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Décisions

Cass. com., 24 juin 2014, n° 11-27.450

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Fiducial expertise (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Avocats :

SCP Fabiani, Luc-Thaler, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, SCP Rousseau, Tapie, Me Spinosi

Paris, du 22 sept. 2011

22 septembre 2011

LA COUR : - Joint les pourvois n° Q 11-27. 450 et R 13-26. 332 qui attaquent le même arrêt ; - Sur l'irrecevabilité du pourvoi n° Q 11-27. 450, relevée d'office après avertissement délivré aux parties : - Vu l'article 613 du Code de procédure civile ; - Attendu qu'il résulte de ce texte que le délai de pourvoi en cassation ne court à l'égard des décisions rendues par défaut, même pour les parties qui ont comparu devant les juges du fond, qu'à compter du jour où l'opposition n'est plus recevable ; Attendu que la société Fiducial expertise s'est pourvue en cassation le 2 décembre 2011 contre un arrêt rendu par défaut et susceptible d'opposition, l'un des intimés, Mme A, qui n'a pas constitué avoué, ayant été assigné devant la cour d'appel dans les formes prévues à l'article 659 du Code de procédure civile ; qu'il n'est pas justifié au jour où la chambre statue de l'expiration du délai d'opposition ouvert à l'intimée défaillante ; D'où il suit que le pourvoi est irrecevable ;

