ADLC, 24 juillet 2014, n° 14-D-08
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de produits laitiers frais aux Antilles françaises
L'Autorité de la concurrence (section II),
Vu la décision n° 11-SO-14 du 19 décembre 2011 enregistrée sous le numéro 11/0091 F, par laquelle l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de produits laitiers aux Antilles françaises ; Vu le livre IV du Code de commerce modifié ; Vu les décisions liées à la protection du secret des affaires n° 12-DSA-298 et n° 12-DSA-299 du 28 août 2012, n° 13-DSA-110, n° 13-DSA-111, n° 13-DSA-112, n° 13-DSA-113 et n° 13-DSA-114 du 29 mars 2013, n° 13-DSA-323 du 16 décembre 2013, et n° 14-DSA-129 du12 mai 2014 ; Vu les décisions de déclassement n° 13-DECR-29 et n° 13-DEC-30 du 3 mai 2013, n° 13-DECR-32, n° 13-DECR-33 et n° 13-DECR-34 du 13 mai 2013 ; Vu les observations présentées par les sociétés SNYL, Socrema et Antilles Glaces et par le commissaire du Gouvernement ; Vu le courrier adressé aux sociétés SNYL, Socrema et Antilles Glaces le 18 juin 2014 ; Vu les informations complémentaires transmises par les sociétés SNYL, Socrema et Antilles Glaces le 25 juin 2014 ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés SNYL, Socrema et Antilles Glaces, entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 4 juin 2014 ; Adopte la décision suivante :
I. Introduction
1. Par lettre du 25 août 2010 (cote 7), les services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ont adressé à la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence, en application des articles L. 450-5 et D. 450-3-1° du Code de commerce, un projet d'enquête relatif à des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des produits laitiers frais fabriqués en métropole et mis sur le marché aux Antilles françaises ainsi qu'en Guyane.
2. Les investigations préliminaires conduites par les services d'enquête de la DGCCRF trouvent leur origine dans la plainte déposée par la Société Nouvelle des Yaourts de Littée (ci-après la " SNYL "), implantée en Guadeloupe et en Martinique, contre la SAS Laiterie de Saint-Malo (ci-après la " LSM ") dont le siège est situé dans le département d'Ille-et-Vilaine. L'objet de la plainte visait la commercialisation par la LSM, dans les départements de Martinique et de Guadeloupe, de produits laitiers (fromages frais et yaourts) dont la date limite de consommation (ci-après la " DLC ") et la dénomination étaient dénoncées comme non conformes aux dispositions légales et réglementaires alors en vigueur.
3. La rapporteure générale a décidé, après examen des éléments transmis, de prendre la direction des investigations conformément aux dispositions du Code de commerce ci-dessus visées. Cette décision a été signifiée par lettre du 17 septembre 2010 à la directrice générale de la DGCCRF (cote 13).
4. À l'issue des investigations conduites par les services de l'instruction, l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office, par décision du 19 décembre 2011 (cote 2), de pratiques relevées dans le secteur de la commercialisation des produits laitiers aux Antilles françaises (saisine enregistrée sous le n° 11/0091 F).
5. Le 12 juin 2013, la rapporteure générale de l'Autorité a notifié un grief à la SNYL et à ses sociétés-mères Socrema et Antilles Glaces. À la suite des observations des représentants de la SNYL, de Socrema et d'Antilles Glaces, un rapport a été adressé aux parties le 17 janvier 2014.
6. La séance contradictoire s'est tenue devant l'Autorité le 4 juin 2014.
II. Constatations
A. LE SECTEUR ET LES ENTREPRISES EN CAUSE
1. LA PRODUCTION DE PRODUITS LAITIERS FRAIS AUX ANTILLES FRANÇAISES
7. Dans les départements antillais, la filière laitière n'est pas auto-suffisante. Les données statistiques produites par l'Office de développement de l'économie agricole d'Outre-mer, pour l'année 2008, font ressortir que la production laitière aurait été de 850 000 litres en Martinique alors que les seules importations de lait UHT s'élevaient à environ 18 000 000 litres (cote 24).
8. Les producteurs de produits laitiers frais ne sont pas soumis aux mêmes contraintes logistiques et agricoles selon qu'ils sont implantés en métropole ou en outre-mer. Alors que les producteurs métropolitains exportent à destination des Antilles françaises par conteneurs réfrigérés, principalement par voie maritime, des produits fabriqués à partir de lait frais collecté en métropole, les producteurs antillais sont contraints de recourir à des poudres de lait pour assurer leur production (1).
2. LES PRODUCTEURS
a) La SNYL
9. La Société Nouvelle des Yaourts de Littée SAS créée en 1988 est implantée en Martinique. Cette société est une filiale à 100 % de la société Socrema SAS, elle-même détenue à 100 % par la société holding Antilles Glaces SAS (cote 2089). La SNYL fabrique des produits laitiers classiques et frais tels que les yaourts, les desserts lactés et les crèmes fraîches, commercialisés sous marques propres pour le compte de la marque " Yoplait " dans le cadre d'un contrat de franchise conclu entre elle-même et la société Sodima International, filiale de Yoplait SA (cote 1216) ou bien encore sous marque de distributeur (MDD) depuis le milieu des années 1990. Elle fabrique, par ailleurs, des jus de fruit, notamment sous sa marque " Caresse antillaise ".
b) Les sociétés SAPY et SGPY
10. La Société Antillaise de Production de Yaourts SAS (SAPY), créée en 1986, est implantée en Martinique sous le nom commercial " Gervais-Danone ". La Société Guadeloupéenne de Production de Yaourts (SGPY) créée en 1991 est, quant à elle, établie en Guadeloupe. Licenciées de la marque Danone, elles ont pour activité la fabrication et la commercialisation sur les territoires antillais de produits laitiers frais sous les différentes marques du groupe. Les sociétés SAPY et SGPY ont des dirigeants et un actionnariat communs (cotes 2164 et 2165).
c) Laiterie de Saint-Malo
11. La société Laiterie de Saint-Malo SAS, créée en 1957, a son siège à Saint-Malo dans le département d'Ille-et-Vilaine. Depuis 2008 cette société est détenue à 100 % par la société Industrielle Laitière du Léon Brest SAS (SILL), présente dans les filières du lait, du jus de fruit, des soupes de légumes et des plats préparés à base de produits de la mer.
12. La LSM est spécialisée dans la fabrication de produits laitiers frais, notamment des yaourts, de la crème fraîche et des fromages frais. Elle est présente dans les départements antillais depuis 2002 avec des produits de sa gamme soit sous marque de distributeurs (Leader Price et Carrefour) soit sous sa propre marque (cote 83). Les produits de la LSM sont notamment distribués par les enseignes exploitées par le groupe Hoio. Plus précisément, la LSM vend au grossiste Multigros, filiale du groupe Hoio, par l'intermédiaire du groupe coopératif Laïta (cote 479).
d) Savoie Yaourt
13. La société Savoie Yaourt SAS, créée en 1981, est implantée à Aix-les-Bains dans le département de la Savoie. Elle est une filiale, depuis septembre 2009, de la coopérative Alsace Lait établie à Hoerdt dans le département du Bas-Rhin (cote 2518). Savoie Yaourt fabrique et commercialise des yaourts à partir de lait de vache (conventionnel et bio), de chèvre et de brebis.
3. LE SYNDICAT PROFESSIONNEL SYNDIFRAIS
14. Le Syndicat National des Fabricants de Produits Laitiers Frais, connu sous le sigle " Syndifrais ", est une organisation professionnelle créée en 1978 qui regroupe les industriels des secteurs privé et coopératif fabricants de yaourts, de lait fermentés, de fromages blancs, de petits suisses, de desserts lactés frais et de crèmes fraîches (cote 2447).
15. Les sociétés Alsace Lait, Danone France, Savoie Yaourt, SNYL et Yoplait France sont à ce titre membres de Syndifrais. La LSM en était également membre jusqu'en 2009, année de son exclusion.
4. LES DISTRIBUTEURS
16. D'une manière générale, la structure du marché de la distribution alimentaire dans les départements ultra-marins présente des caractéristiques qui rendent ce secteur peu concurrentiel. Dans son avis n° 09-A-45 du 8 septembre 2009 relatif aux mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation dans les départements d'outre-mer, l'Autorité avait relevé le fait que le développement des enseignes nationales dans les DOM pour la distribution alimentaire s'est essentiellement appuyé sur des " master-franchises " mises en place soit par des groupes de dimension nationale, soit par de puissants opérateurs locaux au premier rang desquels figurent les groupes Bernard Hayot (GBH) et Gérard Huyghues-Despointes (point 80 de l'avis).
17. Le secteur de la distribution alimentaire dans les DOM présente des niveaux de concentration relativement élevés. Certains opérateurs exploitent des structures communes. De plus, certains de ces groupes, qu'ils soient ultra-marins ou métropolitains, développent leur activité en exploitant leurs propres magasins mais recourent également à des partenaires franchisés.
18. Les groupes Bernard Hayot et Gérard Huyghues-Despointes, tous deux franchisés du groupe Carrefour, exploitent conjointement une centrale d'approvisionnement commune en métropole et en Guadeloupe (voir le paragraphe 24 ci-dessous).
a) Hoio SA
19. Ho Hio Hen Investissements Outre-Mer (ci-après " Hoio SA ") est la société holding du groupe Hoio ( ci-après le " groupe 3H "), qui exerce son activité dans le secteur de la distribution alimentaire de détail dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane sous les enseignes Super H, Géant et Casino, au moyen de contrats d'affiliation et de licences de marque. Le groupe 3H exploite également l'enseigne locale Ecomax et détient des plateformes logistiques pour le négoce alimentaire. Le groupe opère en tant que grossiste alimentaire via sa filiale Multigros.
20. Hoio SA est contrôlée majoritairement par M. C. X..., le reste du capital étant détenu par différents membres de la famille X... (voir, à cet égard, la décision n° 10-DCC-197 du 30 décembre 2010 relative à la prise de contrôle d'un fonds de commerce par la société Ho Hio Hen Investissements Outre -Mer).
b) Groupe Bernard Hayot
21. La société Groupe Bernard Hayot (ci-après " GBH ") est à la tête du groupe du même nom principalement actif dans deux secteurs d'activité : la distribution automobile et la distribution alimentaire et non alimentaire. GBH exerce ses activités dans la zone Antilles-Guyane, mais également à la Réunion, en France métropolitaine, en Nouvelle-Calédonie, en Algérie, au Maroc et en Chine (voir la décision n° 13-DCC-43 du 29 mars 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Hyper CK par la société Groupe Bernard Hayot, point 1).
22. Dans la présente affaire, GBH est citée par l'intermédiaire des enseignes GMS du groupe Carrefour qu'elle exploite en tant que franchisée, et qui distribuent les produits de la LSM, à savoir les hypermarchés Carrefour Destreland et Milénis implantés en Guadeloupe, et les hypermarchés Carrefour Génipa situés à Ducos et Dillon à Fort-de-France en Martinique.
c) Geimex
23. La société générale d'importation et d'exportation (ci-après " Geimex ") est une société anonyme créée en 1973 dont le siège est établi à Paris (cote 892). Elle assure l'approvisionnement et la distribution des magasins franchisés Leader Price en Martinique et en Guadeloupe et Franprix en Martinique. Cette activité représente plus des deux tiers de son chiffre d'affaires (cote 390).
d) Sogedial exploitation
24. La société Sogedial exploitation SAS, sise au Havre en Seine-Maritime, est une filiale de la société Sogedial-Saumodex détenue conjointement par les sociétés GBH et Antillaise Frigorifique (SAFO) plus connue aux Antilles sous le nom Huyghues-Despointes.
25. Sogedial est une centrale d'achat pour le compte de la grande distribution (Carrefour par exemple) et d'approvisionnement de certains clients exportant vers l'outre-mer et qui sont également ses actionnaires (groupe SAFO et GBH) (cote 470).
e) SAFO
26. La société Antillaise Frigorifique (SAFO) est une société anonyme dont la majorité du capital est détenue par la société Gérard Huyghues-Despointes. Elle est à la tête du groupe SAFO-GHD, présent sur le secteur de la distribution à dominante alimentaire dans la région Antilles-Guyane et en métropole. En particulier, le groupe SAFO-GHD exploite plusieurs magasins de commerce de détail sous enseignes Carrefour, Carrefour Market, Carrefour Express, 8 à Huit et Proxi.
f) Le SDGA
27. Le syndicat de la distribution et des grossistes alimentaires (SDGA) créé en 1996, situé au Lamentin dans le département de la Martinique, regroupe les fournisseurs des grandes surfaces alimentaires (Champion, Carrefour, Hyper U, Cora, Géant, Casino, Match, Hyper Champion, Huit à 8, Super H, Hyper Landy, Promocash) ainsi que les grossistes Multigros, Lancry, De Négri, Sodicar et Martinique Viandes (cote 180).
28. Cet organisme était présidé de 2007 à 2009 par M. Alain Y..., par ailleurs directeur général du groupe 3H, affilié au groupe de distribution Casino France depuis 1997 pour le développement d'hypermarchés et de supermarchés en Martinique, Guadeloupe et Guyane.
B. LA RÉGLEMENTATION RELATIVE AUX PRODUITS LAITIERS FRAIS
29. Les produits laitiers en cause dans la présente affaire sont les yaourts et les fromages frais. L'analyse des pratiques relevées présuppose le rappel de la définition réglementaire de ces denrées alimentaires périssables (1) et des conditions législatives et réglementaires qui encadrent leur mise sur le marché (2).
1. LES APPELLATIONS
a) Les yaourts
30. En France, l'appellation " yaourt " est définie de manière exhaustive par le décret n° 88-1203 du 30 décembre 1988 relatif aux laits fermentés et au yaourt ou yoghourt. L'article 2 de ce décret précise que : " [l]a dénomination "yaourt" ou "yoghourt" est réservée au lait fermenté obtenu, selon les usages loyaux et constants, par le développement des seules bactéries lactiques thermophiles spécifiques dites Lactobacillus bulgaricus et Streptococcus thermophilus, qui doivent être ensemencées simultanément et se trouver vivantes dans le produit fini, à raison d'au moins 10 millions de bactéries par gramme rapportées à la partie lactée. La quantité d'acide lactique libre contenue dans le yaourt ou yoghourt ne doit pas être inférieure à 0,7 gramme pour 100 grammes lors de la vente au consommateur ".
31. La dénomination " yaourt " est ainsi réservée à un produit laitier coagulé obtenu par fermentation lactique grâce à l'action de deux bactéries, la Lactobacillus bulgaricus et la Streptococcus thermophilus, sur le lait (pasteurisé, concentré, partiellement écrémé enrichi, en extrait sec). Pour être étiqueté sous l'appellation " yaourt ", il est impératif que le produit renferme les bactéries susmentionnées à raison d'un total minimum de 10 millions de bactéries par gramme (article 5 dudit décret).
b) Les fromages frais
32. L'article 2 du décret n° 2007-628 du 27 avril 2007 relatif aux fromages et spécialités fromagères dispose que : " [l]a dénomination "fromage blanc" est réservée à un fromage non affiné qui, lorsqu'il est fermenté, a subi une fermentation principalement lactique " et que : " [l]es fromages blancs fermentés et commercialisés avec le qualificatif "frais" ou sous la dénomination "fromage frais" doivent renfermer une flore vivante au moment de la vente au consommateur ".
33. À la différence des yaourts, la réglementation relative à la commercialisation des fromages (blancs) frais n'impose aucun seuil de présence bactérienne dans la flore lactique.
34. Il convient de préciser que cette définition n'a pas été modifiée à la suite de l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2014, du décret n° 2013-1010 du 12 novembre 2013 modifiant le décret n° 2007-628 du 27 avril 2007 relatif aux fromages et spécialités fromagères.
2. L'AVIS DU CONSEIL NATIONAL DE LA CONSOMMATION RELATIF À L'EMPLOI DU TERME " FRAIS "
a) Le Conseil national de la consommation
35. Le Conseil national de la consommation (ci-après le " CNC "), organisme consultatif auprès du ministre chargé de la consommation, a été institué par le décret n° 83-642 du 12 juillet 1983.
36. Aux termes de l'article D. 511-1 du Code de la consommation : " [l]e Conseil national de la consommation est un organisme consultatif placé auprès du ministre chargé de la consommation. Il a pour objet de permettre la confrontation et la concertation entre les représentants des intérêts collectifs des consommateurs et usagers et les représentants des professionnels, des services publics et des pouvoirs publics, pour tout ce qui a trait aux problèmes de la consommation ".
37. En vertu de l'article D. 511-3 de ce même Code : " [l]es pouvoirs publics consultent, en tant que de besoin, le Conseil national de la consommation sur les grandes orientations de leur politique qui concernent les consommateurs et les usagers et en particulier à l'occasion des discussions communautaires ayant une incidence sur le droit français de la consommation. (...) Les avis du Conseil national de la consommation portent sur les questions intéressant la consommation de biens et de services publics ou privés, sur les projets ou propositions de lois et règlements susceptibles d'avoir une incidence sur la consommation ainsi que sur les conditions d'application de ces textes (...) ".
38. Enfin, l'article 10 de l'arrêté du 14 mars 2005 portant règlement intérieur du CNC, prévoit que : " [l]es avis et les rapports du Conseil national de la consommation, adoptés par le bureau, sont publiés au Bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (BOCCRF) et mis en ligne sur le site internet du Conseil national de la consommation ".
b) L'avis du CNC
39. Le groupe agroalimentaire et nutrition du CNC a rendu le 8 février 1990 un avis concernant l'emploi du terme " frais " en matière de denrées alimentaires (modifié le 4 mars 1992, BOCCRF du 22 février 1990, p. 95, et 31 mars 1992, p. 128).
40. En préambule le CNC précise que : " le présent avis concerne l'utilisation du terme "frais" "lors de la présentation à la vente", il n'est donc pas limité à la dénomination, mais s'étend à la publicité, à l'emballage, à la présentation et à tout ce qui permet au consommateur de classer la denrée concernée dans la catégorie "frais". L'objectif de cet avis est de limiter l'emploi du terme frais aux cas où les trois conditions du 1° sont simultanément réunies. C'est ainsi un cadre général qui est donné aux professionnels, aux pouvoirs publics et aux consommateurs. Il permet d'examiner tout cas particulier qui serait porté à l'attention du groupe agroalimentaire et nutrition du Conseil national de la consommation. (...) L'usage clair et cohérent du terme "frais" en matière de denrées alimentaires doit permettre d'éviter les distorsions de concurrence et d'améliorer l'information du consommateur ".
41. L'avis précise tout d'abord qu'il " vise l'emploi du mot frais se rapportant à l'état d'une denrée alimentaire lors de sa présentation à la vente ".
42. Le premier paragraphe intitulé " 1° Produits présentés comme étant "frais" " indique ensuite que :
" Un produit alimentaire pour avoir droit au qualificatif "frais" doit satisfaire à une triple condition :
a) Posséder au moment de la vente, les caractéristiques essentielles, notamment organoleptiques et hygiéniques qu'il présentait lors de la production ou de la fabrication ;
b) Ne pas avoir été conservé grâce à l'emploi de tout traitement ou à l'addition de toute substance destinée à stopper l'activité des enzymes et de la microflore, exception faite de la réfrigération et, dans certains cas, de la pasteurisation ;
c) Avoir été produit ou fabriqué depuis moins de trente jours " (cote 533).
43. Il convient de souligner que l'avis du CNC comporte un paragraphe intitulé " Produits faisant l'objet d'une définition réglementaire ", dans lequel est indiqué : " Pour mémoire, se référer à celles en vigueur concernant, notamment, le cas des fromages frais, des oeufs frais, des crèmes fraîches, des laits frais, des produits à base de viande et de jus de fruits frais (...) ".
3. LA DÉTERMINATION DES DATES LIMITES DE CONSOMMATION
a) Le droit applicable
44. L'apposition d'une date limite d'usage sur les denrées a pour objectif de faire connaître au consommateur le délai au-delà duquel un aliment est susceptible d'avoir perdu ses qualités microbiologiques, organoleptiques, physiques, nutritives, gustatives, etc.
45. L'article R. 112-9 du Code de la consommation dispose que: " [s]ans préjudice des dispositions relatives au contrôle métrologique, l'étiquetage des denrées alimentaires préemballées comporte, dans les conditions et sous réserve des dérogations prévues au présent chapitre, les mentions obligatoires suivantes : 5° La date de durabilité minimale ou, dans le cas de denrées alimentaires très périssables microbiologiquement, la date limite de consommation ainsi que l'indication des conditions particulières de conservation" (soulignement ajouté).
46. À cet égard, l'article R. 112-10 du même Code précise : " [l]orsque les denrées alimentaires préemballées sont destinées à être présentées au consommateur final ou aux collectivités, les mentions prévues aux articles R. 112-9 et R. 112-9-1 sont portées sur le préemballage ou sur une étiquette liée à celui-ci ".
47. À ces prescriptions s'ajoutent celles de l'article R. 112-22, alinéa 1, du même Code qui prévoit que : " l'étiquetage comporte l'inscription, sous la responsabilité du conditionneur, d'une date jusqu'à laquelle la denrée conserve ses propriétés spécifiques dans des conditions de conservation appropriées " (soulignement ajouté). Cette disposition transpose en droit français le principe de la responsabilité des professionnels en matière d'hygiène et sécurité alimentaires à tous les stades de la filière de fabrication et de commercialisation des denrées. Ce principe est consacré par la législation européenne dans le cadre du " Paquet hygiène " (voir notamment les règlements (CE) n° 178/2002, n° 852/2004, n° 853/2004, n° 854/2004, n° 882/2004 et n° 183/2005 et les directives n° 2002/99/CE et n° 2004/41/CE).
48. Selon la périssabilité des denrées, peuvent ainsi figurer deux types de date sur les emballages : soit une date limite de consommation (dite " DLC "), soit une date limite d'utilisation optimale (dite " DLUO "). La date limite de consommation
49. Aux termes de l'article R. 112-22, alinéa 2, du Code de la consommation : " [d]ans le cas des denrées microbiologiquement très périssables et qui, de ce fait, sont susceptibles, après une courte période, de présenter un danger immédiat pour la santé humaine et dans le cas des denrées pour lesquelles la réglementation en matière de contrôle sanitaire fixe une durée de conservation, cette date est une date limite de consommation, annoncée par l'une des mentions "A consommer jusqu'au..." ou "A consommer jusqu'à la date figurant..." suivie respectivement soit de la date elle-même, soit de l'indication de l'endroit où elle figure dans l'étiquetage. La date se compose de l'indication, en clair et dans l'ordre, du jour, du mois et, éventuellement, de l'année. Ces renseignements sont suivis d'une description des conditions de conservation, notamment de température, à respecter ".
50. La DLC s'applique à des denrées microbiologiquement très périssables, qui, de ce fait, sont susceptibles, après une courte période, de présenter un danger immédiat pour la santé humaine. La détermination de la DLC relève, conformément à ce qui a été exposé au paragraphe 47 ci-dessus, de la seule responsabilité du conditionneur qui doit être en mesure de démontrer que le produit est à même de supporter les DLC qu'il détermine (2).
La date limite d'utilisation optimale
51. Aux termes de l'article R. 112-22, alinéa 3 du Code de la consommation : " [d]ans les autres cas cette date est une date limite d'utilisation optimale, annoncée par la mention "À consommer de préférence avant... " Lorsqu'elle comporte l'indication du jour, "À consommer de préférence avant fin..." dans les autres cas. Cette mention est suivie soit de la date elle-même, soit de l'indication de l'endroit où elle figure dans l'étiquetage. La date se compose de l'indication, en clair et dans l'ordre, du jour, du mois et de l'année (...) ".
