CA Lyon, 1re ch. civ. A, 26 juin 2014, n° 12-08145
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Marie Reine
Défendeur :
Synergies (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gaget
Conseillers :
MM. Martin, Semeriva
Avocats :
Mes Rose, Pafundi, Selarl Avelia Avocats, SCP Baufume-Sourbe
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Pharmatec, aux droits de laquelle est la société Synergies, agent commercial en France de la société italienne Technilab, a confié un sous-mandat à Mme Marie Reine pour la promotion et la vente d'automates destinés aux officines de pharmacies en Aquitaine, hors la Dordogne.
Mme Marie Reine ayant agi en paiement de commissions et d'indemnités compensatrices et de préavis, le jugement entrepris la déboute de ses demandes, et la société Synergies de ses demandes reconventionnelles ; il condamne Mme Marie Reine aux dépens.
Au soutien de son appel principal, celle-ci expose les circonstances dont elle déduit son droit au paiement des commissions sur les opérations contestées.
Elle considère que la rupture du mandat n'est pas intervenue à son initiative, ni ne résulte d'un commun accord, et demande que l'indemnité compensatrice soit évaluée à l'équivalent de trois années de commissions.
Mme Marie Reine conclut :
Vu le contrat d'agent commercial du 10 septembre 2008,
Vu l'article 1134 du Code civil et les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce,
- infirmer le jugement, dans ses dispositions par lesquelles elle a été déboutée,
- condamner la société Synergies à lui payer la somme de 10 800 euros au titre de la facture n° 00497 avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 6 janvier 2010,
- dire et juger que la résiliation du contrat d'agent commercial est intervenue en janvier 2010 aux torts exclusifs et à l'initiative de la société Pharmatec,
- condamner la société Synergies à lui payer :
- la somme de 9 417 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- celle de 169 521 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la cessation des relations contractuelles,
- la somme de 77 631,15 euros, outre celle de 12 107,196 euros en ce qui concerne la pharmacie Provost, au titre des commissions de retour sur échantillonnages,
- la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- une indemnité de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code procédure civile,
- déclarer l'appel incident irrecevable et mal fondé,
- rejeter toutes les demandes contraires formées par la société Synergies,
- la condamner aux dépens.
La société Synergies prend des conclusions d'appel dont le dispositif expose, tout à la fois, ses prétentions et l'essentiel de ses moyens, en ces termes :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme Marie Reine de sa demande en paiement au titre de sa facture n° 000497 pour un montant de 10 800 euros HT, dès lors que la vente a été annulée par le client, la pharmacie Houert Perez, ce qui constitue une circonstance non imputable à la société Pharmatec, en application des dispositions du contrat d'agent commercial,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme Marie Reine de sa demande de résiliation du contrat d'agence commerciale intervenue, selon elle, à l'initiative et aux torts exclusifs de la société Pharmatec, dès lors que, d'une part, le courrier adressé à Mme Marie Reine par la société Pharmatec, en date du 21 janvier 2010, ne constitue pas la notification de la résiliation de son contrat et, d'autre part, qu'aucune commission ne reste due à Mme Marie Reine, celle-ci ayant été entièrement remplie de ses droits, en sorte qu'aucune faute ne peut être imputée à la société,
- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que le contrat d'agent commercial est résilié, mais l'infirmer en ce qu'il a dit que la rupture du contrat est intervenue d'un commun accord entre les parties,
- dire et juger que la cessation du contrat d'agent commercial résulte de la seule initiative de Mme Marie Reine et n'est pas justifiée par des circonstances imputables à la société Pharmatec,
- fixer la date de résiliation du contrat d'agent commercial à l'initiative de Mme Marie Reine à la date de son assignation introductive d'instance, le 3 janvier 2011,
- confirmer en tout état de cause le jugement, en ce qu'il a débouté Mme Marie Reine de ses demandes formées à titre d'indemnité compensatrice (9 417 euros) et de dommages et intérêts (169 521 euros),
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme Marie Reine de sa demande en règlement au titre de commissions de "retour sur échantillonnage" pour un montant de 77 613,15 euros, dès lors que les ventes invoquées auprès de la pharmacie Labussière, de la pharmacie de la Milady, de la pharmacie Masquere, de la pharmacie Saint-Pierre, de la pharmacie Brin Debacque, de la pharmacie Bouaziz, de la pharmacie du Centre, de la pharmacie Jouzier et de la pharmacie du Reolais, ne sont pas intervenues,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme Marie Reine de sa demande en règlement au titre d'une commission d'un montant de 12 107,196 euros prétendument liée à la vente d'un automate à la pharmacie Provost en Dordogne, dès lors que Mme Marie Reine n'était pas autorisée, en application du contrat, à prospecter cette officine pharmaceutique,
- débouter Mme Marie Reine de sa demande indemnitaire nouvelle formée en cause d'appel relative au paiement par la société Synergies d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, dès lors qu'aucune commission ne reste due à Mme Marie Reine, celle-ci ayant été entièrement remplie de ses droits,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme Marie Reine de sa demande indemnitaire au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance en faveur de l'avocat soussigné.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La facture n° 00497, émise pour une somme de 10 800 euros, porte sur une opération concernant la pharmacie Houert Perez.
