Livv
Décisions

CA Rennes, premier président, 2 juillet 2014, n° 13-03546

RENNES

Ordonnance

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Poumarède

TGI Quimper, JLD, du 12 nov. 2012

12 novembre 2012

FAITS, PROCEDURE, MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Statuant par ordonnance du 12 novembre 2011 rendue au visa de l'article L. 450-4 du Code de commerce sur la requête de la DIRECCTE Pays de la Loire (Direction Régionale des Entreprises de la Concurrence de la Consommation du Travail et de l'Emploi des Pays de Loire, Pôle Concurrence Consommation, Répression des Fraudes et Métrologie) en date du 7 novembre précédent, le Juge des Libertés et de la Détention de Quimper a autorisé et à cet effet donné commissions rogatoires aux Juges des Libertés et de la Détention de Brest et Saint-Brieuc, les visites et saisies notamment dans les locaux de la société X à Saint-Brieuc et Brest destinées à la preuve de pratiques prohibées par l'article L. 420-1, 2 et 4 du même Code dans le secteur des transports publics routiers de voyageurs.

Les Juges des Libertés et de la Détention de Brest et Saint-Brieuc ont désigné les chefs de services compétents dans leurs ressorts par ordonnances des 14 et 15 novembre 2011.

Par déclaration faite au greffe du Tribunal de grande instance de Quimper le 29 novembre 2011 la société X après avoir fait appel de l'ordonnance par déclaration du même jour a exercé un recours en nullité contre les opérations de visite et de saisies effectuées dans ses locaux à Brest et Saint-Brieuc le 22 (RG 13-03546) en exécution de l'ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention de Quimper rendue le 12 novembre précédent.

La présente décision ne concerne que le recours contre les opérations de visite et de saisies effectuées dans les locaux de la société X à Brest et Saint-Brieuc le 22 novembre 2011 en exécution de l'ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention de Quimper rendue le 12 novembre précédent. Demanderesse au recours, la société X Nous demande de :

Vu l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales,

Vu les articles L. 450-4 et R. 450-2 du Code de commerce,

Vu l'article 56 du Code de procédure pénale,

I- Annuler, avec toutes les conséquences de droit, les opérations de visite et saisie diligentées le 22 novembre 2012 par la DIRECCTE Pays de la Loire dans les locaux de la société X situés <adresse> :

A titre principal,

En raison des graves violations des droits de la défense dont la société X a été l'objet durant les opérations de visites et saisies :

La société X n'a pas été informée de son droit de saisir le Juge des Libertés et de la Détention en cas de difficulté lors du déroulement des opérations, conformément aux dispositions de l'article L. 450-4 alinéa 3 et 4 du Code de commerce ;

Les enquêteurs ont porté atteinte à la liberté d'aller et venir des personnes concernées, en violation des droits fondamentaux reconnus par la Constitution.

A titre subsidiaire,

En ce que les opérations de visites et saisies ont donné lieu à des saisies massives et indiscriminées de messageries informatiques, en violation des dispositions de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

A titre très subsidiaire,

En ce que les opérations de visites et saisies ont donné lieu à la saisie de documents couverts par le secret de la correspondance avocat-client, en violation de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et de documents couverts par la prescription, en violation de l'article L. 462-7 du Code de commerce.

A titre très très subsidiaire,

En ce que l'inventaire dressé par les enquêteurs ne permet pas au Premier Président de la cour d'appel d'exercer un contrôle effectif sur les opérations de visite et saisie.

II- Annuler, avec toutes les conséquences de droit, les opérations de visite et saisie diligentées le 22 novembre 2012 par la DIRECCTE Pays de la Loire dans les locaux de la société X situés [...] :

A titre principal,

En ce que la société X n'a pas été informée de son droit de saisir le Juge des Libertés et de la Détention en cas de difficulté lors du déroulement des opérations, conformément aux dispositions de l'article L 450-4 alinéa 3 et 4 du Code de commerce, ce qui a porté atteinte aux droits de la défense.

A titre subsidiaire,

En ce que le procès-verbal de visite et saisie dressé le 22 novembre 2012 n'indique pas dans quel bureau les documents rassemblés dans le scellé n° 3 ont été saisis, ce qui ne permet pas au Premier Président de la cour d'appel d'exercer un contrôle effectif sur les opérations de visite et saisie.

Par voie de consequence,

Ordonner la restitution de l'ensemble des documents saisis le 22 novembre 2012 dans les locaux de la société X situés <adresse>, d'une part, et <adresse>, d'autre part.

Interdire à toute personne ou autorité autre que leur propriétaire de faire usage desdits documents.