52. La DLUO n'a pas le caractère impératif de la DLC. Une fois la date passée, la denrée peut avoir perdu tout ou partie de ses qualités gustatives ou nutritionnelles, sans pour autant constituer un danger pour celui qui la consomme. Tel est le cas, par exemple, du café qui, passé un certain délai, perd de son arôme, ou des pâtisseries sèches qui, en vieillissant, perdent de leurs qualités gustatives.
b) La pratique commerciale de la double DLC
53. Antérieurement à l'adoption de la loi n° 2013-453 du 3 juin 2013 visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire en Outre-mer (JORF n° 0127 du 4 juin 2013, p. 9289), certains industriels hexagonaux apposaient sur leurs produits destinés aux marchés ultramarins une DLC différente de celle portée sur les produits destinés au marché métropolitain. Cette pratique dite de la " double DLC " concernait principalement les produits laitiers, notamment les yaourts.
54. Interrogé sur cette pratique par les services d'instruction, le 23 juin 2011, le responsable des achats produits frais de la société Sogedial Exploitation a indiqué : " (...) si le fournisseur est dans une logique de DLC maximum de 50 jours pour un même type de produit issu d'un process identique, il est capable de déterminer une DLC plus courte pour ce même produit à destination d'un circuit métropole par exemple. D'ailleurs, à ce propos, je vous signale que pour le lait UHT par exemple, la DLC est à 6 mois aux Antilles et elle est de 3 à 4 mois en métropole sans que cela pose de problème. Il en va de même pour le beurre où l'écart DLC entre la métropole et les Antilles va de 45 jours à 6 mois " (cote 476).
55. L'article 3 de la loi précitée prohibe désormais la pratique de la double DLC : " [l]orsque la mention d'une date indiquant le délai dans lequel une denrée alimentaire doit être consommée est apposée sur l'emballage de cette denrée, ce délai ne peut être plus long, lorsque celle-ci est distribuée dans les collectivités mentionnées à l'article 73 de la Constitution ou dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, que le délai prévu pour la même denrée de même marque distribuée en France hexagonale ".
c) La règle professionnelle adoptée par Syndifrais
56. Syndifrais, organisation professionnelle regroupant les industriels des produits laitiers frais, préconise depuis 2006, le respect par ses adhérents d'une DLC de 30 jours pour ce type de produits. Ce syndicat a arrêté en conseil d'administration le 29 juin 2006 que : " la règle générale sur la DLC reste 30 jours maxi à partir de la date de fabrication, ceci pour tous nos produits laitiers " (cote 119). Cette position, diffusée le 6 juillet 2006, a notamment été portée à la connaissance des sociétés SNYL, Savoie Yaourt, LSM, membres de Syndifrais (cote 119).
57. Par ailleurs, il ressort d'un document à en-tête de Syndifrais, du 20 juillet 2006, que : " [p]our respecter ces principes [qualité, fraîcheur, plaisir et santé] et garantir aux consommateurs des produits de haute qualité, les industriels membres de Syndifrais, soit la quasi-totalité de ceux qui fabriquent des produits laitiers frais en France, s'imposent des limites contraignantes et s'engagent à les respecter et à les faire respecter. Dans ce cadre, la date limite de consommation (DLC) des produits laitiers frais est fixée à 30 jours maximum et les contrats dates fixés à 17 jours " (cote 76).
C. LES FAITS RELEVÉS
1. LA COMMUNICATION DE LA SNYL RELATIVE AUX PRATIQUES COMMERCIALES DE LA LSM AUPRÈS DU SYNDICAT PROFESSIONNEL
a) Les analyses bactériologiques commandées par la SNYL
58. Début 2007, la SNYL a constaté que les industriels LSM et Savoie Yaourt apposaient sur leurs produits laitiers frais exportés vers les Antilles françaises des DLC supérieures au délai de 30 jours. Elle a alors pris l'initiative de faire réaliser des analyses sur des échantillons des produits concurrents, considérant cette pratique critiquable du point de vue de l'information du consommateur et, de surcroît, susceptible de présenter un risque alimentaire eu égard au caractère très périssable des produits laitiers frais.
59. Interrogé par les services d'instruction le 8 juin 2011, l'ancien directeur général de la SNYL a déclaré : " nous avons fait des analyses bactériologiques aux Antilles sur les produits fabriqués par Malo et les autres producteurs qui ont une pratique de DLC différente pour le même process. Ces problèmes ont révélé la présence de germes lactiques insuffisants, de germes et de moisissures. En l'occurrence c'est un huissier qui a fait le prélèvement, le laboratoire a ensuite analysé. Nous nous interrogeons, c'est tout. Les constats d'huissier ont été remis à la DGCCRF de Rennes. Les dates de DLC pour des mêmes produits différaient. Nous avons souhaité prouver que c'était un fait que certains producteurs pratiquaient sur un même site de fabrication et sur une même chaîne un double datage de DLC " (cote 463).
60. De fait, il ressort du dossier d'instruction que la SNYL a commandé, entre mai 2007 et décembre 2009, des tests microbiologiques à partir de prélèvements effectués par voie d'huissier sur les produits de la LSM et de Savoie Yaourt. Ces produits ont fait l'objet d'analyses par le laboratoire Méthode Analyse Procédé (ci-après " MAP ") accrédité par le Comité français d'accréditation (COFRAC).
61. D'après la SNYL, les résultats des analyses auraient révélé la présence de germes lactiques insuffisants, de levures et de moisissures, de nature à mettre en doute le respect par la LSM tant des dispositions réglementaires relatives à l'appellation des produits que des règles en matière d'hygiène et sécurité alimentaires.
62. Les analyses portaient sur plusieurs références de produits laitiers fabriqués par la LSM, se rapportant à des produits de nature différente relevant d'exigences réglementaires propres. Il ressort de la synthèse des relevés d'huissiers et des analyses effectuées sur demande de la SNYL, ultérieurement communiquées à Syndifrais, que, sur les analyses menées entre le 29 août 2007 et le 5 novembre 2008, il est dénombré 78 références à marque propre " Malo ", dont 46 yaourts, 30 fromages blancs ou frais et deux crèmes desserts (cotes 537 à 544).
63. Il ressort des pièces du dossier que les analyses de laboratoire se sont appliquées à rechercher la présence de flore lactique à hauteur de 10 millions par gramme sans distinguer entre les yaourts et les fromages frais. Dès lors que seule la définition du yaourt doit répondre à ce critère réglementaire, les analyses réalisées, indistinctement sur les yaourts et les " fromages frais " ou les " fromages blancs ", ne peuvent être considérées comme ayant été conduites avec pertinence. Dans ces conditions, les conclusions auxquelles est parvenu le laboratoire accrédité relativement au respect par la LSM des obligations réglementaires qui s'imposent à elle en matière d'appellation des produits ou de propriétés lactiques sont contestables.
64. S'agissant des yaourts de marque " Malo ", il apparaît à la lecture du premier document de synthèse fourni par la SNYL que, sur 49 références analysées par le laboratoire MAP entre 2007 et 2009, six auraient présenté un taux de flore lactique inférieur à 10 millions par gramme (106). Cependant, à la seule lecture de ces pièces, on ignore si le dénombrement des flores lactiques a été réalisé en comptant la somme des deux souches lactobacillus bulgaricus et streptococcus thermophilus rapportée à la " norme 106 ", ou si chacune d'entre elles a été dénombrée séparément et rapportée au seuil normatif défini.
65. Par ailleurs, il ressort des éléments communiqués par le laboratoire MAP, que c'est à la demande de la SNYL que les produits de la LSM " assimilés aux yaourts ", au nombre desquels se trouvent les fromages frais, ont été analysés selon les critères de la définition réglementaire relative aux yaourts.
66. Interrogé à cet égard par les services d'instruction, l'ancien directeur général de la SNYL a confirmé que : " [p]our les yaourts c'est différent, l'obligation consiste à avoir à la DLC, un nombre de flores vivantes au gramme : ces bactéries sont les streptococcus et lactobacillus bulgaricus. Sur le terme " frais " il me semble que pour les fromages frais, il y a une exigence de flore vivante à la DLC " (cote 462).
67. En outre, il est relevé sur une pièce communiquée par Syndifrais, datée du 2 février 2009, la mention manuscrite suivante : " attention sur le critère flore lactique fromages frais analysés " (cote 587).
68. Ce n'est qu'à partir du 23 novembre 2009 que les analyses ont pris en compte les critères de définition propres aux " fromages frais " et aux " fromages blancs " et ont cessé de les confondre avec les yaourts. Il ressort des pièces communiquées par le laboratoire MAP (cotes 1971 et 1972) que cette évolution a été la conséquence d'instructions adressées en ce sens par la SNYL.
69. À partir de 2009 seulement, les rapports d'analyse du laboratoire MAP ont affiché distinctement le dénombrement des deux bactéries contenues dans les yaourts de marque " Malo ", alors que les rapports antérieurs faisaient mention, sans autre de précision, d'un volume de " flore lactique " toutes bactéries confondues. Ce résultat de la mesure indifférenciée de la flore lactique présente dans les produits analysés pouvait ainsi correspondre soit à la comptabilisation d'une seule des deux souches, soit la somme de celles-ci, et sans que la méthode de calcul en définitive employée ne soit révélée.
b) L'interprétation des usages professionnels par la SNYL
70. Peu de temps après avoir ordonné les premières analyses sur les produits de la LSM, la SNYL a diffusé l'information selon laquelle ces produits ne respectaient pas la " règle " des 30 jours.
71. Le dossier d'instruction contient sur ce point un courriel adressé par l'ancien directeur général de la SNYL à Syndifrais, transmis en copie à un représentant de la société SAPY-Danone et Yoplait France, en date du 11 décembre 2007. Un passage de ce courriel est reproduit ci-après :
" Nous déplorons que Syndifrais ne puisse faire respecter, par ses adhérents, la règle professionnelle établie depuis plusieurs années sur la DLC des produits laitiers frais ainsi que la position adoptée par le conseil d'administration le 29 juin 2006 (...). Nous ne pouvons admettre que des produits laitiers frais, fabriqués par des adhérents de Syndifrais (St Malo et Savoie Yaourts notamment) entrent sur le territoire, après dix jours de transport maritime, avec une durée de vie restante de 30 jours ou plus. (...) Il s'agit là d'une tromperie au détriment du consommateur, qui constitue également un acte de concurrence déloyale. Les faits constatés, même pris isolément, constituent en eux-mêmes des tromperies sur les qualités substantielles des produits vendus, au regard des textes réglementaires que vous n'ignorez pas " (cote 511).
72. À la question suivante des services d'instruction adressée le 16 mai 2012 : " La question de la DLC et de la dénomination applicables à certains produits frais sont-ils des sujets qui, à votre connaissance, ont été ou pu être évoqués entre acteurs locaux (industriels, distributeurs...notamment dans le cadre de l'Association Martiniquaise pour la Promotion de l'Industrie (AMPI) et le Syndicat de la Distribution et des Grossistes Alimentaires (SDGA)) ? ", les représentants de SAPY ont répondu:
" La question des DLC a effectivement été abordée dans le cadre de l'AMPI et du SDGA. Ces échanges ont également eu lieu avec les autorités locales. Une réunion en préfecture a eu lieu à la demande de l'AMPI avec le secrétaire général de la préfecture, en présence du directeur de la DGCCRF Antilles Guyane sur le sujet des DLC, en septembre 2009. Nous n'avons pas connaissance du fait que la question de la dénomination applicable aux produits frais aurait été abordée entre acteurs locaux " (cote 2168, soulignement ajouté).
73. Interrogé sur ce point par les services d'instruction le 19 juillet 2012, le directeur général de la SNYL a déclaré : " [o]ui je pense qu'il y a eu un échange, un contact, à l'époque de M. Z... Je n'en sais pas plus. Il est possible que le directeur de la SAPY était là (sic). Le rôle de l'AMPI est de défendre les industriels donc il est normal que ce sujet y transparaisse. La SAPY étant adhérent de l'AMPI, il serait logique qu'il ait été informé par ce biais " (cote 2596).
c) L'utilisation des tests commandés par la SNYL
74. L'information diffusée par la SNYL a fait l'objet de discussions entre les membres du conseil d'administration de Syndifrais lors d'une réunion du 12 juin 2008. L'exclusion de la LSM est alors envisagée au vu des analyses réalisées à la demande de la SNYL comme en témoigne un courriel interne, du 11 juillet 2008, envoyé par la déléguée générale de Syndifrais aux membres du conseil d'administration : " chers adhérents, lors du CA de Syndifrais du 12 juin dernier, vous avez pris la décision d'envisager l'exclusion de la société St Malo du syndicat si les dépassements de DLC sur les produits commercialisés aux Antilles persistaient. Je vous soumets donc le projet de lettre ci-joint qui fait notamment référence aux constats d'huissiers opérés par la SNYL "(cote 514, soulignement ajouté).
75. Le dossier d'instruction révèle que le 19 novembre 2008, M. O... de la société Yoplait, dont la SNYL est le franchisé en Martinique, a adressé un courrier à Syndifrais libellé ainsi qu'il suit : " au regard des constats devant être diligentés à la requête de Syndifrais, nécessitant la mise en place d'une logistique locale et un doublon de procédure, il m'est apparu plus judicieux de vérifier si ce document et facture correspondante ne pouvait pas être réédités au nom de Syndifrais, ce dernier prenant en charge au lieu et place de la SNYL, les frais de ce constat et analyses portant sur ces produits " (cote 510).
76. En décembre 2008, Syndifrais a écrit au laboratoire MAP, avec en copie le directeur général de la SNYL à l'époque des faits : " en accord avec M. Z..., directeur de la SNYL, compte tenu de l'exploitation envisagée des informations recueillies, nous vous serions reconnaissants de rééditer les résultats, ainsi que la facture correspondante au nom de Syndifrais. Un contact téléphonique a été pris en ce sens auprès de vous par M. O... de la société Yoplait " (cote 536, soulignement ajouté).
77. Interrogée par les services d'instruction, le 14 juin 2011, sur la portée des constats d'huissier, la déléguée générale de Syndifrais a déclaré : " [o]ui ce sont les relevés d'huissiers qui ont manifesté les problèmes qui ont montré les dérives de qualité des produits. C'est l'élément objectif. Ce qui était manifesté par la SNYL, c'est que les produits Malo arrivaient avec une image plus fraîche que les produits fabriqués localement (...). Pour nous le constat d'huissier est valable bien entendu. Les analyses venaient conforter les constats effectués en termes de DLC. Nous ne sommes pas allés aux Antilles. Nous n'avons pas fait cette démarche, les constats suffisaient, et les analyses les confortaient " (cote 500).
d) La réaction de Syndifrais
78. Il ressort du dossier d'instruction que l'ancien délégué général de Syndifrais a adressé un premier courrier à la LSM le 28 septembre 2007, dont un extrait est reproduit ci-après :
" Comme vous le savez en tant qu'adhérent de Syndifrais, une règle professionnelle a été établie depuis plusieurs années sur la DLC des produits laitiers frais. Les modalités ont été revues et validées par le CA de Syndifrais le 29 juin 2006 (cf extrait du CR en annexe). Or un adhérent de Syndifrais nous fait savoir que votre société ne respecte pas ces dispositions pour vos exportations de produits sous marque propre et sous marque distributeur destinées aux Antilles françaises et à la Guyane. Cette société dispose de relevés en magasin constatés par huissier " (cote 118, soulignement ajouté).
79. La société LSM a répondu à Syndifrais par un courrier du 11 octobre 2007 : " En réponse à votre courrier du 28/09/07, nous vous confirmons l'application intégrale de la réglementation européenne concernant la DLC en particulier pour les DOM TOM, d'où notre non signature de l'engagement "Syndifrais" " (cote 121).
80. Le 17 juillet 2008, la déléguée générale de Syndifrais a de nouveau adressé un courrier à la LSM, dont un extrait est reproduit ci-après : " (...) les relevés ultérieurs en magasin - constatés par huissiers ont révélé la persistance de ce dépassement de DLC et les analyses effectuées sur ces mêmes produits révèlent : - d'une part une altération de qualité (levures - moisissures), - d'autre part un dénombrement de la flore lactique Yaourts inférieur au seuil requis par le décret de 1988 (voir copie en annexe). L'ensemble de ces éléments, le préjudice porté à l'ensemble de la catégorie Produits Laitiers Frais par le non-respect de règles professionnelles communes ainsi que la commercialisation de produits ne répondant pas au standard de qualité et de définition réglementaire conduisent le Conseil d'Administration de Syndifrais à envisager l'exclusion de votre société du syndicat, associée à une communication relative à cette décision " (cote 123).
81. Par lettre du 10 mars 2009, le président du Syndifrais, M. A..., a signifié à la LSM son exclusion du syndicat professionnel (cote 124).
82. Par ailleurs, le dossier d'instruction fait état d'un courriel, daté du 30 avril 2009, du Syndifrais à l'attention de la SNYL (adressé à M. J-G. Z...) et de Yoplait (adressé à Mme A-S. B...) dans lequel est évoqué une réunion à venir entre le syndicat et la LSM à la suite de l'exclusion de cette société : " [j]e vous contacte au sujet du dossier DLC Antilles. Comme vous le savez, la société St-Malo a fait l'objet d'une procédure d'exclusion de Syndifrais. La société Sill, nouveau propriétaire de St Malo semble préoccupée de cette situation et une rencontre est prévue prochainement entre ses responsables et le président de Syndifrais. Pour préparer ce contact et afin d'avoir une vue aussi à jour que possible de la situation concernant la DLC sur le rayon je souhaiterais pouvoir m'entretenir avec vous (...) " (cote 507).
83. En réponse, M. J-G. Z..., directeur commercial de la SNYL à l'époque des faits, a fait savoir que : " S'agissant des relevés réalisés par huissier, nous avons contrôlé l'ensemble du rayon PLF (Yaourts, Fromage Frais, dessert, et crème fraîche) dans les hypermarchés de l'île et le soft discount (leader Price). À ce jour les sociétés MALO et Savoie Yaourt poursuivent leur exportation avec des DLC de l'ordre de 50 jours (en fromage frais, crème fraîche et yaourts) " (cote 507).
84. Au cours de leurs auditions par les services d'instruction, la déléguée générale de Syndifrais (cote 500) et M. C de la LSM (cotes 361 et 362) ont confirmé la tenue de cette rencontre. À cet égard, M. C a indiqué : " [j]e suis intervenu pour dire qu'il y avait selon moi deux poids et deux mesures au sein de Syndifrais, en effet MLC et Senoble pratiquaient de la même manière en termes de DLC que nous. (...) Lorsque j'ai indiqué à M. A que toute cette démarche était téléguidée par la SNYL qui ne souhaitait pas que nos produits arrivent sur le marché antillais avec des prix cohérents pour le consommateur, il a répondu "je ne cache pas qu'ils font pression" (...) " (cote 362).
85. À l'inverse, le fait que la société Savoie Yaourt pratique également une DLC plus longue pour ses produits laitiers frais à destination des Antilles françaises n'entraînera pas la même réaction de la part de Syndifrais. Interrogée par les services d'instruction, le 14 juin 2011, la déléguée générale du syndicat a expliqué que : " (...) sur le cas de Savoie Yaourt, nous considérions leur situation différemment : d'abord leur pratique en termes de DLC n'était pas revendiquée mais plus "subie" par les distributeurs qui demandaient des DLC longues. La perception du CA [ndlr Conseil d'Administration de Syndifrais] était donc celle d'une bonne volonté d'un côté et d'une divergence revendiquée de l'autre. Ceci explique la différence de traitement " (cote 499).
2. LA PROPAGATION DU DISCOURS DE LA SNYL AUPRÈS DES PROFESSIONNELS DE LA DISTRIBUTION ALIMENTAIRE AUX ANTILLES
a) Le discours propagé par la SNYL
86. Plusieurs pièces du dossier d'instruction attestent que les allégations contenues dans le discours de la SNYL ont été portées à la connaissance de la société SAFO. Le 19 mai 2008, M. H. D..., responsable chez Sogedial Martinique, écrit à M. B. E, acheteur produits frais de Sogedial basé en métropole : " Sommes informés à l'instant par S. F, retour d'une réunion avec le SGDA : - Suite à plusieurs remarques de Yoplait Martinique [la SNYL étant franchisée Yoplait dans ce territoire], les yaourts Malo n'auraient pas droit à l'appellation "yaourt" et comporteraient, de plus, des ingrédients non-conformes. Yoplait menace de porter plainte si nous ne retirons pas la marque de nos linéaires (Casino la déjà fait !!) Peux-tu, STP, nous obtenir + d'infos " (cote 110, soulignements ajoutés).
87. L'origine de la diffusion de ces informations relatives aux produits Malo est clairement identifiée par les distributeurs. En effet, dans un courriel en date du 4 juin 2008, l'acheteur en produits frais de Sogedial, M. B. E..., indique en interne : " [j]e vous prie de bien vouloir trouver des premiers éléments de réponse du fournisseur Malo suite aux menaces de Yoplait. Affaire à suivre " (cote 103).
88. Questionné par les services d'instruction sur les éléments déclencheurs de la décision des enseignes du groupe 3H de retirer des linéaires les produits Malo, M. Y, directeur général du groupe Ho Hio Hen et également président du SGDA au moment des faits, a précisé, le 22 juillet 2011, que : " La SNYL nous a fait remarquer que les DLC de ces produits étaient plus longues que les DLC habituellement pratiquées pour des yaourts et avons voulu vérifier en conséquence qu'elles étaient conformes à la réglementation " (cote 1987).
89. Sans leur être personnellement communiquées, les critiques des produits MALO par la SNYL sont parvenues aux oreilles des distributeurs locaux, notamment à l'occasion des réunions de leur syndicat professionnel, le SDGA, leur assurant ainsi une publicité efficace. C'est ainsi que M. F, du service juridique de la société SAFO, a indiqué au sujet du contexte dans lequel ces propos ont été tenus, ce qui suit :
" Les faits étant anciens, je ne me souviens pas avec certitude du nom de la personne qui a indiqué cela. Comme indiqué lors de notre dernier entretien téléphonique du 19/07, il me semble que c'est M. Y, en tant que distributeur sous l'enseigne CASINO (et non au titre de président du SDGA), qui aurait évoqué un problème de double DLC pratiquée par MALO. Cependant, je ne puis également vous confirmer la teneur des propos rapportés par M. D qui n'assistait pas à la réunion. Pour information M. D ne fait plus partie de notre personnel " (cote 1993).
" Dans le courriel ci-dessous (transmis à la DGCCRF par LSM, PV du 17/3/2010) pouvez-vous préciser dans quel cadre et quelle personne de la SNYL vous a indiqué " les yaourts de la marque Malo (...) ne peuvent bénéficier de la dénomination yaourt " ?
" Je n'ai jamais été en contact avec quelqu'un de la SNYL concernant cette question ".
90. La SNYL s'est également directement adressée aux sociétés SAPY et SGPY, ayant des dirigeants communs et fabriquant des produits laitiers frais sous la marque " Danone ". Dans un courrier, en date du 11 décembre 2007, adressé à Syndifrais et à " SAPY-Danone / Martinique ", la SNYL indiquait à propos des produits LSM : " Il s'agit là d'une tromperie au détriment du consommateur, qui constitue également un acte de concurrence déloyale. Les faits constatés, même pris isolément, constituent en eux-mêmes des tromperies sur les qualités substantielles des produits vendus, au regard des textes réglementaires que vous n'ignorez pas " (cote 511).
