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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 1 juillet 2014, n° 13-00827

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Patrimoine Immobilier Conseil (SARL)

Défendeur :

Guy Hoquet l'Immobilier (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bachasson

Conseillers :

M. Rouzat, Mme Olive

Avocats :

Mes Guillemain, Villemeur, Bensoussan, Ropars

T. com. Montpellier, du 7 janv. 2013

7 janvier 2013

FAITS, PROCEDURE, MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :

La société Guy Hoquet l'Immobilier exploite un concept d'agences immobilières à l'enseigne "Guy Hoquet l'Immobilier" dans le cadre d'un réseau de commerçants indépendants auquel avait adhéré, le 17 mars 2004, la société Patrimoine Immobilier Conseil dirigée par Guy Waternaux.

La société Patrimoine Immobilier Conseil a cessé d'appartenir au réseau au terme de son contrat, le 17 mars 2009, et M. Waternaux a créé l'enseigne "Le Pôle Habitat" (LpH), dont il devait déposer, en février 2010, la marque et le logo éponyme auprès de l'Inpi.

Deux sociétés franchisées, la société Realty Sète et la société Cat-Immo, qui appartenaient au réseau de franchise de la société Guy Hoquet l'Immobilier, ont poursuivi leurs activités, à l'issue de leurs contrats de franchise, sous l'enseigne "Le Pôle Habitat".

Reprochant à la société Patrimoine Immobilier Conseil sa complicité dans la violation par ses deux anciens franchisés de la clause de non-affiliation à un réseau concurrent pesant sur elles en vertu de leurs contrats de franchise, la société Guy Hoquet l'Immobilier a fait assigner celle-ci, par acte du 23 décembre 2010, devant le Tribunal de commerce de Montpellier en vue d'obtenir, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, sa condamnation au paiement d'une somme de 100 000 euro en indemnisation du préjudice subi.

Par jugement contradictoire du 7 janvier 2013, le tribunal a notamment :

- déclaré fondée la demande de la société Guy Hoquet l'Immobilier

- constaté que la société Patrimoine Immobilier Conseil a participé à la violation par tierce complicité des dispositions post-contractuelles du contrat de franchise des sociétés Realty Sète et Cat-Immo relatives à la clause de non-concurrence,

- ordonné à la société Patrimoine Immobilier Conseil de cesser immédiatement toutes manœuvres de démarchage auprès des membres du réseau Guy Hoquet, débiteurs d'une clause de non-affiliation à un réseau concurrent, et ce sous astreinte de 5 000 euro par infraction constatée.

- ordonné à la société Patrimoine Immobilier Conseil de payer à la société Guy Hoquet l'Immobilier la somme de 18 000 euro au titre du préjudice subi.

- condamné la société Patrimoine Immobilier Conseil au paiement de la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Patrimoine Immobilier Conseil a régulièrement interjeté appel de ce jugement, le 4 février 2013, en vue de sa réformation.

Elle demande à la cour (conclusions reçues par le RPVA le 3 mai 2013), au principal, de constater que la société Patrimoine Immobilier Conseil n'a pas commis de faute consistant en du démarchage et que le Pôle Habitat n'est pas constitutif d'un réseau de distribution, et de rejeter en conséquence les prétentions élevées à son encontre ;

A titre subsidiaire, elle demande de constater l'absence de justification du préjudice subi et de son montant par la société Guy Hoquet et par suite, de la débouter de l'ensemble de ses prétentions ;

Enfin, elle réclame le paiement de la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :

- aucun démarchage des deux franchisés de la société Guy Hoquet l'Immobilier ne peut lui être reproché et ceux-ci n'ont pas violé leur obligation de non-affiliation à un réseau concurrent, prévue dans leurs contrats de franchise,

- Pôle Habitat, que les sociétés Realty Sète et Cat-Immo ont rejoint, ne peut être considéré comme un réseau au sens de la clause litigieuse, dès lors qu'il n'y a pas d'intérêt commun entre les diverses sociétés en faisant partie, lesquelles exercent leurs activités de façon indépendante, elle-même n'ayant aucun pouvoir de contrôle ou de sanction, et qu'il n'existe pas davantage de fichier ou de produits communs,

- la preuve de l'existence du préjudice dans son principe et son montant n'est pas rapportée, qu'il s'agisse du prétendu détournement du fichier de clients commun aux agences Guy Hoquet, de la suppression de son enseigne sur les agences donnant un sentiment d'échec au consommateur ou, enfin, de la déstabilisation de son réseau.

