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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 3 juillet 2014, n° 12-19453

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mars Logistics (Sté)

Défendeur :

Somatrans International (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur

Avocats :

Mes Teytaud, Lepinoix, Cottin

T. com. Lyon, du 14 mars 2012

14 mars 2012

FAITS ET PROCÉDURE

La société de droit turc Mars Logistics (ci-après société Mars) exerce l'activité de transport de personnes, de biens et de marchandises et de fourniture de prestations de logistique.

La société Somatrans International (ci-après société Somatrans) est une filiale du groupe Somatrans, spécialisé dans l'activité de transport. Selon son extrait d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, elle a pour activités principales toutes opérations de transit, portfaitage, surveillance, magasinage, douane, manutention, consignation, acconage, commission, courtage de marchandises de toute nature, vente de ces marchandises à l'exportation et en France.

Pendant plusieurs années, la société Mars a confié des prestations à la société Somatrans mais, par courrier du 19 juin 2009, elle lui a fait savoir que leurs relations commerciales cesseraient à compter du 1er octobre suivant. La société Somatrans a alors considéré que la société Mars avait rompu brutalement leurs relations commerciales établies et l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Lyon en réparation du préjudice qui en serait résulté.

Par jugement du 14 mars 2012, le Tribunal de commerce de Lyon a :

- dit que les demandes de la société Somatrans International sont fondées et recevables ;

- dit que les dispositions visées à l'article L. 442-6 du Code de commerce s'appliquent à la présente espèce ;

- dit que les deux sociétés avaient des relations commerciales établies, et que la société Somatrans International avait une situation de dépendance économique ;

- dit que la société Mars Logistics a rompu unilatéralement et sans respecter un préavis suffisant les relations commerciales établies ;

- dit que le préavis devait être d'un an ;

- condamné par conséquent la société Mars Logistics à payer à la société Somatrans International la somme de 502 461,67 € au titre du préjudice consécutif à la perte de marge brute résultant du non-respect d'un préavis suffisant ;

- rejeté les demandes de la société Somatrans International au titre des préjudices consécutifs aux licenciements et à la rupture du bail commercial ;

- rejeté toutes les autres demandes des parties ;

- rejeté l'exécution provisoire du jugement ;

- condamné la société Mars Logistics à payer à la société Somatrans International la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté par la société Mars Logistics le 29 octobre 2012 contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées le 28 février 2014 par la société Mars Logistics, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- réformer le jugement du Tribunal de Commerce de Lyon du 14 mars 2012 en ce qu'il a condamné Mars à payer à Somatrans la somme de 502 461,67 euros à titre de dommages et intérêts et 4 000 euros d'article 700 et débouter Somatrans de l'ensemble de ses demandes ;

In limine litis,

- dire et juger que la société Somatrans International a eu connaissance des pièces de la société Mars Logistics en temps utile ;

- rejeter la demande de la société Somatrans International de rejet des pièces de la société Mars Logistics ;

I - Sur les conditions d'application de l'article L. 442-6 5 du Code de commerce :

- dire et juger que Somatrans ne justifie pas de la prétendue brutalité de la rupture ;

- constater que Somatrans a bénéficié de divers avertissements et était informée oralement, dès avril 2009, de la fin des relations fixée à octobre 2009 ;

- dire et juger que le préavis écrit de trois mois et 11 jours laissé à Somatrans était raisonnable ;

- dire et juger que les conditions d'application de l'article L. 442-6 5 du Code de commerce ne sont pas réunies ;

En conséquence,

- dire et juger n'y avoir lieu à application de l'article L. 442-6 5 du Code de commerce ;

- débouter Somatrans de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- infirmer la décision de première instance ayant condamné Mars à payer à la société Somatrans la somme de 502 461,67 euros et 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

II - En outre, sur le préjudice et son quantum :

Si par extraordinaire, la cour devait considérer que la rupture revêt un caractère brutale :

- constater que Somatrans a pris la décision de gestion unilatérale de cesser ses activités sans en justifier l'impérative nécessité pour, d'ailleurs, les transférer à sa maison mère ;

- dire et juger que ses préjudices allégués de perte de marge ne résident pas dans la brutalité mais dans un choix de gestion dont il n'est pas démontré qu'il serait imputable à Mars ;

