CA Aix-en-Provence, 2e ch., 26 juin 2014, n° 12-20878
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Guillemot
Défendeur :
ID Services (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Aubry-Camoin
Conseillers :
M. Fohlen, M. Prieur
Avocats :
Mes Daval-Guedj, Rambaud, Le Goater, Sider, Lenglen
EXPOSÉ DE L'AFFAIRE
M. Guillemot a créé courant 2003 une agence commerciale sous l'enseigne Vivrao, ayant pour objet la distribution de produits issus du mode de production biologique et/ou du commerce équitable pour ce marché.
En mars 2006, la société ID Services, qui vend uniquement des produits issus de l'agriculture traditionnelle, a donné mandat à M. Guillemot de développer pour son compte l'offre et la commercialisation de produits biologiques pour des acteurs importants de la restauration collective comme pour les collectivités locales.
Les parties convenaient de se partager la marge brute réalisée par cette nouvelle activité à hauteur de 55 % pour la société ID Services et 45 % pour M. Guillemot.
Le 1er septembre 2009, sur un papier à entête de la société ID Services, un nouvel accord intitulé "convention pour agence commerciale Guillemot" était passé entre les parties prévoyant, puisque la société ID Services pouvait assumer désormais les commandes fournisseurs et la logistique, que M. Guillemot ne ferait plus que la commercialisation et bénéficierait d'une rémunération de 6 % sur le chiffre d'affaires hors-taxes net de remise si la marge brute est supérieure à 20 % et de 2 % si la marge brute est comprise entre 10 et 20 pour cent.
M. Guillemot a décidé de développer une activité de conseil et de s'associer avec Messieurs Chapuis et Dupuis, et il a constitué une société d'agent commercial dénommée Arcade & Bio dont l'objet social était notamment:
- l'exploitation d'une agence commerciale spécialisée dans les produits issus de l'agriculture biologique et/ou issus du commerce équitable,
- le conseil et l'expertise dans le domaine de l'agriculture biologique et de l'agroalimentaire,
- le négoce de produits issus de l'agriculture biologique et du commerce équitable.
M. Guillemot était porteur de parts majoritaires dans cette société.
M. Chapuis en qualité de sous-agent commercial est intervenu dans les dossiers de la société ID Services.
A la suite de différents opposant M. Chapuis et la société ID Services, M. Guillemot a décidé de résilier le contrat de sous-agent d'Arcade & Bio, et en août 2010, il a cédé la totalité de sa participation dans cette société à M. Chapuis.
Le 9 novembre 2010, la société ID Services a notifié à M. Guillemot qu'elle rompait son contrat d'agent commercial sans préavis et sans indemnité aux motifs que cette rupture lui était imputable puisqu'il avait développé une activité directement ou indirectement concurrente au travers de la société ID Services.
Par acte du 30 juin 2011, M. Guillemot a fait assigner la société ID Services devant le Tribunal de commerce de Salon-de-Provence en faisant valoir que cette société avait rompu le contrat d'agent commercial alors qu'aucune faute grave ne pouvait lui être reprochée et pour qu'elle soit condamnée à lui verser :
- 8 604 euro au titre de la reddition des comptes au 31 décembre 2010,
- 32 809,20 euro au titre des commissions dues pour janvier février 2011,
- 138 297,50 euro au titre des commissions qu'il était en droit de percevoir sur le contrat passé avec la société Elior pour la période du 1er mars au 31 décembre 2011,
- 371 554 euro au titre de l'indemnité compensatrice de rupture des relations contractuelles d'agent commercial,
- 50 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la brusque rupture des relations contractuelles.
Par jugement du 19 octobre 2012, le tribunal a rejeté les réclamations présentées par M. Guillemot qui a relevé appel de cette décision et reprend les moyens et demandes présentées devant le tribunal en soutenant notamment :
- qu'il avait la qualité d'agent commercial de la société ID Services,
- que cette société connaissait l'existence et l'activité de la société Arcade & Bio,
- que la rupture du contrat est imputable à la ID Services car celle-ci devait lui verser des commissions de plus en plus importantes du fait du développement de l'activité "bio".
Il conclut donc au bien-fondé de ses réclamations.
La société ID Services rétorque qu'aucun contrat d'agent commercial n'a été conclu avec M. Guillemot.
Elle ajoute que celui-ci a eu une attitude déloyale à son égard du fait des actes de concurrence déloyale qu'il a commis et dont elle n'a eu connaissance qu'au cours du dernier trimestre 2010.
Elle réfute donc l'argumentation développée par M. Guillemot et soutient n'être débitrice d'aucune somme à son égard.
La société ID Services conclut à la confirmation de la décision déférée, sauf à ce qu'il lui soit alloué la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts.
LA COUR renvoie, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, à leurs écritures précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Les parties ont signé en 2009, avec effet au 1er septembre 2009 une "convention pour agence commerciale Guillemot", prévoyant les modalités des versements des commissions.
Le courrier de rupture adressé le 9 novembre 2010 par la société ID Services à M. Guillemot commençait ainsi : "Depuis le mois de mars de l'année 2005, vous êtes notre agent commercial sur notre activité bio".
La société ID Services qui a reconnu à plusieurs reprises la qualité d'agent commercial de M. Guillemot ne peut sérieusement soutenir que celui-ci était un apporteur d'affaires.
L'article L. 134-12 du Code de commerce prévoit que la réparation prévue à l'article L. 134-13 n'est pas due en cas de faute grave de l'agent commercial.
Dans la lettre de rupture précitée envoyée par la société ID Services, il était reproché à M. Guillemot d'avoir créé une société concurrente, la société Arcade & Bio, ayant notamment pour objet "le négoce de produits issus de l'agriculture biologique et du commerce équitable, ce qui est en directe concurrence avec notre propre activité".