91. Pour tenter de contenir le retentissement du discours de la SNYL, la LSM s'est adressée aux distributeurs locaux et leur a communiqué le résultat des analyses pratiquées sur ses propres produits.
92. Par ailleurs, interrogée par les services d'instruction le 4 août 2011, Mme P. G, export manager de la société Laïta et représentante des produits Malo auprès du client Multigros du groupe 3H, a indiqué: " Après l'arrivée des produits Malo les industriels locaux, Danone et Yoplait, surtout Yoplait, de mémoire avaient soulevé le fait que les DLC LSM étaient plus longues et ne se conformaient pas à l'usage français des 27 jours " (cote 481).
93. À la question " Comment avez-vous eu connaissance du fait que la SNYL pouvait être à l'origine du débat sur les produits "Malo" ? ", Mme G a répondu : " [j]'ai entendu parler d'analyses selon lesquelles les produits Malo présentaient des moisissures avant la fin de la DLC, de telle sorte que cette dernière n'était pas conforme. Nous avons en réponse, fourni des analyses à 3H, analyses qui nous avaient été transmises par Malo s'agissant des yaourts et des DLC de ces derniers. Entre temps 3H avait suspendu les yaourts Malo dans l'attente d'une réponse sur les DLC de ces derniers " (cote 481).
b) L'impact du discours sur les distributeurs locaux
Sur le groupe 3H
94. Le groupe 3H commercialise aux Antilles françaises les produits Malo depuis 2005. Cependant, à la suite des allégations de la SNYL sur les manquements aux règles sanitaires et aux usages commerciaux des produits de la LSM, ce groupe a décidé de suspendre la commercialisation de ces produits.
95. Questionné par les services d'instruction, le 22 juillet 2011, M. Y a confirmé que les produits Malo ont fait l'objet d'une suspension d'achat en Martinique, tout en précisant que : " La SNYL nous a fait remarquer que les DLC de ces produits étaient plus longues que les DLC habituellement pratiquées pour des yaourts et avons voulu vérifier en conséquence qu'elles étaient conformes à la réglementation " (cote 1987).
96. M. Y a, par ailleurs, indiqué, concernant la durée de suspension des produits : " [j]e vous confirme la date approximative (21/08/2008) de la suspension uniquement des yaourts MALO, en attente d'une réponse de la DGCCRF sur la DLC de ces produits qui n'était pas comme les autres yaourts. Resté sans réponse de la DGCCRF, le 03/11/2009, après un entretien téléphonique avec elle, cette dernière ne m'apportait aucune réponse et ne levait pourtant pas le doute. Ce même jour j'ai demandé la reprise des yaourts MALO dans nos enseignes " (cote 2034).
97. M. Y... a apporté la précision suivante concernant les enseignes et la zone géographique concernées par les mesures de retrait et de suspension des produits Malo : " Il s'agissait et ce, uniquement en Martinique : des deux hypermarchés Géant Batelière à Schoelcher et Géant Océanis au Robert ; de cinq supermarchés Casino (François, Lorrain, Ducos, Lamentin, Fort-de-France) " (cote 1987).
98. Interrogée par les services d'instruction, le 5 août 2011, sur les produits Malo ayant fait l'objet d'une suspension par le groupe 3H, Mme G a indiqué : " [j]'ai débuté la commercialisation des produits Malo en août 2007. 1er arrêt en Mars 2008. Reprise en Juillet 2008. Nouvel arrêt en Novembre 2008. Reprise définitive en Novembre 2009 et depuis lors plus aucun blocage. L'ensemble de la gamme fabriquée par LSM a fait l'objet de l'arrêt " (cote 2028, soulignement ajouté).
99. En effet, c'est le 4 juin 2008 que M. C a adressé au directeur général du groupe 3H, M. Charles X, un courrier dont un extrait est reproduit ci-après : " Je me permets de vous alerter sur les pratiques actuelles d'un de vos fournisseurs qui se sert allégrement de vous pour annoncer à toute la distribution martiniquaise que les produits MALO ne sont pas conformes, avec des ingrédients interdits!! (Preuve en est MULTIGROS a arrêté !!!). Je respecte la décision que vous avez prise d'interdire à vos acheteurs de commander nos produits, je regrette tout simplement de ne pas avoir été averti de la véritable raison " (cote 111).
100. Interrogé par les services d'instruction, le 18 avril 2011, sur les mesures de suspension des linéaires par les enseignes de la distribution locale, le directeur commercial de la LSM, M. C, a indiqué : " M. Y de Multigros (détenteur des enseignes Casino) et directeur de SGDA a dit à ses distributeurs : "arrêt immédiat de toutes commandes Malo". Cette décision de retrait de Multigros est directement consécutive à la réunion du SGDA. Ce retrait a duré 6 mois. Je me suis déplacé personnellement là-bas et j'ai rencontré M. Y À la suite de discussion et fort d'une réponse des services de la répression des fraudes de Seine-Maritime j'ai pu convaincre M. Y M. Y est un local, il a une tendance à défendre la production locale. J'ai donc aussi envoyé un courrier au mois de juin 2008 à Multigros (direction générale) pour appuyer ma démonstration auprès de M. Charles X à la suite de ces démarches la commercialisation des produits Malo a repris auprès des enseignes du groupe Multigros " (cote 363).
101. Au total, la suspension de l'ensemble des produits Malo, yaourts et fromages frais, a duré 16 mois dans tous les magasins des enseignes du groupe 3H implantés en Martinique. Sur le groupe SAFO
102. Il ressort du dossier d'instruction que le 4 juin 2008 le directeur commercial de la LSM, M. C, a adressé un courriel à l'attention de M. B. E, responsable produits frais de la société Sogedial, centrale d'achat commune aux sociétés SAFO et GBH, rédigé comme il suit : " Nos produits ne contiennent aucune substance interdite !!! Le groupe MULTIGROS a subi les mêmes pressions et a fini par céder au chantage de Mr Guy Z A priori, Mr Charles X a pris peur mais il serait en train de revoir sa position en réintégrant nos produits. Je tiens à votre disposition, analyses, fiches techniques et il ne faut surtout pas céder à cette pression innommable " (cote 112, soulignement ajouté).
103. À cet égard, il est fait état d'un courriel interne de la SAFO du 5 juin 2008, adressé par M. S. F... du service juridique, dans lequel il indique : " La SNYL considère également que les yaourts de la marque MALO vendus aux Antilles ne peuvent bénéficier de la dénomination "yaourt" (la durée de conservation > 30 jours est trop longue pour des yaourts) " (cote 102).
104. Le lendemain, M. B. E a transféré à M. C, le courriel évoqué ci-dessus en précisant : " [j]e vous fais suivre ce message reçu ce jour de notre service juridique du groupe Safo. Pourriez-vous nous dire ce qu'il en est de la législation et si cela touche effectivement vos produits. Merci de votre retour " (cote 102). M. C a rapidement répondu : " La DLC est sous la responsabilité unique de l'industriel, il n'y a pas de texte de loi comme à l'air de l'indiquer la SNYL. La D.S.V (service vétérinaire) est venue à ce sujet à l'entreprise et nous a confirmé que nos produits étaient aux normes microbiologiques pour s'appeler yaourt. Pourquoi la SNYL ne parle-t-elle jamais des fromages blancs ? " (cote 102).
105. Au cours du mois de juin 2008, M. B. E, a interrogé les services de la DGCCRF de Seine-Maritime au sujet l'appellation " yaourts " des produits de Malo. Les services de la DGCCRF ont répondu à M. B. E, le 9 juin 2008 :
" La dénomination "Yaourt" est réglementée par le décret n° 88-1203 du 30 décembre 1988. L'article 2 précise que seuls les laits fermentés obtenus par le développement de deux souches bactériennes spécifiques (Lactobacilles bulgaricus et Streptocoques thermophilus) ont droit à l'appellation " yaourt ", à condition que ces bactéries se trouvent vivantes dans le produit fini à raison d'au moins 10 millions par gramme. Ainsi, la date de durabilité est du libre choix du fabricant, déterminée sur la base de tests de vieillissement et elle doit être compatible avec la dénomination " Yaourt " dans la limite citée précédemment et pour les deux souches citées. Il vous faut donc réaliser des analyses pour vérifier la présence de 10 millions de bactéries vivantes par gramme, 50 jours après la fabrication, ou demander les justificatifs à votre fournisseur " (cote 104).
106. Il ressort du dossier d'instruction que le groupe SAFO a fait réaliser des analyses par le laboratoire MAP au cours du mois d'août 2008 (cote 108) attestant de la conformité des yaourts Malo à la réglementation applicable. Le 9 septembre 2008, M. S. F... du service juridique de la SAFO a fait circuler en interne ce rapport d'analyse : " Vous trouverez ci-joint le rapport d'analyse transmis par le laboratoire MAP. Cette analyse confirme la présence de plus de 10 millions de bactéries vivantes par gramme 50 jours après la fabrication dans les yaourts MALO conformément à l'article 2 décret n° 88-1203 du 30 décembre 88 " (cote 107).
107. En tout état de cause, il n'a pas été constaté de retraits des produits de la LSM dans les enseignes appartenant au groupe SAFO. Sur le groupe GBH
108. Interrogés par les services d'instruction, le 12 juillet 2012, MM. C. H... et F. I..., respectivement directeurs des enseignes Carrefour Genipa et Carrefour Cluny en Martinique, ont donné leur version des faits concernant les retraits des produits Malo :
" Il y a eu des échanges de mails entre M. C et M. J (alors directeur adjoint du Carrefour Dillon). Nous avons retrouvé un mail de M. C daté du 1er juillet 2008 (nous vous en remettons copie) envoyé à M. Emmanuel J C'est la première trace d'évocation du sujet DLC sur ces produits à notre connaissance. M. C y faisait état de pressions qui sont mises par la société SNYL concernant les DLC des produits Malo et joignait des analyses portant sur trois produits qui sont les yaourts. M. J indique dans son courriel en réponse (nous vous en fournissons copie), qu'il s'engage à poursuivre le développement des produits Malo et de ce fait n'accordera pas d'importance aux signalements de la SNYL. (....)
Nous avons aussi retrouvé ensuite lors de nos recherches en prévision de cette audition, un courriel entre M. C et M. J dans lequel il est question d'une demande (en date du 8 décembre 2008 nous vous en remettons copie [cote 2531]) de M. C tendant à ce que lui soit fourni une attestation qualité montrant que ses produits ne sont pas plus sujet à des réclamations clients que les produits des producteurs locaux.
Nous n'avons pas trouvé trace de réponse de notre part à ce sujet, une telle demande est inhabituelle. À ce stade nous n'avions pas, en 2008, eu d'éléments motivant un retrait de produits. L'année 2008 ne sera pas émaillée d'autres sujets, idem sur 2009, où l'activité avec le fournisseur Malo croît en dépit des événements ayant affecté l'île de la Martinique et de la Guadeloupe.
Le 17 décembre 2009, nous recevons sur les magasins de Dillon et Genipa une communication de M. I qui nous alerte sur l'appellation " fromages frais Malo ". C'est à ce stade que le sujet FF entre en ligne de compte.
Cette information a été communiquée par des fournisseurs locaux et indiquait que la dénomination de vente desdits produits était non conforme par rapport à la DLC qu'ils mentionnaient. Ce qui nous conduit à faire une mesure de retrait, c'est que nous sommes, surtout, l'objet d'une rumeur tendant à ce qu'une intervention de la DGCCRF soit faite au niveau des magasins Dillon et Genipa. À la suite de quoi, le mail d'information de M. I comportant mention de cette éventualité de contrôles de la DGCCRF, nous prenons la décision de retrait des produits Fromages frais Malo (trois références, 0 %, 20 % et 40 % MG, environ 6 UV en moyenne par jour pour Genipa).
Le 18 décembre 2009, Malo envoie un courriel à Destrellan et 3 jours après le retrait pour Destrellan et 6 jours après le retrait pour Dillon et Genipa, nous décidons de remettre les produits en rayon " (cote 2521).
109. Il est exact que, le 1er juillet 2008, M. C a adressé à plusieurs distributeurs locaux, le courriel qui suit, par la suite réacheminé vers M. J, directeur adjoint du Carrefour Dillon :
" Pour faire suite aux différentes interventions que j'ai faites suite à la campagne de dénigrassions (sic) de YOPLAIT (SNYL) par l'intermédiaire de Mr Jean-Guy Z, vous trouverez ci-joint, rappel d'analyses microbiologiques effectuées le 23/06. Sans commentaires : nos produits sont bien " vivants " à DLC 55 jours. Je pense que suite à la position de la DGCCRF et ces analyses, vous pouvez sans hésitation distribuer nos produits " (cote 2533).
110. Concernant le climat général au sujet des produits Malo, M. C. H, directeur adjoint du Carrefour Génipa, a indiqué lors de son audition par les services d'instruction, le 12 juillet 2012 : " [j]e vous confirme ce que je vous ai dit, la SNYL ou SAPY étaient bien à l'origine des informations initiales. II y avait déjà un contexte dans lequel apparaissait la SNYL. Le détail du scenario n'est établi qu'après la reconstitution des pièces que nous avons effectuée et que nous vous indiquons aujourd'hui plus précisément " (cote 2523).
111. Il ressort du dossier d'instruction que, le 8 décembre 2008, M. C a en effet adressé un courriel à M. J, directeur du Carrefour Dillon, dont un extrait est reproduit ci-après :" Je me permets de vous solliciter afin d'obtenir de votre part, une attestation "Qualité" afin de compléter un dossier pour se défendre face à la SNYL qui essaye d'interdire l'accès à nos produits via la préfecture de Guadeloupe et de Martinique. Il faudrait juste y faire ressortir que vous n'avez pas de réclamations sur nos produits et surtout que, s'il y en a, cela reste aussi faible que la production locale " (cote 2531).
112. Lors de son audition par les services d'instruction, le 12 juillet 2012, M. C. H, directeur adjoint du Carrefour Génipa, a déclaré au sujet de cette requête : " nous n'avons pas trouvé trace de réponse de notre part à ce sujet, une telle demande est inhabituelle " (cote 2521).
113. Le dossier d'instruction révèle que les fromages frais Malo ont fait l'objet d'une suspension en décembre 2009 de la part de certaines enseignes Carrefour exploitées par le groupe GBH.
114. En effet, lors de son audition par les services d'instruction, le 12 juillet 2012, M. F. I, directeur adjoint de l'enseigne Carrefour Destrellan en Guadeloupe au moment des faits a indiqué : " [à] la date du 17 décembre 2009, je suis destinataire d'une information de SGPY, selon laquelle il y aurait un problème sur les références fromages frais Malo. Je pense que c'est Monsieur K qui m'a informé initialement des problèmes concernant les produits Malo. Ce même fournisseur indique des contrôles probables de la DGCCRF. Nous retirons les produits immédiatement et j'en informe les autres magasins (Dillon et Génipa [ces magasins sont situés en Martinique]. À la suite de cela nous informons le fournisseur Malo et le siège de notre démarche. Le fournisseur Malo nous a alors fait parvenir ses remarques et copie du décret de 2007 concernant les fromages frais. Nous sommes le 18 décembre 2009. Le lendemain, 19 décembre 2009, nous décidons, au niveau du magasin Destrellan, compte tenu des éléments communiqués, de remettre les produits en vente. (...) À ce stade de l'année (fêtes de Noël), compte tenu des éléments communiqués et des précédents concernant les yaourts Malo, nous avons décidé de faire jouer le principe de précaution, ce que nous n'avions pas fait antérieurement en 2008 " (cote 2522, soulignement ajouté).
115. Cette précision relative aux " précédents concernant les yaourts Malo " fait référence à des évènements qui se sont déroulés en 2008 et qui ont été relatés par le directeur de l'enseigne Carrefour de Génipa au paragraphe 108 ci-dessus.
116. Par un courriel, en date du 23 décembre 2009, M. C, directeur commercial de la LSM, a écrit à M. I, directeur adjoint de l'enseigne Carrefour Destrellan en Guadeloupe, avec copie aux responsables du groupe GBH qui exploite cette enseigne Carrefour : " [s]uite à une conversation avec M. E [responsable produits frais de Sogedial pour l'enseigne Carrefour] (...) vous avez été la seule enseigne ciblée dans l'action de Danone et Yoplait. Vos concurrents ont été informés mais aucunement menacés. Nous ne pouvons bien évidemment être tenus pour responsables des éventuelles casses en magasin (...) J'entamerai pour ma part une procédure pour le préjudice suite à la marchandise que j'ai récupérée au Havre et à Montoir (...) " (cote 99).
117. Les éléments fournis par les intéressés confirment que " les fromages frais Malo 0 %, 20 % et 40 % de MG " ont été retirés de la vente au mois de décembre 2009 (cote 2215). Ces retraits sont intervenus entre le 17 et le 24 décembre 2009 et ont concerné les enseignes Carrefour exploitées par le groupe GBH, à savoir le magasin de Destrellan situé en Guadeloupe et les magasins de Ducos et Dillon situés en Martinique (cote 2215).
118. S'agissant des prétendus contrôles de la DGCCRF évoqués par M. I (voir le paragraphe 114 ci-dessus), les services de la DGCCRF de Guadeloupe ont indiqué ne pas avoir réalisé de prélèvement de yaourts Malo sur la période 2009/2010 et ne pas détenir de dossier de retrait de ces produits (cote 325). De la même manière, les services de la DGCCRF de Martinique ont indiqué aux services d'instruction que : " [l]'UDCCRF de Martinique n'a procédé à aucun acte d'enquête entre 2008 et 2010 sur les produits laitiers frais commercialisés sous le nom de marque "Malo" ou fabriqué par la société "Laiterie de Saint Malo" " (cote 2649).
119. Interrogés par les services d'instruction sur la réalité d'une intervention des services de la DGCCRF, les responsables de l'enseigne Carrefour de Dillon (Martinique) ont indiqué en réponse écrite, en date du 24 mai 2012, que : " [n]ous avons effectivement entendu parler de passage de la répression des fraudes, mais cela n'a pas été confirmé. En tout état de cause à Carrefour Dillon, nous n'avons pas eu de visite de ces services " (cote 2216).
120. Également interrogés sur le contexte ayant conduit le groupe GBH à demander à la LSM de changer la dénomination des " fromages frais Malo " en " frais Malo ", ces mêmes responsables ont indiqué : " L'un des chefs de rayons d'Hyper Destrellan a remonté d'un entretien informel eu avec le commercial d'un fournisseur local le fait que ce commercial s'interrogeait sur la conformité des DLC des fromages frais de Malo, plus longues dans nos magasins que celles des autres fournisseurs pour ce même produit. Hyper Destrellan a prévenu notre service juridique et nous a concomitamment alertés sur l'éventualité d'un risque quant à la DLC de ce produit. Notre service juridique nous a alors précisé qu'au terme de la norme NF V04-600 de janvier 2001 et de l'avis du Conseil National de la consommation du 8 février 1990, les fromages blancs fermentés commercialisés sous le qualificatif " frais " ou sous la dénomination " fromage frais " doivent notamment avoir été produits ou fabriqués depuis moins de trente jours. Hyper Destrellan a donc transmis ces informations à Laiterie Saint Malo qui a modifié l'appellation de ces produits " (cote 2215).
121. La réponse que le service juridique de GBH a adressée aux enseignes Carrefour de Dillon, Ducos et Destrellan fût la suivante : " [s]i vous craignez pour les qualités organoleptiques des produits, je vous invite à ne pas les remettre en vente. Cependant les analyses effectuées par le fabricant semblent démontrer qu'aucune altération ne serait subie par les produits. Autrement, nous pouvons remettre en vente les produits restants (en espérant que votre stock ne soit pas trop important) et nous rapprocher concomitamment du fournisseur
afin de lui demander de modifier la dénomination du produit et d'en supprimer la mention "fromage frais" " (cote 2637).
122. En effet, dans les échanges entre les magasins et le service juridique du groupe GBH, il a pu être relevé cette remarque de la part de l'un d'entre eux : " [n]otre problème est surtout de savoir si le produit peut avoir la dénomination "Fromage frais" avec sa DLC actuelle. C'est là dessus que les fabricants locaux nous cherchent " (cote 2638).
123. Cette position du service juridique de GBH aura deux conséquences : les produits en cause seront remis à la vente dans les hypermarchés Carrefour concernés et la LSM modifiera l'appellation de ses produits " fromages frais Malo " en " frais Malo " pour continuer à être référencés par les enseignes exploitées par le groupe GBH (cote 2219).
124. À cet égard, il ressort du dossier d'instruction que le groupe GBH a refusé des produits Malo pour son hypermarché Carrefour à Dillon entre le 25 février 2010 et le 2 mars 2010 car ceux-ci ne répondaient pas aux nouvelles exigences en termes de dénomination (cote 2219). Pour les mêmes raisons, l'enseigne Carrefour de Destrellan en Guadeloupe a retiré de ses linéaires les fromages frais Malo pendant deux semaines au mois de mars 2010, ce qu'a confirmé M. I..., directeur commercial de ce magasin (cote 1918).
D. LE GRIEF NOTIFIÉ
125. Le 12 juin 2013, la rapporteure générale de l'Autorité a notifié le grief suivant :
" Il est fait grief à la société nouvelle des yaourts de Littée (" SNYL " n° de Siret 34413624700014) en tant qu'auteure, d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché martiniquais d'approvisionnement de la GMS des yaourts et spécialités laitières, et sur le marché martiniquais d'approvisionnement de la GMS en fromages frais et en spécialités fromagères sucrées à la pulpe de fruits, en proférant, entre décembre 2007 et mars 2010, un discours de nature à porter le discrédit sur les produits concurrents (" fromages frais " et " yaourts ") de la société " Laiterie de Saint-Malo ", au moyen de la diffusion publique d'assertions non vérifiées, lesquelles ont conduit notamment à un retrait temporaire des produits visés par ce discours dénigrant, constaté en Martinique et en Guadeloupe, affectant ainsi concrètement le fonctionnement de la concurrence par l'empêchement apporté à la société " Laiterie de Saint-Malo " de distribuer ses produits concurrents de ceux de la société SNYL. Cette pratique est prohibée par l'article L. 420-2 du Code de commerce. Ce grief est également imputé aux sociétés Socrema et Antilles glaces en tant que sociétés mères de la société SNYL ".30 30
III. Discussion
A. SUR LA PROCÉDURE
1. ARGUMENTS DE LA SNYL
126. Dans ses observations, la SNYL soutient que les services d'instruction ont mené une instruction partiale en se fondant uniquement sur les propos incriminants de la société LSM, d'une part, et une instruction à charge compte tenu de la présentation des faits et de la qualification retenue, d'autre part.
2. APPRÉCIATION DE L'AUTORITÉ
127. Dans un arrêt du 20 janvier 2011, société Perrigault SA, la cour d'appel de Paris a écarté le moyen tiré de la déloyauté et de la partialité de l'instruction par lequel était critiqué l'absence de prise en compte par le rapporteur d'éléments à décharge, considérant que : " l'appréciation de la partialité de l'instruction ne saurait résulter de la seule circonstance alléguée au cas d'espèce que le rapporteur n'aurait pas tenu compte, dans sa notification de griefs, d'éléments qui, selon les parties, viendraient au soutien de leur défense. Que ces dernières ont été mises en mesure d'en faire état dans la discussion sur le bien-fondé des griefs et de répondre aux accusations qui étaient portées contre elles en présentant toutes les observations et toutes les pièces qui leur apparaissaient utiles à leur défense. Que, sous couvert d'un grief non fondé de partialité fait au rapporteur, la requérante, qui prétend caractériser une telle partialité en renvoyant à ses développements sur le fond, discute, en réalité, la pertinence du raisonnement suivi par l'Autorité pour décider que les pratiques dénoncées étaient caractérisées et lui étaient imputables, ce qui constitue précisément le fond du débat " (RG n° 2010/08165, page 14).