- dire et juger que les préjudices allégués par Somatrans au titre des coûts de licenciement des salariés non spécifiquement attachés à l'activité pour la société Mars et de la résiliation, non établie, du bail, dont le loyer est un frais fixe, ne sont pas des préjudices indemnisables et ne sont pas imputables à Mars ;

- dire et juger que Somatrans ne justifie pas du chiffre d'affaires réalisé exclusivement avec Mars et que, dès lors, le montant de sa prétendue perte de marge n'est pas justifié,

- dire et juger que, par ailleurs, Somatrans ne verse pas de document probant susceptible de justifier une marge brute de 59,86 %, non conforme au secteur d'activité et à la crise du secteur, en outre, calculée de façon erronée sur le chiffre d'affaires global de Somatrans ;

- dire et juger que par son comportement (notamment avertissements vains de Mars, décision de fermeture temporaire de la société, imprudence par manque de développement de sa clientèle), Somatrans a participé à la réalisation de son préjudice allégué;

- réformer la décision de première instance ayant concédé à Somatrans un préavis de 12 mois notamment considéré comme excessif eu égard aux fautes commises par Somatrans ;

En conséquence :

- confirmer la décision déférée ayant rejeté les demandes indemnitaires de Somatrans au titre des préjudices résultant des licenciements et de la résiliation alléguée du bail ;

- infirmer la décision de première instance ayant condamné Mars à payer à la société Somatrans la somme de 502 461,67 euros au titre d'une prétendue perte de marge brute non justifiée dans son principe et dans son quantum, notamment eu égard aux fautes commises par Somatrans dans le cadre de sa relation avec Mars ;

III - En tout état de cause :

- condamner la société Somatrans International à payer à Mars Logistics la somme de 10 000 euros pour procédure déloyale ;

- condamner la société Somatrans International à payer à Mars Logistics la somme de 40 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile dont distraction au profit de Maître Teytaud ;

- Condamner Somatrans International aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux le concernant au profit de Maître Teytaud, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Sur l'incident de communication de pièces soulevé par l'intimé, la société Mars rappelle qu'elle a communiqué ses pièces le 25 janvier 2013 et que la société Somatrans en avait déjà une parfaite connaissance, puisque ces mêmes pièces lui avait été communiquées en première instance et devant la Cour d'appel de Lyon, laquelle s'était ensuite déclarée incompétente. Elle considère que dans ces conditions, le fait qu'elle n'ait pas communiqué ses pièces simultanément à ses premières conclusions d'appel devant la Cour de Paris n'a causé aucun grief à l'intimée. Elle souligne, enfin, que les articles 906 et 908 du Code de procédure civile, s'ils sanctionnent, par la caducité de l'appel, le défaut de signification de conclusions dans le délai de trois mois, n'attachent aucune sanction à la communication de pièces postérieurement aux conclusions.

Sur le fond, la société Mars indique qu'elle entretenait des relations croisées avec la société Somatrans : les sociétés Mars et Somatrans étaient, à la fois, clientes et prestataires l'une de l'autre, Somatrans réalisant des prestations de transport pour Mars, et Mars réalisant des prestations de transport pour Somatrans. Elle explique que le volume d'affaires était en baisse continue depuis 2006, sous l'effet de l'amplification de la concurrence, et qu'elle a donc décidé en 2009 de cesser son activité avec la société Somatrans en région Rhône-Alpes. Elle précise avoir d'abord prévenu oralement la société Somatrans de sa décision en avril 2009, puis par lettre du 19 juin 2009 en lui accordant un préavis de trois mois. Elle souligne qu'en fait, les relations se sont poursuivies après l'expiration du préavis, jusqu'au mois de décembre 2009.

Elle soutient que si la société Somatrans a, en octobre 2009, décidé de cesser son activité, elle a été ensuite reprise par le groupe auquel elle appartenait, et en particulier par la société Somatrans SAS qui a continué à effectuer des transports avec la Turquie.

La société Mars considère que les conditions d'application de l'article L. 442-6 5 du Code de commerce ne sont pas réunies. C'est ainsi qu'elle conteste que la rupture des relations ait été brutale, en précisant avoir, plus d'un an avant la résiliation, fait savoir à la société Somatrans que leurs relations commerciales devenaient difficilement viables compte tenu du contexte économique et de l'évolution de la concurrence. Elle rappelle que, dès 2006, elle avait demandé à son partenaire de revoir ses tarifs à la baisse, qu'en septembre 2008 son directeur général avait fait part à son homologue de la société Somatrans de son intention de cesser leurs relations commerciales, mais que la société Somatrans n'a pourtant jamais réagi en proposant des solutions alternatives ou des modifications de tarifs. Enfin, elle souligne que la société Somatrans n'a saisi le tribunal que le 31 mai 2010, soit un an après la lettre de résiliation.

