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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 2 juillet 2014, n° 08-23061

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Carrefour Proximité France (Sté), Champion Supermarché France (Sté)

Défendeur :

Etablissements Ségurel (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Vallet-Pamart, Leblond, Guizard, Brouard

T. com. Paris, 17e ch., du 7 oct. 2008

7 octobre 2008

Faits et procédure

Le 2 février 1994, la société G&A Distribution a signé avec la société Prodim (franchiseur de la société Carrefour) un contrat de franchise pour une durée de 7 ans pour exploiter un fonds de commerce sous enseigne "Shopi" à Septeuil (Yvelines).

A la même date, un second contrat d'approvisionnement a été conclu entre G&A Distribution et la société Champion Supermarché France (ci-dessous la société CSF), autre société du groupe Carrefour.

Le contrat de franchise était renouvelable par tacite reconduction par période de trois ans à défaut de dénonciation par l'une ou l'autre des parties sous réserve d'un préavis de six mois.

L'article 6 du contrat de franchise précisait : "En cas de rupture de la présente convention avant son terme et sans préjudice de l'exercice de la clause pénale ci-dessus et de toute demande en dommages-intérêts complémentaires, le franchisé s'oblige à ne pas utiliser directement ou indirectement personnellement ou par personne interposée, en société ou autrement, durant une période de un an à compter de la date de résiliation du présent contrat, une enseigne de renommée nationale ou régionale déposée ou non et à ne pas offrir en vente des marchandises dont les marques sont liées à ces enseignes (marques propres), ceci dans un rayon de cinq kilomètres du magasin Shopi faisant l'objet du présent accord".

Par lettre en date du 26 octobre 1996, la société G& Distribution a résilié avec effet immédiat le contrat de franchise reprochant à la société Prodim un manquement à ses obligations contractuelles et a, dans l'année qui a suivi la résiliation au cours de l'année 1997, exploité son fonds de commerce sous une enseigne concurrente "Coccinelle", détenue par la centrale d'achat Francap Distribution, à laquelle la société Etablissements Ségurel (société Ségurel), centrale d'approvisionnement, était affiliée, et commercialisé les produits propres attachés à l'enseigne ''Coccinelle".

I Procédures engagées contre la société G&A Distribution par la société Prodim :

A La société Prodim a engagé une procédure d'arbitrage conformément à la clause compromissoire se trouvant dans le contrat pour qu'il soit statué sur la rupture du contrat de franchise.

Par sentence rendue le 28 juin 1999, le tribunal arbitral a décidé que :

- G&AD était responsable de la rupture des liens contractuels avec Prodim,

- G&AD devait payer à Prodim différentes sommes au titre du solde des marchandises impayées, des produits, des accessoires, de la clause pénale et de la perte de marge,

- Prodim devait payer à G&AD différentes sommes au titre du dépôt de garantie et de dommages-intérêts,

- Globalement G&AD devait payer à Prodim la somme de 91 500 euros.

B Une seconde procédure arbitrale a été introduite par la société Prodim contre la société G&AD pour violation de la clause de non-affiliation post-contractuelle prévue par l'article 6 du contrat de franchise.

La sentence du 10 juillet 2000 a été tout d'abord annulée par arrêt de la Cour d'appel de Caen du 23 avril 2002, ledit arrêt étant cassé par la Cour de cassation selon arrêt du 8 juillet 2004 ; sur renvoi, la Cour de Versailles s'est prononcée par arrêt du 30 janvier 2007, lequel a été cassé par arrêt de la Cour de cassation du 28 mai 2008. La Cour d'appel de Paris, saisie sur renvoi a, selon arrêt du 18 mars 2010, annulé la sentence rendue le 10 juillet 2000 et déclaré la société Prodim irrecevable en sa demande de dommages et intérêts pour violation de la clause de non ré-affiliation prévue dans le contrat de franchise. Le pourvoi contre cette décision n'a pas été admis (arrêt du 4 avril 2011).

