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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 3 juillet 2014, n° 09-03013

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie

Défendeur :

Baguyled (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rolin

Conseillers :

Mmes Figuet, Pages

Avocats :

Mes Wien, Boudou

T. com. Vienne, du 14 mars 2006

14 mars 2006

La société Baguyled exploite depuis 1996 un supermarché sous l'enseigne Intermarché à la Côte Saint André et réalise ses achats soit auprès de la centrale d'achat du groupe, soit auprès de fournisseurs directs avec lesquels elle a souscrit des accords de coopération commerciale ;

Entre octobre 2003 et mars 2004, la DDCCRF de l'Isère a procédé à une enquête au sein de la société Baguyled et estimé les contrats de coopération commerciale conclus avec 11 fournisseurs directs contraires aux dispositions de l'article L. 442-6 III du Code de commerce alors applicable comme portant sur des prestations rétroactives, comme ne correspondant pas un service effectivement rendu et/ou inhérents aux fonctions du distributeur et pour trois fournisseurs, comme facturant des sommes au titre d'avantages préalables à la passation de toute commande sans engagement écrit d'un volume d'achat proportionnel ;

Par acte en date du 24 février 2005, le ministre de l'Economie, des Finances de l'Industrie a fait assigner la société Baguyled pour entendre prononcer la nullité des contrats de coopération au titre des années 2002 et 2003, la répétition de l'indu et sa condamnation au paiement d'une amende civile de 50 000 euro ;

Par jugement en date du 14 mars 2006, le Tribunal de commerce de Vienne a :

- dit que les contrats de coopération commerciale entre la société et ses fournisseurs au titre de l'année 2002 et de l'année 2003 ne sont pas rétroactifs,

- en conséquence, débouté le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie de sa demande en nullité des contrats,

- dit que les contrats de coopération commerciale conclus par la société Baguyled apparaissent spécifiques à chacun de ses fournisseurs et que les prestations spécifiées ont été réalisées,

- en conséquence, débouté le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie de sa demande fondée sur le caractère non spécifique et/ou l'absence de réalisation de prestations de service rémunérées au titre de la coopération commerciale,

- débouté le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie de sa demande en restitution des sommes versées au titre du contrat,

- constaté que la société a obtenu de 3 de ses fournisseurs un référencement préalable sans engagement sur un volume d'achat,

- condamné par conséquent la société Baguyled à restituer ces sommes, soit un total de 6 416,35 euro, liquidées au profit du Trésor public à charge pour celui-ci de les reverser à chacun des trois fournisseurs,

- débouté le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie de sa demande en paiement d'une amende civile de 50 000 euro,

Le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a relevé appel de cette décision le 15 mai 2006 ;

Par arrêt en date du 6 mars 2008, la Cour d'appel de Grenoble a déclaré le ministre de l'Economie,, des finances et de l'emploi irrecevable en son action en nullité et en restitution et sans objet sa demande d'amende civile ;

Par arrêt en date du 5 mai 2009, la Cour de cassation a cassé l'arrêt en date du 6 mars 2008 en ce qu'il a déclaré le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi irrecevable en son action en nullité et en restitution et en ce qu'il a dit sans objet la demande d'amende civile et a remis la cause, les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la Cour d'appel de Grenoble autrement composée ;

Le ministre de l'Economie, de l'industrie et de l'Emploi a saisi la cour par acte en date du 15 juillet 2009 ;

Vu les conclusions du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie aux termes desquelles il demande à la cour de :

- déclarer son action recevable au regard de la décision du Conseil constitutionnel ;

- dire que les services facturés par la société Baguyled aux fournisseurs directs ont donné lieu à l'établissement de contrats rétroactifs ;

- constater la nullité de ces contrats et en tirer toutes conséquences quant à la restitution des sommes indûment perçues ;

- dire que les services facturés par la société Baguyled ne constituent pas un service de coopération commerciale, n'ont pas été effectivement rendus ou n'ont pas été réalisés par le distributeur ;

- condamner la société Baguyled à restituer les sommes indûment versées au 13 octobre 2003 par les 11 fournisseurs en application des accords ;