La société Mars, par ailleurs, soutient que la société Somatrans n'était pas, comme elle le prétend, en situation de dépendance économique à son égard et que c'est à tort que le tribunal a jugé que la durée du préavis devait être d'une année, le délai de trois mois et demi qu'elle a accordé étant conforme à la jurisprudence.

Sur le préjudice allégué par la société Somatrans, elle soutient qu'il n'est nullement justifié, ni s'agissant de marge brute retenue, qu'elle juge exorbitante, ni s'agissant des licenciements auxquels il a été procédé. Elle souligne à cet égard que la décision prise par les actionnaires de la société Somatrans de cesser l'activité, pas plus que les lettres de licenciement ne font état de la perte des commandes de la société Mars.

La société Mars soutient, d'une part, que la marge brute de 60 % retenue par le tribunal est excessive, puisque selon l'Insee la marge brute moyenne en matière de transport est de l'ordre de 18 % et, d'autre part, que cette marge a été appliquée non au seul chiffre d'affaires réalisé par la société Somatrans avec elle, mais à son chiffre d'affaires global.

Enfin, la société Mars demande la condamnation de la société Somatrans à lui verser la somme de 10 000 euros pour procédure abusive, compte tenu de sa mauvaise foi.

Vu les dernières conclusions signifiées le 29 janvier 2013 par la société Somatrans, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- In limine litis, écarter l'ensemble des pièces invoquées par la société Mars Logistics au soutien de ses conclusions notifiées le 4 décembre 2012, et communiquées le 25 janvier 2013, soit postérieurement aux conclusions notifiées par l'intimée par application de l'article 909 du Code de procédure civile ;

- dire et juger fondées et recevables l'ensemble des prétentions de la société Somatrans International à l'encontre de la société Mars Logistics ;

- dire et juger que la relation existante entre les parties s'inscrit dans le cadre de l'article L. 442-6 du Code de Commerce ;

- dire et juger que la société Mars Logistics a rompu unilatéralement et sans respecter un préavis suffisant les relations commerciales établies ;

- constater que la société Mars Logistics a imposé au cours de la relation commerciale une situation de dépendance économique ;

- dire et juger qu'un préavis d'une durée d'un an était au minimum nécessaire pour permettre à la société Somatrans International de retrouver un niveau d'activité comparable à celui qui existait avant la rupture des relations commerciales ;

En conséquence,

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce en ce qu'il a condamné la société Mars Logistics à payer à la société Somatrans International la somme de 502 461,67 € au titre du préjudice consécutif à la perte de marge brute résultant du non-respect d'un préavis suffisant ainsi que la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du CPC ;

Le réformant pour le surplus et y ajoutant,

- condamner la société Mars Logistics au paiement au profit de la société Somatrans International des sommes suivantes :

. 104 191,66 € au titre du préjudice consécutif au coût des licenciements et des reprises de salariés causés par la brutalité de la rupture des relations commerciales établies ;

. 52 690 € HT au titre du préjudice consécutif à l'indemnité de rupture du bail commercial avant expiration due au bailleur ;

. 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de Maître Paul Cottin, Avocat, sur son affirmation de droit.

In limine litis, la société Somatrans soutient que la société Mars a produit tardivement ses pièces et qu'en conséquence celles-ci doivent être écartées des débats. Elle souligne que cette communication tardive a fait nécessairement échec à ses droits de la défense et à la loyauté des débats.

Sur le fond, elle indique d'abord que le groupe Somatrans est entré en 1990 en relations commerciales avec la société Mars. Celle-ci lui ayant demandé en 1993 d'intervenir en qualité d'"agent" sur la région Rhône-Alpes, une filiale, la société Somatrans International, a été créée et lui a été spécifiquement dédiée.

Elle souligne que la rupture n'est imputable qu'à la société Mars, qu'elle était à l'égard de celle-ci en situation de dépendance économique et que, compte tenu de l'ancienneté de leurs relations, c'est à juste titre que le tribunal a fixé à une année la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé.

