au titre du préavis contractuel est irrecevable ; en conséquence, infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Marseille, débouter la société Reme de toutes ses demandes, la condamner au paiement de la somme de 20 000 € pour procédure abusive, compte tenu des actes de concurrence déloyale commis par elle et, enfin, celle de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 13 mars 2014 par lesquelles la société Reme demande à la cour de confirmer le jugement dont appel, sauf en ce qu'il a fixé à 6 mois la durée du préavis qui aurait dû être concédé par écrit par Bli DBP au moment de la rupture, et statuant à nouveau, juger que, compte tenu de la durée des relations contractuelles entre les sociétés Reme et Bli DBP, le préavis de rupture aurait dû être d'une durée de 18 mois à compter du 25 septembre 2009, en conséquence, condamner Bli DBP au paiement d'une somme de 218 862,00 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales, à titre subsidiaire, condamner Bli DBP au paiement d'une somme de 72 954,00 euros au titre du préavis contractuel, infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté Reme de ses demandes au titre des retards de livraison, et statuant à nouveau, constater que Bli DBP s'est rendue responsable de retards répétés dans l'exécution de ses obligations contractuelles, condamner Bli DBP au paiement de la somme de 72 954,00 euros à titre de dommages intérêts, infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré légitime la captation de clientèle de Reme par Bli DBP, et en ce qu'il a omis de statuer sur les actes de dénigrement à l'égard de Reme, et statuant à nouveau, constater les actes de dénigrement et de concurrence déloyale commis par Bli DBP, et la condamner au paiement d'une somme globale de 295 908,00 euros à titre de dommages et intérêts pour les actes de dénigrement et de concurrence déloyale et, enfin, celle de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Sur ce,

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

La société Bli DBP, créatrice et productrice de lunettes, a concédé l'exclusivité de la distribution de ses produits en Italie, à la société Reme.

Leur relation contractuelle a été matérialisée par un contrat du 1er avril 2005, d'une durée de un an tacitement reconductible par période de 12 mois, sous réserve de la faculté, pour chacune des parties, d'y mettre un terme anticipé, en respectant un préavis de trois mois avant l'échéance, par lettre recommandée avec accusé de réception. L'article 6 de ce contrat prévoyait que "toute commande du distributeur devra être payée à la société par transfert bancaire dans un délai de 60 jours à compter de la date de la facture".

À la suite de nombreux incidents de paiement, la société Bli DBP a rompu leurs relations commerciales par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 septembre 2009, en respectant un préavis de trois mois, et mettant en exergue les baisses importantes de chiffres d'affaires de la société Reme, ses paiements irréguliers et tardifs, ainsi que des déductions indues sur le montant des factures.

Par acte du 8 avril 2010, la société Reme a assigné la société Bli DB, devant le Tribunal de commerce de Marseille, pour rupture brutale des relations commerciales établies, pour inexécution de ses obligations contractuelles et pour actes de concurrence déloyale.

Dans le jugement présentement entrepris, le Tribunal de commerce de Marseille a jugé que les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce s'appliquaient dans la présente espèce. Il a également estimé que le préavis contractuel de trois mois octroyé par la société Bli DBP n'était pas suffisant au regard de la durée des relations des parties et de l'importance de la part du chiffre d'affaires réalisée par la société Reme avec la société Bli DBP. Il a condamné la société Bli DBP à lui payer une indemnité équivalant à six mois de préavis, d'un montant global de 43 794,68 euros. Il l'a également condamnée à lui payer la somme de 50 000 € au titre de commandes non honorées pendant la période des trois mois de préavis. Enfin, s'agissant de l'action en concurrence déloyale intentée par la société Reme et de la demande reconventionnelle de la société Bli DBP, pour abus de procédure, il les a toutes les deux rejetées.

Considérant que la société appelante ne conteste plus l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, nonobstant l'article 11 du contrat prévoyant l'applicabilité de la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises du 11 avril 1980 et, subsidiairement, l'applicabilité de la loi française ;

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Considérant que la société Bli DBP soutient que la rupture des relations commerciales établies avec la société Reme n'a pas été brutale aux motifs que la société Reme a commis des fautes graves et répétés, qu'elle a averti la société Reme du risque de résiliation un an avant la résiliation et qu'elle a respecté un préavis de trois mois ; qu'à ce titre, elle expose que les incidents de paiement et la violation de l'engagement d'exclusivité justifiaient la résiliation du contrat ; qu'elle précise avoir procédé de manière graduelle et équilibrée avec son cocontractant en l'informant de ses inquiétudes sur l'évolution de leurs relations commerciales en raison des baisses de commandes et des retards de paiement et en lui accordant "une année test" en 2009 ; qu'en toute hypothèse, elle soutient que le préavis indiqué dans sa lettre de résiliation était suffisant, compte tenu de la durée de leurs relations commerciales (quatre ans et cinq mois) et des fautes commises par la société Reme qui lui auraient permis de résilier le contrat sans respecter de préavis ;