L'article 5.2 du contrat d'agence commerciale stipulant que la commission n'est pas due si l'inexécution de la commande ne provient pas de circonstances imputables au mandant, Mme Marie Reine soutient que cette commande était ferme et qu'il n'est pas établi que le client l'ait annulée, faute d'obtention du financement prétendument visé par cette condition.
Mais, sur le premier point, la convention de vente stipule expressément "condition suspensive, obtention du financement".
Et, quant au second, la société Synergies produit notamment :
- un courrier signé de M. Perez : "le financement a été refusé, je vous prie de bien vouloir prendre bonne note de l'annulation de la commande",
- une déclaration d'une préposée de la société italienne Technilab, fabricante : "Jacques Perez a informé du refus de financement, cet élément ayant été désigné comme une condition suspensive à la formation du contrat, la commande a été annulée",
- deux autres, émanant du représentant légal de cette société : "la société Technilab n'a fabriqué, ni vendu ni installé aucun automate pour les officines suivantes, Pharmacie Houert Perez".
Ces éléments probants suffisent à établir que la vente ne s'est pas réalisée et que c'est la défaillance de la condition, et non point une circonstance imputable au mandant, dans les termes du contrat et de l'article L. 143-10 du Code de commerce, qui est à l'origine de cette situation.
Les autres contestations de Mme Marie Reine quant à cette opération ne peuvent être accueillies :
- la société Synergies n'a pas à justifier de la restitution d'un acompte qu'elle n'a pas perçu, mais qui a été versé au vendeur,
- et, du seul fait que le pharmacien concerné a indiqué que cet équipement était "pour bientôt", il ne résulte pas qu'il avait ainsi en vue la réalisation de sa commande initiale, dont l'exécution n'aurait été que différée, plutôt que la conclusion d'un nouveau contrat, d'autant que cette commande initiale remonte au 26 novembre 2008, près de trois ans avant cette déclaration du 5 octobre 2011, et qu'à ce jour, il n'est pas établi que la vente a eu lieu.
La commission réclamée sur cette opération n'est pas due.
Quant aux demandes portant sur les commissions de retour sur échantillonnage :
Selon Mme Marie Reine :
- les ventes Labussiere, La Milady, Masquere et Saint-Pierre ont été retardées pour des raisons diverses et devaient être régularisées à court terme au moment de la rupture du contrat d'agence commerciale,
- celles concernant les pharmacies Brin Debacque, Bouaziz et Centre devaient intervenir à moyen terme,
- et deux autres à moyen terme : Jouzier et Réolais.
Dans cette thèse, ces ventes devaient donc intervenir, mais il n'est pas prétendu que l'ordre du tiers a été reçu avant la cessation du contrat d'agence.
Par ailleurs, aucun élément ne permet de retenir que les ventes ont été conclues après cette cessation.
Le représentant légal de la société fabricante affirme au contraire que cette dernière n'a ni fabriqué ni vendu d'automate aux officines visées dans la demande, ni n'en a installé.