Elle soutient qu'elle justifie parfaitement de son préjudice que le tribunal a réparé par l'allocation d'une somme de 502 461,67 euros. Elle demande, de surcroît, que soient réparés, à hauteur de 104 191,66 euros et 52 690 euros, les préjudices résultant des licenciements auxquels elle a dû procéder et de la rupture de son bail commercial.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur l'incident de communication de pièces

La société Somatrans fait valoir que la société Mars a communiqué ses pièces non pas simultanément à ses conclusions d'appelante du 21 novembre 2012, comme l'impose l'article 906 du Code de procédure civile, mais le 25 janvier 2013. Elle en conclut que les pièces en cause doivent être écartées des débats.

La cour observe que l'article 906 précité, qui prévoit que les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par les parties, n'assortit cette obligation d'aucune sanction spécifique.

Il convient, dès lors, de déterminer si, en communiquant ses pièces postérieurement à ses conclusions, la société Mars a porté atteinte aux principes de contradiction et de loyauté des débats.

Or, tel n'est pas le cas en l'espèce puisque, outre que, comme le soutient la société Mars sans être démentie, les pièces en cause avaient déjà été communiquées devant les premiers juges, puis devant la Cour d'appel de Lyon avant qu'elle se déclare incompétente, la société Somatrans pouvait, si elle entendait contester la pertinence des pièces communiquées, conclure à nouveau dans le cours de la procédure qui n'a été clôturée que le 6 mars 2014. La société Somatrans ne démontre donc pas qu'il a été porté atteinte aux principes de contradiction et de loyauté des débats et sa demande tendant à ce que soient écartées les pièces communiquées par la société Mars sera rejetée.

Sur la rupture des relations commerciales établies entre les sociétés Somatrans et Mars

Sur la date de la rupture des relations commerciales

Il est constant que la société Mars a notifié à la société Somatrans sa décision de mettre fin à leurs relations commerciales par une lettre du 19 juin 2009 ainsi rédigée (pièce Somatrans n° 21) :

"A la Direction Générale de Somatrans International,

Comme vous le savez, notre société a commencé sa collaboration avec Somatrans International le 1er mai 1990 qui a duré jusqu'à présent. Nous voudrons vous informer que Mars Logistics ne continuera plus ses activités dans la région Rhône-Alpes avec Somatrans International à partir du 1er octobre 2009. Nous vous remercions pour votre effort, pour la collaboration et pour l'amitié que vous avez montré pendant notre partenariat et souhaitons que nos relations amicales continuent pour toujours (...)".

La société Mars souligne qu'elle avait, dès avant l'envoi de ce courrier, fait savoir à la société Somatrans que leurs relations étaient devenues difficilement viables, compte tenu du contexte économique et de l'évolution de la concurrence. C'est ainsi qu'elle rappelle avoir demandé en 2006 à son partenaire de revoir ses tarifs à la baisse pour faire face à cette concurrence et que, lors d'une réunion tenue en septembre 2008, elle lui avait fait part de son intention de mettre fin à leurs relations qui n'étaient plus supportables commercialement, et elle déplore que la société Somatrans n'ait pas réagi et ne lui ait présenté aucune solution alternative. Enfin, elle ajoute que sa décision notifiée en juin 2009, avait été annoncée oralement au mois d'avril précédent.

Il n'est pas douteux, au vu des pièces produites, que la société Mars a effectivement informé la société Somatrans de ses inquiétudes quant à l'exacerbation de la concurrence et à la baisse de son activité sur la région Rhône-Alpes (courriel du 15 mai 2006 adressé par la société Mars à la société Somatrans pièce appelante n° 1) et qu'elle l'a alertée sur le risque que leurs relations commerciales soient remises en cause à défaut d'une révision à la baisse des tarifs pratiqués (attestations de MM. Birand Askoy et Ange Dahan pièces appelante n° 19 et 37). Il n'en reste pas moins que la décision de rompre les relations commerciales qui étaient établies n'a été clairement et formellement notifiée, dans les formes prescrites par l'article L. 442-6 5 du Code de commerce, que par le courrier ci-dessus rappelé du 19 juin 2009. Sur ce point, le fait que M. Birand Askoy, représentant de la société Mars, ait, au cours d'une conversation téléphonique tenue en avril 2009, informé M. Dahan, à l'époque associé de la société Somatrans, que sa direction avait pris la décision définitive de cesser toute activité avec la société Somatrans à compter du 30 septembre suivant (attestation de M. Ange Dahan du 30 juillet 2012, p. 3 pièce appelante n° 37) ne saurait valoir "préavis écrit" au sens de ce texte. C'est donc au 19 juin 2009, date du courrier annonçant la rupture, qu'il convient de se placer pour déterminer si un préavis d'une durée suffisante a été laissé à la société Somatrans.