128. En l'espèce, force est de constater que la SNYL n'invoque pas une violation du principe du contradictoire ou des droits de la défense, mais se borne à contester la pertinence du raisonnement suivi par les services d'instruction, ce qui relève de l'examen du bien-fondé du grief, auquel le collège de l'Autorité est tenu de procéder.
129. Partant, ce moyen n'est pas fondé.
B. SUR LE MARCHÉ PERTINENT ET LA POSITION DE LA SNYL SUR CE MARCHÉ
1. SUR LE MARCHÉ PERTINENT
130. L'analyse des pratiques en cause au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce nécessite, au préalable, de définir le ou le(s) marché(s) pertinent(s) et de déterminer la position qu'y occupe la SNYL.
131. Suivant l'approche de la Commission européenne explicitée dans sa communication n° 97/C 372/03 du 9 décembre 1997 sur la définition du marché en cause (JOCE C 372 du 9 décembre 1997, p. 5, point 7), l'Autorité rappelle que " le marché est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande de produits ou de services spécifiques, considérés par les acheteurs ou les utilisateurs comme substituables entre eux, mais non substituables aux autres biens et services offerts " (voir, par exemple, la décision n° 13-D-21 du 18 décembre 2013 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché français de la buprénorphine haut dosage commercialisée en ville, point 319 et, dans le même sens, l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 30 mars 2004, Novartis Pharma SAS, BOSP n° 6 du 15 juin 2004, p. 466 ).
a) Dimension matérielle
132. Selon la pratique constante des autorités nationale et européenne de concurrence, deux catégories de marchés peuvent être délimitées (3) dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire. Il s'agit, d'une part, des marchés " aval ", de dimension locale, qui mettent en présence les entreprises de commerce de détail et les consommateurs pour la vente de biens de consommation et, d'autre part, des marchés " amont " de l'approvisionnement des entreprises de commerce de détail en biens de consommation courante, de dimension nationale.
133. Plus particulièrement, sur les marchés de l'approvisionnement en produits alimentaires frais, dans sa décision n° 10-DCC-158 du 22 novembre 2010 relative à la prise de contrôle exclusif de neuf sociétés du groupe Van de Woestyne par le groupe Les Maîtres Laitiers du Cotentin, l'Autorité a identifié ceux correspondant : " à la vente de ces produits par leurs producteurs ou fabricants à des clients tels que les centrales d'achat des grandes et moyennes surfaces, les grossistes distributeurs ou l'industrie agroalimentaire " (point 6).
134. En outre, dans cette même décision, l'Autorité a rappelé que : " la pratique décisionnelle communautaire et nationale distingue habituellement autant de marchés qu'il existe de familles ou groupes de produits. S'agissant des produits alimentaires frais, les familles de produits suivantes peuvent être notamment distinguées : les produits laitiers (lait, beurre, oeufs, fromage, produits lactés tels que les yaourts); la charcuterie et les produits de traiteur; les produits de la mer; les fruits et légumes; le pain et la pâtisserie fraîche; les produits carnés " (point 6).
135. Quant à la famille des produits laitiers, la Commission européenne a déjà retenu des marchés distincts de produits correspondant, d'une part, au marché des yaourts ou laits fermentés qui " regroupe les produits à base de lait ensemencés avec des bactéries lactiques caractéristiques. Ils peuvent être nature, aromatisés ou aux fruits et existent sous plusieurs textures : liquide, crémeuse, ou épaisse " et, d'autre part un marché du fromage frais qui " regroupe les produits identifiés comme des fromages frais, des fromages blancs, des topfens, des kwark, du tehénturo et du brynza " (décision du 20 février 2012, COMP/M.6441 -Senoble/Agrial/Senagral JV, points 38 et 39).
136. Au sein de la catégorie des yaourts, la Commission européenne laisse ouverte la question de savoir s'il est pertinent de définir des marchés plus étroits (yaourts standards natures, yaourts standard aux fruits ou aromatisés, yaourts à boire, etc.) (voir la décision du 19 septembre 2009, COMP/M.4344 Lactalis/Nestle/JV (II), point 20).
137. Par ailleurs, la Commission européenne laisse à ce jour ouverte une segmentation plus fine du marché global des yaourts et celui des fromages frais (décision COMP/M.6441 -Senoble/Agrial/Senagral JV, précitée, point 43).
138. Pour sa part, l'Autorité de la concurrence, suivant la " nomenclature produit " de l'INSEE, reconnaît l'existence d'un marché des fromages frais (voir les décisions n° 10-DCC-110 du 1er septembre 2010 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Entremont par le groupe Sodiaal, point 18, et n° 10-DCC-158 du 22 novembre 2010 relative à la prise de contrôle exclusif de neuf sociétés du groupe Van de Woestyne par le groupe Les Maîtres Laitiers du Cotentin, point 36).
139. En outre, tout en laissant ouverte la définition précise du marché, la Commission européenne a indiqué dans sa décision COMP/M.6441 -Senoble/Agrial/Senagral JV, précitée, que : " l'enquête de marché a largement confirmé que les produits laitiers vendus sous MDD et ceux vendus sous MDF sont substituables du point de vue des consommateurs au sein de certaines catégories comme les yaourts nature, les yaourts à valeur ajoutée du segment santé, les fromages blancs à valeur ajoutée, les fromages blancs à valeur ajoutée du segment gourmandise ou encore les crèmes aux oeufs/cuits au four " (point 31).
140. La SNYL fait valoir que le marché des yaourts comprend non seulement les produits répondant à la définition réglementaire en vigueur mais également les spécialités laitières perçues comme substituables par les consommateurs, telles que la gamme " Activia " de Danone et " Silhouette 0 % " de Yoplait, sans y inclure toutefois les crèmes desserts (cotes 2004 et 2005). De même, s'agissant du marché des fromages frais, la SNYL estime que doivent être ajoutées aux produits répondant strictement à la réglementation, les spécialités fromagères sucrées à la pulpe de fruit " Petits filous " de Yoplait et " Petits Gervais " de Danone.
141. La notification des griefs ayant fait droit aux observations de la SNYL, dans ces conditions et pour la présente décision, le grief notifié concerne le marché de l'approvisionnement de la GMS en yaourts et spécialités laitières proposées par la SNYL, d'une part, et celui de l'approvisionnement de la GMS en fromages frais et spécialités fromagères sucrées susmentionnées, d'autre part.
b) Dimension géographique
142. Dans sa communication sur la définition du marché en cause précitée, la Commission européenne précise que :" [l]e marché géographique en cause comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre des biens et des services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable " (point 8, voir également l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 mars 2010, société Gaz et Électricité de Grenoble - GEG, RG n° 2009/09599, page 7).
143. Dans cette même communication, la Commission européenne indique également que : " [l'] exercice de définition du marché consiste, fondamentalement, à identifier les autres sources réelles d'approvisionnement auxquelles les clients de l'entreprise en cause peuvent recourir, tant sous l'angle des produits ou des services que ces autres fournisseurs proposent que du point de vue de leur localisation géographique " (point 13).
144. Récemment, l'Autorité a rappelé, dans sa décision n° 14-DCC-34 du 18 mars 2014 relative à la prise de contrôle exclusif d'actifs de la société GD Sainte Rose et de la SARL du Sud par la société Soco Sainte Rose, la spécificité des marchés amont de l'approvisionnement dans les départements d'Outre-mer.
145. En effet, si, en principe, la pratique décisionnelle communautaire et nationale retient l'existence de marchés de dimension nationale segmentés par grands groupes de produits, l'Autorité a relevé dans la décision précitée, que : " en ce qui concerne les départements d'outre-mer, l'avis 09-A-45 de l'Autorité de la concurrence du 8 septembre 2009, relatif aux mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation dans les départements d'outre-mer, a souligné le caractère spécifique des circuits d'approvisionnement en produits de grande consommation et ses effets sur l'équilibre concurrentiel des marchés concernés. De plus, une partie de l'approvisionnement des enseignes de distribution de détail à dominante alimentaire provient de producteurs locaux, afin notamment de satisfaire aux goûts et habitudes alimentaires locales mais aussi de limiter les coûts d'importation dont celui du fret maritime et de l'octroi de mer " (point 8, voir également la décision n° 10-DCC-25 du 19 mars 2010 relative à la prise de contrôle exclusif d'actifs du groupe Louis Delhaize par la société H Distribution (groupe Hoio), point 25).
146. En outre, dans l'avis n° 09-A-45 précité, l'Autorité avait souligné qu'au-delà du degré de concentration élevé sur le marché de la grande distribution alimentaire en Outre-mer, " s'ajoute fréquemment une diversification conglomérale et verticale des groupes de distribution domiens " car certains d'entre eux sont présents " dans l'activité de grossiste importateur : les produits fabriqués localement ou achetés aux industriels métropolitains sont alors revendus à leurs concurrents sur le marché aval de la distribution de détail (point 80, soulignement ajouté).
147. Dans ce même avis, l'Autorité abordait justement le cas spécifique des yaourts et constatait que : " dans le cas des yaourts - l'une des rares industries agroalimentaires présentes dans les quatre DOM -, la structure des marchés locaux ne semble guère propice au dynamisme de la concurrence, la production locale étant assurée soit par un duopole (cas de La Réunion et des Antilles), soit par un monopole (en Guyane). En dépit du caractère local de la production, des exonérations d'octroi de mer, des mesures d'exonération fiscale et des dégrèvements de charges sociales, les relevés de prix effectués par la DGCCRF font apparaître des écarts substantiels entre la métropole et ces DOM dans le cas des yaourts et autres desserts lactés, allant de 20 à 180 % selon les produits et les DOM étudiés " (point 111, soulignement ajouté). L'Autorité indiquait également que ces écarts de prix perduraient en l'absence d'une production locale sous MDD en dépit du souhait affiché par certains distributeurs de proposer ces produits.
148. De fait, ultérieurement à cet avis, dans les décisions n° 14-DCC-34 et 10-DCC-25 précitées, l'Autorité a estimé, tout en laissant in fine ouverte la définition exacte du marché géographique dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle demeuraient inchangées quelle que soit la délimitation retenue, que : " les marchés géographiques pertinents en matière d'approvisionnement pourraient donc être limités à chaque DOM ou à La Réunion d'une part, et à la zone Antilles-Guyane, d'autre part " (respectivement point 26 et point 8).
149. En l'espèce, la demande de produits se définit comme celle des enseignes de la GMS à dominante alimentaire implantées en Martinique. Le comportement de la demande entendue comme telle consiste, pour des raisons liées aux contraintes géographiques d'approvisionnement (insularité), aux habitudes locales de consommation notamment et à la faible animation concurrentielle du marché, à se fournir à titre principal en produits fabriqués sur ce territoire.
150. Dans ses observations, la SNYL conteste une telle délimitation du marché géographique. Selon elle, il ressort des éléments du dossier que le territoire sur lequel les distributeurs martiniquais peuvent acquérir des produits laitiers frais ne se limite pas à ce département, mais s'étend à l'ensemble du territoire hexagonal. Elle en veut pour preuve l'implantation de la société Laiterie de Saint-Malo dans les Antilles françaises depuis 2002, d'une part, et des sociétés Savoie Yaourt et Senoble, d'autre part (cotes 3453 et 3454).
151. Par ailleurs, elle estime que les particularités du secteur liées à l'insularité ne sont pas insurmontables pour la grande distribution implantée en Martinique, laquelle s'est organisée pour pouvoir s'approvisionner en métropole. Elle cite par exemple, la centrale d'achat commune Somaudex-Segedial des franchisés Carrefour, appartenant aux groupes SAFO et GBH, installée au Havre, qui a justement pour but de les approvisionner en produits en provenance de métropole (cote 3454).
152. Cependant, les observations de la SNYL définissent ainsi le marché géographique non pas du point de vue de la demande des consommateurs, mais du point de vue de la localisation des entreprises qui offrent les produits sur le(s) marché(s) ultra-marin(s).
153. En outre, la définition du marché à un niveau local n'empêche pas de tenir compte de la pression concurrentielle exercée par la possibilité de s'approvisionner en métropole puisque les produits importés de métropole seront pris en compte dans le calcul des parts de marché sur le marché martiniquais. Pour autant, la prise en compte de la dimension locale du marché permet précisément de ne pas surestimer l'importance de cette contrainte concurrentielle en la ramenant à sa juste proportion, c'est-à-dire en prenant effectivement en compte, à partir des parts de marché des produits importés auprès de la distribution martiniquaise, l'appétence de celle-ci pour ces produits, compte tenu des coûts spécifiques qu'elle supporte et des particularités de la demande locale. À l'inverse, la définition d'un marché national conduirait à nier l'existence de contraintes géographiques et d'habitudes locales de consommation, indéniables dans le cas des départements ultra-marins, et donc à surestimer la pression concurrentielle exercée par les importations.
154. Dès lors, l'Autorité retiendra que, au cas d'espèce, les marchés pertinents correspondent aux marchés d'approvisionnement à la GMS des yaourts, d'une part, et des fromages frais, d'autre part, dans le département de la Martinique.
2. LA POSITION DOMINANTE DE LA SNYL SUR LE MARCHÉ PERTINENT
a) Arguments de la SNYL
155. La SNYL conteste l'existence d'une position dominante sur le marché martiniquais. Elle estime, notamment, que la seule détention d'une part de marché supérieure à 50 % ne suffit pas, en soi, à établir l'existence d'une dominance dès lors qu'il s'agit d'une présomption réfragable par la démonstration d'un ensemble de critères parmi lesquels figurent la présence de concurrents réels, une expansion tangible de ces derniers au détriment de l'entreprise dominante, et enfin une puissance d'achat compensatrice des clients.
156. En l'espèce, la SNYL soutient qu'elle fait face à une concurrence réelle de la part de la SAPY, franchisée Danone, qui serait de nature à l'empêcher de se comporter de manière indépendante notamment sur le marché des yaourts. Elle souligne, à cet égard, l'expansion de ses concurrents sur ce marché à son détriment. Ses parts de marché sur le marché des yaourts seraient passées de 95 % avant l'arrivée de Danone à 65 % environ en 2010 (cote 3456). Dans le même temps, elle ferait face à une concurrence réelle sur le marché des fromages frais de la part de la SAPY, d'une part, et de nombreuses MDD, d'autre part.
157. Au soutien de cette affirmation, elle invoque la décision n° 99-D-21 du 9 mars 1999 du 9 mars 1999 relative à des pratiques constatées dans le secteur des implants intraoculaires et des substances viscoélastiques dans laquelle l'Autorité aurait admis que l'effritement des parts de marché constituerait la preuve de ce qu'une entreprise dominante n'est alors pas en mesure de déterminer une politique de prix indépendante de celle de ses concurrents (cote 3457).
158. Enfin, la SNYL soutient que la puissance d'achat compensatrice particulièrement forte de la GMS en Martinique lui ôte toute possibilité de dominance. Elle rappelle que l'Autorité a elle-même relevé la dimension conglomérale du secteur de la distribution aux Antilles dans son avis 09-A-45 précité, ce qui se traduirait à son égard par une pression sur les prix exercée par les enseignes de la GMS en Martinique (cote 348).
b) Appréciation de l'Autorité
Les principes applicables
159. Dans son rapport annuel pour l'année 2010, l'Autorité rappelle que : " la jurisprudence tant interne que communautaire, définit la position dominante comme étant la situation dans laquelle une entreprise est susceptible de s'abstraire des conditions du marché et d'agir à peu près librement sans tenir compte du comportement et de la réaction de ses concurrents. Une telle position peut résulter de différents facteurs caractérisant le marché lui-même ou l'entreprise, comme la détention, soit d'un monopole légal ou de fait sur une activité, soit de parts de marché substantielles " (page 239).
160. L'appréciation de la position dominante d'une entreprise s'effectue donc à partir d'un faisceau de critères qui prend en compte des données d'ordre structurel comme les parts de marché de l'entreprise et celles de ses principaux concurrents, mais aussi des éléments qualitatifs qui sont de nature à donner un avantage concurrentiel à l'entreprise concernée comme l'appartenance à un groupe puissant ou la détention d'une avance technologique.
161. S'agissant du pouvoir de marché de l'entreprise, la Cour de justice considère que la possession, dans la durée, d'une part de marché extrêmement importante constitue, sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante, et que tel est le cas d'une part de marché de plus de 50 % (arrêts de la Cour de justice du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec . p . 461, point 41 ; du 3 juillet 1991, Akzo/Commission, C-62/86, Rec. p. I-3359, point 60 ; et AstraZeneca e.a./Commission, 6 décembre 2012, C-457/10 P, non encore publié au recueil, point 176).
162. Cependant, comme l'a souligné l'Autorité à plusieurs reprises, l'analyse de la position dominante d'un opérateur ne saurait se limiter à l'examen de ses parts de marché, dès lors que cette donnée quantitative ne rend qu'imparfaitement compte à elle seule du pouvoir réel que détient une entreprise sur le marché. Dans certains cas, il convient de prendre en considération le rapport entre les parts de marché détenues par l'entreprise concernée et par ses concurrents, l'intensité de la concurrence et les barrières à l'entrée sur le marché concerné ou encore les caractéristiques propres à l'entreprise en cause (leadership sur le marché, image de marque, puissance financière) (voir, à cet égard, la décision n° 10-D-02 du 14 janvier 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des héparines à bas poids moléculaire, point 60). Appréciation en l'espèce Les parts de marché de la SNYL ? Sur le marché des fromages frais en Martinique
163. Sur la base des données fournis par la SNYL, il apparaît qu'entre 2005 et 2010, sa part sur le marché des fromages frais en Martinique est demeurée constamment au-dessus de 65 %, à l'exception de l'année 2006 où elle n'atteignait que 63 % (cote 2006).
164. En comparaison, les informations fournies par la SNYL montrent que sur la période concernée les parts de marché de ses concurrents sont au moins cinq fois moins élevées, le principal concurrent, à savoir la SAPY, n'ayant pas dépassé les 15,5 % en 2007.
165. Le tableau ci-dessous récapitule les parts de marché " fromages frais " au cours de la période concernée (cote 2006) :
<Emplacement Tableau (4)>
Sur le marché des yaourts en Martinique
166. Sur la base des données fournies par la SNYL, il apparaît qu'entre 2005 et 2010, sa part sur le marché des yaourts en Martinique est demeurée extrêmement stable, variant de 64 à 67 % (cote 2007).
167. En comparaison, les informations qu'elle a fournies montrent que, sur la période concernée, les parts de marché de ses concurrents sont, pour la SAPY, principal concurrent, au moins trois fois moins élevées, et très réduites pour les autres concurrents, confirmant ainsi la situation duopolistique du marché mise en exergue dans l'avis 09-A-45 précité (voir le paragraphe 147 ci-dessus).
168. Le tableau ci-dessous récapitule les parts de marché "yaourts" au cours de la période concernée (cote 2007):
<Emplacement Tableau>
Sur le marché des yaourts en Martinique
169. Il ressort des données reproduites ci-dessus que les parts de marché de la SNYL sur les deux marchés en cause se sont maintenues globalement au-dessus de 65 %, soit à un niveau largement supérieur au seuil de 50 % qui constitue, sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante.
170. Dès lors, il convient d'examiner les circonstances mises en avant par la SNYL qui seraient de nature à renverser la présomption de dominance au cas d'espèce (voir les paragraphes 156 à 158 ci-dessus).
171. À titre liminaire, comme l'a rappelé le juge de l'Union, la baisse de parts de marché au cours de la période concernée par une pratique anticoncurrentielle n'exclut pas l'existence d'une position dominante; l'enregistrement d'une diminution des parts de marché n' entraîne pas nécessairement la perte de la position dominante de l'entreprise qui en conserve toujours une part substantielle (voir notamment, en ce sens, l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 30 janvier 2007, France Télécom/Commission, T-340/03, Rec. p. II-107, point 104).
172. De même, ainsi que l'Autorité l'a souligné dans sa décision n° 04-D-70 du 16 décembre 2004 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des pompes funèbres de la région de Saint-Germain-en-Laye, une société en position dominante confrontée à une concurrence effective peut être considérée comme maintenant sa position dominante si, tout en subissant une baisse progressive de ses parts de marché, elle conserve une part de marché très supérieure à celles de ses premiers concurrents (décision confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 septembre 2005, société O.G.F. SA, RG n° 2005/03709, et pourvoi rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 28 novembre 2006, société OGF, pourvoi n° P 05-20.180).
173. En premier lieu, au cas d'espèce, la part de marché de la SAPY, au demeurant en baisse, sur le marché des yaourts n'apparaît pas suffisante pour contester la position dominante de la SNYL. Cette appréciation est a fortiori valable s'agissant du marché des fromages frais dans la mesure où, exception faite de la catégorie "autres MDD ", les concurrents directs de la SNYL disposent de moins de 10 % de parts de marché.
174. Ces pertes modestes de parts de marché ne sauraient remettre en cause l'appréciation de l'Autorité selon laquelle la structure du marché à l'époque des faits se caractérisait par la présence d'un opérateur très puissant, l'intensification de la concurrence s'étant simplement traduite par la fin d'une situation quasi-monopolistique dont jouissait la SNYL en tant que producteur local historique.
175. Au surplus, la SNYL ne saurait se prévaloir des circonstances propres à la situation dans laquelle se trouvait la société mise en cause dans la décision n° 99-D-21 précitée, pour en dégager une quelconque règle de droit, étant observé par ailleurs que l'effritement constaté des parts de marché de l'entreprise dominante dans cette affaire était sans commune mesure avec la très grande stabilité de la position de la SNYL sur les marchés en cause en l'espèce.
176. En second lieu, l'affirmation selon laquelle le comportement de la SNYL se trouve discipliné par la puissance d'achat compensatrice de la GMS locale est infirmée par les propres constatations de l'Autorité dans son avis n° 09-A-45 précité qui sont concomitantes au comportement reproché à la SNYL dans la présente affaire :
" Dans le cas des yaourts en dépit du caractère local de la production, des exonérations d'octroi de me des mesures d'exonération fiscale et des dégrèvements de charges sociales, les relevés de prix effectués par la DGCCRF font apparaître des écarts substantiels entre la métropole et ces DOM dans te cas des yaourts et autres desserts lactés, allant de 20 à 180 3/4 selon les produits et les DOM étudiés. Selon certains industriels, ces écarts de prix s 'expliqueraient par les faibles volumes produits par rapport à ta métropole. Toutefois, l'examen des marges réalisées par l'un des producteurs locaux laisse à penser qu'une diminution des prix ne remettrait pas en cause la viabilité économique de cette activité, compte tenu du potentiel de développement du marché. (...)
Enfin la pratique consistant à diffuser des prix de revente conseillés identiques aux consommateurs par des entreprises concurrentes en situation de duopole [c'est par exemple le cas dans le secteur de la production de yaourts] sur des marchés par nature étroits et le respect de ces prix par la grande distribution conduisent l'Autorité à s 'interroger sur la volonté supposée desdits duopoleurs de se livrer à une réelle concurrence au bénéfice des consommateurs " (points 112 et 115).
177. En conséquence, si la SNYL subit une pression concurrentielle certaine, celle-ci demeure relativement faible sur les marchés considérés, nonobstant la présence de la marque de référence mondiale Danone, et en tout état de cause insuffisante pour lui faire perdre sa position dominante.