La société Guy Hoquet l'Immobilier conclut à la confirmation du jugement, sauf à fixer à la somme de 100 000 euro le montant des dommages et intérêts compensatoires de son préjudice (conclusions reçues par le RPVA le 24 juin 2013) ;

Elle sollicite, par ailleurs, l'allocation de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient en substance que :

- la clause de non-affiliation comporte l'interdiction claire de s'affilier à un réseau concurrent pendant une année suivant la fin de la relation, ce que n'ont pas respecté les sociétés Realty Sète et Cat-Immo, et la société Patrimoine Immobilier Conseil, qui n'ignorait pas la teneur de la clause pour avoir appartenu à son réseau, est complice de cette violation,

- s'agissant de Pôle Habitat, les éléments caractéristiques d'un réseau d'agences immobilières sont présents, tels qu'une enseigne commune, une signalétique commune, un site Internet commun, une racine d'e-mail identique, l'existence d'obligations entre les parties et, enfin, la présence d'un intérêt commun,

- les actions de démarchage sont indifférentes puisque la connaissance par la société Patrimoine Immobilier Conseil de l'existence d'une clause de non-affiliation est, à elle seule, suffisante pour engager sa responsabilité,

- sa faute constitue en soi un acte de concurrence déloyale, qui lui a causé un préjudice matériel et moral constitué par le détournement du fichier de clientèle commun, la suppression de son enseigne sur les agences concernées, le sentiment d'échec donné au consommateur et aux autres membres de son réseau, une déstabilisation de son réseau et un détournement de son savoir-faire.

C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 9 mai 2014.

MOTIFS DE LA DECISION :

Il est constant que la société Realty Sète, d'une part, la société Cat-Immo, d'autre part, ont adhéré, respectivement le 11 avril 2005 et le 1er octobre 2005, au réseau de franchise "Guy Hoquet l'Immobilier" pour une durée de cinq ans, l'un exerçant son activité d'agence immobilière à Sète, l'autre à Perpignan ;

L'article 20.2 des contrats alors conclus dispose que pendant toute la durée du contrat et pendant une durée d'une année, soit à compter de sa fin, soit, le cas échéant, à compter de l'exécution de la décision de justice ordonnant le respect de la présente obligation de non-affiliation par le franchisé, franchisé et partenaire ne pourront adhérer, s'affilier ou participer à des réseaux de distribution ayant une activité proche ou similaire à celle exercée par Guy Hoquet l'Immobilier y compris ceux dépendant de sociétés dans lesquelles la SA Financière Guy Hoquet l'Immobilier aurait une participation, dans un rayon de 30 kilomètres et ayant pour centre l'unité exploitée par le franchisé en vertu du présent contrat, sans l'accord du franchiseur.

Or, à l'issue de leurs contrats, expirant le 11 avril 2010 et le 1er octobre 2010 et avant même l'expiration du délai d'un an suivant la fin desdits contrats, les sociétés Realty Sète et Cat-Immo ont poursuivi leur activité d'agence immobilière sous l'enseigne "Le Pôle Habitat", dont elles ont également adopté le logo formé d'un cercle de couleur rouge grenat contenant les lettres "LpH", à l'intérieur d'un ovale de couleur verte sur lequel la mention "Le Pôle Habitat" se trouve partiellement inscrite ;

Il n'est pas discuté que la marque et le logo "Le Pôle Habitat" (LpH) ont fait l'objet d'un dépôt, le 11 février 2010, auprès de l'Inpi par M. Waternaux, gérant de la société Patrimoine Immobilier Conseil, elle-même ancien franchisé de la société Guy Hoquet l'Immobilier, exploitant une agence immobilière à Montpellier ;

Les trois sociétés Patrimoine Immobilier Conseil, Realty Sète et Cat-Immo sont présentées sur le site Internet www.lepolehabitat.com comme faisant partie d'un même groupe d'agences immobilières en région Languedoc-Roussillon (le Pôle Habitat Montpellier, le Pôle Habitat Sète, le Pôle Habitat Perpignan) avec des adresses de contact ayant la même racine ([email protected], [email protected], [email protected]).