A cet égard, les parties conviennent que leurs relations commerciales ont débuté en 1990 et qu'elles se sont poursuivies sans interruption jusqu'à leur rupture à l'initiative de la société Mars en 2009, même s'il est avéré que le volume des commandes passées par la société Mars avait baissé depuis 2006. Dans ses écritures, l'appelante relève "incidemment" qu'en matière de transport, le contrat-type approuvé par le décret du 26 décembre 2003 fixe à trois mois la durée du préavis à respecter quand la relation est supérieure à un an (art. 12-3 de l'annexe au décret n° 2003-1295 portant approbation du contrat-type applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants) ; mais comme le tribunal l'a relevé, la société Somatrans ne fournissait pas des prestations de transport, - ou alors, comme le reconnaît la société Mars, elle n'en fournissait qu'à titre accessoire -, mais des prestations de logistique comprenant la réception, le stockage et la gestion de marchandises. Aussi est-ce à juste titre que le tribunal a considéré que, compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales en cause, la société Somatrans aurait dû bénéficier d'un préavis d'une durée d'une année.

Or, la société Mars n'a accordé qu'un préavis de trois mois et onze jours, puisqu'elle a annoncé dans son courrier du 19 juin 2009 que les relations prendraient fin le 1er octobre 2009. Elle prétend, néanmoins, que les relations se sont poursuivies jusqu'en décembre 2009 et qu'il faut en conséquence considérer que le préavis a, en réalité, été de six mois. Elle produit à l'appui de cette allégation un tableau de facturation, établi par son commissaire aux comptes, d'où il ressort que la société Somatrans lui aurait facturé en octobre, novembre et décembre 2009 les sommes, respectivement, de 20 567,07 euros, 4 376,93 euros et 132 euros (pièce appelante n° 6). Ce document, cependant, est à lui seul insuffisant à établir que les relations se sont effectivement poursuivies, alors que la société Somatrans soutient que ces facturations concernaient des prestations antérieures au 1er octobre 2009 et que la société Mars ne produit pas les factures correspondantes.

La responsabilité de la société Mars est donc engagée pour n'avoir accordé qu'un préavis de trois mois et onze jours à la société Somatrans, dont le préjudice consiste dans la perte de marge brute qu'elle aurait réalisée si ce préavis avait duré une année complète. Il convient donc de déterminer le montant de cette marge sur la durée de huit mois et dix-neuf jours dont elle a été privée, cette marge étant rapportée au chiffre d'affaires annuel moyen des trois dernières années d'activité.

La société Somatrans affirme dans ses écritures que son chiffre d'affaires annuel réalisé avec la société Mars a été pour les exercices clos aux 30 avril 2007, 30 avril 2008 et 30 avril 2009 de, respectivement, 1 168 221,24 euros, 1 229 225,40 euros et 959 930,10 euros. Cependant, elle ne justifie pas ces données, qui sont par ailleurs contestées par la société Mars. En effet, les pièces qu'elle produit attestent du chiffre d'affaires total (comptes annuels aux 30 avril 2007, 30 avril 2008, 30 avril 2009 pièces n° 18, 19 et 20) et de la marge brute, exprimée en valeur absolue et en pourcentage, qu'elle a dégagés durant ces mêmes exercices (attestation de l'expert-comptable de la société Somatrans pièce n° 25), mais elles n'établissent pas la part de chiffre d'affaires réalisée avec la société Mars. Celle-ci, en revanche, produit une attestation de son commissaire aux comptes, traduite en langue française (pièce n° 6), d'où il ressort que pour les années calendaires 2007, 2008 et 2009, le chiffre d'affaires réalisé avec la société Somatrans s'est élevé à, respectivement, 496 152,36 euros, 457 233,67 euros et 313 237,54 euros. Force est donc, pour calculer le préjudice subi par la société Somatrans, de retenir ces montants, d'où il ressort, sur douze mois, un chiffre d'affaires moyen de 422 207,85 euros.

