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Décisions

CA Rennes, premier président, 2 juillet 2014, n° 13-03544

RENNES

Ordonnance

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Poumarède

TGI Quimper, JLD, du 12 nov. 2012

12 novembre 2012

FAITS, PROCEDURE, MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES

Statuant par ordonnance du 12 novembre 2012 rendue au visa de l'article L. 450-4 du Code de commerce sur la requête de la DIRECCTE Pays de la Loire (Direction Régionale des Entreprises de la Concurrence de la Consommation du Travail et de l'Emploi des Pays de Loire, Pôle Concurrence Consommation, Répression des Fraudes et Métrologie) en date du 7 novembre précédent, le Juge des Libertés et de la Détention de Quimper a autorisé et à cet effet donné commissions rogatoires aux Juges des Libertés et de la Détention de Brest et Saint-Brieuc, les visites et saisies notamment dans les locaux de la société X à Saint-Brieuc et Brest destinées à la preuve de pratiques prohibées par l'article L. 420-1, 2 et 4 du même Code dans le secteur des transports publics routiers de voyageurs.

Les Juges des Libertés et de la Détention de Brest et Saint-Brieuc ont désigné les chefs de services compétents dans leurs ressorts par ordonnances des 14 et 15 novembre 2011.

Par déclaration faite au greffe du Tribunal de grande instance de Quimper le 29 novembre 2011 la société X a fait appel de l'ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention de Quimper (RG 13-03544).

Appelante, la société X Nous demande de :

Vu les articles 6 § 1 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales,

Vu les articles L. 450-4, L. 450-5 et D. 450-3 du Code de commerce,

Annuler, avec toutes les conséquences de droit l'ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention du Tribunal de grande instance de Quimper, en date du 12 novembre 2012.

A titre principal,

En ce que le juge n'a pas vérifié que le ministre chargé de l'Economie avait, conformément aux exigences des articles L. 450-5 et D. 450-3 du Code de commerce, informé le Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, avant leur déclenchement, des investigations qu'il souhaitait voir mener, et dès lors n'a pas procédé au contrôle qui lui incombait aux termes des dispositions de l'article L. 450-4 alinéa 2 du Code de commerce.

A titre subsidiaire,

En ce que l'ordonnance ne mentionnait pas la possibilité pour la société X de saisir le Juge des Libertés et de la Détention, par l'intermédiaire des officiers de police judiciaire, en cas de difficulté au cours des opérations, en violation des dispositions de l'article L. 450-4 alinéa 3 et 4 du Code de commerce et de l'article R. 450-2 du Code de Commerce.

A titre très subsidiaire,

En ce que l'ordonnance a autorisé des visites et saisies en l'absence de présomptions de l'existence des pratiques recherchées et n'est donc pas fondée, contrairement aux exigences de l'article L. 450-4 du Code de commerce.

A titre très très subsidiaire,

En ce que l'autorisation de visites et saisies n'était pas limitée géographiquement, alors que les entreprises concernées sont toutes d'envergure purement locale, et était par conséquent injustifiée et disproportionnée au regard des prescriptions de l'article L. 450-4 du Code de commerce.

Par voie de consequence,

Annuler tous actes prenant appui sur ladite ordonnance.

Ordonner la restitution de l'ensemble des documents saisis sur le fondement de ladite ordonnance.

Interdire à toute personne ou autorité autre que leur propriétaire de faire usage desdits documents.

Dire qu'aucun double ou copie desdits documents ne pourra être utilisé par une personne ou autorité autre que leur propriétaire.

En toute hypothèse,

Condamner Monsieur le ministre chargé de l'Economie, représenté par Madame le Directeur Général de la DGCCRF et par Monsieur le Directeur Régional adjoint, responsable du pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie de la Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi (DIRECCTE) des Pays de la Loire, Chef de la Brigade Interrégionale des Enquêtes de Concurrence (BIEC) Bretagne, Pays de la Loire, Centre, aux entiers dépens.

Intimé, le ministre chargé de l'Economie, représenté par la DIRECCTE Pays de la Loire, Nous demande de : Déclarer régulière l'ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention de Quimper autorisant les opérations de visite et de saisie dans les locaux de la société X à Brest et Saint-Brieuc.

Condamner la société X aux dépens.

MOTIFS

Considérant qu'au soutien de son appel et de la nullité de l'ordonnance la société X fait valoir successivement que :

1- Le juge n'a pas vérifié que le ministre chargé de l'Economie avait, conformément aux exigences des articles L. 450-5 et D. 450-3 du Code de commerce, informé le Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, avant leur déclenchement, des investigations qu'il souhaitait voir mener, et dès lors n'a pas procédé au contrôle qui lui incombait aux termes des dispositions de l'article L. 450-4 alinéa 2 du Code de commerce.