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que les avantages perçus au titre du référencement par la société Baguyled sont contraires aux dispositions de l'article L. 442-6 I 3° du Code de commerce et l'a condamnée à la restitution des sommes indûment perçues ;

- condamner ainsi la société Baguyled à la restitution des sommes de 33 810,28 euro et de 20 058,13 euro au titre des sommes indûment perçues en 2002 et 3003 et les liquider au profit du Trésor public à charge pour lui de les reverser à chaque fournisseur ;

- enjoindre à la société Baguyled de cesser les pratiques dénoncées ;

- condamner la société Baguyled au paiement d'une amende civile de 50 000 euro ;

Aux motifs :

- que le Conseil constitutionnel énonce que l'alinéa 2 de l'article L. 442-6 III du Code de commerce est conforme à la Constitution sous réserve de l'information aux cocontractants de l'introduction de la demande et que cette réserve ne précise pas de qui doit émaner l'information aux fournisseurs lesquels ont produit des attestations au profit de l'intimée et ont été ainsi mis en mesure de se joindre à l'instance ;

- que l'article L. 411-6 du Code de commerce, texte d'ordre public, exige que les accords de coopération fassent l'objet d'un contrat écrit dont le caractère rétroactif est sanctionné par la nullité de plein droit en application de l'article L. 442-6 II du Code de commerce ;

- que le caractère rétroactif des contrats qui résultent de leur signature postérieure à leur prise d'effet est contraire aux dispositions, dérogatoires au droit commun, de l'article L. 442-6 II du Code de commerce ;

- que les prestations de service rémunérées au titre de la coopération commerciale présentent un caractère non spécifique et/ou une absence de réalisation, ainsi la détention de gamme, la mise en avant spécifique de la gamme et les têtes de gondole dont les actions ressortent de la fonction du distributeur et pour certaines sont réalisées en fait par les fournisseurs ou à leurs frais ;

- que la finalité des contrats était d'obtenir des remises sur les prix de vente des produits que la réglementation en vigueur ne permettait pas de négocier ;

- que pour 3 fournisseurs directs, la société Baguyled a perçu au titre du référencement des avantages préalables sans engagement sur un volume d'achat proportionné ;

- que l'action du ministre est une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence et la possibilité de demander la restitution des sommes indues, qui est la conséquence de la nullité des contrats, a été constitutionnellement validée ;

- qu'il est également fondé à solliciter une amende civile ;

Vu les conclusions en date du 18 avril 2014 par lesquelles la société Baguyled demande à la cour de :

- déclarer irrecevable l'action du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie,

- dire que la demande d'amende civile est sans objet,

- écarter des débats les procès-verbaux constituant les pièces produites par le ministre,

Subsidiairement,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté le ministre de l'Economie, de ses prétentions,

- condamner le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie à lui payer la somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

Aux motifs :

- que le ministre de l'Economie n'a pas informé les fournisseurs de la présente action lors de son introduction,

- que l'annulation des contrats et la répétition de l'indu ne peuvent être prononcées sans que les fournisseurs, parties à ces contrats, aient été informés par le ministre lors de l'introduction de l'instance ;

- que les dispositions de l'article L. 442-6 III du Code de commerce ne peuvent faire obstacle au droit des fournisseurs à être entendus équitablement et publiquement sur la contestation de leurs droits et obligations ce qui est le cas à défaut de leur information lors de l'introduction de l'action ;

- que l'article L. 442-6 III du Code de commerce ne confère aucun droit de créance au ministre de l'Economie au titre de la répétition de l'indu à défaut d'information ;

- que les procès-verbaux de déclaration produits par le ministre de l'Economie, sont en réalité des procès-verbaux d'audition qui résultent d'interrogatoires réalisés par l'Administration qui excédaient l'étendue des pouvoirs des agents dans le mépris des droits de la défense et en particulier du droit à ne pas s'auto-incriminer ;

- que la formation d'un contrat doit être appréciée à la date de l'échange des consentements et la seule date de signature d'un écrit transcrivant l'accord des parties ne peut donner un caractère rétroactif à cet accord ;