II Procédure engagée contre les sociétés Francap Distribution et Ségurel par les sociétés Prodim et CSF :

Estimant que la société Francap Distribution en qualité de sa centrale d'achats et la société Etablissements Ségurel en sa qualité de grossiste ont agi comme tiers complices dans la résiliation du contrat de franchise par la société G&A Distribution, les sociétés Prodim et CSF ont assigné les sociétés Francap Distribution et Ségurel le 26 septembre 2003 et le 3 octobre 2003 en réparation des préjudices subis devant le Tribunal de commerce de Paris.

En cours de procédure, les demandeurs ont renoncé à leurs prétentions contre la société Francap Distribution.

Par jugement du 7 octobre 2008, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté les sociétés Prodim et CSF de l'intégralité de leurs demandes,

- condamné les sociétés Prodim et CSF à payer à la société Ségurel 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- pris acte du désistement des sociétés Prodim et CSF à l'encontre de la société Francap Distribution,

- condamné solidairement les sociétés Prodim et CSF à payer à la société Francap Distribution 10 000 euros à titre de dommages,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné solidairement les sociétés Prodim et CSF à payer 10 000 euros à la société Ségurel et 8 000 euros à la société Francap Distribution

Le 8 décembre 2008, les sociétés Prodim et CSF ont interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 28 septembre 2011, la Cour d'appel de Paris a :

- confirmé le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes des appelants présentées au titre des pertes de cotisation de franchise, de l'atteinte au réseau et à la notoriété de l'enseigne ainsi qu'au titre des pertes de marges,

- avant dire droit sur le surplus des prétentions respectives des parties, invité l'Autorité de la concurrence (ci-dessous ADLC) à donner son avis sur le caractère anticoncurrentiel du contrat dénommé accord de franchise en date du 2 février 1994 aux terme de laquelle "le franchisé s'oblige à ne pas utiliser directement ou indirectement, personnellement ou par personne interposée, en société ou autrement, durant une période de un an à compter de la date de résiliation du présent contrat, une enseigne de renommé nationale ou régionale déposée ou non et à ne pas offrir en vente des marchandises dont les marques sont liées à ces enseignes, ceci dans un rayon de cinq kilomètres du magasin Shopi faisant l'objet du présent accord"

L'ADLC a donné son avis le 9 juillet 2012.

Par conclusions signifiées le premier avril 2014, les sociétés CPF et CSF demandent à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 octobre 2008 par le Tribunal de commerce de Paris

- condamner la société Ségurel à payer à la société CPF la somme de 130 000 euros au titre de la complicité de la violation de la clause de non ré-affiliation post-contractuelle.

- condamner la société Ségurel à payer à la société CPF et CSF, au titre de l'article 700 du CPC, une somme de 30 000 euros et à supporter les entiers dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Les appelantes font valoir que l'avis de l'Autorité du 9 juillet 2012 concernant des litiges opposant les sociétés CPF et CSF, n'a aucune portée en droit et aucune valeur juridictionnelle, et que les juridictions de l'ordre judiciaire ne sont pas tenues par cet avis.

Elles ajoutent que les faits étaient prescrits et que l'acquisition de la prescription devait interdire à l'Autorité de rendre un avis dans cette espèce, au risque de remettre en cause les principes rappelés par la Convention européenne des droits de l'Homme, le droit à l'oubli et la protection contre le dépérissement des preuves.

Elles soutiennent que, dès lors qu'une clause n'est pas restrictive de concurrence, la question de savoir si elle est ou non nécessaire et proportionnée à la question d'un savoir-faire devient sans objet.

Elles exposent que la clause de non-réaffiliation d'une année ne peut pas encourir la moindre critique et qu'elle ne va pas "au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi", délai que l'ADLC ne définit pas tout en considérant, dans son avis, que le délai acceptable serait de 6 mois.

Elles estiment qu'au regard de la jurisprudence actuelle, elles sont confrontées à un traitement "différent et systématiquement défavorable" quant à l'appréhension du caractère secret, substantiel et identifiable du savoir-faire pour l'application des clauses de non-réaffiliation post-contractuelle.