2- L'ordonnance ne mentionnait pas la possibilité pour la société X de saisir le Juge des Libertés et de la Détention, par l'intermédiaire des officiers de police judiciaire, en cas de difficulté au cours des opérations, en violation des dispositions de l'article L 450-4 alinéa 3 et 4 du Code de commerce et de l'article R. 450-2 du Code de commerce.

3- L'ordonnance a autorisé des visites et saisies en l'absence de présomptions de l'existence des pratiques recherchées et n'est donc pas fondée, contrairement aux exigences de l'article L. 450-4 du Code de commerce.

4- L'autorisation de visites et saisies n'était pas limitée géographiquement, alors que les entreprises concernées sont toutes d'envergure purement locale, et était par conséquent injustifiée et disproportionnée au regard des prescriptions de l'article L. 450-4 du Code de commerce.

SUR CE :

1- L'information par le ministre du Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence

Considérant que selon les articles L. 450-5, D. 450-3 et L. 450-4 alinéa 2 du Code de commerce :

L. 450-5 : Le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence est informé avant leur déclenchement des investigations que le ministre chargé de l'Economie souhaite voir diligenter sur des faits susceptibles de relever des articles L. 420-1, L. 420-2, L. 420-2-1 et L. 420-5 ou d'être contraires aux mesures prises en application de l'article L. 410-3 et peut, dans un délai fixé par décret, en prendre la direction.

D. 450-3 : I. - Le ministre chargé de l'économie informe le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence des investigations qu'il souhaite entreprendre sur des faits susceptibles de relever des articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5. Il lui transmet les documents en sa possession justifiant le déclenchement d'une enquête.

Le rapporteur général peut prendre la direction de ces investigations dans le délai d'un mois à compter de la réception des documents susmentionnés, auquel cas il en informe le ministre. Dans l'hypothèse où le rapporteur général écarte cette possibilité ou n'a pas informé, dans un délai de trente-cinq jours suivant la réception des documents, le ministre des suites données, le ministre chargé de l'Economie peut faire réaliser les investigations par ses services.

L. 450-4 alinéa 2 : Le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du présent Code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée.

Considérant que les dispositions de l'article L. 450-4 imposant d'aviser le rapporteur Général de tout projet d'enquête a uniquement pour but de lui permettre d'en prendre la direction et ainsi de coordonner les recherches destinées à la preuve d'infractions qu'il est chargé de poursuivre ; qu'il s'agit d'une mesure interne qui ne fait pas grief à la société X et n'avait pas besoin d'être mentionnée dans l'ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention autorisant les visites et saisies dans les locaux de cette entreprise de transport, cela d'autant moins d'une part que le ministre de l'Economie exerçait ses pouvoirs propres d'enquête et que d'autre part, avisé, le Rapporteur a fait savoir par lettre du 20 octobre 2011 qu'il ne comptait pas prendre la direction des opérations.

2- L'information sur la possibilité de saisir le Juge des Libertés et de la Détention en cas de difficultés au cours des opérations.

Considérant que selon les articles L. 450-4 alinéa 3, 4 et 5 et R. 450-2 alinéa 1 du Code de commerce :

L. 450-4 alinéas 3, 4 et 5 :

(alinéa 3) Le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du présent Code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée.

(alinéa 4) La visite et la saisie s'effectuent sous l'autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. Il désigne le chef du service qui devra nommer les officiers de police judiciaire chargés d'assister à ces opérations et d'apporter leur concours en procédant le cas échéant aux réquisitions nécessaires, ainsi que de le tenir informé de leur déroulement. Lorsqu'elles ont lieu en dehors du ressort de son tribunal de grande instance, il délivre une commission rogatoire pour exercer ce contrôle au juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel s'effectue la visite.

(alinéa 5) Le juge peut se rendre dans les locaux pendant l'intervention. À tout moment, il peut décider la suspension ou l'arrêt de la visite.

R. 450-2 (alinéa 1): L'ordonnance mentionnée à l'article L. 450-4 indique les voies et délais de recours dont dispose l'occupant des lieux ou son représentant.

Considérant qu'il est fait grief à l'ordonnance attaquée de n'avoir pas mentionné la faculté pour la personne visée de saisir le Juge des Libertés et de la Détention de tout incident au cours des opérations effectuées chez elle.