178. Il résulte de ce qui précède que la SNYL détient une position dominante sur les deux marchés en cause.
C. SUR LE BIEN-FONDÉ DU GRIEF
179. Dans le cadre de l'examen du bien-fondé du grief, seront successivement abordés:
- la qualification d'abus de position dominante d'une pratique de dénigrement (1) ;
- le standard de preuve (2) ;
- l'appréciation au cas d'espèce du discours proféré par la SNYL (3) ;
- les effets de la pratique (4) ;
- le lien entre le discours dénigrant et la position dominante de la SNYL (5) ;
- la durée de la pratique (6) ;
- le caractère exemptable de la pratique (7).
1. UNE PRATIQUE DE DÉMGREMENT PEUT ÊTRE CONSTITUTIVE D'UN ABUS DE POSITION
DOMINANTE
180. L'exploitation abusive est "une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence " (arrêts de la ClUB Hoffmann-La Roche/Commission, précités, et du 17 février 2011, TeliaSonera, C-52/09, Rec. p. I-527, point 27).
181. L'article L. 420-2 du Code de commerce comporte une liste non limitative de pratiques pouvant être qualifiées d'abusives, telles que le refus de vente, la vente liée, les conditions de vente discriminatoires ou la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.
Cependant, la jurisprudence comporte également d'autres exemples de pratiques abusives mises en œuvre sur un marché par des entreprises en position dominante.
182. Si l'existence d'une position dominante n'implique en soi aucun reproche, cette situation impose à l'entreprise concernée une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée sur le marché. Ainsi, dans sa décision n°07-D-33 du 15 octobre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l'accès à Internet à haut débit, le Conseil de la concurrence a rappelé que la concurrence suppose un certain degré de rivalité et de compétition entre les acteurs d'un marché, mais que cette lutte pour la conquête de la clientèle n'autorise pas tous les comportements, surtout de la part d'une entreprise qui, détenant une position dominante sur un marché, encourt une responsabilité particulière. Il a ensuite précisé que le dénigrement figure parmi les actes qui peuvent être regardés comme abusifs (paragraphe 77).
183. Selon une pratique décisionnelle constante de l'Autorité, un tel comportement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié. Il se distingue de la critique dans la mesure où il émane d'un acteur économique qui cherche à bénéficier d'un avantage concurrentiel en pénalisant son compétiteur (décision n° 13-D-11 du 14 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur pharmaceutique, paragraphe 365).
184. Néanmoins, tout dénigrement mis en œuvre par une entreprise en position dominante, s'il peut relever de la concurrence déloyale et engager la responsabilité de l'entreprise vis-à-vis de ses concurrents, n'est pas nécessairement constitutif d'un abus prohibé par l'article L. 420-2 du Code de commerce. Pour qu'un dénigrement puisse être qualifié d'abus de position dominante, il convient que soit établi un lien entre la domination de l'entreprise et la pratique de dénigrement (décision de l'Autorité n° 09-D-14 du 25 mars 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de l'électricité, paragraphes 57 et 58, confirmée par arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 mars 2010, Gaz et électricité de Grenoble, RG n° 2009/09599 ; voir également les décisions n° 10-D-32 du 16 novembre 2010 relative à des pratiques dans le secteur de la télévision payante, paragraphe 305; et n°13-D-11, précitée, paragraphe 366).
185. Pour apprécier l'existence d'une pratique de dénigrement, l'Autorité s'attache d'abord à vérifier si le discours commercial tenu par l'entreprise en position dominante relève de constatations objectives ou s'il procède d'assertions non vérifiées (décisions n° 07-D-33, précitée, paragraphe 81, et n° 13-D-11, précitée, paragraphe 367).
186. Puis, afin de déterminer si le discours commercial de l'entreprise dominante est de nature à influencer la structure du marché, l'Autorité examine les effets attendus ou réels de ce discours auprès des partenaires commerciaux ou de la clientèle potentielle de ses concurrents (décisions n° 10-D-32, précitée, paragraphe 307, et n° 13-D-11, précitée, paragraphe 368). Il n'est en effet pas nécessaire de démontrer que le comportement de l'entreprise en position dominante a eu un effet anticoncurrentiel concret sur le marché concerné pour pouvoir le qualifier d'abusif. Il suffit de démontrer qu'il tend à restreindre la concurrence ou, en d'autres termes, qu'il est de nature à avoir un tel effet.
187. Enfin, au nombre des éléments que l'Autorité retient pour établir l'existence d'un lien entre la domination de l'entreprise en cause et la pratique de dénigrement figurent la notoriété de cette entreprise et la confiance que lui accordent les acteurs du marché qui sont de nature à renforcer significativement l'impact du discours développé par celle-ci (décision n° 13-D-11, précitée, paragraphe 369). Dans sa décision n° 07-D-33, précitée, l'Autorité a ainsi pris en considération le fait que l'entreprise dominante mise en cause " bénéficiait aux yeux du grand public de la réputation et de la notoriété d'un ancien monopole gérant un service public " (paragraphe 79).
2. SUR LE STANDARD DE PREUVE
a) Arguments de la SNYL
188. La SNYL considère que, en l'espèce, le standard de preuve en matière de dénigrement n'est pas atteint. Elle estime, en particulier, que si la preuve est libre en droit de la concurrence, la méthode du faisceau d'indices, mode de preuves indirectes, est difficilement conciliable avec l'abus de position dominante, a fortiori par dénigrement, lequel supposerait la diffusion publique d'un discours dénigrant (cote 3389).
189. Elle reproche aux services d'instruction de s'être contentés de preuves indirectes constituées de témoignages dont elle conteste à la fois la crédibilité, car émanant du concurrent prétendument victime, et leur caractère probant dans la mesure où ces déclarations ne seraient corroborées par aucune preuve directe des comportements qui lui sont reprochés (cote 3428).
b) Appréciation de l'Autorité
190. Il n'est ni contesté ni contestable que les distributeurs ont une attitude prudente vis-à-vis des produits qu'ils vendent, notamment lorsqu'il s'agit de denrées alimentaires périssables.
En effet, sensibles au risque de voir leur responsabilité engagée, les distributeurs se montrent particulièrement attentifs à la conformité des produits qu'ils commercialisent aux règles d'hygiène et de sécurité alimentaires. La diffusion d'une information négative, voire la simple instillation d'un doute sur les qualités intrinsèques d'une denrée alimentaire périssables comme les yaourts et les fromages frais, peut suffire à jeter la suspicion sur cet aliment et conduire les distributeurs à ne plus le proposer à la vente.
191. Dans un tel contexte, si la preuve de l'existence d'une pratique de dénigrement peut résulter de l'existence formelle de pièces se suffisant à elles-mêmes, elle peut aussi résulter d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants, apprécié globalement et constitué par diverses pièces recueillies au cours de l'instruction, et ce alors même que chacune des pièces prises isolément n'aurait pas un caractère suffisamment probant, ainsi que, le cas échéant, par le rapprochement de ces pièces avec d'autres éléments de preuve tels que les témoignages de personnes auxquelles est destiné le discours en cause.
Sur le recours à des témoignages recueillis au cours de l'instruction
192. Il convient de rappeler que tous les modes de preuve (documents écrits, témoignages, aveux) sont utilisables devant l'Autorité, sous réserve du respect du principe de loyauté de la preuve (voir, à cet égard, l'arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2012, Euro Power Technology, pourvoi n° 10-28.718). Sous cette réserve, la cour d'appel de Paris a précisé, dans son arrêt du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International e.a., que la pertinence et la force d'un élément de preuve étaient directement liées à sa crédibilité.
193. Des déclarations provenant de témoins directs des circonstances qu' elles rapportent ont ainsi déjà été utilisées à titre de preuve de pratiques anticoncurrentielles. Par exemple, dans la décision n° 07-MC-06 du 11 décembre 2007 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Arrow Génériques, le Conseil a retenu, au stade des mesures conservatoires, une pratique susceptible en l'état de l'instruction d'être qualifiée de dénigrement dans le secteur pharmaceutique en se fondant sur quatre témoignages de professionnels de la santé (décision confirmée par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 5 février 2008, Schering-Plough, et pourvoi rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier2009, Arrow Génériques, pourvoi n° P 08-12.510).
194. Enfin, il convient de rappeler que le régime en matière de preuve devant l'Autorité de la concurrence n'implique aucun formalisme particulier. Ainsi, les éléments permettant d'identifier les déclarants suffisent pour vérifier l'exactitude de leur témoignage (voir, à cet égard, les décisions n° 09-D-28, précitée, paragraphe 65, et n° 10-D-2$, du 20 septembre 2010 relative aux tarifs et aux conditions liées appliquées par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d'encaissement, paragraphe 196).
195. En conséquence, les témoignages recueillis auprès des distributeurs martiniquais et des autres opérateurs du marché, tels les associations et syndicats professionnels, peuvent être valablement utilisés pour démontrer l'existence d'une pratique anticoncurrentielle dès lors qu'ils ont été obtenus de façon loyale, qu'ils permettent d'identifier les personnes les ayant déposés, qu'ils sont crédibles et, enfin, qu'ils ont été soumis au débat contradictoire afin que l'entreprise mise en cause soit en mesure de faire valoir ses observations, ce que la SNYL a d'ailleurs fait à de nombreuses reprises en l'espèce.
3. SUR LA PROPAGATION D'INFORMATIONS MANIFESTEMENT ERRONÉES VISANT À JETER
LE DISCRÉDIT SUR LES PRODUITS CONCURRENTS
a) Arguments de la SNYL
196. Dans ses observations, la SNYL fait valoir que le grief formulé à son encontre par les services d'instruction repose sur une analyse juridique inexacte de l'avis du CNC du 8 février 1990 précité.
197. Elle dénie avoir poursuivi un objectif de dénigrement de son concurrent en alertant Je Syndifrais au sujet des DLC de plus de 30 jours pratiquées par la LSM. Selon elle, la dénonciation auprès d'un organisme professionnel de la méconnaissance par certains de ses membres d'une règle dont les autres adhérents s' imposent le respect ne saurait constituer en soi un discours dénigrant (cote 3870).
198. La force contraignante de la règle des 30 jours pour les adhérents du Syndifrais aurait été méconnue par les services de l'instruction (cote 3430) qui se seraient mépris sur la portée des spécifications techniques destinées aux acheteurs publics telles que rappelées sur le site Internet de l'INRA et dans une note du ministère de l'économie.
199. Par ailleurs, la SNYL soutient que la pratique commerciale de la " double DLC ", conduisant à admettre un délai de consommation plus long pour les produits importés aux Antilles pouvait engager la responsabilité des revendeurs fondée sur l'obligation de résultat en matière d'hygiène et sécurité alimentaires qui pèse sur eux. Ainsi, un producteur n'aurait pas toute latitude dans la fixation des DLC de ses produits pour tenir compte des délais de leur acheminement aux Antilles.
200. Bien plus, la SNYL fait remarquer que la DGCCRF et la DOAL préconiseraient une DLC plus courte pour les denrées périssables destinées à l'Outre-mer étant donné que le risque de rupture de la chaîne du froid dans une zone tropicale comme les Antilles est plus important.
201. La SNYL estime encore qu'aucun élément matériel n'établit qu' elle serait intervenue directement auprès de l'un des distributeurs locaux concernés pour les conduire à déréférencer les produits de la LSM (cote 3450).
202. Enfin, la SNYL soutient que la LSM est elle-même à l'origine de la diffusion auprès des distributeurs du conflit qui l'oppose aux autres industriels au sujet de la DLC, en ayant mis en place une stratégie de victimisation (cote 3451).
b) Appréciation de l'Autorité
203. Selon la notification des griefs, le discours dénigrant de la part de la SNYL à l'égard des yaourts et fromages frais commercialisés par la société Laiterie de Saint-Malo repose sur deux confusions volontairement entretenues et qui ont eu pour effet d'instiller le doute dans l'esprit des distributeurs sur la fraîcheur des produits laitiers Malo et sur leur conformité aux normes réglementaires.
204. En premier lieu, ce discours est fondé sur des études microbiologiques conduites avec un parti pris méthodologique qui livre des résultats fallacieux. En effet, les analyses sur lesquelles la SNYL s'appuie pour mettre en cause les produits Malo ont conduit à appliquer indistinctement les normes bactériologiques caractéristiques des yaourts aux fromages frais, de telle sorte que ces analyses ont stigmatisé à tort, comme globalement non conformes à la réglementation, des produits répondant bien en réalité aux critères de leur définition réglementaire.
205. En s'abstenant de dénombrer les variétés de bactéries caractéristiques de chacun des produits en les distinguant avant de les additionner pour vérifier si leur quantité répondait au seuil de la définition réglementaire du yaourt, sans préciser que ces analyses se rapportaient non seulement aux yaourts mais aussi aux fromages blancs, les résultats ainsi obtenus n'autorisaient pas la SNYL à en tirer les conclusions dont elle s'est prévalue auprès de Syndifrais. Il suffit pour s'en convaincre de rappeler que lorsque la SNYL a donné instruction au laboratoire indépendant qu'elle avait missionné de revenir à la rigueur méthodologique spécifique à la recherche de flore dans les fromages blancs, aucune distorsion par rapport aux normes réglementaires n'a plus été signalée (voir le paragraphe
68 ci-dessus)
206. En second lieu, le discours de la SNYL repose sur l'invocation du respect impératif d'une
DLC à 30 jours pour la commercialisation de produits laitiers avec appellation "frais " sur la base d'un avis du CNC.
Sur le caractère non-objectif des analyses microbiologiques effectuées par ta SNYL
207. Le dossier d'instruction révèle que les analyses commandées auprès du laboratoire MAP par la SNYL ont conduit à appliquer aux fromages frais des normes réglementaires relatives aux yaourts. Pour prétendre à l'appellation "yaourt ", le produit en cause doit contenir les deux bactéries lactobacillus bulgaricus et streptococcus thermophilus dont la somme doit être supérieure ou égale à 10 millions par gramme de produits. L'appellation" fromage frais" est soumise à une norme différente imposant seulement que le produit renferme une flore lactique vivante au moment de la vente au consommateur.
208. À titre liminaire, il convient de rappeler la méthode d'analyse retenue par la norme ISO 7889 IDF 117 : "Yaourt - Dénombrement des micro-organismes caractéristiques -
Technique de comptage des colonies à 37 °C " en date de février 2003: " 9.7.1 After the specified period of incubation (9.6.6 and 9.6.7), count the colonies showing the features of each characteristic microorganism [Lactobacillus deibrueckii subsp. bulgaricus (3.2) and Streptococcus thermophilus (3.3)] on plates having between 15 and 300 colonies (see Annex A) " (cote 3609). De plus, les points 10.1.2, 10.3 de la norme précitée spécifient que le décompte de chaque micro-organisme doit être effectué de manière bien distincte.
209. Pour sa défense, la SNYL fait valoir que le contrat du 28 février 2007 conclu avec le laboratoire MAP ne concernait pas les produits Malo et mentionnait bien le critère d'analyse adéquat pour les fromages frais.
210. Cependant, l'examen de la pièce intitulée "veille impor" (cote 1943) révèle que des produits LSM (yaourts et fromages frais) identifiables sur le document à l'aide du Code emballeur attribué à l'unité de production de cette société (n° 35-288-01) ont fait l'objet d'analyses sans distinction des deux produits de nature différente. Contrairement à ce qu'avancent les parties, cette pièce se rapporte bien au bon de commande du 3 mai 2007 (cote 1943) pour lequel le laboratoire MAP a indiqué : "Les références des yaourts ainsi que les lieux de prélèvements sont décrits en "annexe 3". Sur cette page jointe au bon de commande, on constate que dans la catégorie yaourts apparaît 'pot verre, fromage blanc, fromage frais, " yaourts étant un générique. Par conséquent, il a été réalisé ce même critère "client" à l'ensemble des produits prélevés " (cote 1971).
211. Contrairement à ce que soutient la SNYL dans ses observations (cote 3869), s'agissant d'un laboratoire accrédité de surcroît expert judiciaire, il est peu vraisemblable que ce dernier ait pu par mégarde s'affranchir de la rigueur la plus élémentaire pour conduire la mission qui lui était confiée au point de confondre involontairement la réglementation applicable aux yaourts avec celle des fromages blancs.
212. À cet égard, le document dont il est fait état au paragraphe 67 ci-dessus, et sur lequel figure la mention: " attention sur le critère flore tactique fromages frais analysés ", confirme, ce que la SNYL au demeurant ne conteste pas (cote 3869), que dès février 2009 elle connaissait le risque de confusion résultant de l'application par le laboratoire de critères d'analyse microbiologiques inappropriés aux fromages blancs.
213. En tout état de cause, à partir du 23 novembre 2009, c'est-à-dire postérieurement aux décisions de retrait des produits LSM des rayons de l'ensemble des enseignes du groupe 3H, la SNYL signalera expressément par un courriel au laboratoire MAP qu': " Il convient donc qu'en fonction des produits analysés, vous réalisiez les dilutions ad hoc afin de pouvoir conclure soit par la présence / absence de bactéries lactiques dans le cas des fromages, soit par une numération dans le cas des yaourts" (cote 1964). À la suite de ce rappel, plus aucune anomalie ne sera détectée (cote 1398).
214. Quoi qu'il en soit, cette précision, intervenant plus de deux ans après les premières analyses effectuées sur les fromages frais Malo par le laboratoire MAP, conduira le laboratoire à modifier ses bons de commande comme suit : " Normes d'interprétation des résultats de flore lactique à DLC :
7- YAOURT: Décret N 0881203 du 30/12/1998: il doit contenir "au moins 10 millions de bactéries par grammes"
8.- FROMAGES FRAIS: Décret N°200-628 du 27/04/2007. il doit "renfermer une flore
lactique" " (cote 1966).
215. La SNYL a ainsi attendu deux ans pour enjoindre au laboratoire de changer de méthode d'analyse tandis que celles réalisées dans le même temps sur ses propres produits par le même laboratoire appliquaient les critères adéquats. De plus, les analyses disqualifiantes en cause ont été transmises à Syndifrais qui s'en est prévalu à son tour.
216. Le tableau ci-dessous synthétise les analyses commandées par la SNYL concernant les fromages frais en application du critère réglementaire erroné :
<Emplacement Tableau (5), (6), (7)>
217. En ce qui concerne l'examen des analyses réalisées à sa demande sur les yaourts Malo par le laboratoire MAP, la SNYL, dans ses observations, souligne la non-conformité de 24 unités. Cependant, il ressort des fiches d'analyses MAP que, d'une part, seuls 12 échantillons concernaient des produits Malo et, d'autre part, que sur les 10 échantillons yaourts Malo (sur un total de 71 références prélevées sur la période 2007-2009) testés entre le 4 mai 2007 et le 29 août 200$, le critère de la présence de 10 millions de bactéries a été appliqué sans que le décompte selon la souche bactérienne soit précisé (cotes 609, 610, 639 à 643, 656, 1338 et 3017).
218. La SNYL justifie ses analyses microbiologiques par la volonté de prouver le non-respect, par la société Laiterie de Saint-Malo, de son obligation d'autocontrôle de la qualité sanitaire de ses produits.
219. Cependant, outre qu'aucun élément du dossier d'instruction n'accrédite cette thèse, il n'appartenait pas à la SNYL de se substituer aux missions dévolues aux autorités administratives compétentes, a fortiori en recourant à des méthodes de contrôle erronées.
220. Il ressort par ailleurs du dossier d'instruction qu'au cours du mois de septembre 2008 le groupe SAFO, holding détenant la société Sogedial (distributeur), a fait réaliser des analyses par le laboratoire MAP sur des produits Malo dont il résulte, au contraire, que ces produits étaient conformes à la réglementation : " vous trouverez ci-joint le rapport d'analyse transmis par le laboratoire IuL4P. Cette analyse confirme la présence de plus de 10 millions de bactéries vivantes par gramme 50 jours après la fabrication dans les yaourts MALO conformément à l'article 2 décret n° 88-1203 du 30 décembre 88 " (cote 107).
221. Enfin, les allégations de la SNYL sur la présence de levures et moisissures dans les produits Malo n'ont pas été confirmées par les autorités sanitaires de contrôle compétentes ni même corroborées par d'autres études objectives.
222. Il résulte de ce qui précède que les analyses microbiologiques menées par la SNYL ont servi à soutenir des assertions non objectives sur les qualités des produits d'un concurrent dans le but d'asseoir la crédibilité d'un discours dénigrant à l'encontre des produits concurrents de la LSM.
Sur ta confusion entretenue entre un usage professionnel et un cadre réglementaire moins contraignant
Sur l'interprétation erronée de l'avis du CNC
223. L'Autorité relève que, contrairement à ce que soutient la SNYL, l'avis du CNC du 8 février 1990 sur l'emploi du terme " frais " n'a pas une valeur contraignante. Il ressort de l'article D. 5 11-1 du Code de la consommation rappelé au paragraphe 36 ci-dessus, que cet organisme ne dispose en effet d'aucun pouvoir réglementaire propre lui permettant d'édicter des normes contraignantes à l'égard des professionnels. Cette position est partagée par l'administration. En effet, dans ses observations, le commissaire du gouvernement rappelle que: "ces avis [CNC du 8 février 1990 et note de l'AFNOR] (...) n 'ont pas de caractère contraignant " (cote 3418).
224. Dans ses observations au rapport, la SNYL persiste à affirmer que l'ensemble des opérateurs du secteur, représentés par Syndifrais, reconnaît une valeur normative à cet avis (cote 3519). Elle concède dans le même temps, que: " si les avis du CNC n 'ont, en principe, pas de valeur réglementaire, la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a, notamment dans un arrêt du 12janvier 1999 (n° de pourvoi n° 97-13.801), reconnu que celui du 8février 1990 constituait un usage professionnel permettant d'apprécier le caractère trompeur d'une allégation faisant référence à la fraîcheur d'une denrée alimentaire " (cote 3857)
225. A cet égard, le dossier d'instruction révèle que la SNYL a interrogé l'administration sur la portée juridique exacte de cet avis. La SNYL attendait la reconnaissance par l'administration du caractère obligatoire des préconisations de l'avis du CNC précité, - et donc l'irrégularité des dates limites de consommation supérieures à 30 jours apposées sur des produits " frais" -, notamment en s'appuyant sur l'arrêt de la Cour de cassation susmentionné (cotes 37 et suivantes).
226. Au contraire, par lettre en date du 13 janvier 2010, les services de la Direction départementale de la cohésion sociale et la protection des populations (DDCSPP) ont répondu à la SNYL ce qui suit : " On ne peut donc arguer du fait que les conditions d'utilisation du qualificatif "frais" aient été fixées par une note du CNC, pour appliquer ses dispositions à des produits qui ont été définis par ailleurs par des décrets ministériels. Ce sont d'ailleurs les locutions "fromage frais" et "crème fraîche" qui y ont été définies en entier dans ces décrets [décrets n° 2007-628 et n° 80-3 13 précités], ce qui sigi4fle que les termes "fromage" et 'frais" ou "crème" et "fraîche" ne peuvent être dissociés l'un de l'autre pour y être transposés dans le cadre de cette note. L 'avis du CNC ne porte en effet que sur le terme "frais" pris isolément et ne peut donc s 'appliquer qu'à des produits qui n 'ont pas fait par ailleurs l'objet d'une définition réglementaire " (cote 71).