En ce qui concerne la marge brute, la société Somatrans produit une attestation de son expert-comptable selon laquelle le taux moyen de cette marge sur les exercices 2007, 2008 et 2009 s'est élevé à 59,86 %. La société Mars juge ce taux excessif et prétend que la marge habituellement constatée dans le domaine du transport n'excède pas 18 %. Mais, ainsi que la cour l'a relevé, les prestations fournies par Somatrans ne consistaient pas, au moins principalement, dans des prestations de transport. Aussi, faute pour la société Mars d'apporter des éléments propres à écarter le taux attesté par l'expert-comptable, ce taux sera retenu par la cour et appliqué sur la durée de huit mois et dix-neuf jours. Dès lors, sur la base d'une marge brute annuelle de 252 733,62 euros (422 207,85 euros X 0,5986) et mensuelle de 21 061,13 euros (252 733,62 euros : 12), le montant des dommages et intérêts dus à la société Somatrans s'élève à 181 827,24 euros ( [21 061,13 euros X 8] + [21 061,13 euros : 30 X 19]). Le jugement sera donc réformé sur ce point.

Subsidiairement, la société Mars soutient que la société Somatrans ayant eu un comportement fautif, l'indemnité qui lui serait accordée doit être réduite. Si elle évoque, à ce titre, le fait que la société Somatrans, selon elle, n'a pas tenu compte des avertissements qui lui avaient été donnés et a refusé de faire des efforts tarifaires et de chercher de nouveaux clients, force est de constater que ces seules allégations ne caractérisent pas les fautes qu'elle lui reproche.

Sur les demandes d'indemnité au titre de préjudices supplémentaires

La société Somatrans soutient que la brutalité de la rupture de ses relations commerciales établies avec la société Mars a entraîné des préjudices supplémentaires résultant, d'une part, de la désorganisation de sa production et, d'autre part, de la rupture de son bail commercial.

En ce qui concerne la désorganisation de sa production, la société Somatrans fait valoir qu'elle a été contrainte de licencier pour motif économique deux salariés et d'en affecter trois dans d'autres sociétés de son groupe, et qu'elle a dû à ce titre supporter un coût total de 104 191,66 euros. Mais elle se borne à affirmer, sans le démontrer, que ces décisions ont été la conséquence de la brutalité de la rupture de ses relations commerciales avec la société Mars et elle ne justifie pas qu'il en est résulté pour elle un autre préjudice que celui déjà réparé par l'allocation de dommages et intérêts. Sa demande sera donc rejetée.

En ce qui concerne la rupture de son bail commercial, la société Somatrans expose qu'elle a dû supporter jusqu'au 1er mai 2011, date à laquelle ce bail a pris fin, le paiement de loyers alors qu'à cause de la rupture de ses relations avec la société Mars, les locaux loués étaient "devenus quasiment inutiles" pour elle ; elle réclame à ce titre une indemnité de 52 690 euros correspondant à onze mois de loyers. A l'appui de cette demande, elle produit le bail qu'elle a signé le 29 avril 1993 pour une durée de 23 mois, mais ne justifie ni du montant actuel du loyer, ni de ce que ce bail ayant été depuis renouvelé, a pris fin le 1er mai 2011, pas plus qu'elle ne démontre que les locaux loués n'étaient affectés qu'à son activité avec la société Mars. Surtout, la société Somatrans n'établit par aucun élément de preuve que l'inoccupation de ce local, à la supposer avérée, a constitué pour elle un préjudice distinct de celui que les dommages et intérêts alloués ont pour objet de réparer. Sa demande sera donc également rejetée.

Sur la demande de condamnation pour procédure abusive

Le tribunal puis la cour ayant fait droit, partiellement, aux demandes de la société Somatrans, l'action qu'elle a entreprise contre la société Mars ne saurait être considérée comme abusive. La demande formée de ce chef par la société Mars sera donc rejetée.

Sur les frais irrépétibles

Il n'apparaît pas justifié, au regard des éléments du dossier, de prononcer de condamnation au regard de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Rejette la demande de la société Somatrans International tendant à ce que soient écartées des débats les pièces communiquées par la société Mars Logistics ; Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a fixé à la somme de 502 461,67 euros les dommages et intérêts dus à la société Somatrans International par la société Mars Logistics au titre du non-respect d'un préavis suffisant ; Statuant à nouveau, Condamne la société Mars Logistics à payer à la société Somatrans International la somme de 181 827,24 euros à titre de dommages et intérêts ; Dit n'y avoir lieu à condamnation en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes les demandes autres, plus amples ou contraires des parties ; Condamne la société Mars Logistics au paiement des dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.