CA Montpellier, 2e ch., 16 décembre 2014, n° 13-05269
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Perez
Défendeur :
Laboratoires Innoset (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bachasson
Conseillers :
Mme Olive, M. Prouzat
Avocats :
Mes Simon, Garrigue
FAITS ET PROCEDURE - MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
La société Laboratoires Innoset, dont l'activité est le commerce de gros d'accessoires médicaux destinés aux centres de soins, a conclu, le 12 août 2004, avec Françoise Mico un contrat d'agent commercial, d'une durée d'une année à compter du 1er septembre 2004, pour le placement et la vente auprès des hôpitaux et cliniques de sets à usage unique, sur un secteur correspondant aux départements 47 (partiel), 34 (partiel), 82 (partiel), 09, 32, 64, 81, 11, 12 et 66, sauf clients "Hospitalliance", précision faite que le département 34 est limité à Sète et Béziers et que l'expression "partiel" s'entend hors clients du "groupe Hospitalliance".
Il était prévu le paiement de commissions à l'agent commercial, fixées en pourcentage de la marge réalisée sur les commandes directes et indirectes.
Le contrat s'est poursuivi au-delà du 1er septembre 2005 et a été cédé à Philippe Pérez à la date du 19 janvier 2010.
Par courrier du 6 janvier 2012, la société Innoset a reproché à M. Pérez de n'avoir pas visité une partie de son secteur ou de l'avoir très peu visité et lui a proposé un nouveau contrat d'agence pour la représentation de ses produits, modifiant notamment le secteur de prospection ; elle lui précisait qu'une activité commerciale permettant l'évolution du chiffre d'affaires (...) implique 5 à 8 visites de clients par jour.
M. Pérez a refusé cette proposition par courrier en réponse du 2 février 2012, imputant à la société Innoset divers manquements, comme un défaut d'homogénéité des prix de vente à la clientèle, une irrégularité des approvisionnements, une absence de participation du mandant aux appels d'offres et une modification, trop fréquente et sans prévenir les clients, de la composition des produits.
Il a, par courrier de son conseil en date du 24 mai 2012, réitéré son refus de signer ce nouveau contrat et a proposé à la société Innoset de renoncer à son contrat d'agence contre le versement d'une somme de 46 278,79 euros TTC correspondant à un chiffre d'affaires de deux années.
Faute d'accord amiable, M. Pérez a, par acte d'huissier de justice en date du 20 décembre 2012, fait assigner la société Innoset devant le Tribunal de commerce de Béziers en vue d'obtenir la résiliation du contrat d'agence aux torts exclusifs du mandant et le paiement des sommes de 46 278,79 euros à titre d'indemnité de cessation de contrat et de 5 400 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis.
Par jugement du 17 juin 2013, le tribunal a prononcé la résiliation du contrat aux torts partagés, a dit n'y avoir lieu à indemnité au profit de l'agent, a mis les dépens à la charge des parties, chacune pour la moitié, et a rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
M. Pérez a régulièrement relevé appel de ce jugement en vue de sa réformation.
Il demande à la cour (conclusions reçues par le RPVA le 8 octobre 2013) de prononcer la résiliation du contrat d'agence et, tenant l'absence de faute grave qui lui soit imputable, de condamner la société Innoset à lui payer les sommes de 39 302 euros en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce et 5 126 euros en application de l'article L. 134-11 du même Code, outre l'allocation de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, il fait essentiellement valoir que :
-en prononçant aux torts partagés la rupture du contrat, le tribunal, qui n'a pas constaté de faute grave de sa part, ne pouvait le priver de l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce,
-la société Innoset a unilatéralement diminué son secteur de prospection, fixé contractuellement,
-elle ne l'a pas mis en mesure de remplir sa mission dans de bonnes conditions, dès lors que les prix pratiqués, variables d'un client à l'autre, n'étaient pas homogènes, que les approvisionnements étaient irréguliers et les produits livrés de mauvaise qualité ou non conformes aux commandes, qu'elle n'a gagné aucun appel d'offres et qu'elle ne répondait pas à ses messages ou à ses demandes répétées d'organiser des réunions visant à faire le point sur l'exécution du mandat,
-elle a donc manqué à ses obligations et ne l'a pas mis en mesure d'exécuter son mandat au sens de l'article L. 134-4 du Code de commerce, ce qui l'a privé des revenus auxquels il pouvait prétendre, aucune faute grave ne pouvant lui être imputé de nature à le priver de l'indemnité de rupture.