La société ID Services ajoutait que depuis le milieu de l'année 2010, elle avait eu de plus en plus de retours concernant cette société concurrente, laquelle s'était vu attribuer un appel d'offres pour laquelle la société ID Services avait présenté une proposition.
Les attestations de Messieurs Chapuis et Dupuis, selon lesquelles la société ID Services avait eu connaissance de la création de la société Arcade & Bio et dont l'activité ne devait pas concurrencer celle de la société intimée, outre qu'elles ne sont corroborées par aucun élément, ne présentent pas la moindre force probante puisqu'ils sont associés dans la société Arcade & Bio.
Il n'est nullement démontré par l'appelant qu'il aurait été autorisé à exercer une activité concurrente à celle de la société ID Services.
Le fait que M. Guillemot ait cédé ses parts dans cette société en septembre 2012 est sans incidence sur son comportement vis-à-vis de son mandataire puisqu'il avait été le fondateur et le porteur de parts majoritaire de la société Arcade & Bio.
La faute justifiant la cessation du contrat d'agent commercial est celle qui porte atteinte à la finalité du mandat d'intérêt.
En créant une société ayant un objet identique à celle dont il était le mandataire, l'agent qui a exercé une activité concurrente, dont l'importance importe peu, a manqué à l'obligation de loyauté à laquelle il était tenu et ainsi commis une faute grave en ne respectant pas les dispositions de l'article L. 134-3 du Code de commerce.
La société ID Services rapporte donc la preuve de l'existence d'une faute grave de M. Guillemot pendant l'exercice de son mandat d'intérêt commun le privant des indemnités de rupture.
M. Guillemot est débouté de ses réclamations présentées au titre de l'indemnité compensatrice de rupture des relations contractuelles d'agent commercial, et au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la brusque rupture des relations contractuelles.
M. Guillemot réclame le paiement d'une somme de 8 604 euro au titre de la reddition de compte au 31 décembre 2010.
Les documents comptables qu'il produit et qui ne sont infirmés par aucune pièce de l'intimée démontrent qu'il est créancier de cette somme.
En conséquence, il convient de condamner la société ID Services à verser à M. Guillemot la somme de 8 604 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation valant mise en demeure.
M. Guillemot sollicite le paiement d'une somme de 32 809,20 euro, période du 1er janvier 2011 au 28 février 2011, dans le cadre de l'indemnité de préavis, et de 138 297,20 euro période du 1er mars au 31 décembre 2011 au titre d'un contrat passé avec la société Elior pour l'année 2011.
Il convient de préciser qu'en page 28 de ses écritures, M. Guillemot réclame la somme de 32 809,20 euro "pour le paiement de commissions dues au titre des deux derniers mois de préavis" et vise l'article L. 134-11 du Code de commerce.
La rupture du contrat étant imputable à sa faute grave, il ne peut obtenir paiement de cette indemnité.
La société ID Services soutient que si des démarches ont bien été initiées en novembre 2010 au siège de la société Elior, elles se sont concrétisées plus tard dans des termes différents de ceux "négociés" par M. Guillemot et ne sont pas de son fait mais de celui de M. Cluzet de la société ID Services.
L'article L. 134-7 du Code de commerce prévoit que l'agent a droit à une commission pour toute opération conclue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat lorsque l'opération est principalement due à son activité.
M. Guillemot produit une lettre de la société Elior de 2002 qui est sans rapport avec la commission sollicitée mais démontre qu'il était un interlocuteur de cette société.
Il remet, un "travail préparatoire Elior" dont il fait état dans un message électronique adressé le 2 novembre 2010 à M. Cluzet et un responsable de la société Elior.
Ce travail préparatoire comporte la désignation des articles, et toutes informations sur les prix.
Le courrier électronique précise le montant de l'augmentation linéaire, et les résultats notés sous différentes couleurs en fonction de l'évolution des prix précisant qu'aucune anticipation de hausse des prix n'avait été prise en compte.
Ce travail a servi de base au contrat signé entre la société Elior et la société ID Services.
Si certains prix ont été revus à la baisse par cette société, d'autres sont restés inchangés.
Un contrat a été signé entre ces deux sociétés le 14 mars 2011 pour des prestations couvrant la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2011 sur la base de la présentation faite par M. Guillemot en 2010.
Dès lors, il apparaît que le contrat finalisé résulte du travail effectué par M. Guillemot, les ajustements de prix d'ailleurs envisagés n'ayant pas remis en cause la proposition effectuée par l'agent.
Par application des articles L. 134-6 et L. 134-7 du Code de commerce, M. Guillemot a droit au paiement d'une commission au titre de la période qu'il prend en compte du 1er mars au 31 décembre 2011.
La société ID Services n'a pas fourni la moindre indication sur le montant des ventes réalisées avec la société Elior au cours de la période considérée.
Compte tenu de la quantité de marchandises objet du contrat passé entre ces deux sociétés, des prix pratiqués et du pourcentage de commission prévu pour M. Guillemot dans le contrat passé en 2009, il convient de condamner la société ID Services à lui verser la somme de 138 000 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation valant mise en demeure.
La société ID Services, qui réclame paiement de dommages et intérêts ne justifie nullement de difficultés financières imputables au comportement de M. Guillemot.
La demande présentée à ce titre est rejetée.
Il n'y a lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le jugement attaqué est donc infirmé.
Par ces motifs LA COUR, Infirme le jugement attaqué, Statuant à nouveau, Condamne la société ID Services à payer à M. Guillemot, la somme de 8 604 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, la somme de 138 000 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples, Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile, Fait masse des dépens de première instance et d'appel, partagés par moitié entre les parties et recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.