Et sur le pourvoi n° R 13-26. 332 : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 septembre 2011), que M. Y, directeur salarié de la succursale de la société Fiduciaire nationale d'expertise comptable de Meaux, exerçant une activité d'expertise comptable sous l'enseigne Fiducial expertise (la société Fiducial expertise), a démissionné de ses fonctions à effet le 1er novembre 2002 ; qu'il a pris des fonctions salariées au sein d'une société Ancofis, créée fin 2002, ayant pour objet social "toutes prestations de services administratifs et bureautiques, toutes prestations se rapportant à la gestion du personnel, l'accompagnement d'entreprises dans le domaine de la gestion et des rapports avec les diverses administrations" ; qu'il a été rejoint par Mmes Z et A, salariées démissionnaires de la même agence, tandis que Mme B, salariée dans une autre succursale de la société Fiducial expertise, a pris la direction d'une société dénommée Figest conseils, ayant pour principal associé la société Ancofis et un objet social similaire ; que les sociétés Ancofis et Figest conseils ont conclu un accord avec la société d'expertise comptable Audit conseil expertise comptable (ACEC) pour le traitement de la comptabilité de leurs clients ; que la société Fiducial expertise a fait assigner M. Y, Mmes Z, A et B et les sociétés Ancofis, Figest conseils et ACEC en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant d'actes de concurrence déloyale ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Fiducial expertise fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts pour actes de concurrence déloyale, alors, selon le moyen : 1°/ qu'exerce illégalement la profession d'expert-comptable celui qui, sans être inscrit au tableau de l'ordre en son propre nom et sous sa responsabilité, tient de manière habituelle la comptabilité d'une entreprise à laquelle il n'est pas lié par un contrat de travail, en intervenant directement dans la tenue des comptes ; que dès lors, en jugeant que les sociétés Ancofis et Figest n'auraient exercé illégalement la profession d'expert-comptable que si elles avaient révisé ou apprécié les comptabilités, attesté de leur régularité et de la sincérité des comptes de résultats, surveillé, redressé ou consolidé ces comptabilités, ou analysé le fonctionnement des entreprises sous leurs aspects économiques juridique et financier, la cour d'appel a violé les articles 2 et 20 de l'ordonnance n 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des expert-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable, dans sa rédaction issue de la loi n 94-679 du 8 août 1994 ; 2°/ que la cour d'appel a elle-même constaté que l'objet social de la société Ancofis comprenait "la saisie informatique de données comptables" ; qu'il résultait donc de ses propres constatations que cette société avait pour activité la tenue de la comptabilité de ses clients ; que dès lors, en jugeant qu'il n'était pas établi que la société Ancofis aurait accompli des prestations relevant des attributions d'un expert-comptable et que l'exercice illégal de cette profession n'était donc pas caractérisé, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé les articles 2 et 20 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 précitée ; 3°/ qu'en cause d'appel, la société Fiducial expertise faisait valoir en détail que les sociétés Ancofis et Figest effectuaient des activités relevant de l'exercice de la profession d'expert-comptable, et que l'association avec la société ACEC n'était qu'un montage destiné à permettre la certification des comptes qui le nécessitaient ; qu'elle rappelait que lors de son départ M. Y avait cherché à obtenir la cession d'une partie de la clientèle de la société Fiducial expertise et qu'il comptait continuer à traiter leurs dossiers ; qu'elle exposait que la société Figest reconnaissait faire la saisie comptable des documents qui lui étaient soumis par ses clients ¿ soit intervenir dans la tenue de leur comptabilité ; que la cour d'appel a elle-même constaté que l'objet social de la société Ancofis comprenait "la saisie informatique de données comptables" ; que dès lors, en s'abstenant de rechercher s'il ne résultait pas de ces éléments que les sociétés Ancofis et Figest effectuaient à titre habituel des prestations confiées aux expert-comptables, et si l'accord avec la société ACEC n'était pas un paravent destiné à masquer la réalité des prestations fournies par Ancofis et Figest, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2 et 20 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 précitée ;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs adoptés, qu'il résulte des éléments versés aux débats que les contrats d'assistance administrative et bureautique conclus par les sociétés Ancofis et Figest conseils portaient sur "les saisies informatiques des données transmises par le client, l'organisation administrative, l'assistance en matière administrative, le classement des pièces fournisseurs/ clients/ banques/ correspondances, la formation informatique et bureautique, les saisies des données sociales préparées par le client" et stipulaient expressément que ces sociétés ne se substituaient aucunement à l'expert-comptable ACEC intervenant auprès des clients et chargé "d'arrêter le bilan" ; qu'il relève que la société Fiducial expertise ne rapporte pas la preuve que les sociétés Ancofis et Figest conseils auraient outrepassé leur mission contractuelle et auraient elles-mêmes, notamment par le truchement de M. Y ou de Mme B, accompli des prestations relevant des attributions d'un expert-comptable, à savoir la révision et l'appréciation des comptabilités, l'attestation de leur régularité et de la sincérité des comptes de résultats, la surveillance, le redressement et la consolidation de ces comptabilités, l'analyse du fonctionnement des entreprises sous leurs aspects économique, juridique et financier ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche devenue inopérante, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa dernière branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le second moyen : - Attendu que la société Fiducial expertise fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°/ que l'action concertée d'anciens salariés aux fins de désorganiser l'entreprise qu'ils quittent et de détourner sa clientèle est constitutive d'une concurrence déloyale ; qu'en l'espèce, la société Fiducial expertise faisait valoir que M. Y et Mmes Z, B et A avaient mené une action concertée et délibérée afin de la désorganiser, en décapitant le bureau de Meaux par les départs rapprochés des trois premiers salariés, et en détournant, à cette faveur, une partie de la clientèle du bureau au profit des sociétés Ancofis et Figest conseils, qui présentaient d'étroits liens entre elles et qui avaient engagé les quatre anciens salariés ; que dès lors, en examinant l'existence d'une concurrence déloyale salarié par salarié et société par société, sans étudier la situation globale et sans rechercher l'éventuelle existence d'une action concertée constitutive de concurrence déloyale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 2°/ que le départ d'un nombre important de clients vers des structures dirigées par ou composées d'anciens salariés, dans un laps de temps court et concomitant au départ des salariés, est de nature à révéler des manœuvres de détournement de clientèle ; qu'en l'espèce, la société Fiducial expertise soutenait que le nombre important de clients qui avaient quitté les bureaux de Meaux et Rubelles pour rejoindre les sociétés Ancofis et Figest conseils concomitamment au départ de M. Y et Mmes Z, B et A révélait le démarchage systématique effectué par ces salariés et leurs nouvelles structures ; que dès lors, en s'abstenant d'examiner la situation dans sa globalité et si le nombre total de clients transférés pendant cette période n'établissait pas un démarchage systématique et ne décrédibilisait pas les motifs invoqués pour justifier les résiliations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 3°/ que la société Fiducial expertise faisait valoir que les motifs de mécontentement avancés par ses anciens clients ayant rejoint la société Figest conseils pour justifier la résiliation de leur contrat n'était pas crédibles, dans la mesure où il était illogique que des clients mécontents décident de suivre les personnes mêmes qui avaient traité leur dossier ; que dès lors, en s'abstenant de rechercher si ces éléments ne retiraient pas toute crédibilité aux motifs de résiliation allégués, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 4°/ que l'utilisation d'un fichier clientèle détenu par un ancien salarié aux fins de prospecter la clientèle constitue un acte de concurrence déloyale ; que dès lors, en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si les sociétés Ancofis, Figest conseils et ACEC n'avaient pas laissé les anciens salariés de la société Fiducial expertise se servir du fichier clientèle de cette dernière pour démarcher les clients, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 5°/ que le transfert de dossiers de clients entre deux expert-comptables, en méconnaissance de la règle déontologique selon laquelle l'expert-comptable a l'obligation d'informer son confrère de ce qu'il est appelé à le remplacer dans un dossier avant d'accepter la mission, est constitutif d'un acte de concurrence déloyale ; que dès lors, en jugeant que le transfert de dossier sans l'information préalable prévue par le Code de déontologie ne constituait pas une concurrence déloyale dans la mesure où il n'était pas établi de manœuvre déloyale aux fins de détourner la clientèle de Fiducial et où le simple fait de ne pas avoir informé Fiducial de l'arrivée en son cabinet de nouveaux clients en provenance de cette dernière ne caractérisait pas une manœuvre déloyale de détournement, la cour d'appel a violé l'article 23 du Code de déontologie des expert-comptables, ensemble l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que le moyen, pris en ses quatre premières branches, ne tend, sous couvert de griefs tirés d'un défaut de base légale, qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine des juges du fond sur les éléments de preuve qui leur sont soumis ;

Et attendu, en second lieu, qu'un manquement à une règle de déontologie, dont l'objet est de fixer les devoirs des membres d'une profession et qui est assortie de sanctions disciplinaires, ne constitue pas nécessairement un acte de concurrence déloyale ; qu'ayant retenu que le non-respect par la société ACEC de la règle déontologique applicable à l'activité d'expert-comptable, selon laquelle le membre de l'ordre qui est appelé à remplacer un confrère dans la tenue de la comptabilité d'un client ne peut accepter sa mission qu'après en avoir informé ce confrère, ne peut à lui seul constituer une manœuvre déloyale, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : Déclare irrecevable le pourvoi n° Q 11-27. 450 ; Rejette le pourvoi n° R 13-26. 332.