Considérant que la société Reme fait valoir que la rupture du contrat a été brutale pour défaut de préavis suffisant, compte tenu de l'ancienneté des relations, de l'importance du volume d'affaires échangé, des investissements réalisés par elle et du cycle économique dans lequel s'inscrit la relation commerciale ; qu'elle en déduit qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis de dix-huit mois pour lui permettre de retrouver un fournisseur de produits spécifiques (lunettes design) et établir ex-nihilo une relation avec les détaillants sur ce nouveau produit ; qu'elle expose qu'elle a légitimement pu croire au maintien des relations contractuelles et a exposé de lourds investissements, sans que la société Bli DBP l'en empêche et qu'une semaine avant la rupture, elle avait participé au SILMO à Paris en septembre 2009, au cours duquel elle avait présenté à la clientèle la collection des produits JF Rey pour la saison à venir ;

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 442-6- I- 5 : "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...)" ;

Considérant que cet article dispose, aussi : "les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations" ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier qu'en contravention de son obligation de payer ses factures dans un délai de 60 jours suivant les commandes, le distributeur s'est acquitté avec retard de certaines d'entre elles, contraignant le producteur à le relancer pour le paiement à de très nombreuses reprises ; que l'encours d'impayés s'élevait, au 10 novembre 2008, à la somme de 103 785 € ; que des déductions contestées par le producteur étaient en outre opérées sur certaines factures ; que ces incidents de paiement répétés durant l'année 2009, même si l'encours s'était réduit, constituent une inexécution de ses obligations par le distributeur, justifiant la résiliation du contrat sans préavis, d'autant qu'il avait été prévenu plusieurs mois avant la résiliation ; qu'en effet, par courrier du 27 novembre 2008, la société Bli DBP lui faisait part de ses inquiétudes en raison des baisses de commandes et des retards de paiement récurrents ; qu'à plusieurs reprises, la société Reme a annulé les commandes avant la fin du délai de livraison de 60 jours, causant ainsi un préjudice au fournisseur ; que par courrier du 19 décembre 2008, la société Bli DBP avait prévenu la société Reme que l'année 2009 était une année test au cours de laquelle elle devait fournir ses meilleurs efforts afin d'améliorer les ventes, cesser les retards de paiements et réorganiser ses forces de vente ;

dans ce courrier, notamment, la société Bli DBP mentionnait : "Vous savez probablement qu'à ce stade j'étais très indécis sur la question de renouveler ou non le contrat avec vous avant l'expiration du 31/12/2008. Je confirme officiellement que le contrat Reme continuera pour toute l'année 2009, à l'essai. Durant cette année qui arrive nous aimerons voir davantage de communication, d'engagement et d'efficacité des deux côtés pour commencer à grandir à nouveau et progresser à nouveau sur le marché italien" ; que la société Reme prétend que ces retards de paiement seraient dus à des retards de livraison du producteur, mais n'en rapporte pas la preuve, se contentant de verser aux débats une commande du 16 janvier 2009, non encore honorée le 5 février 2009, et un message du 10 septembre 2009 de la société Bli DBP reconnaissant que son partenaire était en attente de livraison de plus de 228 pièces ; que ces éléments sont insuffisants à rapporter la preuve des retards systématiques allégués ; que la circonstance que des encours commerciaux aient été tolérés dans le passé n'exonère pas cette pratique ; que la société Bli DBP pouvait réorganiser son réseau comme elle l'entendait ; que dans ce contexte, la rupture du contrat notifiée le 25 septembre 2009 par le producteur à son distributeur ne saurait revêtir de caractère brutal au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce, d'autant que la société distributrice disposait d'un délai de trois mois pour réorienter son activité auprès d'autres fournisseurs ; que sa demande en rupture brutale des relations commerciales sera donc rejetée et le jugement entrepris infirmé ;