Par conclusions signifiées le 7 avril 2014, la société Ségurel demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés CPF et CSF de l'intégralité de leurs demandes dirigées à l'encontre de la société Ségurel,

- confirmer le jugement en ce qu'il les a condamnées solidairement à payer à la société Ségurel une somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 10 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles,

- condamner les sociétés CPF et CSF solidairement au paiement d'une somme de 100 000 euros pour procédure et appel abusif,

- condamner les sociétés CPF et CSF solidairement à lui payer la somme de 75 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouter les sociétés CPF et CSF de toutes leurs demandes dirigées à l'encontre de la société Ségurel,

- les condamner aux entiers dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

L'intimée expose que la prescription de l'article L. 462-7 du Code de commerce n'a vocation à s'appliquer quand l'Autorité de la concurrence est saisie par une juridiction d'une demande d'avis qui n'a aucun caractère répressif.

Elle fait valoir que l'action de la société CPF contre la société Ségurel pour tierce complicité est irrecevable, dès lors que la faute du débiteur principal n'a pas été reconnue, la société Prodim ayant échoué dans son action tendant à juger que l'ex-franchisé avait violé la clause prévue à l'article 6 du contrat de franchise tant devant le tribunal arbitral que devant les juridictions judiciaires.

Elle relève l'absence de violation de la clause de non-réaffiliation du fait de la mise en vente, après la résiliation du contrat, de produits de la marque "Belle France" par la société G&AD, les marchandises de cette marque n'étant pas liées à une enseigne et sont disponibles chez des grossistes et des distributeurs de toute enseigne.

Elle souligne les contraintes pesant sur le franchisé du fait de la clause, présentant les effets d'une clause de non-concurrence, la présence des marques de distributeurs dans un magasin de proximité est indispensable car ce segment de produits représente environ 30 à 35 % de l'assortiment et sont les marchandises à plus forte marge pour l'exploitant.

Elle reprend l'analyse de l'autorité de la concurrence dans son avis, rappelant que ces contraintes sont disproportionnées au regard des intérêts du franchiseur susceptible d'être protégés, au motif qu'aucun savoir-faire secret, substantiel et identifié n'est transmis par Promodès à G&AD, qui justifierait l'octroi d'une protection grâce à la clause de non-réaffiliation.

Elle soutient que la société CPF ne démontre aucunement que l'enseigne Coccinelle reprise après la rupture du contrat par la société G&AD remplit les conditions de renommée prévue par la clause.

L'intimée dénonce la réalité du préjudice subi par la société CPF, cette dernière la justifiant sur la base de coût de création d'un magasin similaire à celui "capté" par la société Ségurel, alors que le coût d'acquisition et de construction des magasins est toujours pris en charge par les franchisés.

SUR CE :

Sur l'irrecevabilité de l'action de la société Prodim :

Considérant que la société Ségurel expose que la société Prodim, déclarée irrecevable à agir contre la société G&A Distribution sur le fondement de la violation de la clause de non-réaffiliation ne peut agir contre le tiers "complice" qui, par son action, favorise, aide la violation de la clause par le débiteur alors que la faute de celui-ci n'a pas été établie ; que la société Prodim ne répond pas sur ce point dans ses écritures ;

Considérant que, dans le litige qui l'opposait à la société G&A Distribution, la société Prodim a été déclarée par arrêt de la Cour de Paris du 18 mars 2010 irrecevable à agir contre la société G&A Distribution, que l'irrecevabilité qui lui a été alors opposée ne lui interdit pas d'agir contre un tiers et à faire reconnaître le préjudice que lui cause ce tiers dès lors qu'il a commis lui-même une faute, notamment en aidant, en connaissance de cause, autrui à enfreindre les obligations contractuelles pesant sur lui,

Considérant que l'action de la société Prodim est recevable ;

Sur la clause de non-réaffiliation :