Dès lors, les ventes n'étaient pas "sur le point de se réaliser grâce à sa diligence", comme le soutient Mme Marie Reine, et en toute hypothèse, ces opérations n'ont pas été conclues dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat, puisqu'elles ne le sont pas à ce jour, en l'état des éléments produits.
Il n'en ressort pas plus que cette cessation a privé Mme Marie Reine de la faculté de finaliser ces ventes, cette conclusion procédant d'une simple hypothèse.
Ces demandes ne sont pas fondées.
La pharmacie Provost se trouvant en Dordogne, le mandat dont disposait Mme Marie Reine ne l'autorisait pas à la prospecter.
Certes, l'autorisation aurait pu lui en être donnée par son mandant.
Mais les pièces produites à ce propos ne sont pas probantes :
- il n'est pas contesté que le dirigeant de la société Pharmatec s'est rendu dans cette pharmacie en compagnie de l'agent, mais le but de cette démarche - présenter un prospect ou examiner une installation pouvant faire office de témoin pour d'autres, compris dans le secteur géographique de l'agent - ne se déduit pas de cette visite elle-même,
- des divers éléments produits par Mme Marie Reine et dont il n'y a pas lieu d'écarter, par principe, ceux dont elle en est l'auteur, il résulte seulement qu'elle est intervenue dans cette opération, qu'elle en est d'ailleurs "désolée" et que son nom ou ses initiales figurent sur divers documents.
Il n'en ressort aucune autorisation du mandant pour une prospection hors secteur et cette acceptation ne résulte pas de son silence.
Les conditions mises par le contrat au droit à commission ne sont pas réunies et cette demande ne peut être accueillie.
S'agissant des circonstances de la cessation du contrat, la société Pharmatec écrivait à Mme Marie Reine, le 21 janvier 2010 : "puisque vous m'avez fait part de votre intention d'arrêter votre activité d'agent commercial, je vous avais proposé de mettre un terme officiellement de façon amiable au contrat ; j'espère trouver avec vous une issue raisonnable pour mettre un terme à votre contrat et vous invite à me confirmer votre intention".
Cette intention n'est cependant pas établie par la seule référence qu'y fait le mandant, et elle ne se déduit pas du courrier de l'agent, du 6 janvier 2011, réclamant paiement de commission ; l'invitation à la confirmer montre d'ailleurs que l'intention prétendue n'avait pas été formulée sans équivoque.
Mme Marie Reine répondait le 28 janvier 2010 : "puisqu'enfin, vous souhaitez trouver une issue raisonnable à cette situation que je n'ai pas voulue et qui me cause, vous le savez, un véritable préjudice, et que vous souhaitez, d'après les termes de votre courrier, une fin amiable au contrat d'agence commerciale qui nous lie, je ne vois aucun inconvénient à un règlement non contentieux, adulte, responsable et équitable".
La société Synergies concède dans ses conclusions d'appel, que Mme Marie Reine n'a pas confirmé sa volonté de mettre un terme au contrat.
En revanche, et contrairement à ce que soutient cette dernière, le courrier du 21 janvier 2010 ne notifie pas la résiliation du mandat : il prend seulement acte de cette prétendue volonté, sans mettre fin aux relations.
De l'ensemble de ces éléments, il ne ressort pas que la société Synergies a mis fin au contrat à cette époque, ni que les parties se sont accordées à le faire, particulièrement en renonçant à tout droit ou indemnité de part et d'autre.
La société Synergies soutient que, dans ces conditions, la cessation des relations procède de l'initiative de Mme Marie Reine, par son assignation introductive d'instance, le 3 janvier 2011.
Mais cette réclamation ne consistait qu'à tirer les conséquences de la situation.
En effet, et selon la citation qu'en font les conclusions d'appel de la société Synergies, Mme Marie Reine considérait, fut-ce à tort, que la rupture était intervenue à l'occasion du courrier du 21 janvier 2010 et n'entendait donc pas notifier elle-même la cessation des relations.
Il ne peut être conclu, dans ces conditions, que le contrat a fait l'objet d'une résolution d'un commun accord - assortie par surcroît d'une renonciation à toute réclamation de la part de l'agent - ni que ce dernier a pris l'initiative de la rupture.