Mais que d'une part, l'ordonnance mentionne les recours visés par ces textes, c'est-à-dire l'appel contre l'ordonnance elle-même et la contestation du déroulement de la visite et des saisies effectuées en exécution de celle-ci; que d'autre part, la présence sur les lieux d'un Officier de Police Judiciaire chargé de tenir informé du déroulement des opérations le Juge des Libertés et de la Détention qui l'a désigné n'ouvre aucun recours de l'occupant des lieux lui permettant de saisir le magistrat de difficultés éventuelles ; qu'elle permet en réalité à cet officier soit de solliciter des instructions du magistrat pour remédier aux difficultés de toutes origines rencontrées sur place soit de les résoudre proprio motu; qu'aucune mention à ce titre n'était dès lors nécessaire dans l'ordonnance frappée d'appel.

3- L'absence de présomptions de l'existence des pratiques recherchées

Considérant que selon l'article L. 450-4 alinéa 3 du Code de commerce :

Le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du présent Code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée. Considérant que la simple lecture à la fois de la requête et de l'ordonnance qui s'en approprie les motifs et les conforte par les siens permet de constater qu'il existe des présomptions de violation des 2 et 4 de l'article L. 420-1 du Code de commerce selon lequel :

Sont prohibées, même par l'intermédiaire direct ou indirect d'une société du groupe implantée hors de France, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :

1° Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;

2° Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;

3° Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;

4° Répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.

Qu'en effet le premier juge énumère dans le détail les pièces annexées à la requête et recueillies en application des articles L. 450-2, L. 450-3 et L. 450-7 du Code de commerce ; qu'il précise et a vérifié comme à présent Nous-même, qu'elles étaient apparemment licites pour provenir à la fois de la consultation de sites Internet et de banques de données électroniques accessibles au public, de l'exercice apparemment régulier par l'Administration de son droit de communication, de l'exercice par les agents de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes de leur droit de siéger en commission de délégation de service public en tant que membres à voix consultative, de détenir et exploiter à ce titre, les rapports d'analyse et de classement des offres et autres documents remis à tous les membres de droit ;

Que les présomptions de pratiques anti concurrentielles doivent non pas être examinées séparément comme le propose la société X mais appréciées dans leur ensemble ; qu'il s'agit non pas d'indices graves précis et concordants mais de simples indices faisant présumer l'existence de pratiques illicites propres à légitimer des investigations plus approfondies.

Que le cumul des anomalies constatées tenant à une présentation quasi uniforme des réponses aux offres comportant des chiffrages indifférenciés et par suite vraisemblablement sans rapport avec l'activité réelle, le désintérêt des autres entreprises à l'égard de marchés précédemment détenus par un concurrent direct ou indirect, la postulation exclusive directe ou indirecte pour des marchés antérieurement détenus constituent des indices faisant présumer une violation notamment des 2 et 4 de l'article L. 420-1 du Code de commerce ayant entraîné une hausse sensible des tarifs et de la contribution départementale ainsi qu'un choix très limité de cette collectivité dans l'attribution des marchés en raison d'une concurrence apparemment faussée; qu'il était dès lors nécessaire pour l'Administration de vérifier dans les entreprises concernées et spécialement la société X, la nature des relations entretenues entre elles avant le dépôt de leur dossier de candidature jusqu'à la publication des attributions des marchés en cause pour établir leur concertation à ce stade seulement présumée et la réalité de l'activité ayant servi au calcul quasi indifférencié de leurs tarifs par chacune d'elles faisant sérieusement soupçonner leur entente au détriment du donneur d'ordre public.

Que l'existence de tels indices suffit à justifier dans son principe l'autorisation requise sans qu'il y ait lieu à ce stade préliminaire pour le Juge des Libertés et de la Détention ni pour le délégué du premier président de se livrer à l'analyse approfondie du rôle et des structures de chacun qui nécessite précisément la collecte de plus amples informations au sein des entreprises soupçonnées de pratiques anticoncurrentielles ;

4- La disproportion des mesures ordonnées

Considérant que l'autorisation demandée et obtenue non contradictoirement avait pour but la réalisation inopinée d'investigations simultanées au sein d'entreprises soupçonnées de se concerter pour fausser la concurrence entre elles et dont en raison de leur apparente connivence il y avait tout lieu de craindre qu'elles ne cherchent à échapper à l'enquête en soustrayant les éléments de preuve recherchés.

Considérant qu'en autorisant dans ces conditions des visites et d'éventuelles saisies au sein des entreprises de transport concernées par les appels d'offres du département du Finistère apparemment victime de leur comportement et en limitant leur exécution aux lieux occupés par ces entreprises qu'il désigne précisément, le premier juge a permis des mesures limitées et proportionnées à leur objet.

Considérant que l'ordonnance sera confirmée en toutes ses dispositions.

Considérant que la société X, qui succombe, supportera les dépens ;

Par ces motifs : Confirme l'ordonnance rendue le 12 novembre 2012 par le Juge des Libertés et de la Détention de Quimper. Déboute la société X de toutes ses demandes. Y Ajoutant Condamne la société X aux dépens.