Dire qu'aucun double ou copie desdits documents ne pourra être utilisé par une personne ou autorité autre que leur propriétaire.

En toute hypothèse,

Condamner Monsieur le ministre chargé de l'Economie, représenté par Madame le Directeur Général de la DGCCRF et par Monsieur le Directeur Régional adjoint, responsable du pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie de la Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi (DIRECCTE) des Pays de la Loire, Chef de la Brigade Interrégionale des Enquêtes de Concurrence (BIEC) Bretagne, Pays de la Loire, Centre, aux entiers dépens.

Défendeur au recours, le ministre de l'Economie Nous demande de :

Débouter la société X de toutes ses demandes.

Constater la régularité des opérations de visite et saisies contestées par la société X.

Rejeter en conséquence la demande de la société X en restitution de l'ensemble des documents saisis le 22 novembre 2012 dans ses locaux situés <adresse>, d'une part, et <adresse>, d'autre part.

Donner acte à l'Administration que celle-ci ne s'oppose pas à l'annulation de la saisie des 60 courriels couverts par le secret de la correspondance avocat-client, listés en pièce 12 des conclusions récapitulatives en réplique de la requérante ainsi qu'à leur restitution.

Condamner la société X aux entiers dépens.

MOTIFS

Considérant qu'au soutien de son recours tendant à l'annulation des visites et saisies ayant eu lieu le 22 novembre 2011 dans ses locaux de Saint-Brieuc et Brest en exécution de l'ordonnance rendue le 12 novembre précédent par le Juge des Libertés et de la Détention de Quimper, la société X fait valoir successivement que :

1- La société X a été l'objet durant les opérations de visites et saisies de graves violations des droits de la défense.

2- Il y a eu violation des dispositions de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales en ce que les opérations de visites et saisies ont donné lieu à des saisies massives et indiscriminées de messageries informatiques.

3- Les opérations de visites et saisies ont donné lieu à la saisie de documents couverts par le secret de la correspondance avocat-client, en violation de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, et à la saisie de documents couverts par la prescription, en violation de l'article L. 462-7 du Code de commerce.

4- L'inventaire dressé par les enquêteurs ne permet pas au Premier Président de la cour d'appel d'exercer un contrôle effectif sur les opérations de visite et saisie.

5- Le procès-verbal de visite et de saisie dans les locaux de Saint-Brieuc n'indique pas dans quel bureau les documents rassemblés dans le scellé n° 3 ont été saisis ce qui ne permet pas au premier Président d'exercer son contrôle.

SUR CE :

1- Violations des droits de la défense (Brest et Saint-Brieuc)

Considérant que selon la société X :

1°) Elle n'a pas été informée de son droit de saisir le Juge des Libertés et de la Détention en cas de difficulté lors du déroulement des opérations conformément aux dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce (locaux de Brest et de Saint-Brieuc).

2°) les enquêteurs ont porté atteinte à la liberté d'aller et venir des personnes en violation de leurs droits fondamentaux reconnus par la constitution (locaux de Brest).

Mais qu'en premier lieu, la société X a été informée des seuls recours qui lui étaient ouverts contre l'ordonnance ayant autorisé la saisie et les opérations réalisées en exécution de cette décision ; que contrairement à ce qu'affirme la société X l'article L. 450-4 du Code de commerce ne prévoit pas de saisine du magistrat en cas de difficultés ; qu'il n'y avait donc aucune information à fournir de ce chef ; que la présence sur les lieux d'un ou plusieurs Officiers de Police Judiciaire nommément désignés dans les ordonnances des Juges des Libertés et de la Détention territorialement compétents notifiées à l'occupant des lieux visités, était destinée à veiller à la conformité des opérations aux règles procédurales et permettait à ces magistrats d'être informés des difficultés éventuelles d'où qu'elles viennent, la société X comprise, et d'exercer leur pouvoir de contrôle, en se rendant sur place, en donnant les instructions nécessaires ou en mettant fin aux opérations elles-mêmes ; qu'il n'y a eu à cet égard aucune violation des droits de la défense comme le prévoit le texte susvisé.

Qu'en second lieu, l'autorisation donnée sur requête avait pour but d'empêcher la concertation entre les entreprises visées et la soustraction de preuves ; que la présence obligatoire de l'occupant des lieux ou d'une personne déléguée par lui limitait nécessairement leur liberté de circulation ; qu'il en est de même de la présence de certains personnels dont les fonctions rendaient nécessaire leur présence ; que ces limitations très partielles entrecoupées d'interruptions à la demande des intéressés eux-mêmes n'ont pas outrepassé ce qui était strictement nécessaire à la régularité de la visite et des saisie et à leur bon déroulement ; qu'elles ne sont donc pas reprochables.