Considérant que la société Ségurel vise dans le dispositif de ses conclusions les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et invoque à la fois le caractère restrictif de la concurrence et le caractère disproportionné par rapport à l'objet protégé de la clause de non-réaffiliation,

Sur l'application de l'article L. 420-2 du Code de commerce :

Considérant que la société Ségurel a visé ce texte dans le dispositif de ses conclusions ; qu'elle n'a toutefois pas développé dans le corps de ses conclusions l'abus de position dominante et l'abus de dépendance économique ;

Considérant que la société Prodim (groupe Promodes) n'occupait à l'époque des faits qu'un partie du marché de 1,7 % pour la distribution de l'alimentation générale de proximité de sorte qu'il n'est pas démontré qu'il a une position dominante ;

Considérant que la part du marché de la société Prodim (groupe Promodes) à l'époque des faits ne le plaçait pas dans la situation d'en faire un partenaire obligé pour tout candidat à l'ouverture d'un magasin d'alimentation ; que la société Ségurel ne démontre pas la situation de dépendance de la société G&A Distribution à l'égard de Promodes ;

Sur l'application de l'article L. 420-1 du Code de commerce :

1) Considérant que la société Prodim invoque le "droit à l'oubli" et le respect des droits de la défense, demande le bénéfice de la prescription quinquennale prévue par l'article L. 462-7 du Code de commerce pour des pratiques anciennes de vingt ans ; qu'elle expose se trouver, lors de la saisine facultative de l'Autorité de la concurrence dans une situation pire que celle dans laquelle elle se serait trouvée si l'Autorité avait dû statuer dans une procédure contentieuse, lui interdisant notamment en raison de l'ancienneté des pratiques de rapporter la preuve d'éléments qui lui sont favorables tels que la transmission de son savoir-faire ; que l'article L. 462-7 du Code de commerce s'applique également lorsque l'Autorité de la concurrence est saisie pour avis ; que la cour qui dispose du pouvoir "répressif" en annulant une clause et devant laquelle se pose la question de la prescription ne peut se prononcer valablement à la suite d'un avis pris irrégulièrement ; que la société Ségurel s'oppose à une telle prétention ;

Considérant que l'article L. 462-7 du Code de commerce précise : "L'Autorité de la concurrence ne peut être saisie de faits remontant à plus de cinq ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction." ;

Considérant que l'Autorité de la concurrence est saisie pour avis par la Cour d'appel de Paris en application de l'article L. 462-3 du Code de commerce ; que n'ayant pas de pouvoir de sanction lorsqu'elle n'est pas saisie en matière contentieuse par application de l'article L. 462-5 du Code de commerce, l'Autorité n'a pas à vérifier si les faits qui lui sont soumis sont ou non couverts par la prescription ; qu'elle se devait toutefois de répondre comme elle l'a fait à la société Prodim qui soulevait devant elle la prescription ; que devant la cour, ces mêmes moyens tirés des dispositions de l'article L. 462-5 du Code de commerce, du droit à l'oubli et du respect des droits de la défense qui justifient le principe même d'une prescription, sont en l'espèce inopérants ;

2) Considérant que la société Ségurel vise l'article L. 420-1 du Code de commerce dont les dispositions sont d'ordre public et conteste la validité de la clause de non-réaffiliation en raison de son caractère restrictif de la concurrence et de son caractère disproportionné par rapport à l'objet protégé ;

Considérant que la société Ségurel explique principalement que cette clause vise à interdire au franchisé, propriétaire de son fonds et de sa clientèle, l'exercice d'une activité identique dès lors qu'il quitte le réseau de franchise puisqu'il ne peut contracter avec un grossiste qui pourrait lui concéder une enseigne et lui permettre de vendre des marchandises dont les marques lui sont liées et qui lui permettent de réaliser sa plus forte marge et qu'elle lui interdit d'exploiter son activité en l'empêchant de réaliser 30 % de son chiffre d'affaires dans des conditions identiques ou similaires; qu'elle ajoute que cette clause lui impose des contraintes disproportionnées au regard d'un intérêt légitime du franchiseur, la protection de son savoir-faire, en l'espèce inexistant ; qu'elle conclut en précisant que cette clause n'a pour objet que d'interdire le départ du franchisé vers d'autres réseaux de distribution en rendant impossible toute activité normale et empêche tout concurrent d'approvisionner postérieurement à la cessation des relations contractuelles l'ex-franchisé et de lui concéder une quelconque enseigne ;