227. Par un courrier en date du 3 juin 2010, et ce en réponse à une nouvelle demande de la société SNYL, la D1RECCTE de Bretagne a confirmé sa position: " Je ne peux que vous confirmer les termes de ma réponse, celle-ci étant fondée sur les dispositions réglementaires en vigueur. Je peux toutefois vous préciser que pour des laits stérilisés UHT identiques conditionnés en métropole par une même laiterie, il est appliqué une DLUO de 3 mois pour les ventes en métropole et de 6 mois pour les ventes dans les DOM-TOM sans que cela n 'ait jamais provoqué de contestation de la part de juristes " (cote 204).
228. Cette position est partagée par le commissaire du gouvernement qui, dans ses observations, rappelle que : " à titre plus général, force est de constater qu'aucune disposition ne prévoit l'obligation pour le professionnel de fixer une DLC à trente jours lorsqu'il souhaite employer le qualificatif "frais" . Seuls tes principes de responsabilité et de liberté laissés au professionnel trouvent à s'appliquer (...). Les assertions de la SNYL n'étaient donc fondées sur aucune base juridique incontestable. La SNYL est un producteur installé de longue date sur les marchés antillais et à ce titre, elle ne peut valablement faire prévaloir le contenu d'avis consultatifs sur les textes législatif et réglementaires en vigueur. En outre, elle avait interrogé ta DGCCRF et ta Direction générale de l'alimentation (DAL) sur la réglementation applicable, à cette occasion, tous tes éléments rappelés ci-avant lui avaient été déjà exposés" (cote 3418).
229. S'agissant de la force contraignante de l'avis du CNC à l'égard des produits ne faisant pas l'objet d'une définition réglementaire, la Cour de cassation a, dans l'arrêt évoqué, confirmé l'analyse de la cour d'appel, en ce que cette dernière avait jugé que: " l'avis du Conseil national de la consommation du 8 février 1990 n 'avait aucune valeur normative, mais présentait un grand intérêt pour ta solution du litige, car il avait pour but d'aboutir à un usage clair et cohérent du terme "frais ", en matière de denrées alimentaires, en permettant d'éviter des distorsions de concurrence " (soulignement ajouté).
230. Ainsi, les produits faisant l'objet d'une définition réglementaire n'entrent pas dans le champ de l'avis du CNC.
231. Dans ces conditions, l'usage prétendument abusif ou injustifié du qualificatif " fromage frais " au regard des dispositions de l'avis du CNC précité ne saurait engager la responsabilité du fabricant dès lors qu'il n'apparaît pas constitutif d'une pratique commerciale trompeuse (voir, en particulier, les articles L. 121-1-1-2°, b et L. 213-1 à L. 23 1-4 du Code de la consommation).
Sur la détermination de la DLC des produits laitiers frais
232. Aux paragraphes 45 à 50 ci-dessus, il a été exposé que ni la réglementation européenne ni le droit interne n'imposent une DLC fixe par type de denrée alimentaire très périssable. En revanche, la législation prévoit que chaque professionnel a une obligation de résultat en termes de sécurité et d'hygiène alimentaires à chaque stade de la filière, ainsi que l'a rappelé le commissaire du gouvernement dans ses observations: "Il incombe donc à chaque professionnel de s 'assurer, par tout moyen qu'il juge approprié, que ses denrées sont conformes aux dispositions tant communautaires que nationales applicables à son activité " (cote 3417).
233. À cet égard, il ressort du dossier d'instruction que la LSM n'était pas la seule entreprise à pratiquer une DLC supérieure à 30 jours pour ses produits laitiers frais. Interrogés le 11 mai 2012 par les services d'instruction sur la question de la commercialisation de ses produits, les représentants de la société Alsace Lait ayant racheté la société Savoie Yaourt, ont ainsi confirmé exporter vers les Antilles des produits affichant des DLC plus longues (de 44 à 53 jours) (cote 2159).
234. Pour justifier cette pratique d'une DLC des produits laitiers supérieure à 30 jours pour les produits exportés vers les Antilles, les représentants de la société Savoie Yaourt, par ailleurs membre de Syndifrais, ont indiqué aux services d'instruction: "nous pouvons retracer que le débat sur les DLC a été initié en 2005 au sein de Syndfrais. En juin 2006, le compte rendu de la commission qualité (voir annexe 1 ci-jointe) mentionne ta règle de
30 jours mais indique "Le cas des DOM TOM n 'est pas explicitement traité [voir cote 2152]. Donc pas de position du Conseil d'Administration sur le sujet". Le CA du 29/06/2009 entérine la règle de 30 jours, avec +3f dans certains cas, sans reparler du cas des DOM TOM (voir annexe 2)" (cote 2158, soulignements ajoutés).
235. Ce point de vue est confirmé par les propos du responsable achat de la société Geimex, M. O. L..., qui a déclaré au sujet des règles édictées par Syndifrais, que : "nous avons généralement connaissance des "gentlemen agreements" qui sont issus de cette organisation, dans le cadre de nos échanges avec les industriels producteurs. Par exempte, pour tes yaourts, nous savons que ta durée de la DLC est fixée par Syndifrais à 30 jours pour ta métropole, mais pas s'agissant de l'export et en particulier sur tes Dom, du moins à notre connaissance. f...) Pour les yaourts et fromages frais, Je pense que les adhérents de Syndifrais ont su déroger à la règle interne des 30 Jours maxi de DLC " (cote 393, soulignement ajouté).
236. Entendus, le 23 juin 2011, les responsables de la société Sogedial exploitation ont déclaré au sujet de l'avis du CNC : "nous découvrons en votre présence l'existence de l'avis du CNC du 8 février 1990 et pour nous ta règle de DLC de 30 jours n'est qu'une préconisation qui n'a aucun caractère obligatoire. Nous commercialisons d'ailleurs des produits frais à DLC de plus de 30 jours " (cote 475).
237. En outre, il ressort du dossier d'instruction qu'avant les "alertes" de la SNYL, les distributeurs locaux étaient favorables à une DLC plus longue n'y voyant donc a priori aucune source de risque en matière d'hygiène et sécurité alimentaires.
238. Interrogé par les services d'instruction sur les produits mis sur le marché antillais avec une DLC supérieure à 30 jours, l'acheteur "produits frais" pour la société Sogedial Exploitation a déclaré : "La société MALO, (...) commercialise ces produits en MDD carrefour et sous sa marque propre. Il y a aussi la société Appleway qui nous fournit des produits "Savoie Yaourt" commercialisés en MDD sous la marque "n° 1 "pour Carrefour (...) Nous commercialisons également à destination des Antilles de la crème fraîche Bridel, Bridelice, Président, Paysan Breton pour laquelle la DLC est à 50 jours. Isigny, marque indépendante, commercialise aussi du fromage blanc vers les Antilles avec une DLC autour de 45-50jours " (cote 471).
239. Interrogé par les services d'instruction, le 18 avril 2011, le directeur commercial de la LSM, M. C, a expliqué que: " Carrefour, avant de lancer le produit avait fait tous tes tests de vieillissement pour une DLC de 50 jours pour le marché antillais " (cote 360).
À cet égard, interrogés par les services d'instruction le 12 juillet 2012, les directeurs de deux franchisés Carrefour du groupe GBH ont déclaré : "d'une manière générale nous sommes preneurs d'une DLC résiduelle confortable avec des produits qui nous parviennent par bateau. L 'allongement de la DLC est un besoin vital pour nous, afin de faire baisser les prix de vente consommateur " (cote 2522).
240. De même, la responsable à l'exportation des produits Malo de la société Laïta, Mme P. G a déclaré, lors de son audition par les services d'instruction, le 4 août 2011, que : " pour moi sur la zone Antilles, en deçà de 35 à 40 jours de DLC il n 'est pas justifié d'un point de vue économique de commercialiser des produits sauf évidemment avec un transport par avion dont le coût serait prohibitif. Dans ces conditions les produits Malo à DLC exportables aux Antilles est pour nous un point capital. Je dirais que tous nos produits Laïta répondent à ce critère, 99 3/4 de la gamme est à DLC export. D'ailleurs les autres produits de notre gamme hors Laïta ont des DLC exports 7 'entends hors Europe) dites longues, soit plus de 35/40jours. C 'est un paramètre primordial " (cote 480).
241. M. C, a également précisé lors de son audition, que : "initialement les producteurs locaux SNYL et Danone se refusent à faire de la MDD pour les Antilles. Lorsque nous arrivons en 2005 nous ouvrons une voie en tançant 10 références sous ta marque Leader Price. Il y a deux franchisés Leader Price pour la Martinique et ta Guadeloupe. Ils s'appuient sur une structure qui s'appelle Geimex (...). Nous vendons dans ce cadre à Geimex (...). Cette démarche a eu un accès, et ensuite nous avons lancé la marque "Malo" sur les marchés. Sur les produits MDD et à marques nos DLC étaient toutes à jours " (cote 360).
242. Pour sa part, le responsable achat de la société Geimex, M. O. L... a déclaré aux services d'instruction : " depuis 2004 on nous a proposé des produits à DLC plus longues, pour répondre aux attentes de nos partenaires locaux. Nous avons commencé à travailler avec LSM (...) Nous nous sommes assurés de la conformité des produits au regard de ta réglementation européenne concernant la DLC longue (yaourts et fromages frais c'est-à-dire supérieure à 60 jours) qui était proposée par ces nouveaux fournisseurs. Nous avons effectué des tests en laboratoire pendant un an (...). Ces produits se distinguent des produits locaux, tous fabriqués à partir de poudre de lait" (cote 390, soulignement ajouté).
243. Au surplus, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que prétend la SNYL, le document "spécification technique de l'achat public: laits et produits laitiers " de juillet 2009 émis par le ministère de l'économie n'est en aucun cas une reconnaissance de la portée contraignante d'une DLC à 30 jours pour les produits laitiers. En effet, le ministère de l'économie prend soin de rappeler, avant de suggérer une recommandation qui lui est propre, que: "sauf pour te lait cru, la réglementation n'impose pas de durée de conservation. Celle-ci est fixée par te fabricant, sous sa propre responsabilité, et mentionnée sur l'étiquetage, sous la forme d'une date limite (DLUO le plus souvent, ou DLC) accompagnée si nécessaire des conditions de conservation à respecter" (cote 2999, soulignement ajouté).
244. Il résulte de ce qui précède que l'usage professionnel de fixer à 30 jours la DLC n'est pas réglementaire et n'a pas de valeur contraignante. Les opérateurs déterminent librement ce délai dans la limite que leur impose leur obligation de résultat en matière de sécurité et d'hygiène alimentaires. Force est de constater que si l'usage d'une DLC de 30 jours était suivi par la majorité des adhérents du Syndifrais, d'autres moins nombreux fixaient des DLC plus longues, à l'instar de la LSM. Tel était également le cas de Savoie Yaourt.
Sur la pratique de la double DLC
245. Dans ses observations la SNYL fait valoir que la politique commerciale de " double DLC " pratiquée par la LSM est contraire aux impératifs de sécurité alimentaire et de protection des consommateurs qui gouvernent, en principe, les règles de fixation de la DLC (cote 3864), étant donné qu'en commercialisant ses produits aux Antilles, le risque de rupture de la chaîne du froid est plus grand compte tenu des conditions climatiques (cote 3891).
246. Elle rappelle d'ailleurs s'en être étonnée auprès des administrations compétentes qui lui auraient fait savoir qu'en cas de double DLC, l'industriel en question devrait prévoir une DLC plus courte pour ses produits exportés vers les collectivités ultra-marines (cote 3863).
247. En l'espèce, II convient de retracer la teneur des échanges entre la SNYL et les autorités sanitaires interrogées.
248. La SNYL a adressé un premier courrier à la DIRRECTE de Bretagne le 7 décembre 2009 par lequel elle alertait les autorités de contrôle sur le fait que la LSM commercialisait des produits laitiers frais avec des DLC supérieures à 30 jours, ce qu'elle estimait être contraireà l'avis du CNC du 8 février 1999 précité, tel que consacré par le Syndifrais dans son Code de bonnes pratiques. Elle affirmait qu'une telle pratique relevait de la tromperie (cotes 37 à 40).
249. Par courrier en date du 13 janvier 2010, la DDCSPP de Rennes a rappelé à la SNYL que l'article R. 112-22 du Code de la consommation prévoit désormais une obligation de résultat quant au conditionnement et à la date de consommation des denrées. Dans ce courrier, la DDCSPP précisait également que, contrairement à ce que la SNYL soutient : " l'avis du CNC ne porte en effet que sur te terme "frais" pris isolément et ne peut donc s 'appliquer qu'à des produits qui n 'ont pas fait par ailleurs Ï 'objet d'une définition réglementaire. (...) De surcroît, te délai de 50 jours peut se Justifier pour les délais d'acheminement de ces denrées par voie maritime puisque leur seule traversée du Havre aux Antilles dure au moins une semaine. Dans ces conditions (...), il appert que la plainte de votre client n 'est pas réglementairement fondée " (cote 520, soulignement ajouté).
250. Insatisfaite de cette réponse, la SNYL a relancé la DIRRECTE de Bretagne par un courrier en date du 23 avril 2010 dans lequel elle a fait valoir que deux produits identiques fabriqués dans les mêmes conditions et sur le même site ne peuvent avoir qu'une seule et même date de durabilité, faute de quoi il s'agirait d'une tromperie à l'égard du consommateur et irait à l'encontre d'une fixation d'une DLC à partir de critères sanitaires objectifs et non en fonction d'une stratégie commerciale (cotes 185 et 186). Par courrier en date du 10 juin 2010, l'antenne locale de la DGCCRF réitère sa réponse tout en indiquant avoir saisi l'administration centrale (cote 204).
251. Dans le même temps, la SNYL a interrogé l'administration centrale de la DGCCRF (cotes 205 et 206), ainsi que la direction générale de l'alimentation (DGAL) sur la régularité des DLC supérieures à 30 jours.
252. Dans un courrier en date du 28 juin 2010, après avoir rappelé que la DLC relève de la responsabilité du professionnel, la DGAL a répondu ce qui suit: "Dès lors, si un exploitant installé en métropole destine une partie de sa production aux départements d'Outre-mer en connaissance de cause, et que son analyse de risque fait apparaître dans ce cas un risque plus important de rupture de la chaîne du froid, il doit déterminer une DLC appropriée pour tenir compte de ce risque. La DLC pourra par conséquent être plus courte que celle apposée sur les mêmes produits destinés à être commercialisés en métropole. Dans tous les cas, les deux dates devront être justifiées. Enfin, si des DLC différentes sont effectivement appliquées pour un même produit, les procédures définies par l'exploitant devront permettre de garantir la traçabilité totale pour assurer notamment que les DLC correspondent bien au lieu de vente " (cotes 202 et 203, soulignement ajouté).
253. Pour sa part, la DGCCRF a, par courrier en date du 2 juillet 2010, répondu dans le même sens : " si un exploitant installé en métropole destine une partie de sa production aux départements d'outre-mer et que son analyse du risque fait apparaître dans ce cas un risque plus important de rupture de la chaîne du froid il doit déterminer une DLC appropriée pour les produits destinés à ce marché, qui pourra être différente (plus courte) que la DLC apposée sur les mêmes produits destinés à être commercialisés en métropole.
Bien entendu, cette dernière date devra également avoir fait l'objet d'une validation. Si par souci de simplification l'opérateur décidait d'apposer une même date pour l'ensemble de sa production, il devrait nécessairement retenir la DLC ta plus courte, en rappelant qu'une fois la DLC apposée, il n'est pas possible de la prolonger " (cote 211).
254. Sur la base de ces deux courriers, la SNYL a adressé un courrier à la DDCSPP d'Ille-et Vilaine le 16 août 2010 lui demandant de confirmer si elle partageait l'analyse de la DGAL et de la DGCCRF selon laquelle la pratique d'une DLC plus longue pour les yaourts vendus en Martinique par la LSM n'était pas justifiée (cote 199 et 200).
255. Dans le même temps, il ressort du dossier d'instruction que la société laitière de Macouria (Solam), franchisé Yoplait pour la Guyane, a adressé le 6 septembre 2010 un courrier à la DDCSPP d'Ille-et-Vilaine pour se plaindre à son tour des pratiques de la LSM. Elle joignait les courriers de la DGCCRF et de la DGAL évoqués aux paragraphes 252 et 253 ci-dessus, pour obtenir confirmation que la DDCSPP partageait ce point de vue.
256. Dans une réponse interne, à l'attention du directeur de la DIRECCTE des Pays-de-la-Loire, en date du 25 novembre 2010, la DGCCRF a indiqué : " au cas d'espèce et pourvu que son analyse de risque montre que ses yaourts ont effectivement une date de durabilité minimale de 52 jours en tenant compte des conditions spécifiques à l'acheminement de ces produits vers tes départements d'outre-mer, il n 'est pas répréhensible que la Laiterie de Saint-Malo appose une DLC de 52 jours sur les produits destinés à ce marché, et de 30 jours sur ceux destinés à une commercialisation en métropole " (cote 212).
257. Dans le cadre du débat contradictoire devant l'Autorité, le commissaire du gouvernement a exposé que: "contrairement à ta position défendue par la SNYL, aucun texte à l'époque des faits n'interdisait à la société M4LO de mettre en place une double DLC, dont une plus longue pour certains marchés. Il était cependant de la responsabilité 'de cette dernière, en vertu de l'article R. 112-22 précité, de s'assurer que la marchandise demeurait saine, loyale et marchande, Or les analyses microbiologiques réalisées ont permis de vérifier la conformité des produits MALO avec les réglementations en vigueur. On ne peut qu'en déduire l'absence de pratique illicite de la part de la société MALO à l'époque des faits " (cotes 3418 et 3419).
258. L'Autorité constate que la loi n° 2013-453 du 3 juin 2013 précitée prohibe désormais une DLC des produits exportés vers les collectivités d'outre-mer plus longue que celle prévue pour les mêmes denrées de même marque distribuées en France métropolitaine.
259. Il n'en demeure pas moins que l'intervention du législateur confirme le fait qu'antérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi, un industriel était en droit de prévoir une DLC plus longue pour les produits exportés vers les collectivités d'outre-mer, dès lors que ses analyses de risques garantissaient la stabilité et l'innocuité du produit au-delà des 30 jours usuellement pratiqués. De fait, la preuve en l'espèce d'un risque pour la santé des consommateurs lié à la consommation tardive des produits laitiers en cause n'a pas été rapportée.
260. II en résulte que le discours de la SNYL, replacé dans son contexte réglementaire, relève d'assertions non vérifiées au moyen notamment d'une interprétation orientée des réponses des administrations de contrôle, dans le seul but de dénigrer les produits concurrents de la LSM.
Sur ta propagation du discours dénigrant de ta SNYL
261. Il résulte des éléments du dossier que le discours de la SNYL à l'encontre des produits de la LSM s'est propagé de deux manières. La remise en cause des qualités substantielles des produits de la LSM a d'abord fait l'objet d'une contestation interne auprès de Syndifrais, avant d'être relayée en externe auprès des opérateurs de la distribution alimentaire.
262. En premier lieu, la SNYL a déclenché et entretenu la polémique au sein du Syndifrais en s'appuyant sur ses constats d'huissier et ses analyses. Il ressort d'un courriel interne à
Syndiftais ce qui suit: <f [j]e vous soumets donc te projet de lettre ci-joint qui fait notamment référence aux constats d'huissiers opérés par la SNYL. Comme convenu tors du CA, le courrier argumente principalement sur la qualité du produit et la non-conformité au décret 1988 (Flore tactique du Yaourt) " (cote 514).
263. À cet égard, la déléguée générale de Syndifrais a confirmé que ces constats d'huissier ont accrédité le sérieux et l'objectivité des analyses transmises par la SNYL: " Oui ce sont les relevés d'huissiers qui ont manifesté les problèmes (...). C'est l'élément objectif (...) Nous ne sommes pas allés aux Antilles. Nous n 'avons pas fait cette démarche, tes constats suffisaient, et les analyses les confortaient " (cote 500).
264. En outre, il ressort du dossier d'instruction que postérieurement à l'exclusion de la LSM de Syndifrais, s'est tenue une réunion entre le syndicat, Yoplait et la SNYL avec pour sujet de discussion t< DLC Antilles, suivi action de la $NYL ", réunion au cours de laquelle fut envisagée une sensibilisation des distributeurs sur la question des DLC (voir le paragraphe 82 ci-dessus).
265. Dès lors, contrairement à ce que soutient la SNYL, le discours tenu devant les instances du Syndifrais et les analyses fournies à ce dernier ont dépassé la dénonciation d'une simple méconnaissance supposée d'un usage professionnel dont le syndicat pouvait apparaître comme le garant. En effet, les résultats des analyses présentés mettaient fondamentalement en cause les qualités substantielles des produits d'un concurrent sans justifications objectives.
266. Si l'exclusion de la société LSM du Syndifrais n'a pas été décidée par la SNYL, il n'en demeure pas moins que la réaction du syndicat professionnel s'explique par les éléments d'informations portés à sa connaissance par la SNYL dans les conditions précédemment exposées en sorte que la responsabilité de cette dernière dans le prononcé de cette sanction apparaît manifeste. (Voir les paragraphes 75 et 76 ci-dessus).
267. Au-delà de ses échanges avec Syndifrais, la SNYL n'a pas manqué d'informer la SAPY, son concurrent historique sur le marché, ainsi que cela ressort du courriel exposé au paragraphe 71 ci-dessus. Il ressort en effet du dossier d'instruction que les franchisés
Carrefour du groupe GBH ont admis avoir été avertis en décembre 2009 par la SGPY d'un problème sur les références fromages frais Malo (voir le paragraphe 114 ci-dessus).
268. À cet égard, l'argument de la SNYL selon lequel les retraits de "fromages frais Mato " du magasin Carrefour Destrellan seraient uniquement la conséquence d'une alerte de la SGPY, franchisé Danone en Guadeloupe, n'est pas convaincant (cote 3447). Il suffit sur ce point de se reporter aux déclarations de M. F. I..., directeur adjoint de cette enseigne au moment des faits, pour comprendre que sa décision s'inscrivait dans un contexte marqué par la méfiance diffuse à l'égard des produits Malo. Interrogé par les services d'instruction, le 12 juillet 2012, sur le contexte des retraits des fromages frais Malo, M. f. I a déclaré "A ce stade de l'année (fêtes de Noël), compte tenu des éléments communiqués et des précédents concernant les yaourts Malo, nous avons décidé de faire jouer le principe de précaution, ce que nous n 'avions pas fait antérieurement en 2008 " (cote 2522).
269. De la même manière, la SNYL a pris contact avec M. Y, à la fois président du SDGA et directeur général du groupe 3H, et s'est employé à poursuivre son dénigrement des produits de la LSM. Il ressort des déclarations de M. Y, exposées au paragraphe 88 ci-dessus, qu'une réunion du SDGA a bien eu lieu début 2008, au cours de laquelle a été abordée la question des DLC des produits de la LSM, après que la SNYL ait fait part de son vif mécontentement.
270. La tenue de cette réunion est corroborée, d'une part, par l'existence de deux courriels internes au groupe SAFO, membre du SDGA, le premier en date de mai 200$ dont il ressort: " sommes informés à l'instant, par S. F, retour d'une réunion avec le SGDA (sic) t suite à plusieurs remarques de Yoptait Martinique [la SNYL] " (cote 110) et le second en date du 4 juin 2008: " je vous prie de bien vouloir trouver des premiers éléments de réponse du fournisseur Malo suite aux menaces de Yoplait " (cote 103), et enfin par les déclarations des dirigeants de la SAPY interrogés par les services d'instruction et dont les propos ont été retranscrits au paragraphe 72 ci-dessus.