Le terme "réseau" est explicitement utilisé sur le site de la société Cat-Immo reprenant le logo "Le Pôle Habitat" (LpH) ("Pour votre projet sur Perpignan et alentours ou pour la vente, faîtes appel à un réseau performant et retrouvez toute la force de notre équipe de professionnels au sein de notre agence immobilière située <adresse>"), la société Realty Sète faisant même référence, sur son site Internet, à sa qualité d'ancien franchisé de la société Guy Hoquet l'Immobilier ("L'agence Pôle Habitat de Sète (anciennement Guy Hoquet) poursuit son développement à Sète et autour du bassin de Thau") ;

Il résulte, en outre, des photographies, produites aux débats, que les vitrines des trois agences immobilières reprennent, de façon identique, l'enseigne et le logo composé des mêmes couleurs, "Le Pôle Habitat" (LpH).

Le réseau auquel l'ancien franchisé de la société Guy Hoquet l'Immobilier a l'interdiction de s'affilier durant un an après la fin de son contrat dans un rayon de 30 kilomètres autour du lieu d'exploitation de son activité, s'entend d'une organisation à laquelle participent plusieurs agences immobilières ayant un intérêt commun, celui du développement de la clientèle des acquéreurs et vendeurs de biens immobiliers et de fonds de commerce, grâce à l'emploi des mêmes signes distinctifs et/ou de normes communes ;

En l'occurrence, la concession, même à titre gratuit, par la société Patrimoine Immobilier Conseil de la marque et du logo "Le Pôle Habitat" (LpH) à deux autres agences immobilières, toutes trois utilisant un site Internet identique, des adresses de contact formées par la même racine et ayant aménagé leurs vitrines dans des conditions semblables, caractérise un réseau au sens de l'article 20.2 des contrats de franchise, antérieurement conclus par celles-ci avec la société Guy Hoquet l'Immobilier ;

La clientèle potentielle a ainsi le sentiment de s'adresser à un réseau d'agences immobilières implantées dans trois villes de la région, dont les liens les unissant étaient le gage d'une meilleure efficacité dans la réalisation des transactions.

Il importe peu que la société Patrimoine Immobilier Conseil ait démarché ou pas les sociétés Realty Sète et Cat-Immo afin qu'elles intègrent son réseau ;

En tant qu'ancien franchisé de la société Guy Hoquet l'Immobilier, elle n'ignorait pas, en effet, l'obligation de non-affiliation, qui pesait sur ces deux sociétés, puisque son propre contrat de franchise, venu à expiration le 17 mars 2009, comportait à l'article 17.2 une stipulation identique.

Le fait qu'elle ait permis aux sociétés Realty Sète et Cat-Immo de constituer avec elle un réseau d'agences immobilières sous la marque et le logo "Le Pôle Habitat" (LpH), en dépit de l'obligation de non-affiliation à un réseau concurrent auxquelles celles-ci se trouvaient assujetties, est constitutif d'une complicité de violation de la clause litigieuse, créant nécessairement un préjudice, fût-il moral ;

C'est donc à juste titre que le premier juge a retenu la responsabilité délictuelle de la société Patrimoine Immobilier Conseil et condamné celle-ci, d'une part, à cesser, sous peine d'astreinte, toutes manœuvres de démarchage auprès des membres du réseau "Guy Hoquet" et, d'autre part, à payer à la société Guy Hoquet l'Immobilier des dommages et intérêts, dont le montant a été justement fixé à la somme de 18 000 euro eu égard aux effets négatifs provoqués, dans l'esprit de la clientèle et des autres membres du réseau, par la suppression de l'enseigne "Guy Hoquet" sur les agences concernées et son remplacement immédiat par l'enseigne d'un réseau concurrent.

Succombant sur son appel, la société Patrimoine Immobilier Conseil doit être condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société Guy Hoquet l'Immobilier la somme de 2 000 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme dans toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Montpellier en date du 7 janvier 2013, Condamne la société Patrimoine Immobilier Conseil aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Guy Hoquet l'Immobilier la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code.