Formant appel incident, la société Innoset demande à la cour de constater la rupture du contrat d'agence pour faute grave commise par M. Pérez, de le débouter de ses prétentions et de le condamner au paiement de la somme de 5 126 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ; subsidiairement, elle sollicite que l'indemnité de résiliation soit ramenée à la somme de 9 825 euros correspondant à 6 mois de commissions ; enfin, elle réclame l'allocation de la somme de 4 000 euros en remboursement de ses frais irrépétibles (conclusions reçues par le RPVA le 9 décembre 2013).
Elle soutient en substance que :
-contrairement à ce que soutient M. Pérez, elle ne lui a pas imposé les clauses du nouveau contrat, alors même qu'il les avait refusées,
-l'intéressé n'établit pas que ses conditions de travail ont été telles, qu'il aurait été empêché d'accomplir son mandat, M. Pérez à l'égard de qui elle s'est comportée loyalement, ne pouvant se prévaloir de difficultés logistiques passagères inhérentes à toute activité de fourniture de biens,
-M. Pérez a lui-même manqué à ses obligations en ne rendant pas compte de son activité par la remise de rapports écrits, en effectuant des visites commerciales insuffisantes, voire inexistantes pour certains clients de son secteur, et en adoptant un comportement délétère lors de ses visites à la clientèle,
-le chiffre d'affaires sur le secteur de M. Pérez a ainsi chuté de 30% depuis la cession par Mme Mico de son contrat d'agent commercial,
-la nature des fautes, qu'il a commises, permet de les qualifier de fautes graves privatives de toutes indemnités.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 22 octobre 2014.
MOTIFS DE LA DECISION :
Il résulte de la combinaison des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, sauf si la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent ou résulte de son initiative à moins que cette cessation se soit justifiée par des circonstances imputables au mandant.
En l'occurrence, le fait que M. Pérez, dont il n'est pas soutenu qu'il a cessé concomitamment son activité d'agent commercial, a assigné la société Innoset devant le tribunal de commerce pour que celui-ci prononce la résiliation du contrat aux torts exclusifs du mandant, ne permet pas d'en déduire qu'il est à l'initiative de la rupture ; le tribunal puis la cour sont, en effet, saisis d'une demande de M. Pérez, fondée implicitement mais nécessairement sur l'article 1184 du Code civil, tendant au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat en raison de l'inexécution par la société Innoset de ses obligations, et d'une demande reconventionnelle de la société Innoset visant à faire "constater" cette résiliation pour faute grave de l'agent, mais sans que celle-ci ait usé de la faculté de rompre unilatéralement le contrat.
En premier lieu, aucun élément ne permet d'affirmer qu'à la suite du refus de M. Pérez de signer le projet de contrat, que lui avait transmis la société Innoset par courrier du 6 janvier 2012, celle-ci a imposé à son agent une modification substantielle des conditions d'exécution du contrat conclu initialement le 12 août 2004, liant les parties.