271. Contrairement à ce que soutient la SNYL, il n'est pas crédible de faire porter la responsabilité de la diffusion de ce discours sur la LSM elle-même. Au-delà du fait qu'un tel comportement n'est pas rationnel d'un point de vue commercial, il ressort du dossier d'instruction que la teneur des contacts qu'a pu avoir la LSM avec ses distributeurs témoigne d'un comportement défensif visant à contenir la rumeur. La LSM a, par exemple, transmis au groupe 3H ses propres analyses postérieures à celles commandées par la SNYL, comme l'a rappelé Mme G..., représentante des produits L$M auprès de l'enseigne Multigros appartenant au groupe 3H: "J'ai entendu parler d'analyses selon lesquelles les produits Malo présentaient des moisissures avant la fin de la DLC, de telle sorte que cette dernière n'était pas conforme. Nous avons en réponse, fourni des analyses à 3H analyses qui nous avaient transmises par Mato s'agissant des yaourts et des DLC de ces derniers" (cote 481).
272. Ainsi, il apparaît établi que la SNYL s'est principalement adressée à Syndifrais, d'une part, et à M. Y en tant que président du SDGA et directeur général du groupe 3H, d'autre part. Le ciblage ne peut s'expliquer que par la volonté de la SNYL de toucher le maximum de professionnels intéressés par les produits en cause. De fait, la propagation de son discours dénigrant fût d'autant plus rapide et efficace qu'il s'adressait aux acteurs d'un marché d'envergure locale, fortement concentré au stade de la distribution, parfois unis par des liens capitalistiques et familiaux.
Sur te ciblage du discours de la SNYL à l'encontre de la LSM
273. Il est établi que la société Savoie Yaourt n'a pas fait l'objet des mêmes récriminations de la part de la SNYL alors même qu'elle commercialisait aux Antilles des produits laitiers frais également étiquetés avec une DLC supérieure à 30 jours (voir le paragraphe 85 ci-dessus).
274. Selon le directeur commercial de la LSM, M. C, cette différence de traitement pourrait s'expliquer par une pression concurrentielle moins forte exercée par la société Savoie Yaourt sur la position dominante de la SNYL: " les problèmes rencontrés se seraient réglés, selon moi, depuis le rachat de Savoie Yaourt par Alsace lait, qui est influent au niveau de Syndfrais. Mais les concurrents locaux se sont focalisés sur nous car nous sommes n° 3 en Guadeloupe et en Martinique " (cote 365).
275. La déléguée générale de Syndifrais a déclaré, concernant la situation de la société Savoie Yaourt, que: "S'agissant de Savoie Yaourt leur cas est différent car ils commercialisaient leurs produits sous MDD et dans ce cas le distributeur est responsable de la mise sur le marché des produits. De plus autant pour Malo il était apparu qu'ils avaient une position délibérée, revendiquée et assumée en matière de DLC, ce qui n'était pas le cas pour Savoie Yaourt. De cette manière, cette attitude venait en quelque sorte en rupture avec la convergence commune en matière de DLC. Je reviens sur le cas de Savoie Yaourt, nous considérions leur situation c4fféremment: d'abord leur pratique en termes de DLC n 'était pas revendiquée mais plus "subie " par les distributeurs qui demandaient des DLC longues. La perception du CA [Ndr Conseil d'Administration de Syndifrais] était donc celle d'une bonne volonté d'un côté et d'une divergence revendiquée de l'autre. Ceci explique la différence de traitement " (cote 499).
276. Les pièces communiquées par Syndifrais viennent éclairer les raisons pour lesquelles la société Savoie Yaourt n'a pas été placée dans une situation comparable à celle de la LSM.
Il ressort, par exemple, d'un courrier en date du 9 septembre 2008 rédigé par l'ancien directeur général de la SNYL, M. Z..., et adressé à Yoplait France, que: "constatant la poursuite des exportations de Produits Laitiers à la marque Leader Price, Malo, ou numéro 1, et fabriqués avec des DLC de plus de 30 jours (45 jours au moins au départ de la métropole) par les Sociétés M4LLO (sic) et SAVOIE YAOURTS (...). Nous mesurons une augmentation significative de ces exportations, leur présence est la suivante : - les produits fabriqués par $avoie Yaourt (Marque Numéro 1 et Leader Price avec une gamme de yaourts brassés nature, sur lit de fruit sont présents dans l'ensemble des magasins à l'enseigne Carrefour, Champion, et Leader Price. - Les produits fabriqués par Malo (marque leader Price ou Malo) avec une gamme beaucoup plus large: Crème fraîche, Fromage Frais, Fromage blanc, yaourts pots verre, crème dessert; sont présents dans l'ensemble des enseignes suivantes: Leader Price, CARREFOUR, GÉANT, MATCH, CORA. La part de marché des produits 1er prix et MDD a progressé de 61 3/4 entre le 1er semestre 2008 et le 1er semestre 2007, atteignant plus de 6 % en volume du marché de la GMS " (cote 509, soulignements ajoutés).
277. Enfin, le directeur des achats de Sogedial a précisé, s'agissant des produits Savoie Yaourt, que : "Nous n 'avons jamais eu connaissance de problèmes de même nature [ndr relatif aux DLC] pour les produits Appleway, e 'est-à-dire Savoie Yaourt précédemment évoqués.
Selon nous cette situation peut s 'expliquer par le fait que Mato étant une marque plus visible et qui fait plus de chiffre et de volume, elle a pu constituer un danger pour Yoplait. Il est vrai que Malo est visible, il est présent sur les salons par exemple le SML" (cote 474, soulignements ajoutés). Les représentants de cette même société ont ajouté que: "Une motivation supplémentaire de la SNYL réside probablement dans le fait que ces produits [les produits LSM NDR] réalisaient du volume " (cote 473).
278. En définitive, le ciblage du discours de la SNYL à l'égard des seuls produits de la LSM confirme que la diffusion de ces informations avaient pour objectif de discréditer les produits du concurrent Malo, considéré comme le plus dynamique sur les marchés en cause, et non d'attirer la vigilance des distributeurs sur la conformité de ces produits à la réglementation en vigueur dans un souci d'informations.
4. SUR LES EFFETS DE LA PRATIQUE MISE EN OEUVRE PAR LA SNYL AUPRÊS DES DISTRIBUTEURS LOCAUX
a) Arguments de la SNYL
279. Dans ses observations la SNYL conteste le fait que son discours, pour autant que ce dernier serait qualifié de dénigrant, ait eu le moindre effet sur la situation de la société Laiterie de Saint-Malo sur le marché de la distribution en GMS des produits laitiers frais.
280. Par ailleurs, la SNYL soutient que les retraits de "yaourt Malo" et la suspension de leur commercialisation, constatés uniquement au sein de l'enseigne Multigros appartenant au groupe 3H, ne peuvent lui être imputés. Pour la SNYL, il s'agit d'une décision temporaire et interne au groupe pour lui permettre de vérifier la conformité des DLC des yaourts à la réglementation auprès de la DGCCRF. Elle estime, à cet égard, que la durée de cette suspension résulte exclusivement de l'inertie de la DGCCRF, et fait valoir en faveur de sa bonne foi que faute de réponse de l'administration, le directeur général du groupe 3H a finalement repris la commercialisation des yaourts (cotes 3467).
281. La SNYL souligne l'ampleur très limitée des retraits des " fromages frais Malo ". Elle rappelle qu'aucun de ces retraits, dont elle refuse d'assumer la responsabilité, n'a pu être constaté au sein des enseignes du groupe SAFO. Elle relève que les retraits effectués en décembre 2009 par les franchisés Carrefour du groupe GBH sont la conséquence d'une information transmise par son principal concurrent, la SGPY.
282. De plus, elle estime que les services d'instruction affirment sans en justifier que l'enseigne Multigros a retiré de la vente les " fromages frais Malo" alors même que le directeur général de cette enseigne aurait lui-même précisé que seuls les yaourts ont été concernés par la suspension.
b) Appréciation de l'Autorité
283. En matière de dénigrement, il ressort d'une pratique décisionnelle constante que pour apprécier un tel comportement, l'Autorité vérifie si le discours commercial de l'entreprise dominante est de nature à influencer la structure du marché, en s'attachant à examiner les effets attendus ou réels de celui-ci auprès des partenaires commerciaux ou de la clientèle potentielle de son concurrent (voir, en ce sens, les décisions n° 10-D-32 précitée, paragraphe 307 et n° 12-19 du 26 septembre 2012 relative à des pratiques dans le secteur du blanchiment et de l'éclaircissement des dents, paragraphe 93).
284. En l'espèce, contrairement à ce qui est prétendu par la SNYL, c'est bien la propagation de son discours dénigrant auprès de M. Y, président du SDGA et par ailleurs directeur général du groupe 3H, qui a entraîné le retrait dans l'ensemble des enseignes du groupe 3H implantées en Martinique de tous les produits laitiers frais de la gamme Malo. Monsieur Y a en effet déclaré que ces retraits ont affecté en Martinique deux hypermarchés Géant et cinq supermarchés Casino (voir le paragraphe 97 ci-dessus). Ces retraits ont eu lieu entre mars et juillet 2008 puis de novembre 2008 à novembre 2009 selon les déclarations de Mme G (Voir le paragraphe 98 ci-dessus).
285. Par ailleurs, cette suspension de la commercialisation des produits Malo par le groupe 3H a bien porté sur l'ensemble de la gamme des produits laitiers frais et non les seuls yaourts comme le prétend la SNYL. En effet, questionnée par les services d'instruction, Mme P. G, responsable des exportations des produits de la LSM pour le groupe 3H, a confirmé, le 5 août 2011, que: "l'ensemble de la gamme fabriquée par LSM a fait l'objet de l'arrêt" (cote 2028). Sa déclaration s'appuie sur des vérifications internes.
286. D'autre part, les fromages frais Malo ont été retirés des rayons de trois hypermarchés Carrefour du groupe GBH en décembre 2009 situés en Martinique et en Guadeloupe (voir le paragraphe 117 ci-dessus).
287. En revanche, en ce qui concerne les retraits de produits Malo effectués par GBH au cours de l'année 2010 et évoqués au paragraphe 124 ci-dessus, il découle des constatations effectuées que ceux-ci trouvent leur origine dans un problème d'étiquetage qui ne peut être rattaché au discours dénigrant proféré par la SNYL.
288. En conséquence, il est établi que la pratique de dénigrement mise en œuvre par la SNYL a eu pour effets le retrait temporaire des produits laitiers frais Malo au sein d'enseignes de la GMS implantées en Martinique et en Guadeloupe, d'une part, et la suspension de la commercialisation de ces mêmes produits par une enseigne de la GMS en Martinique.
5. SUR LE LIEN ENTRE LE DISCOURS DÉMGRANT ET LA POSITION DOMINANTE DE LA SNYL
289. La SNYL considère que le lien entre le discours qui lui est reproché et sa position dominante n'est pas démontré.
290. Pour établir le lien entre le discours dénigrant et la position dominante d'une entreprise mise en cause, l'Autorité a, par le passé, pris en considération la notoriété de l'entreprise, le niveau de confiance qu'elle suscite chez ses clients ainsi que sa capacité à mobiliser sa puissance de marché, ces éléments étant de nature complémentaire (voir la décision n° 13-D-11 précitée, points 572, 574 et 577). Ils ne sont cependant ni exhaustifs ni cumulatifs pour établir le lien entre une telle pratique et la dominance.
291. En l'espèce, l'image de la SNYL est étroitement associée à la renommée locale de Mine Littée, pionnière de l'implantation du yaourt en Martinique au début des années 1950. La notoriété de la SNYL s'appuie sur les produits qu'elle commercialise soit en nom propre, telle la marque " caresse antillaise " qui jouit d'une notoriété locale remarquable, soit pour le compte de marques très connues via des accords de franchise, à l'instar de la marque
"Yoplait" dont elle est le fournisseur exclusif en Martinique depuis 1976. Grâce à ce partenariat, la SNYL a pu devenir très rapidement le leader incontesté des produits laitiers frais, détenant jusqu'à 95 % de parts de marché avant l'arrivée de nouveaux concurrents et des marques MDD.
292. Il ressort d'ailleurs du dossier d'instruction que le nom de la SNYL est étroitement associé à celui de " Yoplait ", les acteurs locaux interrogés au cours de l'instruction utilisant parfois les expressions "SNYL Yoplait" ou " Yoplait Martinique " pour désigner la SNYL (voir, par exemple, le paragraphe 86 ci-dessus).
293. Émanant des représentants d'une société pionnière dans la fabrication de produits laitiers frais en Martinique, qui savaient pouvoir compter sur la notoriété de leur entreprise et se prévaloir de son expérience, les propos disqualifiant les produits d'un concurrent plus récemment entré sur le marché pouvaient sembler autorisés et crédibles.
294. Il existe donc un lien direct entre la position dominante de la SNYL et la pratique en cause c'est l'autorité, la notoriété et 1' influence que lui conférait cette position dominante, qui lui ont permis de donner leur plein effet aux propos dénigrants véhiculés auprès des opérateurs locaux sur les produits concurrents de la société Laiterie de Saint-Malo, entrant récent mais au fort potentiel de développement sur les marchés encore largement dominés par la SNYL.
6. SUR LA DURÉE DE LA PRATIQUE
295. La pratique en cause trouve son origine dans les actions de communication de la SNYL à l'égard du syndicat professionnel Syndiftais à partir de décembre 2007 (voir le paragraphe 71 ci-dessus) dont les assertions dénigrantes à l'égard de la société Laiterie de Saint-Malo ont été ensuite indirectement mais sciemment relayées auprès des enseignes de la GMS présentes en Martinique et en Guadeloupe. Les effets de la pratique se sont poursuivis jusqu'en décembre 2009.
7. SUR LE CARACTÈRE EXEMPTABLE DE LA PRATIQUE
296. Les pratiques prohibées par l'article L. 420-2 du Code de commerce, peuvent néanmoins bénéficier d'une exemption individuelle au titre de l'article L. 420-4 du Code de commerce.
297. Le 2° du I de l'article L. 420-4 du Code commerce prévoit que "ne sont pas soumises aux dispositions des articles L 420-1 et L. 420-2 tes pratiques (...) dont tes auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d'emplois, et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées ta possibilité d'éliminer ta concurrence pour une partie substantielle des produits en cause (...) ".
298. Quatre critères doivent être satisfaits pour octroyer une exemption à une pratique jugée anticoncurrentielle dans le cadre de l'alinéa 2 du I de l'article L. 420-4 du Code de commerce la réalité du progrès économique, le caractère indispensable et adapté des pratiques en cause pour l'obtenir, l'existence d'un bénéfice pour les consommateurs et l'absence d'élimination de toute concurrence. Chacune de ces quatre conditions doit être remplie pour que le bénéfice d'une exemption individuelle soit admissible (arrêt de la Cour de justice du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43/82 et 63/82, Rec. p. 19 arrêt du tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM, T 213/00, Rec. p. II-9 13, point 226).
299. Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence que la personne qui se prévaut des dispositions de l'article L. 420-4 du Code de commerce doit démontrer, au moyen d'arguments et d'éléments de preuve convaincants, que les conditions requises pour bénéficier d'une exemption sont réunies (voir les arrêts de la cour d'appel de Paris du 14 décembre 2011, Compagnie Emirates, RG n° 09/20639, p. 6 et du 31janvier 2013, Pierre Fabre Dermo Cosmétique SAS, précité, p. 17).
300. En particulier, la jurisprudence interne rappelle qu'il appartient aux auteurs des pratiques anticoncurrentielles de démontrer, non seulement, que ces actions comportent des avantages économiques, mais encore que ceux-ci sont suffisants pour compenser les incidences des pratiques sur la concurrence (cour d'appel de Paris, 17 juin 1992, Compagnie générale de vidéocommunication).
301. En l'espèce, la SNYL soutient que son comportement peut être exempté au titre de l'article L. 420-4 du Code de commerce. S'agissant du critère de contribution au progrès économique, la SNYL estime que " l'alerte de la SNYL sur son non-respect la règle contraignante du Syndifrais sur les 30 jours par LSM contribuait dès tors à assurer la sécurité des consommateurs ultramarins, et partant, au progrès économique " (cote 3474).
302. Cependant, force est de constater qu'aucune analyse microbiologique indépendante n'est parvenue à démontrer que les produits de la LSM présentaient un risque avéré pour le consommateur avant, pendant et après la période de commission des pratiques. Il en découle que le premier critère n'est pas rempli en l'espèce.
303. À titre surabondant, l'Autorité considère que la deuxième condition, à savoir le caractère indispensable de la pratique, n'est pas, contrairement à ce que soutient la SNYL dans ses observations, remplie. La SNYL prétend, en effet, avoir répondu de manière nécessaire et proportionnée aux pratiques "anormales, déloyales et désormais illégales" de la société Laiterie de Saint-Malo (cote 3475).
304. Or, il résulte d'une pratique décisionnelle constante de l'Autorité, et avant elle du Conseil, que " s'il appartient aux opérateurs, pour faire cesser ou sanctionner des agissements illicites dont ils s'estimeraient victimes, de s 'adresser aux juridictions compétentes (...), ils ne peuvent en revanche lutter contre de tels agissements en mettant eux-mêmes en œuvre des pratiques prohibées par la législation sur la concurrence " (voir, la décision n° 91-D-29 du 4 juin 1991 relative à la situation de la concurrence dans le secteur de la distribution du gaz de pétrole liquéfié conditionné, page 7, décision confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris, 26 février 2001, Établissements Louis Carreras, BOCCRF n° 6 du 14 mars 1992, p. 88)
305. Il résulte de ce qui précède que la SNYL n'a pas fait la démonstration que les conditions prévues au 2° du I de l'article L. 420-4 du Code de commerce sont remplies.
D. CONCLUSION SUR L'ABUS DE POSITION DOMINANTE
306. En se fondant sur des résultats d'analyses bactériologiques des produits laitiers commercialisés par son concurrent dépourvus d'objectivité scientifique et en arguant de l'irrégularité prétendue de la pratique suivie par celui-ci en matière de DLC alors qu'elle était encore tolérée, la SNYL a accrédité l'idée auprès d'un syndicat professionnel, le Syndifrais, que la LSM ne respectait pas la réglementation en vigueur, tant du point de vue de la définition des appellations des produits mis sur le marché que de leur conformité aux normes sanitaires.
307. Les allégations de la SNYL, concourant au dénigrement de son concurrent, ont conduit à son exclusion du syndicat. Diffusé et relayé auprès des distributeurs, par différents canaux, ce discours a finalement conduit l'une des enseignes de la distribution locale à retirer de la vente les produits de la LSM et à en suspendre la commercialisation pendant plusieurs mois.
308. La SNYL, entreprise dominante sur les marchés des produits laitiers frais identifiés dans la présente décision, et sur qui pèse une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte à une concurrence non faussée, a ainsi mis en place une pratique de dénigrement à l'encontre des produits de la société concurrente Laiterie de Saint-Malo en proférant un discours de nature à faire naître la suspicion des distributeurs, particulièrement attentifs aux risques sanitaires, en vue d'affaiblir ce concurrent. Ce comportement qui a eu pour effet de limiter les ventes des produits de la LSM en Martinique et en Guadeloupe, constitue un abus de position dominante prohibé par l'article L. 420-2 du Code de commerce.
E. SUR L'IMPUTABILITÉ DE LA PRATIQUE
309. Les règles de concurrence tant internes que de l'Union européenne visent les infractions commises par des entreprises.
310. La notion d'entreprise et les règles d'imputabilité relèvent des règles matérielles du droit de la concurrence. Bien que l'interprétation qu'en donnent les juridictions de l'Union ne s'impose pas à l'autorité nationale de concurrence et aux juridictions internes lorsqu' elles appliquent les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, l'Autorité retient cette interprétation afin d'assurer la cohérence de sa pratique décisionnelle en matière d'imputabilité (voir la décision n° 11-D-13 du 5 octobre 2011 relative à des pratiques relevées dans les secteurs des travaux d'électrification et d'installation électrique dans les régions Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Auvergne et limitrophes, paragraphe 352).
311. À cet égard, la cour d'appel de Paris a admis que la notion d'entreprise doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêt du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., RG n° 2011/01228, p. 18).
312. Ainsi, au sein d'un groupe de sociétés, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux
entités juridiques (arrêt Lacroix Signalisation e.a., précité, pp. 18 et 19).
313. Dans le cas particulier où, comme en l'espèce, une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d'une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale, il existe une présomption selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de cette filiale (arrêt Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 19).
314. Dans cette hypothèse, il suffit pour l'autorité de concurrence de rapporter la preuve de cette détention capitalistique pour imputer le comportement de la filiale auteur des pratiques à la société mère (arrêt Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 19).
315. À cet égard, il n'est pas exigé, pour imputer à une société mère les actes commis par sa filiale, de prouver que la société mère ait été directement impliquée dans les pratiques, ou ait eu connaissance des comportements incriminés. Ainsi que le relève le juge de l'Union, ce n 'est pas une relation d'instigation relative à l'infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais te fait qu'elles constituent une seule entreprise au sens de l'article [101 du TFUE] qui permet (...) d'adresser la décision imposant des amendes à la société mère d'un groupe de sociétés" (arrêts du Tribunal de l'Union européenne du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, T-112/05, Rec. 2007 p. II-5049, point 58, et du 27 octobre 2010, Alliance One International e.a./Commission, T-24/05, Rec. 2010 p. II-5329, point 169).
316. Il est possible à la société mère de renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer que sa filiale détermine de façon autonome sa ligne d'action sur le marché. Si la présomption n'est pas renversée, l'autorité de concurrence sera en mesure de tenir la société mère pour solidairement responsable pour le paiement de
la sanction infligée à sa filiale (arrêt Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 20).
317. En l'espèce, les sociétés Socrema SAS et Antilles Glaces SAS n'ont pas contesté l'imputabilité qui leur a été faite des pratiques mises en œuvre par leur filiale à 100 % SNYL SAS.
318. Conformément à la jurisprudence rappelée aux paragraphes 310 à 316 ci-dessus, le comportement infractionnel de la SNYL leur est donc imputable.
F. SUR LA SANCTION PECUNAIRE
319. Le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce habilite l'Autorité de la concurrence à imposer des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles prohibées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce.
320. Aux termes du quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, la sanction pécuniaire maximum qui peut être imposée à une entreprise est: "de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ".
321. Par ailleurs, le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit que: " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le [titre VI du livre W du Code de commerce]. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".
322. En l'espèce, l'Autorité appréciera ces critères légaux selon les modalités pratiques décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après "le communiqué "), sauf circonstances particulières propres à l'une ou l'autre des infractions ou parties en cause.
323. La SNYL a été mise en mesure de formuler des observations sur les principaux éléments de droit et de fait du dossier susceptibles, selon les services d'instruction, d'influer sur la détermination de la sanction pouvant lui être imposée. La présentation de ces différents éléments par les services d'instruction ne préjuge pas de l'appréciation du collège sur les déterminants de la sanction, qui relève de sa seule délibération.
1. SUR LA VALEUR DES VENTES
324. La valeur des ventes réalisées par la SNYL en relation avec l'infraction commise pourra être utilement retenue comme assiette de la sanction.