Considérant que la société Prodim fait valoir qu'avant de déterminer si la clause est nécessaire ou non, proportionnée ou non par rapport au savoir-faire du franchiseur devant être protégé, il convient de vérifier si la clause est ou non restrictive de concurrence ; qu'elle estime que l'Autorité a procédé à cet égard par une "démonstration à l'envers" et qu'il n'a pas été établi que, dans le cas d'espèce, la clause avait un effet suffisamment sensible sur la concurrence, compte tenu de sa durée limitée à un an et des parts de marchés cumulées, en rendant non pas impossible mais très difficile la poursuite de l'exploitation du fonds et sa rentabilité aléatoire ;

Considérant que la clause de non-réaffiliation restreint la liberté d'affiliation de l'ancien franchisé à un autre réseau ; qu'en l'espèce, elle interdit l'usage par l'ancien franchisé d'une enseigne de renommée nationale ou régionale et la vente de produits liés pendant un an dans un rayon de cinq kilomètres ; qu'elle laisse la possibilité de poursuivre une activité commerciale identique sans la permettre dans des conditions similaires, en bénéficiant des avantages du réseau, des remises, des facultés d'approvisionnement, de la vente des marques distributeurs qui permettent au franchisé de dégager la plus forte marge et réalisent 30 % de son chiffre d'affaire ; qu'en l'espèce, l'ancien franchisé a, comme il l'a déclaré, au cours de la procédure d'instruction devant l'Autorité de la concurrence, exploité pendant plusieurs mois sans enseigne, qu'il n'a alors vendu que des produits de marque nationale mais que "les clients lui sont restés fidèles d'autant que ses prix avaient baissé et qu'(il avait) plus de choix puisqu'il a pu faire appel à des fournisseurs extérieurs" ;

Considérant que la juridiction saisie d'une pratique dite anticoncurrentielle doit vérifier si l'effet potentiel ou avéré des pratiques critiquées est ou non de nature à restreindre de manière sensible le jeu de la concurrence sur le marché concerné alors qu'il n'existe aucune définition légale ou règlementaire du seuil ; que seules les pratiques susceptibles d'avoir un effet sensible sur la concurrence sont sanctionnables ;

Considérant que l'Autorité de la concurrence a identifié un marché de la distribution alimentaire généraliste de proximité ; qu'en l'espèce, ce marché est délimité autour du magasin de la société G&A Distribution qualifiée de "supérette de proximité" d'une superficie inférieure à 400 mètres carrés accessible à pied en quinze minutes pour la clientèle de proximité et en voiture en quinze minutes grâce à la présence de parkings, que l'Autorité a inclus dans la zone géographique les hypermarchés que les ménages de proximité immédiate peuvent utiliser lorsqu'ils sont situés en centre-ville ou en zone urbaine dense, estimant que dans certains cas, ces hypermarchés peuvent se substituer aux supérettes ; que l'Autorité a ainsi évalué la part du marché de Septeuil, qui était entouré de 13 magasins concurrents de plus de 400 mètres carrés ou appartenant à 10 groupes concurrents, à 1,6 %, celle de Promodès à 3,6 % ; que par ailleurs, au regard de la pratique, il apparaît que le seuil applicable concernant la part de marché cumulée détenue par les entreprises ou organismes parties à l'accord ou à la pratique en cause, à l'époque non défini par la loi, était de 10 % sur un des marchés affectés par l'accord ou la pratique ; que l'Autorité a ensuite précisé que dans la zone de chalandise ainsi déterminée, les parts de marché cumulées du magasin sous enseigne Champion détenue par Promodès et du magasin objet du contrat de franchise auraient été, à l'époque de la rupture du contrat, comprises entre 5 et 6 % tandis que le réseau Promodes détenait sur le marché national de la grande distribution à dominante alimentaire une part de marché d'environ 11 % ; que l'Autorité a indiqué qu'il était probable que s'il y a eu un effet concurrentiel, il est resté limité et "dans des proportions qui permettent de douter qu'il aurait pu être suffisamment sensible à l'époque des faits" et a conclu : "Compte tenu des parts de marché cumulées de Prodim et de la société G&A Distribution, à l'époque des faits et eu égard sa durée, la clause de non-réaffiliation n'apparaît pas susceptible d'avoir eu un effet suffisamment sensible sur le marché" ; que la cour faisant sienne la motivation de l'Autorité sur ce point, constate que, compte tenu des parts de marché cumulées énoncées que la société Ségurel ne remet pas en cause, le seuil "de minimis" n'a pas été dépassé ;