Il est reproché à la société Innoset de pratiquer des prix, qui ne sont pas homogènes et qui varient d'un client à l'autre ; il est ainsi communiqué deux offres de prix, également datées du 5 mai 2011, destinées l'une au centre hospitalier Francis Vals de Port-la-Nouvelle (11), l'autre à la clinique Tivoli, faisant état pour le même produit 'les sets à pansement, référence 1007' de prix unitaires différents, soit 0,58 euros HT contre 0,49 euros HT ; la société Innoset explique cependant que la clinique Tivoli est adhérente à la centrale d'achat de l'hospitalisation privée et publique (CAHPP) avec laquelle elle a conclu une convention de référencement prévoyant notamment de faire bénéficier les adhérents soit d'un tarif particulier pour certains produits référencés, soit d'une remise générale exprimée en pourcentage ; les différences de prix, qui résultent de l'application à certains clients, dont la clinique Tivoli, de cette convention de référencement, ne sont donc pas révélatrices d'un manquement de la société Innoset à son obligation de mettre M. Pérez en mesure d'exécuter son mandat d'agent commercial.
Divers courriels de la clinique Beau Soleil à Montpellier attestent de l'existence de retards dans la livraison des produits, particulièrement d'une rupture de son stock de sets de badigeons en septembre 2009 ; la société Innoset fait état de difficultés d'approvisionnement passagères, depuis lors résolues ; elle communique à cet égard un courriel de la clinique Beau Soleil en date du 15 mars 2012, antérieur à la saisine par M. Pérez du tribunal de commerce, selon lequel les problèmes de délais de livraison sont visiblement résorbés ; un autre courriel de la clinique Midi-pôle Saint Roch en date du 23 mai 2012, faisant état de problèmes de livraison, est produit aux débats, mais ce courriel, adressé à M. Pérez, n'a pas été transmis à la société Innoset, laquelle affirme que le client concerné est toujours en portefeuille (sic) ; aucun manquement de nature à compromettre l'exécution du mandat ne peut dès lors être imputé à la société Innoset, d'autant que les retards de livraison des produits n'ont pas eu d'incidence financière sur la rémunération de M. Pérez.
S'agissant de la qualité des produits, mise en cause par M. Pérez, celui-ci se borne à produire un courriel de la société Innoset, lui ayant été adressé le 20 décembre 2010, et reconnaissant avoir eu des problèmes de qualité, des champs mal pliés' ; ce courriel isolé, qui remonte à deux ans avant la saisine du tribunal de commerce aux fins de résiliation du contrat d'agence, est manifestement insuffisant à prouver l'incapacité du mandant à remédier, de façon pérenne, aux problèmes de qualité des produits qui ont pu se manifester en cours de commercialisation, dans des conditions de nature à affecter durablement l'activité de l'agent commercial ; il n'est, par ailleurs, fourni aucun élément propre à établir l'existence de livraisons non conformes aux commandes ou d'une modification des composants des produits, qu'invoquent également M. Pérez au soutien de sa demande de résiliation du contrat aux torts du mandant.
M. Pérez soutient ensuite que la société innoset n'a pas répondu à ses messages, ni organisé les réunions de travail qu'il a sollicitées à plusieurs reprises ; rien ne permet toutefois d'étayer ce reproche et de caractériser un manquement du mandant au devoir d'information auquel il était tenu à l'égard de l'agent commercial, seul étant produit un courrier de la société Innoset du 22 décembre 2010 transmettant à M. Pérez les diverses réclamations d'un client, la clinique du Pont de Chaume, et proposant, pour en discuter, un contact téléphonique.
Enfin, le grief selon lequel la société Innoset n'a gagné aucun appel d'offres, n'est nullement explicité dans les conclusions d'appel de M. Pérez, ni justifié par les pièces produites ; la société Innoset fait état d'un projet de relation commerciale avec une société Néphrocare, prospectée par M. Pérez, projet auquel elle n'a pas cependant donné suite, en expliquant que cette société, qui ne relevait pas du secteur de M. Pérez, n'avait pas vocation à devenir un client de son portefeuille et que le volume d'activité de ce client potentiel était inadapté à sa production.
Les manquements, qu'invoquent M. Pérez, n'apparaissent donc pas établis ou suffisamment importants pour justifier le prononcé d'une résiliation du contrat d'agence aux torts du mandant.