Considérant que si la société Bli DBP, en prononçant la résiliation du contrat de distribution la liant à la société intimée, n'a fait que mettre en œuvre la faculté de mettre un terme anticipé à une relation contractuelle pour inexécution de ses obligations par son partenaire, une telle résiliation peut, néanmoins, revêtir un caractère abusif en raison des circonstances accompagnant la rupture ; qu'en effet, il s'infère des dispositions de l'alinéa 3 de l'article 1134 du Code civil, aux termes desquelles les conventions légalement formées "doivent être exécutées de bonne foi", que la faculté de résiliation d'un contrat ne saurait être exercée dans des conditions exclusives d'une semblable bonne foi, telle, notamment, la création chez le distributeur d'une confiance légitime dans la pérennité des relations commerciales entretenues ;

Considérant que la société Reme prétend, sans en apporter la preuve, avoir été entretenue dans la croyance légitime du maintien des relations commerciales et avoir effectué des investissements en conséquence ; que l'envoi d'un message électronique à tous les distributeurs, quelques jours avant la fin du salon Silmo, à la porte de Versailles, et la veille de l'envoi du courrier de résiliation, proposant aux distributeurs de payer 50 % des présentoirs, ne démontre pas en soi que le distributeur ait été personnellement assuré de la pérennité des relations commerciales avec Bli DBP ; qu'en effet, ce message était destiné à tous les distributeurs et n'était pas individualisé ; que la société Reme ne démontre pas avoir effectué d'investissements irrécupérables à l'occasion de l'organisation de ce salon ; que la demande pour résiliation abusive sera donc également rejetée ;

Sur les dommages-intérêts pour non-approvisionnement sollicités par la société Reme

Considérant que la société Bli DBP soutient qu'en toute hypothèse, son cocontractant ne saurait prétendre à d'autre réparation que celle correspondant aux gains manqués pendant la période de préavis, c'est-à-dire à la perte de marge brute moyenne réalisée durant les trois derniers exercices en fonction de la durée du préavis ;

Considérant que la société intimée considère, au contraire, que la non-exécution des commandes passées avant la rupture des relations est susceptible d'engager la responsabilité contractuelle de la société Bli DBP et en appelle réparation en application de l'article 11 du Code civil ;

Considérant que la société Bli DBP s'étant engagée, dans sa lettre de rupture, à octroyer à son distributeur, un préavis de trois mois avant la fin des relations commerciales, il convient de vérifier si ce préavis s'est avéré effectif, et si le distributeur a pu en conséquence être livré en produits contractuels ; que la société Reme ne démontre pas les demandes et les refus d'approvisionnement dont elle excipe ; que la pièce censée démontrer les commandes de septembre 2009 est non datée et est signée par Monsieur Becarini, seul ; qu'elle ne peut donc faire foi ; que cette demande sera donc rejetée et le jugement déféré infirmé sur ce point ;

Sur la demande en concurrence déloyale de la société Reme

Considérant que la société intimée s'estime victime de dénigrement et de concurrence déloyale de la part de la société appelante ; qu'elle prétend que la société Bli DBP a non seulement porté atteinte à son image et à sa réputation commerciale en dénonçant à la Coface un incident de paiement ne correspondant pas à la réalité mais a aussi capté l'ensemble de sa clientèle, en débauchant son agent commercial ;

Mais considérant que le seul fait de dénoncer des faits à la Coface ne constitue pas un dénigrement ; que l'annonce de la société Bli DBP signalant qu'elle distribuerait les produits directement par ses propres agents est datée du 4 janvier 2010, soit après l'expiration du préavis ; qu'elle ne porte pas atteinte à l'exécution loyale du contrat ;

Considérant que, faute de preuves, la société Reme sera déboutée de ses demandes et le jugement déféré sera confirmé sur ce point ;

Sur la demande pour procédure abusive de la société Bli DBP

Considérant que si la société appelante demande la condamnation de la société intimée pour procédure abusive, compte tenu des actes de concurrence déloyale commis par elle, elle ne démontre par ces actes de concurrence déloyale et, en tout état de cause, n'établit pas que l'action en justice de son distributeur se soit révélé fautive et lui ait causé un quelconque préjudice ; que cette demande sera donc rejetée et le jugement entrepris confirmé sur ce point ;

Par ces motifs Confirme le jugement entrepris, en ce qu'il a rejeté la demande en concurrence déloyale de la société Reme et la demande pour procédure abusive de la société Bli DBP, L'Infirme pour le surplus, Et, statuant à nouveau, Déboute la société Reme de l'ensemble de ses demandes, La Condamne aux dépens de première instance et d'appel, La Condamne à payer à la société Bli DBP la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.