- que le ministre de l'Economie ne rapporte pas la preuve du caractère rétroactif des contrats ni que les services rendus ne peuvent être qualifiés de coopération commerciale au sens de la réglementation en vigueur à l'époque des faits et ne démontre pas plus l'absence de réalisation des services rendus alors que ces services sont spécifiques et visent à favoriser la commercialisation des produits des fournisseurs bénéficiaires de ces accords ;

- que la réalisation des mises en avant et des têtes de gondole n'est pas contestée et est confirmée par les déclarations des fournisseurs et leur intervention à ce titre lors de l'exécution des contrats ;

- que le mode de calcul de la rémunération des services rendus aux sociétés Distriborg, Louvat, Sadis, Hipp France, et Val d'Eure ne peuvent valoir assimilation de ces services à un référencement ;

- que les fournisseurs ont attesté que les sommes payées n'étaient pas indues compte tenu de l'accord des parties et de l'exécution des contrats ;

- que les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce ne confèrent aucun pouvoir de collecte et de redistribution des sommes en conséquence d'une demande de répétition de l'indu prévue à son III ;

- qu'en tout état de cause, l'Administration est irrecevable à former une demande en répétition de l'indu au profit de fournisseurs qui seraient eux-mêmes irrecevables comme prescrits à former une telle demande ;

- qu'à défaut de textes précis définissant le délit, aucune amende ne peut être prononcée alors que l'article L. 442-6 I 2 a, 3 et II est rédigé en termes imprécis quant à la définition de l'acte punissable et celle des conditions dans lesquelles il pourra être puni ;

- que les dispositions actuelles de l'article L. 442-6 I du Code de commerce sont plus douces ce qui exclut le prononcé d'une sanction ;

La clôture de la procédure a été prononcée le 15 mai 2014 ;

MOTIFS DE L'ARRET

Attendu qu'en application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu et d'obtenir ou de tenter d'obtenir un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l'assortir d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné et, le cas échéant, d'un service demandé par le fournisseur et ayant fait l'objet d'un accord écrit ;

Que sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers, la possibilité de bénéficier rétroactivement de remises, de ristournes ou d'accords de coopération commerciale et d'obtenir le paiement d'un droit d'accès au référencement préalablement à la passation de toute commande ;

Que lors de l'action introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente, le ministre chargé de l'Economie peut demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites, demander la répétition de l'indu et le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut excéder 2 millions d'euros ;

Que par décision en date du 13 mai 2011, le Conseil constitutionnel a considéré "qu'il est loisible au législateur de reconnaître à une autorité publique le pouvoir d'introduire pour la défense d'un intérêt général, une action en justice visant à faire cesser une pratique contractuelle contraire à l'ordre public ; que ni la liberté contractuelle ni le droit à un recours juridictionnel effectif ne s'opposent à ce que, dans l'exercice de ce pouvoir, cette autorité publique poursuive la nullité des conventions illicites, la restitution des sommes indûment perçues et la réparation des préjudices que ces pratiques ont causés, dès lors que les parties au contrat ont été informées de l'introduction d'une telle action" ;

Attendu qu'en l'espèce, il est constant que le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie n'a pas informé les fournisseurs de la société Baguyled de l'introduction de l'action en nullité de leurs contrats et en répétition de l'indu et ne peut se prévaloir d'une information qui aurait été donnée par la société Baguyled ;

Qu'en effet, les attestations produites aux débats qui n'émanent que de 8 fournisseurs sur 11 portent exclusivement sur les conditions de mise en œuvre des prestations de la société Baguyled et les relations entretenues avec cette dernière ;

Que des termes de ces attestations ne peut être déduit que les fournisseurs avaient connaissance de la nature de la procédure en cours et de la demande en nullité des contrats introduite par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie ;

Qu'à défaut de l'information des fournisseurs, l'action du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie sera déclarée irrecevable ;

Attendu que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application de l'article 700 du Code de procédure civile en faveur de l'intimée ;

Par ces motifs LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, Déclare l'action introduite par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie irrecevable, Déboute la SAS Baguyled de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie aux dépens.