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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 1 juillet 2014, n° 13-09208

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Scamark (SASU)

Défendeur :

Conserveries des Cinq Océans (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Acquaviva

Conseillers :

Mmes Guihal, Dallery

Avocats :

Mes Grappotte-Benetreau, Michel, Fromantin, Ruy

T. arb. Paris, du 15 avr. 2013

15 avril 2013

La SASU Scamark, chargée de la conception et du développement des marques distributeurs de l'enseigne E. Leclerc, et la SAS Conserveries des Cinq Océans (CCO), spécialisée dans la transformation et la commercialisation de produits halieutiques appertisés, ont entretenu des relations commerciales renouvelées portant sur la fabrication de conserves de thon sous la marque distributeur "Pêche Océan".

Un différend étant survenu entre les parties, CCO a mis en œuvre la clause compromissoire stipulée par le contrat de fabrication du 13 novembre 2006.

Par une sentence rendue à Paris le 15 avril 2013, le tribunal arbitral ad hoc composé de MM. Fabre et Fages, arbitres, et de M. Merle, président, a, en substance, condamné Scamark à rembourser à CCO la somme de 323 468,84 euro au titre de pénalités indûment perçues pour les années 2010 et 2011, a validé les compensations opérées par Scamark pour l'année 2012, a condamné Scamark à payer à CCO la somme de 100 000 euro à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de bonne foi à l'occasion de demandes de hausse de prix de CCO, s'est déclaré compétent pour statuer sur les demandes de CCO relatives à la rupture des relations, condamné Scamark de ce chef à payer la somme de 2 500 000 euro de dommages-intérêts.

Le 6 mai 2013, Scamark a formé un recours contre cette sentence.

Par des conclusions signifiées le 18 février 2014, elle en sollicite l'annulation en ce qu'elle l'a condamnée à payer la somme de 2 500 000 euro à titre de dommages-intérêts pour rupture des relations établies.

Elle invoque l'incompétence du tribunal arbitral pour statuer sur ce chef de demande.

Elle évalue à 150 000 euro ses frais irrépétibles de procédure.

Par des conclusions signifiées le 19 décembre 2013, CCO demande à la cour de débouter Scamark de ses demandes et de la condamner à payer la somme de 50 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

SUR QUOI :

Sur le moyen unique tiré de l'incompétence du tribunal arbitral (article 1492 1° du Code de procédure civile) :

Scamark soutient que le tribunal arbitral s'est à tort déclaré compétent alors, d'une part, que l'application des dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6 du Code de commerce relèvent de la compétence exclusive des juridictions désignées par l'article D. 442-3 du même Code, d'autre part, qu'il s'agit d'une action à caractère délictuel non comprise dans le champ de la clause compromissoire, enfin, que cette clause vise la résiliation du contrat et non la rupture des relations contractuelles.

Considérant que saisie d'un recours en annulation d'une sentence arbitrale, la cour d'appel contrôle la décision du tribunal sur sa compétence en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier l'existence de la convention d'arbitrage ;

Considérant que CCO et Scamark entretenaient des relations commerciales portant sur la fabrication par la première de conserves de poissons sous la marque de distributeur de la seconde ;

Qu'en mai 2012, CCO a mis en œuvre la clause compromissoire stipulée par le contrat du 13 novembre 2006 afin, notamment, d'obtenir sur le fondement de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce l'indemnisation du préjudice qu'elle alléguait avoir subi en raison de l'insuffisance, au regard de relations commerciales établies depuis 1993, des délais de préavis dont elle avait bénéficié, d'une part, lors d'un déréférencement partiel en août 2010, d'autre part, à la suite du rejet de l'ensemble de ses soumissions à l'appel d'offres lancé par Scamark le 5 octobre 2011 ;

Sur le moyen pris en sa première branche :

Considérant, en premier lieu, qu'il appartient aux arbitres, sous le contrôle du juge de l'annulation, d'appliquer les règles d'ordre public; que la seule circonstance que de telles dispositions régissent le fond du litige n'a pas pour effet d'exclure le recours à l'arbitrage, dès lors que, par leur nature, les demandes des parties ne sont pas inarbitrables ;

Considérant, en second lieu, que si les articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce attribuent de manière impérative à certains tribunaux et, en appel, à la seule Cour de Paris, la connaissance des pratiques restrictives de concurrence, et si le premier de ces textes offre aux juges la faculté de solliciter l'avis de la Commission d'examen des pratiques commerciales, de telles dispositions ont pour objet d'adapter les compétences et les procédures judiciaires à la technicité de ce contentieux mais non de le réserver aux juridictions étatiques ;

Que la circonstance que l'article L. 442-6 du Code de commerce investisse le Ministère public et le ministre chargé de l'Economie d'une action autonome devant les juridictions étatiques aux fins de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence par la cessation des pratiques illicites et l'application d'amendes civiles n'a pas davantage pour effet d'exclure le recours à l'arbitrage pour trancher les litiges nés, entre les opérateurs économiques, de l'application de ce même texte ;

Considérant que l'action dirigée par une partie à l'encontre de son co-contractant, aux fins d'indemnisation du préjudice qu'elle prétend résulter de la rupture de relations commerciales établies, n'étant pas de celles dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques, le moyen pris en sa première branche n'est pas fondé ;

Sur le moyen pris en ses deuxième et troisième branches :

Considérant que le contrat conclu le 13 novembre 2006 fixe les caractéristiques de fabrication, de composition et d'emballage des produits, énumérés en annexe, dont Scamark confie la fabrication à CCO, ainsi que les conditions de publicité de ces produits et les modalités de leur livraison et de leur règlement ;

Qu'il comporte une clause compromissoire qui prévoit le recours à l'arbitrage pour trancher "les différends qui viendraient à naître à propos de la validité, de l'interprétation, de l'exécution ou de l'inexécution, de l'interruption ou de la résiliation du présent contrat" ;

Considérant qu'il résulte tant de l'économie de la convention, qui règle l'ensemble des rapports contractuels entre les parties, que de la généralité des termes de la clause compromissoire, que la commune intention des co-contractants a été de soumettre à l'arbitrage tous les litiges découlant du contrat, au cours de son exécution ou après sa cessation, sans s'arrêter à la qualification contractuelle ou délictuelle de l'action engagée, ni exclure la prise en considération par les arbitres de toutes les circonstances permettant d'apprécier les conséquences de la rupture, fussent-elles antérieures à la conclusion de la convention ;

Considérant que le moyen tiré de l'incompétence du tribunal arbitral n'est donc pas davantage fondé en ses deuxième et troisième branches ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile :

Considérant que Scamark, qui succombe, ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile; qu'elle sera condamnée sur ce fondement, à payer à CCO la somme de 50 000 euro ;

Par ces motifs : LA COUR, Rejette le recours en annulation de la sentence rendue entre les parties le 15 avril 2013, Condamne la SASU Scamark aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne la SASU Scamark à payer à la SAS Conserveries des Cinq Océans la somme de 50 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.