Considérant que le jeu de la concurrence n'est pas affecté par la clause de non-réaffiliation ; que par conséquent, les conditions de validité de cette clause, tout particulièrement le savoir-faire protégeable dont les caractéristiques sont appréciées de manière plus stricte en droit de la concurrence qu'en droit commun du contrat de franchise et sur lesquelles les parties font de longs développements, n'ont pas à être examinées ;

Sur l'application de la clause aux faits de l'espèce en raison de la renommée de l'enseigne "Coccinelle" :

Considérant que la clause interdit la réaffiliation auprès d'une enseigne de renommée nationale ou régionale en même temps que la vente de produits de marque qui sont associés à cette enseigne, qu'en l'espèce, pour se prévaloir de l'absence de respect de la clause, les sociétés Prodim et CSF doivent rapporter la preuve que la renommée de l'enseigne "Coccinelle" proposée par la société Ségurel était nationale ou régionale, caractère contesté par la société Ségurel ;

Considérant que la renommée d'une enseigne doit s'entendre d'une notoriété ou d'une connaissance par un public étendu ; qu'elle doit s'apprécier au jour où l'enseigne Coccinelle a été apposée sur le magasin de la société G&A Distribution, soit en juillet 1997 ; que des documents de presse de l'époque sont versés aux débats selon lesquels le réseau de la société Francap qui détenait 11 % du marché de proximité, se déclinait en quatre enseignes, CocciMarket, Coccinelle Service, Coccinelle Marché et Coccinelle Supermarché, et a été réorganisé en 1997 pour proposer les seules enseignes Coccinelle et Coccimarket, avec 376 enseignes "Coccinelle" ; que toutefois ces éléments chiffrés sont insuffisants pour traduire la notoriété qu'avait dans l'esprit du public cette enseigne apparue depuis peu à l'époque des faits de sorte que l'application de la clause aux faits de l'espèce n'est pas justifiée ;

Considérant que la société Prodim doit être déboutée de sa demande ;

Sur la demande de dommages-intérêts de la société Ségurel :

Considérant que l'accès au juge est un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit ; que dégénère en abus l'exercice d'une action manifestement vouée à l'échec et intentée dans le dessein de nuire à l'adversaire ; que les demandes des sociétés CSF et Prodim n'étaient pas dénuées d'une certaine pertinence même si elles ne prospèrent pas ;

Considérant ainsi que le jugement sera infirmé en ce qu'il a alloué à la société Ségurel des dommages-intérêts et que la demande formée devant la cour sera rejetée,

Par ces motifs : LA COUR, Infirmant sur les dommages-intérêts, Déboute la société Ségurel de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, Confirme le jugement pour le surplus, Déboute la société Ségurel de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée devant la cour, Condamne les sociétés CSF et Prodim à verser à la société Ségurel la somme de 50 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles, Condamne les société CSF et Prodim aux entiers dépens qui seront recouvrés, pour ceux d'appel, avec le bénéfice des dispositions de l'art 699 du Code de procédure civile.