2- Violation des dispositions de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (Brest)

Considérant que selon l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales :

1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

Considérant que la société X reproche aux enquêteurs la saisie massive et indifférenciée de messageries informatiques dans ses locaux brestois alors que les techniques informatiques actuelles permet la sécabilité des messageries et que la saisie globale de données informatiques non limitées aux faits reprochés dans de telles conditions est prohibée.

Mais que d'après le procès-verbal les saisies ont été opérées sur les postes de 3 personnes ; qu'il s'est agi d'une consultation de données non intrusive en mode lecture ; qu'elles sont circonscrites et non massives comme l'affirme la société X ; que l'examen approfondi d'un disque dur externe et de l'ordinateur d'une autre salariée au moyen de mots-clés et de filtres successifs ayant abouti à la saisie de 3 éléments sur les 66 882 présents sur les supports enlève tout sérieux à l'argumentation de l'appelante ; que les procédés ainsi utilisés par l'Administration dont rien n'indique que d'autres auraient pu être avantageusement employés, témoigne du souci légitime d'éviter la mutilation des messages et le risque d'altérer les preuves recherchées en séparant ce qui avait été réuni, notamment les pièces annexes et l'aspect personnel de certains messages ; que de plus si l'examen des enquêteurs a porté sur un nombre important d'éléments aucune saisie informatique à fortiori massive n'est intervenue, ceux-ci ayant imprimé les seuls messages pertinents ensuite inventoriés ; qu'en définitive il ne s'agit pas d'une opération massive et indifférenciée comme le prétend la société X mais de ce qui, dans une société démocratique, est nécessaire au bien-être économique du pays, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

3- La saisie de documents couverts par le secret de la correspondance avocat-client, et par la prescription, en violation de l'article L. 462-7 du Code de commerce (Brest).

Considérant que selon la société X ont été saisis des correspondances entre clients et avocats couvertes par le secret professionnel et des documents remontant à plus de 5 années donc prescrits.

Sur la violation du secret professionnel

Considérant que selon l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 modifié par la loi du 11 février 2004 :

En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel.

Considérant que ces correspondances attachées à d'autres non couvertes par le secret professionnel ont pu être isolées ; que leur restitution s'impose comme le propose l'Administration ; que cette irrégularité concerne un nombre très limité de pièces et n'entache pas la validité des opérations dans leur ensemble.

La saisie de documents prescrits :

Considérant que la société X fait grief aux enquêteurs d'avoir saisi des documents antérieurs au 20 octobre 2007 date d'expiration du délai quinquennal visé à l'article L. 462-7 du Code de commerce selon lequel :

L'Autorité de la concurrence ne peut être saisie de faits remontant à plus de cinq ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction.

Mais que rien n'interdit la saisie de documents antérieurs de plus de 5 ans comme éléments de présomptions de faits non prescrits ; que la demande de la société X en nullité de la saisie et en restitution des pièces concernées sera donc rejetée.

4- L'insuffisance de l'inventaire (Brest)

Considérant que selon la société X l'inventaire réalisé par les enquêteurs ne fait apparaître aucune description des milliers de courriels saisis pas plus que d'éventuelles pièces jointes ce qui empêche le contrôle par le premier président de la régularité de la saisie.

Mais que les fichiers saisis ont été identifiés et inventoriés ; que la liste détaillée en est enregistrée dans un CD annexé au procès-verbal dont la société X a été destinataire ; que cette dernière a également reçu de l'Administration le DVD contenant les fichiers eux-mêmes, ce qui lui a permis d'en connaître le contenu exact.

5- Le scellé n° 3 (Saint-Brieuc)

Considérant que selon la société X l'inventaire sur Saint-Brieuc ne permettrait pas d'identifier le scellé n° 3 et notamment le lieu où il a été saisi faute d'indication du bureau concerné.

Mais que la lecture du procès-verbal permet aisément de constater que le scellé n° 3 provient du bureau de Mme Y.

Les dépens et les frais

Considérant que la société X, qui succombe, supportera les dépens ;

Par ces motifs : Déboute la société X de son recours sauf pour les documents attachés couverts par le secret professionnel des avocats. Annule la saisie des 60 courriels couverts par le secret de la correspondance avocat-client. Ordonne la restitution de ces documents par la DIRECCTE Pays de la Loire à la société X. Y Ajoutant Condamne la société X aux dépens.