A l'appui de sa demande de constat de la résiliation du contrat pour faute grave de l'agent, la société Innoset se prévaut, tout d'abord, d'un manquement de M. Pérez à son obligation de rendre compte ; pour autant, le contrat du 12 août 2004 liant les parties ne met pas à la charge de l'agent l'obligation de rendre compte de l'exécution de son mandat par l'envoi périodiques de rapports d'activité et à aucun moment, la société Innoset n'a reproché à son agent l'inexécution d'une telle obligation ; ce grief ne se trouve donc pas caractérisé.
La société Innoset invoque ensuite une prospection insuffisante de M. Pérez dans son secteur géographique, reproche qu'elle lui avait adressé dans son courrier du 6 janvier 2012 ; elle communique les réponses à une enquête de satisfaction effectuée en 2012 émanant de quatre de ses clients (la clinique Sokorri, la clinique Saint Vincent, la clinique Esquirol Saint Hilaire et le centre hospitalier de Millau), et faisant état d'une insuffisance de visites commerciales, ainsi qu'un tableau analytique du chiffre d'affaires réalisé de 2007 à 2012 sur le secteur de prospection de Mme Mico puis de M. Pérez à compter de janvier 2010.
Les réponses à l'enquête de satisfaction émanent toutefois d'une infime partie des clients (4 sur 44) et l'examen de l'évolution du chiffre d'affaires sur le secteur de prospection considéré est loin de révéler une baisse d'activité, susceptible d'être imputée à M. Pérez, même si au cours de la période 2010-2012, huit clients ont été "perdus" et seulement deux "gagnés" ; en effet, la comparaison du chiffre d'affaires moyen dégagé en 2008-2009 (285 135 euros), lorsque Mme Mico étant en charge du secteur, avec celui de la période 2010-2011, correspondant à la période d'activité de M. Pérez (313 351 euros), établit l'existence d'une progression d'environ 10 % du chiffre d'affaires réalisé par celui-ci sur le même secteur ; le manquement, qui lui est imputé, à son obligation de prospection n'apparaît pas ainsi caractérisé.
Il en est de même en ce qui concerne le reproche fait à M. Pérez d'avoir adopté un comportement délétère lors de ses visites aux clients, reproche qui ne se trouve établi par aucun élément de preuve.
Dans ces conditions, la demande de la société Innoset visant à faire constater la résiliation du contrat pour faute grave de l'agent ne peut qu'être rejetée.
Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de résiliation du contrat d'agence aux torts du mandant, M. Pérez ne peut prétendre, en l'état, au paiement de l'indemnité de cessation de contrat prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce, ainsi que de l'indemnité compensatrice de préavis par référence aux dispositions de l'article L. 134-11 du même Code ; de son côté, la société Innoset, qui succombe sur sa demande reconventionnelle aux fins de constat de la résiliation du contrat pour faute grave de l'agent, ne peut qu'être déboutée de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis.
Le jugement entrepris doit en conséquence être réformé, sauf en ce qu'il a débouté M. Pérez de sa demande en paiement d'une indemnité de cessation de contrat et d'une indemnité compensatrice de préavis.
Au regard de la solution apportée au règlement du litige, chacune des parties conservera à sa charge les dépens personnellement exposés en première instance et cause d'appel ; il n'y a pas lieu, dans ces conditions, à l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. Pérez de sa demande en paiement d'une indemnité de cessation de contrat et d'une indemnité compensatrice de préavis, Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau, Déboute M. Pérez de sa demande tendant au prononcé de la résiliation du contrat d'agence aux torts exclusifs du mandant et la société Innoset de sa demande reconventionnelle visant à faire "constater" cette résiliation pour faute grave de l'agent, Déboute en conséquence la société Innoset de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, Dit que chacune des parties conservera à sa charge les dépens personnellement exposés en première instance et en cause d'appel, les dépens d'appel étant recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile, Rejette les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du même Code.