325. Certes, le Code de commerce, en ne se référant pas au chiffre d'affaires lié au secteur ou au marché en cause, mais uniquement au chiffre d'affaires mondial consolidé ou combiné, n'impose pas à l'Autorité de procéder de la sorte (arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 1997, Société française de transports Gondrand frères, pourvoi n° 95-16378). Pour autant, ce paramètre constitue généralement une référence appropriée et objective permettant de proportionner au cas par cas l'assiette de la sanction à la réalité économique de l'infraction en cause, et plus précisément à son ampleur ainsi qu'au poids relatif sur le secteur concerné de chacune des entreprises qui y a participé (voir, en ce sens, arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord e.a., n° 2011/03298, p. 72 ; voir également arrêt de la Cour d'appel de Paris, Lacroix Signalisation précité, pp. 37 et 38).
326. En l'espèce, il convient de retenir les chiffres d'affaires générés par les ventes de yaourts et de fromages frais par la SNYL dans les îles de la Martinique et de la Guadeloupe. En effet, la pratique a consisté en un dénigrement des produits concurrents de la société Laiterie de Saint-Malo avec pour objectif de préserver la position dominante de la SNYL sur le marché martiniquais de l'approvisionnement de la GMS en yaourts, fromages frais et spécialités laitières. Étant donné que des effets ont été marginalement constatés sur l'île de la Guadeloupe, il convient de prendre également en compte la valeur des ventes affectées sur ce territoire.
327. Selon la méthode exposée par le communiqué, la référence prise par l'Autorité est la valeur des ventes durant le dernier exercice comptable complet de participation de l'entreprise à l'infraction, soit, en l'espèce, l'année 2009.
328. Au vu des considérations qui précèdent, et compte tenu des données chiffrées communiquées par l'entreprise à I 'Autorité, la valeur des ventes à prendre en compte avant application du coefficient de durée correspond à un montant de 18 584 695 euro (cote 3692).
2. SUR LA DÉTERMINATION DU MONTANT DE BASE
329. En application du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le montant de base de la sanction imposée à la société SNYL sera déterminé en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, critères qui se rapportent tous deux à la pratique constatée. Les appréciations de l'Autorité à cet égard trouveront une traduction chiffrée dans le choix d'une proportion de la valeur des ventes, démarche qui, comme indiqué plus haut, permettra de proportionner l'assiette de la sanction à la réalité économique de l'infraction d'une part, et au poids relatif sur le secteur concerné de la SNYL. L'Autorité procédera ensuite à une appréciation de la situation et du comportement individuels de cette dernière.
330. La durée de la pratique, qui constitue un facteur pertinent pour apprécier tant la gravité des faits (arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, Orange France, n° 11-22144) que l'importance du dommage causé à l'économie (arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2011, Lafarge ciments e.a., n° 10-17482 et 10-17791), fera l'objet d'une prise en compte sous ce double angle.
a) La gravité des faits
Arguments de la SNYL
331. La SNYL estime que les faits constitutifs du dénigrement qui lui sont reprochés ne présentent pas un degré de gravité analogue à ceux retenus dans d'autres affaires de dénigrement notamment dans le secteur pharmaceutique, dès lors qu' ils ont consisté en des propos mesurés, diffusés dans un cercle restreint et n'ayant été à l'origine que d'une mesure de suspension par un seul distributeur, d'une part, et que cette pratique n'a pas exclu la LSM du marché, d'autre part.
Appréciation de l'Autorité
332. L'Autorité apprécie la gravité des faits de façon objective et concrète, au vu de l'ensemble des éléments pertinents du cas d'espèce. La nature et les caractéristiques de la pratique seront ici prises en compte.
333. Les pratiques reprochées à la SNYL consistent en un abus de position dominante ayant eu pour effet de freiner la progression des ventes des produits d'un concurrent sur le marché dominé. Un tel comportement constitue une pratique d'éviction, traditionnellement considérée par les autorités de concurrence et les juridictions nationales comme une pratique grave (voir la décision n° 04-D-13 du 8 avril 2004 relative à des pratiques mises en œuvre par la société des Caves et des Producteurs réunis de Roquefort dans le secteur des fromages à pâte persillée, point 72, décision confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 9 novembre 2004, société anonyme des caves et des producteurs réunis de roquefort, RO n° 2004/08960, page 7, et pourvoi rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 6 décembre 2005, pourvoi n° Y 04-19.541).
334. S'agissant plus particulièrement d'une pratique de dénigrement, le Conseil de la concurrence a considéré dans sa décision n° 04-D-75 du 22 décembre 2004 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché des câbles informatiques pour réseaux locaux, que: " la pratique qui consiste pour une entreprise intervenant sur un marché et une entreprise de contrôle des produits commercialisés sur ce marché, à s'entendre pour jeter la suspicion sur la qualité des produits d'une tierce entreprise afin de dégrader la position de cette dernière sur ce marché, est grave, même en l'absence d 'effet mesurable sur te marché en cause " (point 42).
335. En l'espèce, l'Autorité relève que l'utilisation délibérée de propos trompeurs quant aux recommandations non contraignantes à l'égard des produits Malo, en leur donnant une interprétation à tout le moins excessive et orientée, d'une part, et la diffusion d'analyses microbiologiques réalisées dans des conditions critiquables conduisant à des résultats fallacieux visant à mettre en doute les qualités substantielles des produits d'un concurrent, d'autre part, attestent suffisamment de la gravité de la pratique de dénigrement mise en œuvre par la SNYL.
b) Le dommage causé à l'économie
Arguments de la SNYL
336. Dans ses observations la SNYL souligne l'étroitesse du marché affecté pour minimiser l'ampleur de la pratique en rappelant que la population de l'île de la Martinique est comparable à celle d'un grand arrondissement de Paris.
337. D'autre part, elle soutient que l'Autorité doit prendre en compte le fait que la pratique n'aurait eu aucun effet conjoncturel, et encore moins structurel, sur le secteur concerné dans la mesure où la part de marché de la LSM a continué de croître pendant et après la période infractionnelle.
338. Enfin, elle estime qu'aucun effet sérieux sur les consommateurs n'a pu se produire étant donné que la suspension temporaire de la commercialisation des produits Malo par les enseignes du groupe 3H n'a pas privé les consommateurs de la possibilité de les acheter auprès des trois autres principaux distributeurs implantés sur l'île de la Martinique.
Appréciation de l'Autorité
339. Le dommage causé à l'économie ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale qu'elles sont de nature à engendrer pour l'économie (voir, par exemple, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 8 octobre 2008, SNEF, RG n° 2007/18040, p. 4).
340. L'Autorité, qui n'est pas tenue de chiffrer précisément le dommage causé à l'économie, doit procéder à une appréciation de son existence et de son importance, en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l'économie engendrée par les pratiques en cause (arrêt de la cour d'appel de Paris du 30 juin 2011, Orange France, RG n° 2010/12049, p. 5, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, pourvoi n° X 11-22.144, et du 26janvier 2012, Beauté Prestige International e.a., n° 2012/23945, p. 89). L'existence du dommage à l'économie ne saurait donc être présumée (arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010, Orange France e.a., n° 09-12.984, 09-13.163 et 09-65.940).
341. En se fondant sur une jurisprudence établie, l'Autorité tient notamment compte, pour apprécier l'incidence économique de la pratique en cause, de l'ampleur de l'infraction, telle que caractérisée, entre autres, par sa couverture géographique ou par la part de marché cumulée du ou des participants sur le secteur ou le marché concerné, de sa durée, de ses conséquences conjoncturelles ou structurelles, ainsi que des caractéristiques économiques pertinentes du secteur ou du marché concerné (voir, par exemple, arrêts de la Cour d'appel de Paris du 30 juin 2011, précité, p. 5 et du 26 janvier 2012, précité, p. 89 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, précité). Les effets tant avérés que potentiels de la pratique peuvent être pris en considération à ce titre (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 28juin2005, Novartis Pharma, n° 04-139 10).
342. En l'espèce, il convient d'examiner tout d'abord l'ampleur de l'infraction, puis les caractéristiques du secteur concerné et enfin les conséquences de la pratique.
343. S'agissant de l'ampleur de la pratique, celle-ci a été mise en œuvre par un opérateur qui se trouve depuis longtemps en situation de dominance, voire par le passé de quasi-monopole, sur l'île de la Martinique. L'Autorité relève cependant que les effets de la pratique en cause ont été limités à l'île de la Martinique, et très ponctuellement à l'île de la Guadeloupe, soit deux marchés de taille restreinte.
344. S'agissant des caractéristiques du secteur concerné, celles-ci sont prises en compte lorsqu'elles sont de nature à influer sur les effets de la pratique. En l'espèce, la pratique a concerné le secteur des denrées alimentaires très périssables pour lesquelles l'ensemble de la chaîne, de la production à la distribution, est sensible aux doutes, rumeurs et insinuations proférés à l'égard de denrées susceptibles de mettre en danger la santé des consommateurs et par ricochet l'image de ceux qui les commercialisent. Or, cette caractéristique a joué un rôle primordial dans le développement d'un climat de suspicion et d'interrogation à l'égard des produits Malo, les distributeurs réagissant promptement en cas de doute sur l'innocuité des produits qu'ils offrent à la consommation. La suspension de la commercialisation des produits laitiers frais Malo par le groupe 3H sur une durée de 16 mois en témoigne.
345. Enfin, s'agissant des conséquences de l'infraction, la pratique a eu pour effet concret la suspension temporaire, par le groupe 3H, de la commercialisation des produits laitiers frais Malo. Plus marginalement, les enseignes exploitées par le groupe GBH ont également procédé à des retraits de très courte durée.
346. Les clients de ces enseignes n'ont pu bénéficier de l'offre de produits proposés par Malo alors même que l'appétence pour ces produits est réelle comme en témoigne la progression des parts de marché de la LSM sur les marchés concernés. Or, sur un marché où la faible pression concurrentielle a déjà été identifiée par l'Autorité dans son avis n° 09-A-45 (voir les points 112 et 113), l'arrivée d'un nouvel opérateur proposant des produits similaires mais aux qualités organoleptiques propres (8) est incontestablement susceptible d'animer la concurrence au bénéfice des consommateurs ultra-marins.
347. Eu égard à l'ensemble de ces considérations, le dommage à l'économie causé par la pratique mise en œuvre par la SNYL apparaît certain.
Conclusion sur ta proportion de ta valeur des ventes
348. Compte tenu de l'appréciation qu'elle a faite ci-dessus de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, l'Autorité retiendra, pour déterminer le montant de base de la sanction infligée à la société SNYL, une proportion de 6 % de la valeur de ventes.
c) Sur la durée de l'infraction
349. Comme indiqué précédemment, la durée de l'infraction est un facteur qu'il convient de prendre en compte dans le cadre de l'appréciation tant de la gravité des faits que de l'importance du dommage causé à l'économie. En effet, plus une infraction est longue, plus l'atteinte qu'elle porte au jeu de la concurrence et la perturbation qu'elle entraîne pour le fonctionnement du secteur ou du marché en cause, et plus généralement pour l'économie, peuvent être substantielles et persistantes
350. Dans le cas d'infractions qui se sont prolongées plus d'une année, l'Autorité s'est engagée à prendre en compte leur durée selon les modalités pratiques suivantes la proportion retenue, pour donner une traduction chiffrée à la gravité des faits et à l'importance du dommage causé à l'économie, est appliquée une fois, au titre de la première année complète de participation individuelle aux pratiques de chaque entreprise en cause, à la valeur de ses ventes pendant l'exercice comptable de référence, puis à la moitié de cette valeur, au titre de chacune des années complètes de participation suivantes. Au-delà de cette dernière année complète, la période restante est prise en compte au mois près, dans la mesure où les éléments du dossier le permettent.
351. Dans chaque cas d'espèce, cette méthode se traduit par un coefficient multiplicateur, défini proportionnellement à la durée individuelle de participation de chacune des entreprises aux pratiques et appliqué à la proportion de la valeur des ventes effectuées par chacune d'entre elles pendant l'exercice comptable retenu comme référence.
352. En l'espèce, l'infraction est établie entre décembre 2007 et décembre 2009, c'est-à-dire sur une durée supérieure à une année complète. Il convient de retenir un coefficient multiplicateur de durée correspondant au nombre de mois complets pendant lesquels la SNYL a participé à l'infraction. Ce coefficient égal à 1,5 sera appliqué à l'intégralité de la valeur de ses ventes retenue.
Conclusion sur ta détermination du montant de base
353. Eu égard à la gravité des faits et à l'importance du dommage causé à l'économie, le montant de base de la sanction pécuniaire, déterminé en proportion des ventes de la SNYL en relation avec l'infraction, d'une part, et en tenant compte de leur durée, d'autre part, sera fixé à 1 672 623 euro.
3. SUR LES CIRCONSTANCES PROPRES À L'ENTREPRISE
354. L'Autorité s'est ensuite engagée à adapter le montant de base retenu ci-dessus au regard du critère légal tenant à la situation individuelle de tout mis en cause, qu'il s'agisse d'un organisme ou d'une entreprise, appartenant le cas échéant à un groupe plus large.
355. À cette fin, et en fonction des éléments propres à chaque cas d'espèce, elle peut prendre en considération différentes circonstances atténuantes ou aggravantes caractérisant le comportement de chaque entreprise dans le cadre de sa participation à l'infraction, ainsi que d'autres éléments objectifs pertinents relatifs à sa situation individuelle. Cette prise en considération peut conduire à ajuster la sanction tant à la hausse qu'à la baisse.
356. Au cas présent, les éléments du dossier ne font pas ressortir d'éléments propres à la situation ou au comportement individuels de la SNYL qui seraient de nature à augmenter ou à diminuer la sanction, sous réserve de l'appréciation de difficultés financières particulières alléguées par cette dernière.
357. Contrairement à ce que soutient la SNYL dans ses observations, le fait que la loi n° 2013453 précitée prohibe désormais l'apposition d'une DLC plus longue pour les produits destinés aux collectivités d'outre-mer ne constitue pas un élément propre à la situation individuelle de la SNYL susceptible de minorer sa sanction.
358. En l'absence d'une situation de réitération, le montant de base sera comparé au maximum légal applicable, en application du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce.
4. SUR LES AJUSTEMENTS FINAUX
a) Sur la vérification du maximum applicable
359. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxe le plus élevé connu réalisé par le groupe Antilles Glaces SAS qui consolide le chiffre d'affaires de la société SNYL était de 165 672 000 euro pour l'année 2012 (cote 3628). Le montant maximal de la sanction s'élève donc à 16 567 200 euro. Ce montant est supérieur au montant mentionné au paragraphe 353 ci-dessus.
b) Sur la capacité contributive
360. Au titre des éléments propres à la situation de chaque entreprise ou organisme en cause, l'Autorité s'est en dernier lieu engagée à apprécier les difficultés financières particulières de nature à diminuer leur capacité contributive dont les parties invoquent l'existence, selon les modalités pratiques indiquées dans le communiqué du 16 mai 2011 précité.
361. La pratique décisionnelle de l'Autorité, et avant elle du Conseil de la concurrence admet que "le montant de la sanction peut être réduit pour tenir compte des résultats déficitaires de l'entreprise " (rapport annuel pour 2005, page 128). Dans ce cas, l'Autorité se réfère à l'évolution des comptes sur plusieurs exercices, qui est de nature à donner une image fidèle de la situation de l'entreprise.
362. Le Conseil a, par exemple, pris en compte la situation déficitaire de l'entreprise pour fixer le montant de l'amende dans sa décision n° 01-D-13 du 19 avril 2001 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du transport public de voyageurs. Pour sa part, la Cour d'appel de Paris a, dans un arrêt du 26 janvier 1999, SA Bianco, réformé la décision n° 98-D-41 du 16 juin 1998 sur le montant des sanctions, au motif que la situation économique et financière des entreprises mises en cause s'était dégradée (BOCCRF n° 3 du 16 février 1999).
363. Il appartient cependant à l'entreprise de justifier l'existence de telles difficultés en s'appuyant sur des preuves fiables, complètes et objectives attestant de leur réalité et de leurs conséquences concrètes sur sa capacité contributive (voir, en ce sens, arrêts de la Cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, précité, p. 73, et du 29 septembre 2009, Établissements Mathé, RG n° 2008/12495, p. 15 et 16).
364. Par ailleurs, lorsque le comportement infractionnel d'une filiale est imputé à une ou plusieurs sociétés-mères de celle-ci, dans la mesure où elles forment une seule entreprise au sens du droit de la concurrence, il est, par la suite, loisible à l'Autorité de tenir la ou les sociétés-mères solidairement responsables du comportement infractionnel de leur filiale et, par conséquent, du paiement de l'amende infligée à cette dernière.
365. À cet égard, et même si en matière de sanction le principe d'autonomie procédurale prévaut, l'Autorité relève que, dans un arrêt du 10 avril 2014, Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, la Cour de justice a jugé que: " l'objectif du mécanisme de solidarité réside dans le fait qu'il constitue un instrument juridique supplémentaire, dont dispose la Commission afin de renforcer l'efficacité de son action en matière de recouvrement des amendes infligées pour des infractions au droit de ta concurrence, dès lors que ce mécanisme réduit, pour la Commission en tant que créancier de la dette que représentent ces amendes, le risque d'insolvabilité, ce qui participe à l'objectif de dissuasion qui est généralement poursuivi par le droit de la concurrence " (affaires jointes C-231/11 P à C-233/11 P, non encore publié au recueil, point 59).
366. En l'espèce, dans leurs observations à la notification des griefs et au rapport, la SNYL et la Socrema ont invoqué l'existence de difficultés financières particulières de nature, selon elles, à limiter leur capacité contributive. Elles n'avaient toutefois pas fourni les éléments comptables et financiers les plus récents relatifs à la situation de la société Antilles Glaces SAS, société au sein de laquelle elles consolident leurs comptes.
367. L'examen des éléments financiers et comptables communiqués ultérieurement par l'entreprise et relatifs à la situation financière de la société Antilles Glaces à laquelle, en tant que société-mère, l'infraction est également imputée, ne font pas apparaître de difficultés financières particulières pouvant justifier d'une réduction du montant de la sanction qui lui sera infligée.
368. Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, les sociétés SNYL, Socrema et Antilles Glaces, en tant qu'entreprise auteure de l'infraction, ne peuvent se prévaloir de difficultés financières particulières affectant leur capacité contributive.
Conclusion sur te montant final de la sanction
369. Eu égard à l'ensemble des éléments décrits plus haut, il y a lieu d'imposer à la SNYL, et solidairement aux sociétés-mères Socrema et Antilles Glaces, une sanction pécuniaire, arrondie au millier près, fixée à 1 670 000 euro.
G. SUR L'INJONCTION DE PUBLICATION
370. Aux termes du I de l'article L. 464-2, cinquième alinéa, du Code de commerce, l'Autorité de la concurrence peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Les frais sont supportés par la personne intéressée.
371. En l'espèce, pour informer de la présente décision les consommateurs antillais et les distributeurs locaux et appeler ces derniers à une plus grande vigilance à l'égard de la pratique sanctionnée, il y a lieu d'ordonner aux sociétés SNYL, Socrema et Antilles Glaces de faire publier, à leurs frais, dans les éditions papier des journaux " France-Antilles Martinique" et " France-Antilles Guadeloupe ", le résumé de la présente décision figurant ci-après
Par décision n° 14-D-08 du 24 juillet 2014, l'Autorité de ta concurrence a solidairement infligé une sanction de 1 670 000 euro à la Société Nouvelle des Yaourts de Littée (SNYL) et à ses sociétés-mères Socrema et Antilles Glaces pour avoir abusé de leur position dominante sur le marché des produits laitiers frais en Martinique, enfreignant les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.
Il leur était reproché d'avoir, entre décembre 2007 et décembre 2009, dénigré les produits commercialisés par un concurrent. En se fondant sur des résultats d'analyses bactériologiques de yaourts et de fromages frais contestables et en arguant de l'irrégularité prétendue de la pratique suivie par son concurrent en matière de date limite de consommation, alors qu'elle était encore légalement tolérée et d'un usage répandu, la SNYL a accrédité l'idée auprès d'un syndicat professionnel et des distributeurs, que ce concurrent ne respectait pas la réglementation en vigueur, tant du point de vue de la définition des appellations des produits mis sur te marché que de leur conformité aux normes sanitaires.
Ces allégations infondées, qui visaient un seul producteur parmi d'autres qui suivaient la même pratique en matière de DLC, ont conduit l'une des enseignes de ta distribution locale à retirer de la vente les produits de ce producteur et à en suspendre la commercialisation pendant plus d'un an.
L'Autorité a estimé que ce comportement d'un producteur solidement implanté sur le marché, à l'égard d'un concurrent plus récent, outrepassait l'information objective des consommateurs et ne pouvait être justifié par la prise en compte d'un risque sanitaire supposé.
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que les sociétés SNYL SAS, Socrema SAS et Antilles Glaces SAS ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.
Article 2: Au titre de l'infraction visée à l'article 1er, il est solidairement infligé aux sociétés SNYL SAS, Socrema SAS et Antilles Glaces SAS une sanction pécuniaire de 1 670 000 euro.
Article 3 Les sociétés SNYL SAS, Socrema SAS et Antilles Glaces SAS feront publier, à leurs frais, le texte figurant au paragraphe 371 de la présente décision, en respectant la mise en forme, dans les éditions papier des journaux "b France-Antilles Martinique " et " France-Antilles Guadeloupe ". Cette publication interviendra dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractère gras de même taille: " Décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-D-08 du 24 juillet 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de produits laitiers frais aux Antilles françaises ". Elle pourra être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet d'un recours devant la Cour d'appel de Paris si un tel recours est exercé. Les sociétés sanctionnées adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de ces publications, dès leur parution et au plus tard le 24 septembre 2014.
Délibéré sur le rapport oral de M. Lucas Pierorazio, et l'intervention orale de Mme Juliette Théry-Schultz, rapporteure générale adjointe, par Mme Claire Favre, vice-présidente, présidente de séance, Mmes Chantai Chomel et Séverine Larere, Mlvi. Nol Diricq et Olivier d'Ormesson, membres.
Notes :
1. Rapport n° 3767 par M. Victorin Lurel, enregistré à l'Assemblée Nationale le 28 septembre 2011, visant à prohiber la différence de sucre entre la composition des produits manufacturés et vendus dans les régions d'outre-mer et celle des mêmes produits vendus dans l'hexagone. Ce rapport est disponible à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r3767.asp#P322_23832
2. À cette fin, des tests de vieillissement doivent être effectués, soit en interne, soit par un laboratoire indépendant. Pour ce qui concerne les produits périssables soumis à une DLC, les tests de vieillissement doivent observer un protocole normalisé (norme NF V01-003).
3. Voir, notamment, les décisions de la Commission dans les affaires M.1221 Rewe/Meinl du 3 février 1999, M.1684 Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000 et M.2115 Carrefour/GB du 28 septembre 2000. Voir également la décision C.2005-98 Carrefour/Penny Market du 10 novembre 2005.
4. Il s'agit des fromages frais produits en MDD pour le comte d'enseignes de la GMS, notamment Leader price.
5. Cotes 1234 à 1241, 1244 à 1245, 1257, 1259 à 1261, 1267, 1269 à 1271, 1279. Parmi ces produits, deux sont des crèmes dessert (cotes 1260 et 1261) et un de la crème fraîche (cote 1279).
6. Cotes 1294, 1295 à 1303, 1310 à 1314, 131$ à 1319, 1327 à 1328, 1334, 1342, 1351, 1352, 1362, 1373 à 1377, 1386, 1388 à 1391.
7. Cotes 1407 à 1416, 1423 à 1425, 1428 à 1430, 1432 à 1434.
8. Les produits laitiers frais fabriqués aux Antilles sont principalement obtenus à base de poudre de lait, tandis que la société Laiterie de Saint-Malo utilise du lait collecté (cf supra paragraphe 8).