A supposer même cette initiative, le mandant a tardé jusqu'au mois de juin 2010 pour payer, sur assignation en référé, les commissions reconnues dues, pourtant, dès son courrier précité du mois de janvier ; il ne peut prouver, faute notamment d'avenant ou de toute reconnaissance résultant d'une facturation à ce taux, puisque cette facturation a été ensuite rectifiée, que Mme Marie Reine avait consenti à ce que le taux de commission soit ramené de 6 % à 4 %,ce qu'elle contestait dans son courrier du 28 janvier 2010.
Le reproche d'inactivité que lui adresse à présent le mandant n'a fait l'objet d'aucune mise en garde en son temps et l'absence de commande entre le mois d'octobre 2009 et le courrier du mois de janvier 2010 n'est pas, compte tenu des particularités et du coût du matériel à commercialiser, significatif d'une carence grave.
Dès lors, au vu de cette cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, dès lors que cette cessation n'a pas été provoquée par une faute grave de sa part, qu'il n'a pas pris l'initiative de la rupture et qu'à admettre même le contraire, cette dernière serait justifiée par des circonstances exclusivement imputables au mandant.
Mme Marie Reine chiffre à 169 521 euros la somme à lui revenir à titre d'indemnité.
Le contrat a été conclu le 10 septembre 2008.
Quoiqu'elle ne manifeste pas l'initiative d'y mettre fin, l'assignation du 21 janvier 2011 est le premier acte permettant de constater la fin des relations et doit être retenue, à défaut de toute autre date utile, comme celle de leur cessation.
Mme Marie Reine estime que le chiffre d'affaire à retenir pour le calcul de cette indemnité est 941 786,60 euros.
Mais elle inclut ici, pour un montant de 201 786,60 euros, la vente faite à la pharmacie Provost, qui, contractuellement, n'ouvre pas droit à commission.
L'assiette de l'indemnité doit en conséquence être ramenée à 740 000 euros.
Le préjudice consécutif à la cessation du contrat s'établit en l'espèce à l'équivalent de deux ans de commissions, compte tenu notamment des caractéristiques de l'équipement considéré, de forte valeur et qui suppose un différé assez long entre l'investissement dans la prospection et le retour sur cet investissement, mais qui n'est pas tel qu'il justifie de retenir une équivalence de trois années.
Le taux des commissions est, enfin, celui qui est stipulé au contrat, sa modification d'un commun accord n'étant pas établie.
Soit :
(740 000 x 6 %) x 2 = 88 800 euros.
L'indemnité de préavis est due, la cessation volontaire et unilatérale de son activité par l'agent étant écartée par les motifs précédents sur cette question.
Sur les mêmes bases, et compte tenu du fait que le contrat était dans sa deuxième année, de sorte que le préavis est de deux mois, l'indemnité correspondante est de 7 400 euros.
Selon Mme Marie Reine, en refusant de régler, de manière abusive, les sommes incontestablement dues, et ce depuis plusieurs années, la société Synergies lui a causé un préjudice qui justifie une indemnisation de 5 000 euros.
Mais il ne ressort pas de cette demande qu'elle a subi un préjudice indépendant de ce retard et d'ailleurs, la seule résistance de la société Synergies à ses réclamations ne caractérise pas un comportement fautif.
Il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande.
La société Synergies succombe essentiellement ; les dépens sont à sa charge.
Aucune circonstance ne conduit à écarter l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme Marie Reine de ses demandes concernant la facture n° 00497, les commissions de retour sur échantillonnages et la commission concernant la vente d'un automate à la pharmacie Provost, ainsi qu'en ce qu'il a débouté la société Synergies de ses demandes, - Réforme pour le surplus, - Condamne la société Synergies à payer à Mme Marie Reine la somme de 88 800 euros à titre d'indemnité de cessation de contrat et celle de 7 400 euros à titre d'indemnité de préavis, - Déboute Mme Marie Reine de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, - Vu l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société Synergies à payer à Mme Marie Reine une somme de 4 000 euros, - Condamne la société Synergies aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.